Engagement de caution : évaluation de la disproportion et responsabilité du créancier dans le cadre d’un prêt viticole.

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Engagement de caution : évaluation de la disproportion et responsabilité du créancier dans le cadre d’un prêt viticole.

La société BNP Paribas a accordé un prêt de 290’000 euros à la SAS [D] [V] le 20 octobre 2015, avec Mme [D] [J] née [V] comme caution solidaire pour un montant de 166’750 euros. La société a été placée en redressement judiciaire le 19 février 2019, puis en liquidation judiciaire le 28 janvier 2020, avec des créances de BNP Paribas reconnues. Le 5 février 2020, BNP Paribas a mis en demeure Mme [V] de payer 578’876,55 euros, puis l’a assignée en paiement de 319’715,42 euros. Le tribunal de commerce de Tours a rendu un jugement le 1er juillet 2022, déboutant Mme [V] de ses demandes et la condamnant à payer 166’750 euros à BNP Paribas. Mme [V] a interjeté appel le 17 août 2022, demandant l’infirmation du jugement. BNP Paribas a demandé la confirmation du jugement en appel. L’affaire a été plaidée le 5 septembre 2024, et la décision a confirmé le jugement initial, ordonné la capitalisation des intérêts et condamné Mme [V] à payer des frais supplémentaires.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 octobre 2024
Cour d’appel d’Orléans
RG
22/02031
COUR D’APPEL D’ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 17/10/2024

la SELARL CM&B COTTEREAU-MEUNIER-BARDON-SONNET- ET ASSOCIES

la SCP STOVEN PINCZON DU SEL

ARRÊT du : 17 OCTOBRE 2024

N° : 227 – 24

N° RG 22/02031

N° Portalis DBVN-V-B7G-GUK7

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de TOURS en date du 01 Juillet 2022

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265280609161630

Madame [D] [V]

née le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 8] (BELGIQUE)

[Adresse 4]

[Localité 3]

Ayant pour avocat Me Guillaume BARDON, membre de la SELARL CM&B COTTEREAU-MEUNIER-BARDON-SONNET- ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS

D’UNE PART

INTIMÉE : – Timbre fiscal dématérialisé N°:1265279946001245

S.A. BNP PARIBAS

Agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 2]

[Localité 5]

Ayant pour avocat Me Clémence STOVEN-BLANCHE, membre de la SCP STOVEN PINCZON DU SEL, avocat au barreau d’ORLEANS

D’AUTRE PART

DÉCLARATION D’APPEL en date du : 17 Août 2022

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 04 Juillet 2024

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l’audience publique du JEUDI 05 SEPTEMBRE 2024, à 9 heures 30, devant Madame Fanny CHENOT, Conseiller Rapporteur, par application de l’article 805 du code de procédure civile.

Lors du délibéré :

Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS,

Madame Fanny CHENOT, Conseiller,

Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller,

Greffier :

Monsieur Axel DURAND, Greffier lors des débats,

Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier lors du prononcé.

ARRÊT :

Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le JEUDI 17 OCTOBRE 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE :

Par acte sous signature privée du 20 octobre 2015, la société BNP Paribas a consenti à la SAS [D] [V] un prêt de 290’000’euros destiné à financer l’acquisition de matériel viticole.

Par acte séparé du même jour, Mme [D] [J] née [V] s’est rendue caution solidaire des engagements souscrits par la société dont elle était la présidente, dans la limite de 166’750 euros et pour une durée de neuf ans.

Par jugement du tribunal de commerce de Tours en date du 19 février 2019, la société [D] [V] a été placée en redressement judiciaire.

La procédure de redressement a été convertie le 28 janvier 2020 en liquidation judiciaire et par ordonnance du même jour, le juge-commissaire a admis les créances de la société BNP Paribas pour les montants auxquels elles avaient été déclarées le 28 février 2019, dont 296’792,54 euros à titre privilégié au titre du prêt garanti en cause.

Par courrier du 5 février 2020 adressé sous pli recommandé présenté le 11 février 2020, la société BNP Paribas a mis en demeure Mme [V] de lui régler en principal la somme totale de 578’876,55 euros en exécution de deux engagements de caution, dont 307’680,07’euros au titre du prêt de 290’000 euros contracté le 20 octobre 2015 par la débitrice principale.

Par acte du 3 mars 2021, la société BNP Paribas a fait assigner Mme [V] en paiement de la somme principale de 319’715,42’euros devant le tribunal de commerce de Tours.

Par jugement du 1er juillet 2022, en retenant que Mme [V] n’établissait pas que son engagement de caution était manifestement disproportionné à ses biens et revenus lors de sa souscription, que la société BNP Paribas n’était débitrice d’aucun devoir de mise en garde envers Mme [V], caution avertie, et que cette dernière n’établissait aucune faute de l’établissement bancaire, le tribunal a’:

– débouté Mme [D] [V] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– condamné Mme [D] [V] à payer à la société BNP Paribas la somme de 166’750 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 5 février 2020,

– condamné Mme [D] [V] à payer la somme de 2’000 euros à la BNP Paribas au titre de l’article [700] du code de procédure civile, et débouté Mme [D] [V] de sa demande à ce titre,

– condamné Mme [D] [V] aux entiers dépens liquidés, concernant les frais de greffe, à la somme de 72,22 euros.

