Retraite des entrepreneurs : la responsabilité de la CIPAV engagée

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Retraite des entrepreneurs : la responsabilité de la CIPAV engagée
Ce point juridique est utile ?

Selon l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En la cause, la CIPAV, alors qu’elle était parfaitement informée des modalités de calcul des points de retraite de base et complémentaire, a refusé d’appliquer les dispositions dérogatoires du régime des auto-entrepreneurs et fait supporter de manière abusive au cotisant le désengagement de l’Etat quant à la charge de la compensation financière de ce régime.

De la sorte, elle a contraint un autoentrepreneur à engager une contestation devant la commission de recours amiable et les juridictions du contentieux général de la sécurité sociale.

Ce manquement est constitutif d’une faute qui cause à l’assuré un préjudice moral lié aux tracas générés par les démarches qui ont été rendues nécessaires pour faire rétablir ses droits (500 euros de préjudice moral)

Résumé de l’affaire : M. [M] [F] est affilié à la CIPAV depuis le 1er janvier 2015 en tant qu’auto-entrepreneur. Le 6 décembre 2018, il a contesté des éléments de son relevé de situation individuelle en saisissant la commission de recours amiable de la CIPAV, puis le tribunal de grande instance de Rennes le 27 février 2019. Le jugement du 26 août 2021 a déclaré M. [F] recevable dans son recours, ordonné à la CIPAV de rectifier ses points de retraite complémentaire pour les années 2015 à 2018, et condamné la CIPAV à lui verser 1 500 euros. La CIPAV a interjeté appel le 15 septembre 2021, demandant l’irrecevabilité du recours de M. [F] et une réévaluation des points de retraite. M. [F] a demandé la confirmation du jugement et des dommages et intérêts pour préjudice moral. La cour a confirmé le jugement, condamnant la CIPAV à verser 500 euros pour préjudice moral, 500 euros pour appel abusif, et 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, tout en condamnant la CIPAV aux dépens d’appel.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

16 octobre 2024
Cour d’appel de Rennes
RG n°
21/05848
9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT N°

N° RG 21/05848 – N° Portalis DBVL-V-B7F-SA3D

CIPAV

C/

[M] [F]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 OCTOBRE 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère

GREFFIER :

Madame Adeline TIREL lors des débats et Monsieur Philippe LE BOUDEC lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 12 Juin 2024

devant Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, magistrat chargé d’instruire l’affaire, tenant seule l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 16 Octobre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 26 Août 2021

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal Judiciaire de RENNES – Pôle Social

Références : 19/00558

****

APPELANTE :

LA CAISSE INTERPROFESSIONNELLE DE PRÉVOYANCE ET D’ASSURANCE VIEILLESSE

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Malaury RIPERT de la SCP LECAT ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Anne LEROY, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉ :

Monsieur [M] [F]

[Adresse 2]

[Localité 1]

représenté par Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [M] [F] est affilié depuis le 1er janvier 2015 à la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (la CIPAV) au titre de son activité de conseil technique, exercée sous le statut d’auto-entrepreneur.

Le 6 décembre 2018, M. [F] s’est procuré un relevé de sa situation individuelle sur le site groupement d’intérêt public info retraite.

Contestant les éléments transcrits sur ce document, par courrier du 10 décembre 2018, M. [F] a saisi la commission de recours amiable de la CIPAV.

Il a ensuite porté le litige devant le pôle social du tribunal de grande instance de Rennes le 27 février 2019.

Par jugement du 26 août 2021, ce tribunal, devenu pôle social du tribunal judiciaire, a :

– déclaré M. [F] recevable en son recours ;

– ordonné à la CIPAV de rectifier les points de retraite complémentaire acquis par M. [F] sur la période de 2015 à 2018, dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement selon le détail suivant :

* 36 points au titre de l’année 2015 ;

* 36 points au titre de l’année 2016 ;

* 72 points au titre de l’année 2017 ;

* 108 points au titre de l’année 2018 ;

– condamné la CIPAV à payer à M. [F] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– rejeté toutes les demandes plus amples ou contraires formées par les parties ;

– condamné la CIPAV aux dépens de l’instance ;

– ordonné l’exécution provisoire.

Par déclaration adressée le 15 septembre 2021 par communication électronique, la CIPAV a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 8 septembre 2021.

