Faits et procédureLe 14 décembre 2005, Madame [B], alors épouse [X] [E], a reçu une offre de prêt immobilier de la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PESSAC CENTRE pour un montant de 200.000€ à un taux de 3,40% sur 20 ans, destiné à l’acquisition d’une maison à LANGOIRAN. À partir de janvier 2021, l’emprunteur a cessé de payer ses échéances. La banque a envoyé plusieurs mises en demeure, la première le 1er octobre 2021 pour un montant de 9.972,36 €, suivie d’une seconde le 13 novembre 2021 pour 12.214,06 €. En l’absence de réponse, la banque a déclaré la déchéance du terme de son contrat de prêt le 14 décembre 2021, réclamant un total de 67.297,09 €. Assignation et procédure judiciaireLe 29 mars 2022, la banque a assigné l’emprunteur devant le tribunal judiciaire de BORDEAUX pour obtenir le paiement de 67.530,60 € en principal, plus intérêts. L’emprunteur a constitué avocat et déposé des conclusions. L’ordonnance de clôture a été rendue le 29 mai 2024, et les débats ont eu lieu le 4 juillet 2024, avec une mise en délibéré au 17 octobre 2024, prorogée au 24 octobre 2024. Prétentions de la banqueDans ses conclusions du 24 janvier 2023, la banque a demandé au tribunal de déclarer son action recevable et fondée, tout en rejetant les demandes reconventionnelles de Madame [B]. Elle a sollicité la condamnation de l’emprunteur à verser 67.530,60 € avec intérêts, ainsi qu’une indemnité de 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Prétentions de l’emprunteurDans ses conclusions du 28 août 2023, l’emprunteur a demandé la condamnation de la banque à lui verser 67.530,60 € en dommages et intérêts, ainsi que la compensation des sommes dues. Elle a également demandé un report du paiement des sommes restantes dues, ainsi que la suspension des procédures d’exécution. Motifs de la décisionLe tribunal a déclaré irrecevable la fin de non-recevoir soulevée par la banque, précisant que seul le juge de la mise en état devait connaître de cette question. Concernant la dette de l’emprunteur, le tribunal a constaté que les parties s’accordaient sur le principe de la dette, mais a limité l’indemnité d’exigibilité à 500 €, ramenant la créance totale de la banque à 63.652,76 €. Responsabilité de la banqueL’emprunteur a soutenu que la banque avait manqué à son devoir de conseil et à son obligation de mise en garde, ce qui aurait conduit à sa situation d’impayé. Le tribunal a reconnu une faute de négligence de la banque pour ne pas avoir inscrit le nantissement du contrat d’assurance-vie, ce qui a conduit à une perte de chance pour l’emprunteur. Compensation et délai de paiementLe tribunal a ordonné la compensation entre les créances réciproques et a accordé à l’emprunteur un délai de paiement jusqu’à la vente de son appartement, avec une suspension des intérêts pendant cette période. Décision finaleLe tribunal a déclaré la fin de non-recevoir de la banque irrecevable, a réduit l’indemnité d’exigibilité, a constaté la créance de la banque à 63.652,76 €, et a condamné la banque à verser 33.099 € à l’emprunteur. Il a également ordonné la compensation des créances et accordé un délai de paiement à l’emprunteur. Les dépens ont été à la charge de la partie perdante, et les frais d’inscription d’hypothèque sont restés à la charge de l’emprunteur. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
5ème CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND
53B
N° RG 22/02344 – N° Portalis DBX6-W-B7G-WOFJ
Minute n° 2024/00
AFFAIRE :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PESSAC CENTRE
C/
[E] [B] divorcée [X]
Grosses délivrées
le
à
Avocats : la SELARL CABINET FORZY – BOCHE-ANNIC – MICHON
Me Aurélia POTOT-NICOL
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5ème CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 24 OCTOBRE 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré :
Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Myriam SAUNIER, Vice-Présidente
Greffier, lors des débats et du prononcé
Pascale BUSATO, Greffier
DÉBATS :
A l’audience publique du 04 Juillet 2024
Délibéré au 17 octobre 2024 prorogé au 24 octobre 2024
Sur rapport de conformément aux dispositions de l’article 785 du code de procédure civile
JUGEMENT:
Contradictoire
Premier ressort
Prononcé publiquement par mise à disposition du jugement au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile
DEMANDERESSE :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PESSAC CENTRE
45 Place de la 5ème République
33600 PESSAC
représentée par Maître Sylvie MICHON de la SELARL CABINET FORZY – BOCHE-ANNIC – MICHON, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant
DÉFENDERESSE :
Madame [E] [B] divorcée [X]
née le 21 Juin 1954 à BOULOGNE BILLANCOURT (92012)
de nationalité Française
8 Route de BORDEAUX
33550 LANGOIRAN
représentée par Me Aurélia POTOT-NICOL, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
N° RG 22/02344 – N° Portalis DBX6-W-B7G-WOFJ
Faits et procédure
Le 14 décembre 2005, Madame [B], alors épouse [X] [E] (ci-après “l’emprunteur”) a reçu par voie postale une offre de prêt immobilier de la part de la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PESSAC CENTRE (ci-après “la banque”) pour un montant de 200.000€, au taux de 3,40% (TEG 3,42%), pour une durée de 20 ans soit 240 mensualités, garanti par la souscription d’une assurance ainsi que par le nantissement d’un contrat de capitalisation ou d’assurance-vie, afin de faire l’acquisition d’une maison d’habitation située 4 route de Bordeaux à LANGOIRAN (33550).