Mme [V] a relevé appel de cette décision par déclaration du 17 août 2022, en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 17 novembre 2022, Mme [V] demande à la cour de’:

– déclarer recevable et bien fondé l’appel interjeté par Mme [D] [V],

– infirmer en toutes ses dispositions la décision du tribunal de commerce de Tours du 1er juillet 2022,

Statuant à nouveau’:

– rejeter toutes les demandes fins et conclusions de la société BNP Paribas,

En conséquence,

– décharger Mme [D] [V] de son engagement de caution,

A titre subsidiaire,

– condamner la société BNP Paribas à verser à Mme [D] [V] la somme de 166’750 euros avec intérêts légaux à compter du 5 février 2020,

– ordonner la compensation des créances réciproques,

En tout état de cause,

– condamner la société BNP Paribas à verser à Mme [D] [V] la somme de 5’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’instance.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 7 février 2023, la société BNP Paribas demande à la cour de’:

– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Tours du 1er juillet 2022 en toutes ses dispositions,

– ordonner la capitalisation annuelle des intérêts,

– débouter Mme [D] [V] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner Mme [D] [V] à payer à la BNP Paribas la somme de 3’000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [D] [V] aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 4 juillet 2024, pour l’affaire être plaidée le 5 septembre suivant et mise en délibéré à ce jour.

SUR CE, LA COUR :

Selon l’article L. 341-4 du code de la consommation, devenu l’article L. 332-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à son abrogation issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Au sens de ces dispositions, qui bénéficient tant aux cautions profanes qu’aux cautions averties, la disproportion s’apprécie à la date de conclusion du contrat de cautionnement au regard du montant de l’engagement ainsi souscrit et des biens et revenus de la caution, en prenant en considération son endettement global, y compris celui résultant d’autres engagements de caution, dès lors que le créancier avait ou pouvait avoir connaissance de cet endettement.

C’est à la caution qui se prévaut des dispositions de l’article L. 332-1 de rapporter la preuve de la disproportion qu’elle invoque.

Contrairement à ce que ce que fait accroire l’appelante, ni le code de la consommation ni aucune autre règle, légale ou jurisprudentielle, n’impose au créancier professionnel de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, mais s’il le fait, il est en droit de se fier aux renseignements communiqués par la caution, sauf existence d’anomalies apparentes.

Le créancier peut en outre démontrer que le patrimoine de la caution lui permettait de faire face à son obligation au moment où il l’a appelée en paiement.

Au cas particulier, la société BNP Paribas produit aux débats une fiche de renseignements datée du 25 mars 2015, signée par Mme [V], qui demande à la cour d’écarter cette pièce des débats au motif, non contesté, que cette fiche n’est pas contemporaine de son engagement de caution souscrit le 20 octobre 2015.

Les premiers juges ont pourtant retenu à raison que le fait que cette fiche ait été établie presque sept mois avant la conclusion de l’engagement en cause ne doit pas conduire à écarter purement et simplement cette pièce des débats, mais autorise seulement Mme [V] à démontrer que tout ou partie des renseignements qui y sont contenus étaient devenus obsolètes en octobre 2015.

Mme [V], à qui incombe le charge de la preuve de la disproportion qu’elle allègue, n’offre pas de démontrer que sa situation patrimoniale avait défavorablement évolué entre mars et octobre 2015.

Reprenant à hauteur d’appel ses écritures de première instance, Mme [V] indique que «’le tribunal constatera que [son] engagement de caution était totalement disproportionné à ses revenus et engagements’», sans fournir le moindre justificatif de ses revenus d’octobre 2015 ni des engagements qu’elle avait éventuellement déjà personnellement souscrits à cette époque.

Mme [V] n’offre pas davantage de démontrer qu’en octobre 2015, son patrimoine n’était plus composé, comme elle l’avait indiqué en mars 2015, d’une épargne mobilière de 600’000 euros reçue en donation de ses parents et de ses parts dans le Groupement foncier rural «'[Adresse 7]’».

Dès lors qu’elle avait elle-même évalué à 2’250’000 francs la valeur des parts sociales de ce groupement constitué sous la forme d’une société civile et qu’il résulte des statuts communiqués par la société BNP Paribas qu’en octobre 2015, Mme [V] détenait 50’% des parts de ce groupement propriétaire, à [Localité 6] (37), d’un ensemble immobilier d’habitation et de presque 6 hectares de vignes, les parts sociales de Mme [V] peuvent être valorisées à un minimum de 171’500 euros.

Le patrimoine mobilier de Mme [V] s’élevait en conséquence, au 20 octobre 2015, à 771’500 euros au moins.