Par ses écritures parvenues au greffe par le RPVA le 15 juin 2023 auxquelles s’est référé et qu’a développées son conseil à l’audience, la CIPAV demande à la cour :

A titre principal,

– de déclarer irrecevable le recours formé par M. [F] ;

A titre subsidiaire,

– de juger du bon calcul des points de retraite de base et de retraite complémentaire de M. [F] ;

– d’attribuer à M. [F] les points de retraite complémentaire suivants :

* 9 points de retraite complémentaire en 2015 ;

* 21 points de retraite complémentaire en 2016 ;

* 37 points de retraite complémentaire en 2017 ;

* 67 points de retraite complémentaire en 2018 ;

– de débouter M. [F] de l’ensemble de ses demandes ;

– de condamner M. [F] à lui verser la somme de 600 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ses écritures parvenues au greffe par le RPVA le 9 août 2023, auxquelles s’est référé et qu’a développées son conseil à l’audience, M.[F] demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande en réparation du préjudice moral ;

Statuant à nouveau,

– condamner la CIPAV à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral ;

Y ajoutant,

– en cas de décision d’irrecevabilité sur les exercices 2016-2019, condamner la CIPAV à verser une indemnité supplémentaire de 3 000 euros par année non renseignée en réparation du préjudice causé par le manquement à l’obligation légale d’information de la CIPAV, soit 9 000 euros pour les années 2016 à 2019 ;

– condamner la CIPAV à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de l’appel abusif ;

– condamner la CIPAV à lui verser la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 – Sur la recevabilité du recours :

La CIPAV soutient que la commission de recours amiable puis le pôle social ne peuvent être saisis qu’à la suite de la notification d’une décision émanant d’elle ; que le relevé de situation que M. [F] s’est procuré via le site internet ‘ GIP info retraite’ ne constitue ni une décision ni un document émanant d’elle ; que ce document comporte en bas de page la mention ‘ce document est délivré en l’état de la réglementation et des informations détenues : il présente un caractère indicatif et provisoire. Il ne saurait engager les régimes de retraite’ ; que M. [F], qui n’a pas formé de demande préalable auprès de la CIPAV, ne pouvait saisir directement la commission de recours amiable.

M. [F] réplique que le relevé de situation individuelle retranscrit les droits à retraite comptabilisés par la CIPAV ; qu’en éditant le document, l’assuré obtient la décision prise par la CIPAV qui peut être contestée devant la commission de recours amiable puis le tribunal ; que la CIPAV est légalement tenue de mettre à jour le relevé de situation individuelle de ses adhérents en application des articles L. 161-17 III et suivants du code de la sécurité sociale ; que celle-ci n’a manifestement pas respecté cette obligation puisque le relevé ne fait état d’aucune donnée au titre de l’exercice d’une activité d’auto-entrepreneur pour les années 2016 à 2018 inclus ; que la décision de la CIPAV tient au fait qu’elle a encaissé des cotisations sans créditer les droits à retraite y afférents ; qu’il ne saurait être imposé à l’assuré une démarche supplémentaire auprès de la CIPAV avant de pouvoir saisir la commission de recours amiable ; que c’est à juste titre que les premiers juges ont considéré comme recevables ses demandes en rectification de ses droits sur l’ensemble de la période contestée.

Sur ce :

Il résulte des dispositions des articles L. 142-4, R. 142-1-A, R. 142-1 et R. 142-6 du code de la sécurité sociale que les réclamations contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale sont, préalablement à la saisine de la juridiction du contentieux général de la sécurité sociale, soumises à une commission de recours amiable, l’intéressé pouvant considérer sa demande comme rejetée lorsque la décision de la commission n’a pas été portée à la connaissance du requérant dans le délai de deux mois.

Le relevé de situation individuelle que les organismes et services en charge des régimes de retraite adressent, périodiquement ou à leur demande, aux assurés comporte notamment, pour chaque année pour laquelle des droits ont été constitués, selon les régimes, les durées exprimées en années, trimestres, mois ou jours, les montants de cotisations ou le nombre de points pris en compte ou susceptibles d’être pris en compte pour la détermination des droits à pension. Il en résulte que l’assuré est recevable, s’il l’estime erroné, à contester devant la juridiction du contentieux général le report des durées d’affiliation, montant des cotisations ou nombre de points figurant sur le relevé de situation individuelle qui lui a été adressé (2e Civ., 11 octobre 2018, pourvoi n° 17-25.956).

