Dans le cadre de la construction du Pôle d’Administration Publique et du Pôle de Compétence en Propriété Intellectuelle, l’Eurométropole de [Localité 4] a attribué trois marchés à la SNC Bluntzer. En raison de réserves non levées lors de la réception des travaux, l’Eurométropole a résilié les contrats pour faute. Elle a ensuite demandé le versement d’une garantie de 439 618,27 euros à la Compagnie Européenne des Garanties et Cautions (CEGC), qui a exigé des documents pour traiter la demande. Après plusieurs relances, l’Eurométropole a assigné la CEGC en référé. Le juge a renvoyé les parties à se pourvoir sur le fond et a rejeté la demande de paiement. L’Eurométropole a interjeté appel, demandant l’infirmation de l’ordonnance. La CEGC a, de son côté, demandé la confirmation de la décision initiale. La cour d’appel a finalement condamné la CEGC à verser la somme demandée à l’Eurométropole, avec intérêts et dépens.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE
VERSAILLES
Code nac : 54G
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 17 OCTOBRE 2024
N° RG 24/00714 – N° Portalis DBV3-V-B7I-WKNC
AFFAIRE :
Organisme EUROMETROPOLE DE [Localité 4]
C/
S.A. COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET CAUTIONS
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 10 Janvier 2024 par le Président du TJ de NANTERRE
N° RG : 22/02829
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 17.10.2024
à :
Me Philippe CHATEAUNEUF, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Asma MZE, avocat au barreau de VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX SEPT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
EUROMETROPOLE DE [Localité 4]
personne morale de droit public, prise en la personne de sa Présidente en exercice dûment habilitée.
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Philippe CHATEAUNEUF, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643 – N° du dossier 2024019
APPELANTE
S.A. COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET CAUTIONS
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.
N° SIRET : 382 50 6 0 79
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 – N° du dossier 2473242
Plaidant : Me Erwan LAZENNEC, du barreau de Paris
INTIMEE
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 16 Septembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marina IGELMAN, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas VASSEUR, Président,
Madame Marina IGELMAN, Conseillère,
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère,
Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,
Dans le cadre du projet de construction du Pôle d’Administration Publique de [Localité 4] et du Pôle de Compétence en Propriété Intellectuelle (PCPI), la Communauté Urbaine de [Localité 4], devenue l’Eurométropole de [Localité 4], personne morale de droit public, exerce la maîtrise ouvrage pour le compte de l’Etat et de l’INPI.
Pour les besoins de cette opération, l’Eurométropole de [Localité 4] a confié à la SNC Bluntzer trois marchés publics de travaux :
– le marché de travaux n°2013/0760 relatif au lot n°04A « bardage – isolation » selon acte d’engagement du 13 mai 2013,
– le marché de travaux n°2013/0951 relatif au lot n°04B « menuiseries extérieures » selon acte d’engagement du 12 juillet 2013,
– le marché de travaux n°2013/0849 relatif au lot n°05 « façades rideaux – occultations» selon acte d’engagement du 19 avril 2013.
En remplacement de la retenue de 5 % destinée à couvrir les réserves à la réception et pendant le délai de garantie de parfait achèvement, la société Bluntzer a souscrit, au bénéfice de l’Eurométropole de [Localité 4], une série de garanties à première demande auprès de la société Compagnie Européenne des Garanties et Cautions (CEGC), pour un montant total de 439 598,27 euros.
La réception des trois marchés est intervenue avec réserves le 29 janvier 2020.
Arguant de l’incapacité persistante de la société Bluntzer à lever les réserves, par lettre recommandée datée du 7 août 2020, l’Eurométropole de Strasbourg a résilié pour faute les trois marchés conclus avec la société Bluntzer, étant précisé que le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la requête formulée par cette dernière de suspendre ladite décision de résiliation.
Par lettre recommandée en date du 18 août 2021, l’Eurométropole de [Localité 4] a sollicité auprès de la société CEGC le versement du montant total garanti pour les trois marchés et leurs avenants, soit 439 618,27 euros, afin de permettre de couvrir une partie des frais d’achèvement des travaux et de levée des réserves.
En réponse, la société CEGC a demandé, par lettre recommandée du 1er octobre 2021, la communication d’un certain nombre de documents pour l’instruction de la demande, documents qui ont été transmis le 8 décembre 2021.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 18 juillet 2022, l’Eurométropole de [Localité 4] mettait de nouveau la CEGC en demeure de payer.