L’emprunteur a cessé d’honorer les échéances de son prêt à compter du mois de Janvier 2021.
La banque a adressé à l’emprunteur par lettre recommandé en date du 1er octobre 2021, une mise en demeure de payer les échéances dues au titre de son crédit immobilier ainsi que le découvert sur son compte chèques, les sommes s’élevaient alors à un montant total de 9.972,36 €.
Le 13 novembre 2021, elle lui a adressé une deuxième mise en demeure de régler ses impayés pour un montant total de 12.214, 06 €.
Puis, sans réponse de sa part, la banque lui a signifié par lettre recommandée en date du 14 décembre 2021 la déchéance du terme de son contrat de prêt en la mettant à nouveau en demeure de régler sa dette qui s’élevait alors à la somme de 151,58 € au titre du solde débiteur de son compte et à 67.297,09 € au titre de son prêt.
La banque a sollicité l’autorisation de prendre une inscription d’hypothèque conservatoire sur le bien financé, puis a dénoncé l’inscription prise.
Dans le cadre de cette inscription hypothécaire, par assignation délivrée le 29/03/2022, la banque a assigné l’emprunteurdevant le tribunal judiciaire de BORDEAUX aux fins de condamnation à payer la somme de 67.530,60€ en principal, outre intérêts conventionnel de 3,40% au titre du contrat de prêt immobilier du 27/12/2005.
Il convient de préciser que depuis cette assignation :
Mme [B] a constitué avocat et fait déposer des conclusions.
L’ordonnance de clôture est en date du 29/05/2024.
Les débats s’étant déroulés à l’audience du 04/07/2024, l’affaire a été mise en délibéré au 17/10/2024, prorogé au 24/10/2024.
PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR, la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE PESSAC, la banque :
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24/01/2023, la banque, au visa des articles 1134 et 1139 anciens du code civil, ainsi que de l’article L 312-22 ancien du code de la consommation, sollicite du Tribunal de :
DIRE ET JUGER la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PESSAC CENTRE recevable et bien fondée e son action
DIRE ET JUGER au contraire, Madame [B] épouse [T] irrecevable et mal fondée en ses demandes reconventionnelles
En conséquence, y faisant droit
CONDAMNER Madame [X] née [B] à verser à la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PESSAC CENTRE la somme de 67.530, 60€ assortie des intérêts au taux conventionnel de 3,40% à compter du 15 Février 2022 et jusqu’au parfait paiement en remboursement des sommes dues au titre du contrat de prêt immobilier consenti le 27 décembre 2005,
DEBOUTER Madame [B] épouse [T] de toutes ses demandes fins et prétentions
CONDAMNER Madame [X] au paiement de la somme de 2.000€ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNER Madame [X] au paiement des entiers dépens qui comprendront le coût de l’inscription d’hypothèque provisoire et sa conversion.
PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR, l’emprunteur, Mme [B] :
Dans ses dernières conclusions en date du 28/08/2023, l’emprunteur, au visa des dispositions de l’article 1147 devenu 1231-1 du code civil, demande au tribunal de :
Condamner la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PESSAC CENTRE à payer à Madame [B] la somme de 67.530,60 euros assortie des intérêts au taux conventionnel de 3,40 % à compter du 15 février 2022 jusqu’à parfait paiement à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis,
Ordonner la compensation de ces sommes avec celles qui pourront être mises à la charge de Madame [B] au bénéfice de la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PESSAC CENTRE en remboursement des sommes dues au titre du contrat de prêt immobilier consenti le 27 décembre 2005.