Dès lors que les mentions figurant sur le relevé individuel de situation procèdent de décisions prises par les organismes de sécurité sociale compétents pour la détermination des droits à retraite d’un assuré social, ce dernier est recevable à contester devant la commission de recours amiable de l’organisme concerné puis devant le juge du contentieux de la sécurité sociale les mentions ou omissions objets du relevé, l’absence de notification ayant pour seule conséquence de ne pas faire courir le délai de forclusion.

Il est à ce titre indifférent que le relevé ait été généré par le truchement de l’interface ‘info retraite’ dès lors que les éléments qui y figurent sont renseignés par les différents organismes et notamment par la CIPAV.

Au cas particulier, il y a lieu de constater que le relevé de situation édité le 6 décembre 2018 concernant les droits de l’intéressé au titre du régime géré par la CIPAV fait mention d’un total de 61,7 points au titre du régime de retraite de base et de 7 points au titre du régime complémentaire pour l’année 2015.

Il s’ensuit que pour ce qui concerne les droits mentionnés au titre de l’année 2015, le recours de M. [F] est recevable.

Pour ce qui concerne la période postérieure à 2015, il convient de constater que ce même relevé de situation sur lequel l’intéressé s’est fondé pour saisir la commission de recours amiable de l’organisme de sécurité sociale ne comporte aucun report des années 2016 à 2018.

Il est pourtant justifié par M. [F] et non contesté par la CIPAV que l’intéressé s’est acquitté trimestriellement du forfait social sur le chiffre d’affaires déclaré, sur l’ensemble de la période considérée.

S’il a été jugé que les mentions figurant sur le relevé de situation individuel qui font état d’une absence de données ne peuvent caractériser une ou des décisions prises par les organismes de sécurité sociale compétents pour la détermination des droits à retraite d’un assuré social, il n’en va pas de même de mentions qui feraient apparaître une absence de droits (2e Civ., 1er décembre 2022, pourvoi n°21-12.784).

Il en découle que l’omission des droits de M. [F] sur le relevé contesté pour les années 2016 à 2018 inclus constitue bien une décision que l’intéressé était recevable à contester en saisissant la commission de recours amiable comme il l’a fait.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a déclaré recevable le recours de M. [F] pour l’ensemble de la période considérée.

2 – Sur les points de retraite :

Le statut d’auto-entrepreneur a été institué en 2009 afin de faciliter les démarches administratives des entrepreneurs et simplifier le paiement des cotisations et contributions sociales par l’application d’un taux de cotisations unique, dit forfait social, au chiffre d’affaires déclaré, couvrant l’ensemble des cotisations sociales dont la cotisation vieillesse de base et complémentaire. Il s’agit d’un régime dérogatoire et incitatif.

La CIPAV est en charge du régime d’assurance vieillesse des professionnels indépendants exerçant une activité libérale et des auto-entrepreneurs ; elle est chargée de gérer le compte de chaque assuré en comptabilisant les trimestres cotisés, les points de retraite de base et complémentaire. L’URSSAF est quant à elle en charge du recouvrement des cotisations.

Jusqu’au 31 décembre 2015, l’Etat a compensé financièrement l’éventuel différentiel de versement de cotisations pour la CIPAV en lui réglant la différence entre la cotisation la plus faible non nulle dont le professionnel aurait été redevable s’il n’avait pas opté pour le statut d’auto-entrepreneur, soit la cotisation de classe A, et le cumul annuel des cotisations reversées par l’ACOSS à la CIPAV.

Depuis le 1er janvier 2016, aucune compensation de l’Etat n’a été prévue.

Sur les points de retraite complémentaire :

La CIPAV fait valoir qu’elle ne perçoit que 52,5 % du forfait social acquitté par l’auto-entrepreneur dont 30 % sont affectés au régime de base et 20 % au régime complémentaire ; que le système de retraite français est un système contributif de sorte qu’il doit y avoir une stricte proportionnalité entre les droits acquis et les cotisations payées ; que le régime complémentaire de la CIPAV étant un régime obligatoire, les statuts de la CIPAV s’appliquent à tous les assurés, quel que soit leur régime ; que les assurés ont droit aux prestations pour lesquelles ils justifient du versement de cotisations, qu’il s’agisse de cotisations acquittées personnellement ou de cotisations versées par l’Etat en application des dispositions législatives ou réglementaires ; qu’il y a lieu d’opérer une distinction entre la période antérieure au 1er janvier 2016 pour laquelle une compensation du régime par l’Etat a été prévue, et la période postérieure, où la compensation a pris fin; que de 2009 à 2015, la loi a prévu en ses articles L. 131-7 et R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale le versement d’une compensation de l’Etat au régime de protection sociale pour couvrir la perte de recette induite par le régime, dans des conditions assurant une cotisation ‘au moins égale à la plus faible cotisation non nulle dont ils pourraient être redevables’ ; que depuis le 1er janvier 2016, les auto-entrepreneurs ne bénéficiant plus d’une compensation versée par l’Etat, les statuts de la CIPAV (article 3-12 bis) prévoient que pour les bénéficiaires du régime de l’auto-entrepreneur, le nombre de points attribué est proportionnel aux cotisations effectivement réglées.