Par acte de commissaire de justice délivré le 16 novembre 2022, l’Eurométropole de [Localité 4] a fait assigner en référé la CEGC aux fins d’obtenir principalement :
– sa condamnation au paiement d’une provision de 439 618,27 euros au titre des garanties appelées, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2021 jusqu’au complet règlement et de la capitalisation des intérêts,
– sa condamnation au paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– sa condamnation aux entiers frais et dépens de l’instance.
Par ordonnance contradictoire rendue le 10 janvier 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :
– renvoyé les parties à se pourvoir sur le fond du litige,
par provision, tous moyens des parties étant réservés.
– dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de condamner la société Compagnie Européenne des Garanties et Cautions (CEGC) à payer à l’Eurométropole de [Localité 4] la somme de 439 618,27 euros au titre des garanties appelées, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2021 jusqu’à complet règlement et de la capitalisation des intérêts,
– condamné l’Eurométropole de [Localité 4] aux dépens,
– rejeté la demande formulée par l’Eurométropole de [Localité 4] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné l’Eurométropole de [Localité 4] à verser à la société Compagnie Européenne des Garanties et Cautions (CEGC) une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties.
Par déclaration reçue au greffe le 5 février 2024, l’organisme Eurométropole de [Localité 4] a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.
Dans ses dernières conclusions déposées le 12 juin 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, l’organisme Eurométropole de [Localité 4] demande à la cour de :
‘- déclarer l’appel de l’Eurométropole de [Localité 4] recevable et bien fondé ;
– infirmer l’ordonnance du 10 janvier 2024 n°RG 22/02829 du juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre en tant qu’elle a :
– renvoyé les parties à se pourvoir sur le fond du litige ;
– dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de condamner la société Compagnie Européenne de Garanties et Cautions (CEGC) à payer à l’Eurométropole de [Localité 4] la somme de 439 618,27
euros au titre des garanties appelées, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2021 jusqu’à complet règlement et de la capitalisation des intérêts ;
– condamné l’Eurométropole de [Localité 4] aux dépens ;
– rejeté la demande formulée par l’Eurométropole de [Localité 4] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné l’Eurométropole de [Localité 4] à verser à la société Compagnie Européenne de Garanties et Cautions (CEGC) une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
– rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties.
et statuant à nouveau par la voie de l’effet dévolutif de l’appel :
– condamner la Compagnie Européenne de Garanties et Cautions à payer à l’Eurométropole de [Localité 4] une provision de 439 618,27 eurosau titre des garanties appelées, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2021 jusqu’à complet règlement et de la capitalisation des intérêts ;
– condamner la Compagnie Européenne de Garanties et Cautions à verser à l’Eurométropole de [Localité 4] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des
frais de première instance ;
– condamner la Compagnie Européenne de Garanties et Cautions à verser à l’Eurométropole de [Localité 4] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des
frais de la présente instance d’appel ;
– condamner la Compagnie Européenne de Garanties et Cautions aux entiers frais et dépens de la première instance et de l’instance d’appel, dont distraction pour ces derniers directement au profit de Maître Philippe Chateauneuf, avocat, sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile.
– rejeter les demandes plus amples ou contraires de la Compagnie Européenne de Garanties et Cautions.’
Dans ses dernières conclusions déposées le 23 août 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Compagnie Européenne de Garanties et Cautions demande à la cour, au visa de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, de :
‘- déclarer la société Compagnie Europeenne de Garanties et Cautions recevable et bien fondée en ses conclusions ;
en conséquence
– confirmer l’ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Nanterre en date du mercredi 10 janvier 2024 en toutes ses dispositions ;
en conséquence,
– débouter l’établissement Eurométropole de [Localité 4] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l’encontre de la société Compagnie Europeenne de Garanties et Cautions ;
y ajoutant,
– condamner l’établissement Eurométropole de [Localité 4] à verser à la société Compagnie Europeenne de Garanties et Cautions une somme de 5 000,00 euros (cinq mille euros) au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d’appel ;
– condamner l’établissement Eurométropole de [Localité 4] aux entiers dépens d’appel.’
L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 septembre 2024.
L’Eurométropole de [Localité 4], rappelant que le montant des travaux de levée des réserves à la réception et des désordres de parfait achèvement non levés par la société Bluntzer s’élève à 8 473 590,68 euros HT, indique avoir donc par courrier du 18 août 2021 sollicité auprès de la CEGC le versement de la somme de 439 618,27 euros.