Débouter la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PESSAC CENTRE de sa demande de paiement d’une indemnité d’exigibilité à hauteur de 4.377,84 €,
Accorder à Madame [B] le report du paiement des sommes restant éventuellement dues après compensation jusqu’au terme de la durée maximale autorisée, à savoir deux années et dire en conséquence que Madame [B] s’acquittera de la totalité des sommes dues en un seul règlement au terme des deux années courant à compter de la décision à intervenir,
Dire que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal et
Rappeler que le jugement à intervenir suspendra les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le créancier et que les majorations d’intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.
L’exposé des moyens des parties sera évoqué par le Tribunal lors de sa motivation et pour le surplus, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures notifiées aux dates sus mentionnées aux parties.
Sur l’irrecevabilité de la fin de non recevoir soulevée par la banque devant la composition de jugement en violation de la compétence exclusive du Juge de la mise en état
Il résulte de l’article 789 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret no 2019-1333 du 11 décembre 2019, que le juge de la mise en état, de sa désignation à son dessaisissement, a le pouvoir exclusif pour statuer sur les fin de non-recevoir ; cette rédaction s’applique, selon l’article 55, II, du décret, aux instances introduites devant les juridictions du premier degré à compter du 01 janvier 2020.
Par ailleurs, il est constant que lorsque la demande est présentée par assignation, la date d’introduction de l’instance s’entend de la date de délivrance de l’assignation.
En l’occurrence, l’instance a été introduite par assignation délivrée le 23/09/2022, de sorte que seul le juge de la mise en état devait connaître de la fin de non-recevoir soulevée par la banque.
En conséquence, la fin de non-recevoir soulevée par la banque et tirée d’une supposée prescription de la demande reconventionnelle de l’emprunteur, sera déclarée irrecevable.
Sur la dette de l’emprunteur au titre de l’emprunt résolu
La banque présente sa créance arrêtée au 15/02/2022 à un montant total de 67.530,60€, dont 4.377,84€ au titre d’une “indemnité d’exigibilité”.
Mme [B], ne conteste ni le principe, ni le montant de la dette dont se prévaut la banque à son égard, sauf au Tribunal à revoir le montant de l’indemnité d’exigibilité, qualifiée par elle de clause pénale, et comme telle réductible à zéro par le juge en application des dispositions de l’ancien article 1152 al 2 du code civil applicables en l’espèce.
Réponse du Tribunal :
Le Tribunal constate que les parties s’accordent sur le principe de la dette, ainsi que – en dehors de la seule “indemnité d’exigibilité” – sur les montants des sommes dues par l’emprunter consécutives à la résolution du contrat de prêt par la banque pour défaut de paiement des échéances, conformément aux dispositions du contrat conclu entre les parties et par l’ancien article L. 312-22 du code de la consommation (aujourd’hui abrogé) applicable aux faits, lequel disposait que :
“En cas de défaillance de l’emprunteur et lorsque le prêteur n’exige pas le remboursement immédiat du capital restant dû, il peut majorer, dans des limites fixées par décret, le taux d’intérêt que l’emprunteur aura à payer jusqu’à ce qu’il ait repris le cours normal des échéances contractuelles. Lorsque le prêteur est amené à demander la résolution du contrat, il peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, ainsi que le paiement des intérêts échus. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre, le prêteur peut demander à l’emprunteur défaillant une indemnité qui, sans préjudice de l’application des articles 1152 et 1231 du code civil, ne peut excéder un montant qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat, est fixé suivant un barème déterminé par décret.”
Le Tribunal relève d’une part que la banque ne justifie pas de son calcul du montant de cette indemnité litigieuse qui doit respecter un plafond déterminé par décret, alors que d’autre part, la situation personnelle du débiteur ayant dû faire face concomitamment à l’errance d’un fils atteint d’une lourde pathologie et d’un époux décidant d’arrêter d’assumer le paiement des échéances du prêt, ce qui justifie que cette indemnité soit amplement réduite ; alors que les autres sommes revendiquées par la banque et non contestées par l’emprunteur sont justifiées par les pièces produites par la banque.
Il sera donc fait droit à la demande de la banque pour une somme toutefois ramenée à 63.152,76 € (capital restant dû et échéances impayées, intérêts contentieux), outre une indemnité d’exigibilité limitée à 500 €, soit une somme globale de 63.652,76 €, outre intérêts au taux contractuel de 3.40% à compter du 15 février 2022.
