Examen des obligations de communication de documents bancaires dans un contexte international

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Examen des obligations de communication de documents bancaires dans un contexte international

Contexte de l’affaire

Monsieur [L] [G] a été approché par la société OPTIMUS CAPITAL LLP, qui lui a proposé d’investir dans deux livrets d’épargne. En décembre 2021, il a signé des bulletins de souscription, établissant une relation de confiance avec cette société.

Demandes de restitution

Le 4 février 2022, le conseil de Monsieur [G] a mis en demeure la SOCIETE GENERALE et la BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A de restituer les montants investis, soit 48.206,04 € et 23.500 € respectivement. En décembre 2022, Monsieur [G] a assigné ces sociétés devant le tribunal judiciaire de Paris.

Conclusions de Monsieur [G]

Dans ses conclusions du 16 août 2024, Monsieur [G] a demandé au juge d’ordonner à la BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A de communiquer divers documents relatifs à l’ouverture et au fonctionnement du compte bancaire, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard. Il a également demandé 1.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et la condamnation aux dépens.

Réponse de la BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A

Par ses conclusions du 3 septembre 2024, la BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A a demandé que la demande de communication de pièces soit déclarée irrecevable. Subsidiairement, elle a soutenu que la loi portugaise était applicable et a demandé le déboutement de Monsieur [G] ainsi que le paiement de 2.000 € pour les dépens.

Questions de procédure

L’incident a été plaidé le 12 septembre 2024, mais le conseil de Monsieur [G] était absent. L’affaire a été mise en délibéré pour le 24 octobre 2024. La question de l’obtention de preuves à l’étranger est régie par des conventions internationales et le droit national, limitant les pouvoirs du juge français.

Secret bancaire et droit applicable

La BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A, soumise à la loi portugaise, est tenue par des obligations de secret bancaire. Les demandes de Monsieur [G] se heurtent à ces obligations, et le droit portugais impose des règles similaires à celles du droit français concernant la charge de la preuve.

Décision du juge

Le juge a débouté Monsieur [G] de ses demandes de communication de pièces, considérant que celles-ci étaient contraires au secret bancaire. Il a également condamné Monsieur [G] aux dépens et à verser 2.000 € à la BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile. L’affaire a été renvoyée pour des conclusions au fond le 5 décembre 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

24 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
23/00078
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

à
Me CHANDLER
Me GASTEBLED
Me GALLARDO ARDOUIN

9ème chambre 3ème section
N° RG 23/00078 – N° Portalis 352J-W-B7H-CYUN2
N° MINUTE : 7

Assignation du :
23 Décembre 2022

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 24 Octobre 2024

DEMANDEUR

Monsieur [L] [M] [N] [G]
[Adresse 8]
[Localité 4]

représenté par Maître Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant et Maître Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0159

DEFENDERESSES

S.A. SOCIETE GENERALE représentée par ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.
[Adresse 1]
[Localité 5] / FRANCE

représentée par Maître Etienne GASTEBLED de la SCP LUSSAN, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0077

BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A
[Adresse 6]
[Localité 2] / PORTUGAL

représentée par Maître Mari-Carmen GALLARDO ARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1981

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Madame CHARLIER-BONATTI, Vice-présidente, juge de la mise en état, assistée de Diane FARIN, Greffière.

DEBATS

A l’audience du 12 septembre 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 24 Octobre 2024.

ORDONNANCE

Rendue publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

Monsieur [L] [G] a été approché par une société OPTIMUS CAPITAL LLP qui lui a proposé d’investir dans deux livrets d’épargne.

Mis en confiance par la relation de confiance nouée avec cette société, Monsieur [G] a décidé de signer des bulletins de souscription au mois de décembre 2021.

Le 4 février 2022, le conseil de Monsieur [G] a mis la SOCIETE GENERALE en demeure d’avoir à restituer le montant total de son investissement à son client, soit la somme de 48.206, 04€ et la société BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A d’avoir à restituer à son client les fonds transférés sur le compte bancaire domicilié au sein de son établissement, soit la somme de 23.500€.

Par actes en date des 23 et 27 décembre 2022, Monsieur [L] [G] a assigné les sociétés SOCIETE GENERALE et BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A devant le tribunal judiciaire de PARIS.