Elle avance que l’article 103 du code de marchés publics, en vigueur avant l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, n’imposait une notification des réserves dans le délai d’un an qu’alternativement, à l’entreprise ou au garant.
Elle critique l’ordonnance entreprise qui a retenu qu’il n’appartenait pas au juge des référés de procéder à une interprétation des différents textes et des décisions invoquées par les parties, relevant qu’elles étaient en désaccord s’agissant, tant de la règle de droit applicable, que sur l’existence d’un potentiel délai de forclusion pour un appel en garantie.
Elle fait valoir qu’au contraire, la CEGC n’a pas expressément contesté la règle de droit applicable aux garanties litigieuses, ni le fait que la notification des réserves à la réception puisse être faite indifféremment à l’entreprise ou à l’établissement garant, précisant que selon elle, en cas de notification des réserves à la réception à l’entreprise, le garant n’est pas libéré de ses engagements avant la levée desdites réserves ; que la règle de droit applicable ne nécessite aucune interprétation.
Précisant avoir effectué une notification des réserves lors de la réception auprès de l’entreprise Bluntzer, elle soutient que la contestation tirée de l’absence de notification des réserves à la réception à l’établissement garant dans le délai d’un an n’est pas sérieuse.
Elle expose ensuite que l’article 103 ancien du code des marchés publics ne prévoit pas que la durée de l’engagement de la garantie à première demande est strictement limitée à un an, le délai visé par cet article n’étant pas celui de la garantie à première demande mais le délai de garantie d’achèvement due par l’entreprise au titre des travaux, comme il découle de l’article 102 ancien du même code.
Elle ajoute que le garant à première demande est tenu, en vertu de ces textes, même après l’expiration du délai d’un an, tant que les réserves régulièrement notifiées à l’entreprise ne sont pas levées.
Elle sollicite donc l’infirmation de l’ordonnance querellée concluant que dès lors que des réserves à la réception ont été notifiées à la société Bluntzer dans le délai d’un an de la garantie de parfait achèvement, elle a pu, même au-delà de ce délai, appeler la garantie à première demande de la société CEGC qui n’était pas expirée compte tenu de l’absence de levée desdites réserves.
En réponse au moyen tiré du fait dès qu’elle aurait dû, avant la saisine du juge judiciaire, émettre un titre exécutoire en vertu du privilège du préalable, elle soutient que par dérogation à cette règle, en présence d’un contrat de droit privé, telle que la garantie à première demande, elle a le droit de saisir directement le juge judiciaire.
L’Eurométropole de [Localité 4] conclut enfin à la complétude du dossier de demande de garantie, établissant en pages 26 et 27 de ses conclusions un tableau comparant les éléments dont la communication est contractuellement convenue et ceux qu’elle a transmis.
Elle ajoute qu’elle a en outre déféré à la demande de communication supplémentaire de documents formulée par la CEGC le 1er octobre 2021.
Elle rétorque aux arguments adverses que le courrier du 18 août 2021 précise expressément la liste des annexes qui y étaient jointes et qu’à la réception de ce courrier, la CEGC n’a pas prétendu que les pièces annoncées n’y figuraient pas, alors qu’elle ne les a pas davantage réclamées par la suite.
Elle indique également que le courrier daté du 18 août 2021, visant des certificats administratifs datés du 23 août 2021, a été réceptionné par la CEGC le 13 septembre suivant, de sorte qu’il n’existe nulle incohérence, tandis qu’elle n’a jamais réclamé ces documents par la suite.
Enfin, elle fait valoir que le certificat administratif mentionnant un montant global de 8 473 590,68 euros HT vise le surcoût d’achèvement des travaux, des services et le surcoût des livraisons de fournitures, qui sont nécessairement du fait des réserves formulées, à la fois à la réception et dans le délai d’un an.
La CEGC sollicite la confirmation de l’ordonnance critiquée du fait de l’extinction des engagements souscrits, précisant que l’appelante a introduit une action au fond devant le tribunal judiciaire de Paris.
En vertu des dispositions de l’article 103 du code des marchés publics dans sa rédaction applicable aux contrats en cause, elle fait valoir que le bénéficiaire de la garantie, en présence de réserves à la réception ou signalées dans le délai de parfait achèvement, doit à peine de forclusion présenter et compléter sa demande de paiement au garant dans le délai préfix de sa garantie, soit dans le délai d’un an à compter de la date de la réception.