M. [F] réplique que la Cour de cassation (2e Civ., 23 janvier 2020, pourvoi n° 18-15.542) a posé pour principe que l’article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié est seul applicable à la fixation du nombre de points de retraite complémentaires attribués annuellement à l’auto-entrepreneur inscrit à la CIPAV ; que le nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l’affilié, déterminée en fonction de son revenu d’activité ; qu’est inévitable la censure de la pratique de la CIPAV consistant à allouer des points de retraite complémentaire d’un montant inférieur à ceux de la première classe ; que les relations financières entre l’Etat et la CIPAV sont étrangères à la comptabilisation des droits à la retraite ; que tant la compensation de l’Etat que la ventilation du forfait social entre les différents organismes, prévue tardivement par le décret n°2018-1120 du 10 décembre 2018, ne sauraient influer sur les droits acquis; que la CIPAV invoque la règle de proportionnalité sans fondement textuel, le décret du 21 mars 1979 visant du reste un octroi de points forfaitaire pour les auto-entrepreneurs ; qu’au surplus, le décret prime sur les statuts de la CIPAV qui ont la valeur d’un arrêté ministériel et n’intéressent que le fonctionnement interne de la CIPAV ; que toutes les cours d’appel ont confirmé cette méthode de comptabilisation des droits ; que pour les auto-entrepreneurs, l’assiette à retenir pour déterminer la classe de revenu applicable est celle du chiffre d’affaires ; que l’article L.133-6-8 du code de la sécurité sociale garantit aux auto-entrepreneurs l’acquisition de droits identiques à ceux des professionnels libéraux ‘classiques’ par référence à un niveau de contribution réputé équivalent et déroge au régime de droit commun puisqu’il définit l’assiette de cotisations comme étant leur ‘chiffre d’affaires’ ou leurs ‘recettes effectivement réalisées’.

Sur ce :

Aux termes de l’article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale dans ses différentes versions applicables à l’espèce, le régime micro-social garantit aux auto-entrepreneurs ‘un niveau équivalent entre le taux effectif des cotisations et contributions sociales versées et celui applicable aux mêmes titres aux revenus des travailleurs indépendants’.

Il résulte des dispositions de l’article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié, seules applicables à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV, que ce nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l’affilié, déterminée en fonction de son revenu d’activité (2e Civ., 23 janvier 2020, pourvoi n° 18-15.542). Ce dernier s’entend du chiffre d’affaires ou des recettes effectivement réalisées.

Les dispositions qui limitent ou suppriment la compensation accordée par l’Etat à la CIPAV sont étrangères aux relations entre l’organisme et ses affiliés et sont sans incidence sur la détermination des droits à pension des assurés.

De même, les dispositions de l’article 3.12 des statuts de la CIPAV relatif à la réduction de la cotisation pour insuffisance de revenus ne peuvent être opposées aux auto-entrepreneurs qui bénéficient d’un régime dérogatoire pour l’assiette de leurs cotisations. Dans le régime de droit commun des indépendants, cette réduction de cotisations n’est du reste applicable qu’en cas de demande expresse de l’assuré. Cette réduction ne saurait ainsi être appliquée d’office et de manière systématique aux auto-entrepreneurs.

En outre, c’est en vain que la CIPAV allègue d’une rupture d’égalité entre les indépendants ‘classiques’ et les auto-entrepreneurs ainsi que du non-respect de la valeur du point telle que déterminée par son conseil d’administration dès lors, comme le soulignent à raison les premiers juges, que le dispositif applicable aux auto-entrepreneurs est dérogatoire, s’est voulu incitatif, et en tout état de cause relève des seules dispositions de l’article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que les premiers juges ont attribué à M. [F] les points de retraite complémentaire suivants, au regard du chiffre d’affaires annuel dont l’intéressé justifie, des seuils de chaque classe et du nombre de points attribué par classe :

2015 : 36 points

2016 : 36 points

2017 : 72 points

2018 : 108 points.