Par conclusions en date du 16 août 2024, Monsieur [G] demande au juge de la mise en état de :
ORDONNER à la société BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A de communiquer à Monsieur [G] : Tout document attestant des vérifications d’identité du titulaire du compte bancaire lors de l’ouverture (compte ayant pour IBAN le numéro [XXXXXXXXXX07]
[XXXXXXXXXX07]) traduit en français, les statuts de la société et LEXICO INEDITO UNIP LDA, la déclaration de résidence fiscale de la société LEXICO INEDITO UNIP LDA, la déclaration de bénéficiaire effectif de la société LEXICO INEDITO UNIP LDA en français, une copie de la carte d’identité ou du passeport du bénéficiaire effectif de la société LEXICO INEDITO UNIP LDA ;
Tout document attestant de la nature du compte ouvert : la justification économique déclarée par le titulaire du compte ou le fonctionnement envisagé du compte bancaire, la justification de la concordance de la signature de Monsieur [F] (titulaire du compte) sur sa pièce d’identité avec la convention de compte COMERCIAL PORTUGUES S.A ;
Tout document justifiant des vérifications d’usage durant le fonctionnement du compte bancaire : les relevés de compte bancaire intégraux pour les mois de novembre 2020 à janvier 2021, tout document justifiant la provenance et la destination des fonds concernés par l’affaire, les factures émises pour justifier des prestations fournies au titre de l’encaissement des fonds de Monsieur [G] ;
Sous astreinte définitive de 1.000 € par jour de retard, passé un délai de 15 jours après la signification de l’ordonnance à intervenir, durant 2 mois ;
CONDAMNER la société BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A à verser à Monsieur [G] la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
CONDAMNER la même aux entiers dépens.

Par conclusions en date du 3 septembre 2024, la BANCO COMERCIAL PORTUGUES SA demande au juge de la mise en état de :
JUGER irrecevable la demande de communication de pièces formulée par Monsieur [L] [M] [N] [G] à l’encontre de la société BANCO COMERCIAL PORTUGUES SA ;
Subsidiairement,
JUGER que c’est la loi portugaise qui est applicable aux relations extracontractuelles existantes entre la société BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A et Monsieur [L] [M] [N] [G] ;
DÉBOUTER Monsieur [L] [M] [N] [G] de ses demandes, fins et conclusions ;
CONDAMNER Monsieur [L] [M] [N] [G] à payer à la société BANCO COMERCIAL PORTUGUES SA une somme de 2 000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de Procédure Civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties visées ci-dessus quant à l’exposé du surplus de leurs prétentions et moyens.

L’incident a été fixé et plaidé le 12 septembre 2024, cependant le conseil du demandeur n’était pas présent ; l’affaire a été mise en délibéré au 24 octobre 2024.

SUR CE:

I. Sur la demande de communication de pièces:

La question de l’obtention de preuve à l’étranger en matière civile et commerciale est régie et doit être conforme à la convention de la Haye du 18 mars 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile et commerciale et le Règlement (UE) n°2020/1783 du Parlement Européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relatif à la coopération entre les juridictions des Etats membres dans le domaine de l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale.

Le Règlement (UE) n°2020/1783 du Parlement Européen et du Conseil du 25 novembre 2020 ne permet pas au juge français, d’ordonner à une partie de nationalité étrangère et domiciliée dans un Etat membre de la communauté européenne de produire sous astreinte des pièces dont elle disposerait, ce pouvoir n’appartenant qu’aux juridictions du pays requis en application de la loi nationale dont la juridiction requise relève, étant précisé que le Règlement du 25 novembre 2020 dispose en son considérant 17 que : « il y a lieu que la juridiction requise exécute une demande de procéder à l’exécution d’une mesure d’instruction conformément au droit national dont elle relève ».

L’article 12.3 du Règlement du 25 novembre 2020 dispose par ailleurs que : « La juridiction requise exécute la demande conformément à la procédure spéciale, à moins que cela ne soit incompatible avec le droit national dont elle relève ou qu’elle ne soit pas en mesure de le faire en raison de difficultés pratiques majeures. »

Pour fonder sa demande de communication de pièces, Monsieur [G] invoque à l’encontre de la société BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A les articles L 561-5 et suivants et R 561-5 et suivants du Code Monétaire et Financier.
Le Code Monétaire et Financier français ne s’applique pas aux sociétés de banque de droit étranger exerçant leur activité à l’étranger.
La société BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A, société de banque de droit étranger, exerce son activité au Portugal, pays dans lequel elle a son agrément bancaire, elle n’exerce pas d’activité bancaire en France ni ne dirige son activité vers la France.