La réception étant intervenue le 29 janvier 2020, elle soutient que la personne publique disposait d’un délai expirant le 30 janvier 2021 pour le cas échéant porter à sa connaissance les réserves à la réception et surtout, pour présenter sa demande en paiement.
Or, elle relève que ce n’est que par lettre recommandée datée du 18 août 2021 que l’Eurométropole de [Localité 4] lui a finalement notifié l’existence de réserves, en même temps que son « appel à paiement à première demande pour couvrir les réserves à la réception et les désordres de parfait achèvement », date à laquelle elle était pourtant forclose pour demander l’exécution des garanties souscrites.
Subsidiairement, la CEGC soulève deux autres contestations sérieuses.
Elle soutient tout d’abord qu’en application du principe dit du « privilège du préalable » qui impose aux autorités administratives d’exercer les pouvoirs dont elles sont investies, l’Eurométropole de [Localité 4] aurait dû, avant de saisir la juridiction judiciaire, émettre un titre de recettes si elle s’estimait régulièrement créancière à son égard.
Elle soutient ensuite que les incertitudes et anomalies relatives à la fourniture effective des justificatifs contractuellement prévus rendent d’autant plus contestable la demande de l’Eurométropole de [Localité 4].
Elle fait valoir que « l’exemplaire de la correspondance que [l’Eurométropole de [Localité 4]] produit aujourd’hui ne comprend en annexe que la mise en demeure du 22 mai 2020 relative au lot n° 04 A « bardage/isolation », à l’exclusion de tout autre document » ; que « les deux certificats administratifs communiqués isolément sont tous deux datés du 23 août 2021, soit postérieurement à la date de la lettre recommandée rédigée cinq jours plutôt, dont la date d’envoi ne peut être vérifiée, à ce stade, en l’absence de production de l’avis de dépôt » ; que le montant global de 8 473 590,68 euros HT mentionné dans le second certificat administratif ne permet pas de distinguer le montant estimé des réserves formulées du surcoût d’achèvement des travaux.
Sur ce,
L’article 835 alinéa 2 du code de procédure prévoit que le président du tribunal judiciaire peut dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.
Il sera retenu qu’une contestation sérieuse survient lorsque l’un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
À l’inverse, sera écartée une contestation qui serait à l’évidence superficielle ou artificielle et la cour est tenue d’appliquer les clauses claires du contrat qui lui est soumis, si aucune interprétation n’en est nécessaire. Le montant de la provision allouée n’a alors d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Sur la contestation tirée de l’expiration de la garantie
Les parties s’accordent sur l’existence des contrats de garantie à première demande conclus entre elles pour un montant total de 439 598,27 euros, se décomposant comme suit :
– pour le marché n°2013/0760 :
– n° T-152069-00 pour un montant de 1 970,97 euros en date du 24 juin 2013,
– n° T-333112-00 pour un montant de 22 441,97 euros en date du 3 octobre 2016,
– n° T-542156-00 pour un montant de 98 899,18 euros en date du 13 mars 2019,
– n° 2019-20431 pour un montant de 30 251,00 euros en date du 18 juin 2019,
– pour le marché n°2013/0951 :
– n° T542164-00 pour un montant de 74 451,00 euros en date du 13 mars 2019,
– n° T-333142-00 pour un montant de 2 319,79 euros en date du 3 octobre 2016,
– n° 2019-20418 pour un montant de 46 755,00 euros en date du 18 juin 2019,
– pour le marché n°2013/0849 :
– n° T-542172-00 pour un montant de 143 400,40 euros en date du 13 mars 2019,
– n° T-333197-00 pour un montant de 242,96 euros en date du 3 octobre 2016,
– n° 2019-20425 pour un montant de 18 886,00 euros en date du 18 juin 2019.
Sous le titre « engagement » de ces contrats, il est stipulé :
« Nous nous engageons à payer à première demande, dans la limite du montant garanti, les sommes que la personne publique pourrait demander pour couvrir les réserves à la réception des travaux, fournitures ou services ainsi que celles formulées pendant le délai de garantie du marché.
(‘)
La présente garantie prendra fin dans les conditions prévues à l’article 103 du code des marchés publics. »
L’article 103 du code des marchés publics, alors applicable, dispose :
« La retenue de garantie est remboursée un mois au plus tard après l’expiration du délai de garantie.
En cas de retard de remboursement, des intérêts moratoires sont versés selon les modalités définies par le décret mentionné à l’article 98.
Les établissements ayant accordé leur caution ou leur garantie à première demande sont libérés un mois au plus tard après l’expiration du délai de garantie.