Sur les points retraite du régime de base :

Il résulte de l’article 954 du code de procédure civile, alinéas 1 et 3, que les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée ; et que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

En l’espèce, si la CIPAV demande à la cour dans le dispositif de ses écritures d’appel de juger du bon calcul des points de retraite de base de M.[F] par une formule générique, il sera constaté qu’aucun calcul des points de retraite de base de M. [F] n’est détaillé à l’appui de sa demande et qu’elle ne réclame pas dans le dispositif de ses conclusions la fixation des points de retraite de base selon un chiffrage déterminé, année par année.

Du reste, M. [F] ne sollicite pas la fixation de ses points de retraite de base.

Dès lors, il sera jugé que la cour n’est saisie d’aucune prétention à ce titre.

3 – Sur les dommages et intérêts au titre du préjudice moral :

Selon l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

La CIPAV, alors qu’elle était parfaitement informée des modalités de calcul des points de retraite de base et complémentaire, a refusé d’appliquer les dispositions dérogatoires du régime des auto-entrepreneurs et fait supporter de manière abusive au cotisant le désengagement de l’Etat quant à la charge de la compensation financière de ce régime.

De la sorte, elle a contraint M. [F] à engager une contestation devant la commission de recours amiable et les juridictions du contentieux général de la sécurité sociale.

Ce manquement est constitutif d’une faute qui cause à l’assuré un préjudice moral lié aux tracas générés par les démarches qui ont été rendues nécessaires pour faire rétablir ses droits.

Le préjudice moral de M. [F] sera réparé par l’allocation de la somme de 500 euros, le jugement étant infirmé de ce chef.

4 – Sur la demande de dommages et intérêts pour appel abusif :

Selon l’article 559 du même code, en cas d’appel principal dilatoire ou abusif, l’appelant peut être condamné à une amende civile d’un montant maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages et intérêts qui lui seraient réclamés.

Le caractère abusif et dilatoire de l’appel peut se déduire de ce que l’appelant poursuit une procédure sur le mal fondé de laquelle il était suffisamment éclairé par les motifs du jugement attaqué (Civ. 1, 22 avril 1986, pourvoi n°84-10.288, Bull. I n 99).

Si la loi permet à tout citoyen ou organisme de saisir la justice aux fins de faire trancher des contestations, ce droit ne doit pas dégénérer en abus.

Constitue un abus de droit et l’appel est abusif si son auteur n’a aucun moyen sérieux à faire valoir et ne peut nourrir un quelconque espoir de succès.

En l’espèce, la Cour de cassation a clairement arrêté une position de principe par son arrêt du 23 janvier 2020 et a été suivie par de nombreuses cours d’appel. Il sera noté que cet arrêt est intervenu avant la décision de première instance.

En continuant de soutenir une interprétation erronée des textes applicables alors qu’elle avait été parfaitement informée de l’inanité de celle-ci par les premiers juges qui y ont répondu de façon précise et parfaitement détaillée, la CIPAV a imposé à l’assuré de contester le calcul de sa retraite jusqu’en appel pour être rétabli dans ses droits.

En agissant ainsi, la CIPAV a également fait preuve de mauvaise foi faisant dégénérer en abus son droit d’agir en justice.

Elle sera condamnée à verser à M. [F] une somme supplémentaire de 500 euros sur ce fondement.

5 – Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Il n’apparaît pas équitable de laisser à la charge de M. [F] ses frais irrépétibles.

La CIPAV sera en conséquence condamnée à lui verser à ce titre la somme de 2 000 euros.

Les dépens de la présente procédure d’appel seront laissés à la charge de la CIPAV qui succombe à l’instance.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement sauf en ce qu’il a débouté M. [M] [F] de sa demande de dommages et intérêts ;

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant :

CONSTATE que la cour n’est saisie d’aucune prétention au titre de la retraite de base ;

CONDAMNE la CIPAV à verser à M. [M] [F] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

CONDAMNE la CIPAV à verser à M. [M] [F] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif ;

CONDAMNE la CIPAV à verser à M. [M] [F] une indemnité de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la CIPAV aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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