La société BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A exerce son activité au Portugal, elle a un agrément bancaire au Portugal et est soumise à la loi portugaise qui régit son activité de banque.

Dans la mesure où le droit portugais s’applique, il apparait que ce dernier applique les mêmes principes que le droit français. En droit portugais, l’obligation de secret professionnel imposée aux établissements de crédit est régie par les articles 78, 79 et 84 du Régime général des établissements de crédit et des sociétés financières portugais, approuvé par le décret-loi n°298/92 du 31 décembre 1992.
L’article 78 de ce RGICSF soumet ainsi au secret bancaire non seulement les membres des organes sociaux des établissements de crédit, mais également tous leurs employés et prestataires de services qui, du fait de l’exercice de leurs fonctions ou de la prestation de leurs
services, ont ou sont susceptibles d’avoir accès à des informations sur des faits ou des éléments relatifs à la vie de l’établissement de crédit ou aux relations établies entre celui-ci et ses clients. Cette obligation de secret subsiste même après la cessation des fonctions ou des prestations, conformément au paragraphe 3 de l’article précité.
Le texte précise également que le secret couvre, notamment mais non exclusivement, le nom des clients, les comptes de dépôt et leurs mouvements ainsi que d’autres opérations bancaires.

Aux termes de l’article 79 du RGICSF, il ne peut être dérogé à l’obligation de secret qu’avec l’autorisation expresse du client de la banque (alinéa 1), ou légalement (alinéa 2), c’est-à-dire par la divulgation aux autorités de surveillance, par la divulgation judiciaire en vertu du droit pénal et du droit de procédure pénale et dans les cas expressément prévus par la loi.

Par ailleurs, le droit portugais applique les mêmes principes relatifs au procès que le droit procédural français, notamment s’agissant de la charge de la preuve et de la manifestation de la vérité. Ainsi, conformément aux dispositions de l’article 342 du Code Civil portugais, la charge de la preuve pèse sur celui qui invoque le droit : “ Il incombe à celui qui invoque un droit de prouver les faits constitutifs du droit allégué.”

La société BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A a versé au débat une copie du certificat d’immatriculation de la société LEXICO INEDITO UNIPESSOAL LDA, une copie du document d’identité de son représentant légal, une copie du document afférent aux bénéficiaires effectifs de la société LEXICO INEDITO UNIPESSOAL LDA.

S’agissant d’une société unipersonnelle, la société n’est constituée que par son unique associé gérant, dûment identifié. Le numéro de résidence fiscale est le numéro d’identification de la société attribué par le RNPC portugais (Registre national des personnes morales) qui figure sur le certificat de la société versé aux débats : LEXICO INEDITO UNIPESSOAL LDA a le numéro d’identification fiscale [Numéro identifiant 3].

Monsieur [G] ne rapporte pas la preuve d’une obligation de l’établissement bancaire portugais de demander et détenir la facture du client pour chacun de ses encaissements sur son compte bancaire.

Monsieur [G] demande également la communication de la justification économique déclarée, soit de la nature professionnelle du compte ouvert. Or la nature professionnelle du compte découle de la nature de son titulaire, en l’espèce une société unipersonnelle.

Monsieur [G] demande enfin la communication d’extraits de compte « intégraux » de la société LEXICO INEDITO UNIPESSOAL LDA.

Monsieur [G] tente de renverser la charge de la preuve, cette demande se heurtant au secret bancaire territorial portugais.

Monsieur [G] sera, en conséquence, débouté de toutes ses demandes formulées devant le juge de la mise en état tendant à voir ordonner à la société BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A sous astreinte, à communiquer les documents détaillés dans le dispositif de ses écritures.

II. Sur les autres demandes:

Monsieur [L] [G] qui succombe, sera condamné aux dépens de l’incident et à payer à la BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

DEBOUTE Monsieur [L] [G] de ses demandes dirigées à l’encontre de la société BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A ;

CONDAMNE Monsieur [L] [G] aux dépens de l’incident ;

CONDAMNE Monsieur [L] [G] à payer à la BANCO COMERCIAL PORTUGUES S.A la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

RENVOIE l’affaire à l’audience de mise en état électronique de la 9ème chambre 3ème section du 5 décembre 2024 à 13h30 pour les conclusions au fond de Monsieur [L] [G].

Faite et rendue à Paris le 24 Octobre 2024

LA GREFFIÈRE LA JUGE DE LA MISE EN ÉTAT


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