Toutefois, si des réserves ont été notifiées au titulaire du marché ou aux établissements ayant accordé leur caution ou leur garantie à première demande pendant le délai de garantie et si elles n’ont pas été levées avant l’expiration de ce délai, les établissements sont libérés de leurs engagements un mois au plus tard après la date de leur levée. »
Il est de principe qu’ « en l’absence de levée des réserves formulées dans le procès-verbal de réception et notifiées au titulaire du marché, la banque demeure tenue à garantie » (3e Civ., 8 février 2018, pourvoi n° 17-11.135), ce dont il infère que la mention de réserves sur le procès-verbal de réception contradictoire suffit pour reporter le terme du délai de garantie jusqu’à la levée des réserves et qu’en conséquence la garantie à première demande ne peut expirer avant la levée des réserves qu’elle a pour objet de couvrir.
Ainsi, dès lors qu’au cas présent les trois marchés de travaux ont été réceptionnés le 29 janvier 2020, avec des réserves (contradictoirement relevées en présence d’huissiers de justice à la demande de l’entreprise Bluntzer), et qu’il n’est pas contesté que les réserves émises à la réception et pendant le délai de garantie de parfait achèvement n’ont pas été levées, la contestation de la CEGC quant à l’extinction de sa garantie n’apparaît pas suffisamment sérieuse pour faire obstacle aux demandes de l’Eurométropole de [Localité 4].
Sur la contestation tirée de la règle du privilège préalable
La créance revendiquée par l’Eurométropole de [Localité 4] trouvant son origine dans un contrat de droit privé, la faculté, non exercée, d’émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge judiciaire en exécution du contrat.
La contestation de la CEGC à ce titre ne sera pas retenue.
Sur la contestation tirée du défaut de complétude des justificatifs
Ainsi qu’il a été ci-dessus examiné, et dès lors qu’il est établi que la garantie à première demande courait tant que les réserves couvertes n’étaient pas levées, l’Eurométropole de [Localité 4] a valablement pu au stade contentieux produire les éléments concernés par le grief d’absence de communication de la part de la CEGC.
Par ailleurs, aux termes du certificat administratif en date du 23 août 2021, mentionnant un montant de 8 473 590,68 euros HT, il est « certifié que le montant minimum du surcoût d’achèvement des travaux, du fait des réserves formulées et non levées par l’entreprise Bluntzer, titulaire des 3 marchés (‘) », suivi du détail des sommes visées, formulation dont il découle sans ambiguïté possible que les sommes ainsi listées ne concernent que les surcoûts liées aux réserves couvertes par la garantie, à l’exclusion de tout surcoût pour d’autres travaux d’achèvement.
Les contestations élevées par la CEGC au titre des documents à communiquer ne seront pas davantage que les précédentes retenues comme étant sérieuses.
Dès lors, par voie d’infirmation de l’ordonnance querellée, il convient de faire droit à la demande de provision de l’Eurométropole de [Localité 4] et de condamner la CEGC à verser à l’Eurométropole de [Localité 4] la somme de 439 618,27 euros à titre de provision à valoir sur la mise en oeuvre de la garantie à première demande et ce, avec intérêt au taux légal à compter du 13 septembre 2021, date de la réception de la lettre recommandée avec accusé de réception sollicitant le paiement.
Par application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts, qui est de droit, sera ordonnée pour les sommes qui seront dues pour une année entière.
Sur les demandes accessoires :
L’Eurométropole de [Localité 4] étant accueillie en son recours, l’ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, la CEGC ne saurait prétendre à l’allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés avec distraction au bénéfice de l’avocat qui en a fait la demande.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à l’Eurométropole de [Localité 4] la charge des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d’appel. L’intimée sera en conséquence condamné à lui verser une somme globale de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Infirme l’ordonnance du 10 janvier 2024,
Statuant à nouveau,
Condamne la société Compagnie Européenne des Garanties et Cautions à verser à l’Eurométropole de [Localité 4] la somme de 439 618,27 euros à titre de provision à valoir sur la mise en oeuvre de la garantie à première demande et ce, avec intérêt au taux légal à compter du 13 septembre 2021, et capitalisation des intérêts, qui est de droit, sera ordonnée pour les sommes qui seront dues pour une année entière,
Dit que la société Compagnie Européenne des Garanties et Cautions supportera les dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société Compagnie Européenne des Garanties et Cautions à verser à l’Eurométropole de [Localité 4] la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu’en appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Président