Sur la demande reconventionnelle de l’emprunteur fondée sur la responsabilité de la banque
Au visa de l’article 1147 du code civil applicable aux faits de l’espèce, l’emprunteur soutient que la banque aurait commis à son égard deux manquements.
Tout d’abord, au devoir de conseil et à l’obligation de mise en garde du banquier à l’égard de l’emprunteur non averti lors de l’octroi du crédit, qui aurait entraîné une perte de chance de l’emprunteur d’éviter le risque, qui s’est réalisé, de ne pas être en mesure de rembourser les sommes empruntées.
Alors qu’il ne disposait que d’un faible revenu de l’ordre de 20.000€ annuel, il s’interroge sur les raisons – autre que l’intérêt personnel de la banque et de sa filiale assureur – pour lesquelles la banque, alors qu’il disposait en 2005 des fonds nécessaires à l’acquisition de sa résidence principale objet du prêt accordé, lui a conseillé de recourir néanmoins à cet emprunt et lui a proposé un montage consistant en la souscription d’un prêt immobilier de 200.000 €, à un taux révisable, sur 20 ans, garanti par le nantissement d’un contrat d’assurance-vie qu’il lui a fait ouvrir chez sa filiale SURAVENIR à hauteur de 200.000 € ; qu’ainsi, si l’intérêt de la banque serait évident, il ne voit pas lequel pourrait lui procurer cette opération ; alors que la banque aurait été tenue à son égard d’une obligation tout d’abord de se renseigner sur les besoins de son client, son expérience en matière financière et sa situation financière afin d’être en mesure de lui recommander un service ou produit adapté à sa situation, puis de le conseiller utilement en lui présentant les avantages et les inconvénients de l’opération et en vérifiant l’adéquation de celle-ci à sa situation personnelle ; alors que alors que le recours au crédit l’aurait conduit à se trouver aujourd’hui en situation de perdre sa résidence principale.
En second lieu, une faute en s’abstenant de mettre en oeuvre effectivement le nantissement du contrat d’assurance-vie conventionnellement accordé, ce qui a fait courir à l’emprunteur le risque, qui s’est réalisé, de ne pas être en capacité de rembourser le capital prêté au moyen du rachat du contrat d’assurance-vie nanti.
Il soutient que l’acte de nantissement aurait été effectivement signé entre lui, constituant, et le prêteur, la banque et qu’il appartenait alors à la Banque de signifier l’acte de sûreté à l’assureur, pour réaliser l’inscription de nantissement du contrat et pour rendre ainsi indisponibles les fonds placés sur ce contrat ; alors que les fonds, à hauteur de 200.000 euros, auraient permis de désintéresser le prêteur en cas de défaillance de l’emprunteur.
Or, le contrat n’aurait pas été effectivement nantis par la banque, de sorte que les fonds ont pu être retirés du contrat au fil des années, faisant disparaître la garantie du prêt. Il en tient la banque pour responsable car il affirme que cette garantie avait été instituée dans l’intérêt commun des deux parties car censée écarter tout risque, pour le prêteur, de se trouver confronté à un quelconque moment à l’éventuelle insolvabilité de l’emprunteur et réciproquement censée écarter tout risque, pour l’emprunteur, de se trouver à un quelconque moment en situation de ne pas être en mesure de rembourser les sommes empruntées.
Manquements dont le préjudice serait réparé par l’allocation de dommages et intérêts dont le montant devrait correspondre au montant des sommes réclamées aujourd’hui à l’emprunteur , soit 67.530,60 euros assortie des intérêts au taux conventionnel de 3,40 % à compter du 15 février 2022 jusqu’à parfait paiement.
La banque conteste toute responsabilité et affirme tout d’abord que l’action reconventionnelle de l’emprunteur serait irrecevable car prescrite par application de l’article 2224 du Code civil disposant que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits qu’ils permettant de l’exercer, alors qu’en matière contractuelle, le point de départ de la prescription se situerait au jour de ce manquement, soit au jour de la signature du contrat, soit à compter du 14 Décembre 2005.
N° RG 22/02344 – N° Portalis DBX6-W-B7G-WOFJ
Moyen auquel s’oppose l’emprunteur en rappelant la jurisprudence d’un arrêt Cass. Com., 22 janv. 2020, n° 17-20.819 qui aurait conclu que “Il résulte de ce texte que l’action en responsabilité de l’emprunteur non averti à l’encontre du prêteur au titre d’un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l’emprunteur d’appréhender l’existence et les conséquences éventuelles d’un tel manquement.”