La société BNP démontre en outre que le 20 mai 2015, Mme [V] avait acquis au prix de 344’200 euros, sans avoir recours à aucun prêt, une maison de maître du XVIIIe siècle située à [Localité 3] (37).

Il s’infère de ces éléments que, sans même valoriser les parts de Mme [V] dans la société d’exploitation SAS [D] [V], et même à admettre que l’immeuble d’habitation de [Localité 3] ait été financé par l’épargne qu’elle avait reçue en donation de ses parents, Mme [V] détenait, au jour de la conclusion du cautionnement litigieux, un patrimoine mobilier et immobilier d’une valeur minimale de 771’500 euros.

Au regard de ces éléments dont il résulte que Mme [V], mariée sous le régime de la séparation de biens, disposait d’un patrimoine d’une valeur nettement supérieure au montant de son cautionnement donné à hauteur de 166’750 euros, l’appelante échoue à démontrer que son engagement de caution donné le 20 octobre 2015 était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Rien ne justifie en conséquence de priver la société BNP Paribas du droit de se prévaloir de cet engagement de caution.

Selon l’article 2288 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, celui qui se rend caution d’une obligation, se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même.

Selon décompte arrêté le 28 février 2019, la société BNP Paribas justifie que sa créance s’élève à cette date à 282 042,43 euros.

Dans la limite de son engagement, Mme [V] sera dès lors condamnée à payer à la société BNP Paribas, par confirmation du jugement entrepris, la somme de 166’750’euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 5 février 2020.

En application de l’article 1154 du code civil qui, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, prévoit que les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière, les intérêts seront en outre capitalisés annuellement à compter du 7 février 2023, date de la demande.

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts :

Même à admettre qu’elle n’était pas une caution avertie, ce que la société BNP Paribas ne conteste pas à hauteur d’appel, Mme [V], dont l’engagement de caution n’était pas disproportionné à ses biens et revenus lors de sa conclusion, ne peut utilement rechercher la responsabilité du banquier pour manquement à son devoir de mise en garde qu’en démontrant que l’octroi du financement garanti générait un risque d’endettement excessif compte tenu d’un risque caractérisé de défaillance de la débitrice principale.

En l’espèce, c’est de manière inopérante, et même en inversant la charge de la preuve, que Mme [V] soutient que la société BNP Paribas n’a pas vérifié la faisabilité et la viabilité économique des projets de la débitrice principale, la SAS [D] [V], en se bornant à affirmer, sans offrir là encore aucune preuve, qu’il «’ne peut être sérieusement contesté que les différents prêts octroyés à la débitrice principale étaient totalement disproportionnés au regard de ses capacités prévisibles de remboursement’».

Etant observé que, de son côté, la société BNP Paribas démontre avoir consenti ses concours aux différentes structures qu’avait créées Mme [V] en 2015 pour organiser distinctement la gestion foncière de ses biens, la production et la commercialisation de ses vins, sur la base d’un prévisionnel établi par l’expert-comptable de l’appelante, et que dans ses propres courriers produits aux débats par l’intimée, Mme [V] explique que ce prévisionnel n’a pu être réalisé en raison de son divorce, de deux épisodes successifs de gel et de malfaçons dans les travaux de réalisation de son chai, autant d’évènements qui sont étrangers à l’établissement bancaire, c’est vainement que Mme [V] reproche à l’intimée d’avoir failli à un devoir de mise en garde à son endroit.

Mme [V] ne peut pas plus utilement reprocher à la société BNP Paribas d’avoir manqué à une obligation d’information alors que le prêt en cause, destiné à financer l’acquisition de matériel viticole, ne présentait aucune spécificité particulière qui ait justifié que l’établissement bancaire fournisse à la caution des informations autres que celles qui figuraient sur le contrat de prêt qu’elle a signé et dont elle a paraphé toutes les pages qui détaillent ses caractéristiques.

Dès lors, si l’on admet que, bien que fondée sur l’article 1382 ancien du code civil, comme si le cautionnement n’était pas un contrat, la demande reconventionnelle de Mme [V] était recevable, cette dernière, qui ne démontre ni faute ni manquement de la société BNP Paribas, sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les demandes accessoires :

Mme [V], qui succombe au sens de l’article 696 du code de procédure civile, devra supporter les dépens de l’instance d’appel et sera déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur ce dernier fondement, Mme [V] sera condamnée à régler à la société BNP Paribas, à laquelle il serait inéquitable de laisser la charge de la totalité des frais qu’elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens, une indemnité de procédure 2’000’euros.

PAR CES MOTIFS

Confirme la décision entreprise en tous ses chefs critiqués,

Y ajoutant,

Ordonne la capitalisation annuelle des intérêts à compter du 7 février 2023, conformément aux modalités de l’article 1154 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016,

Condamne Mme [D] [V] à payer à la société BNP Paribas la somme de 2’000’euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande de Mme [D] [V] formée sur le même fondement,

Condamne Mme [D] [V] aux dépens.

Arrêt signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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