Ensuite, elle soutient le mal fondé de celle-ci en ce que le prêt consenti n’était pas une opération complexe, comme aurait pu l’être un prêt in fine, ou un prêt relais, mais un simple prêt immobilier classique sur 20 ans ; la seule particularité concernerait la garantie fournie, puisque, aux lieux et places d’affecter le bien acquis en garantie au travers d’une hypothèque, l’emprunteur a affecté en garantie un contrat d’assurance vie ouvert par ses soins auprès de SURAVENIR qui ne serait pas une filiale du CREDIT MUTUEL.
Le mécanisme devait permettre à l’emprunteur de bénéficier de frais réduits pour la garantie offerte, le coût d’un nantissement étant moins élevé qu’une hypothèque, tout en conservant les avantages fiscaux attachés à un contrat d’assurance vie qui continuait à fonctionner normalement ; alors que l’emprunteur ne pouvait procéder à un rachat partiel ou total de son contrat d’assurance sans l’accord du bénéficiaire du nantissement.
La banque soutient que cette affectation en nantissement n’était pas faite dans les seuls intérêts de la Banque. Elle fait valoir que l’emprunteur ne produirait ni la promesse d’achat, ni ses relevés de compte au jour où il s’est portée acquéreur de l’immeuble ; il ne justifierait pas qu’il voulait acheter cet immeuble comptant et disposait des liquidités pour ce faire, et que la Banque l’en aurait dissuadé et convaincue de contracter un prêt.
Elle affirme que les revenus annuels alors déclarés de 54.000 € dont un salaire annuel de 20.400 € ainsi que la propriété d’une maison d’une valeur de 330.000 € lui permettaient de s’acquitter des échéances du prêt de 1.180 € par mois, ce qui s’opposerait à la mise en oeuvre de son obligation de mise en garde; alors que les difficultés financières évoquées par l’emprunteur lui seraient totalement étrangères.
Réponse du Tribunal :
En droit, selon l’article 1134 du Code civil « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
Et selon l’article 1315 du même code, « celui qui réclame l’exécution d’une obligation
doit la prouver ».
Alors que selon l’article 1147 du Code civil, l’inexécution d’une obligation engage la responsabilité du débiteur de l’obligation. Le créancier peut ainsi obtenir la condamnation du débiteur à lui verser des dommages et intérêts à moins que ce dernier ne puisse invoquer une cause étrangère.
En l’espèce,
S’il n’est pas démontré par l’emprunteur que l’opération combinée d’un emprunt adossé à un placement d’assurance-vie, ce pour une somme croisée identique, ne pouvait avoir eu d’intérêt que pour le groupe de banque-assurance, alors que l’emprunteur pouvait y avoir trouver de son côté tant un avantage fiscal, qu’une incitation à une épargne sur un long terme, en revanche, le Tribunal :
– constate que la banque n’a pas déféré à l’injonction qui lui a été faite par l’emprunteur de produire le nantissement du contrat d’assurance-vie,
– relève que ce projet de nantissement d’un compte d’assurance-vie d’une somme d’argent d’un montant identique à celle empruntée a été conclu dans l’intérêt commun des deux parties, chacune y trouvant la contre partie de son propre risque ; créant ainsi une sorte de démarche prudentielle croisée,
– constate que la banque ne conteste pas ne pas avoir fait inscrire cette sûreté sur le compte d’assurance vie ouvert par ses soins chez une société d’assurance SURAVENIR, laquelle appartient d’évidence au même groupe, ce qu’elle n’explique pas,
– que si cette sûreté avait bien été enregistrée, le risque d’impayé n’aurait pas – ou peu – existé (sauf concours d’un créancier privilégié)
– que le défaut d’inscription de la sûreté constitue une faute de négligence de la banque ayant conduit à une rupture de l’équilibre prudentiel entre les parties,
– que cette faute engage la responsabilité contractuelle de la banque,
– que le préjudice consiste ici en une perte de chance pour l’emprunteur de ne pas avoir été empêché de dilapider les fonds logés sur ce compte qui aurait dû être nanti et ainsi bloqué de tout retrait sans autorisation de la banque bénéficiaire. Perte de chance qui doit être retenue à hauteur de 52% des sommes dont l’emprunteur reste débiteur tant à ce jour, que pour l’avenir, intérêts contractuels inclus, soit sur 63.652,76€ x 0,52 = 33.099€, au titre d’un préjudice certes futur mais certain.
Sur la demande de compensation entre les créances réciproques
La compensation entre les mêmes parties pour des créances réciproques, certaines et exigibles est de droit, elle sera ordonnée.
Sur la demande de délai de paiement formée par le débiteur
Mme [B] fait valoir que sa bonne foi est entière et sa situation, à bientôt 70 ans, est dramatique.
Pour autant, elle ne souhaite pas échapper à son obligation de payer les sommes qui demeureront dues à la banque et propose de procéder à la vente de l’appartement dont elle est propriétaire au Tourne.
Elle dit justifier avoir confié un mandat de vente à l’agence immobilière Lafôret de Créon pour un prix de 140.000 euros, qui devrait suffire à désintéresser la Banque requérante.
Mme [B] se dit donc bien fondée à solliciter du Tribunal que lui soit accordé le report du paiement des sommes dues au terme de la durée maximale autorisée, à savoir deux années, afin de lui permettre de réaliser au mieux la vente envisagée.
La banque s’y oppose au motif que le débiteur ne justifierait pas de la mise en vente effective de l’appartement dont il indique qu’il lui permettrait de solder sa dette, ni même de sa situation financière réelle.
Réponse du Tribunal :
Le Tribunal retient qu’en droit, selon l’article 1244-1 du Code civil, devenu 1343-5, le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues par le débiteur et statuer sur le sort des intérêts encourus de ce fait. Il découle de ce texte que le juge peut dans l’exercice de ses compétences, en tout état de cause et de procédure, accorder un délai de grâce, lequel à pour objet de permettre au débiteur de bonne foi de pouvoir s’acquitter de sa dette dans le délai légal (2 ans).
Il ressort également de cette disposition légale que le juge doit apprécier celle-ci en tenant compte de la situation du débiteur.
En l’espèce, Mme [B] se propose de réaliser la vented d’ un actif immobilier qui devrait lui permettre de régler sa dette telle que fixée par le Tribunal après compensation de son dédommagement.
S’agissant, d’un bien immeuble, un délai de 24 mois maximum n’apparaît pas disproportionné, ce d’autant que la banque a pris soin d’inscrire une hypothèque pour garantir sa créance.
Sur les autres demandes :
– sur les dépens,
Les dépens, listés à l’article 696 du code de procédure civile, seront supportés par la partie qui succombe, en application de l’article 696 du code de procédure civile. Il convient de rappeler à cet égard qu’en application de l’article L. 512-2 du code des procédures civiles d’exécution, les frais occasionnés par les mesures conservatoires demeurent à la charge du débiteur, sauf décision contraire du juge. En l’espèce, les frais relatifs à l’inscription de l’hypothèqe provisoire resteront à la charge du débiteur.
– sur la demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie tout ou partie des frais non compris dans les dépens qu’elle a engagé pour faire valoir ses droits et assurer correctement sa défense.
– sur l’exécution provisoire,
L’exécution provisoire de la décision à venir est de droit.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX,
– DECLARE irrecevable la fin de non recevoir soulevée par la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE PESSAC CENTRE ;
– RÉDUIT l’indemnité d’exigibilité du contrat de prêt à la somme de 500 € ;
– CONSTATE que de ce fait la créance de la banque vis à vis de Mme [B] est de 63.652,76 €, au titre de l’emprunt souscrit le 14/12/2005 et CONDAMNE Mme [B] à lui payer cette somme, outre intérêts au taux contractuel de 3.40% à compter du 15 février 2022,
-CONDAMNE la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE PESSAC CENTRE à payer à Mme [B] la somme de 33 099 € à titre de dommages et intérêts,
– ORDONNE la compensation entre les créances réciproques de la banque et de l’emprunteur ;
-ACCORDE à Mme [E] [B] un délai de paiement jusqu’à la vente de son appartement situé au Tourne, et en tous cas au plus tard jusqu’au 24/10/2026 ;
-SUSPEND à compter du jugement le cours des intérêts contractuels pendant ce délai ;
-CONDAMNE Mme [E] [B] aux entiers dépens ;
-DIT n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
-RAPPELLE que les frais relatifs à l’inscription de l’hypothèqe provisoire restent à la charge du débiteur ;
-REJETTE les demandes plus amples ou contraires des parties.
Le présent jugement a été signé par madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente et par madame Pascale BUSATO, Greffier.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,