Conflit contractuel en matière de construction : enjeux de la prescription et des réserves

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Conflit contractuel en matière de construction : enjeux de la prescription et des réserves

M. [G] [F] a signé un contrat de construction avec la Sarl Homelines le 13 avril 2018 pour une maison sur un terrain spécifique. L’ouvrage a été réceptionné avec réserves le 27 juillet 2020. M. [F] a émis des réserves supplémentaires par courrier dans les 8 jours suivant la réception. Face à l’absence de levée des réserves, il a assigné la Sarl Homelines devant le tribunal judiciaire de Mulhouse le 21 avril 2021, invoquant la garantie de parfait achèvement et la responsabilité contractuelle. Une expertise a été ordonnée le 13 juillet 2021, et l’affaire a été radiée en raison de cette mesure d’instruction. M. [F] a demandé la reprise de l’instance le 12 juillet 2022, ce qui a été autorisé le 26 juillet 2022.

Après l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire pour la Sarl Homelines, l’instance a été interrompue le 1er décembre 2022. M. [F] a ensuite assigné le mandataire judiciaire de la Sarl Homelines le 20 janvier 2023. Les deux procédures ont été jointes le 6 avril 2023. La Sarl Homelines, par son liquidateur, a demandé le 14 novembre 2023 le paiement de sommes dues par M. [F]. Ce dernier a contesté cette demande et a formulé plusieurs demandes au juge de la mise en état, notamment la déclaration d’irrecevabilité de la demande reconventionnelle de la Sarl Homelines.

La Sarl Homelines a répliqué en demandant le rejet des prétentions de M. [F] et en sollicitant des condamnations à son encontre. Les avocats des parties ont plaidé le 26 septembre 2024, et la décision a été mise en délibéré pour le 17 octobre 2024. Le juge a ensuite déclaré irrecevable la demande de paiement de la Sarl Homelines, rejeté les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et renvoyé l’affaire à une audience ultérieure.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Mulhouse
RG
22/00522
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MULHOUSE
———————————
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
—————————-
Première Chambre Civile

MINUTE n°
N° RG 22/00522 – N° Portalis DB2G-W-B7G-H5KO

KG/BD
République Française

Au Nom Du Peuple Français

ORDONNANCE

du 17 octobre 2024

Dans la procédure introduite par :

Monsieur [G] [F]
demeurant [Adresse 2]

représenté par Maître Véronique SCHOTT de la SELAS LEXARES AVOCATS, avocats au barreau de MULHOUSE, vestiaire : 84

– partie demanderesse –

A l’encontre de :

S.A.R.L. HOMELINES
dont le siège social est sis [Adresse 3]

représentée par Maître Jean luc VONFELT de la SAS VONFELT & ASSOCIES, avocats au barreau de MULHOUSE, vestiaire : 57

– partie défenderesse –

S.E.L.A.R.L. [L] & [W] prise en la personne de Maître [M] [W] audit siège, es qualité de mandataire judiciaire de la société en redressement judiciaire HOMELINES SARL, société à responsabilité limitée
dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Maître Jean luc VONFELT de la SAS VONFELT & ASSOCIES, avocats au barreau de MULHOUSE, vestiaire : 57

– partie intervenante –

CONCERNE : Demande d’exécution de travaux, ou de dommages-intérêts, formée par le maître de l’ouvrage contre le constructeur ou son garant, ou contre le fabricant d’un élément de construction

Nous, Blandine DITSCH, Juge au Tribunal judiciaire de céans, Juge de la mise en état, assisté de Claire-Sophie BENARDEAU, Greffier placé, avons rendu l’ordonnance suivante, par mise à disposition au greffe ce jour :

Par acte sous seing privé en date du 13 avril 2018, M. [G] [F] a conclu avec la Sarl Homelines un contrat de construction d’une maison d’habitation individuelle sur un terrain sis [Adresse 6].

L’ouvrage a été réceptionné avec réserves selon procès-verbal de constat dressé le 27 juilet 2020 par Me [O] [E], huissier de justice à [Localité 5].

Dans le délai de 8 jours à compter de la réception, M. [F] a adressé un courrier recommandée avec avis de réception à la Sarl Homelines afin d’émettre des réserves supplémentaires.

Se plaignant de l’absence de levée des réserves, M. [F] a, par exploit d’huissier de justice en date du 21 avril 2021, fait assigner la Sarl Homelines devant le tribunal judiciaire de Mulhouse, sur le fondement de la garantie de parfait achèvement et de la responsabilité contractuelle de droit commun, aux fins, notamment, de la condamner à lever l’intégralité des réserves et à l’indemniser des préjudices subis.

Par décision du 13 juillet 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Mulhouse a ordonné une expertise confiée Mme [I] [P] (RG 21/00172).

Suivant ordonnance du juge de la mise en état du 25 novembre 2021, la présente affaire a été radiée compte tenu de la mesure d’instruction en cours.

Par conclusions déposées au greffe le 12 juillet 2022, M. [F] a sollicité la reprise de l’instance, l’expert judiciaire ayant déposé son rapport le 17 juin 2022.

Par ordonnance du 26 juillet 2022, M. [F] a été autorisé à reprendre l’instance.

En suite de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la Sarl Homelines et de la désignation de la Selarl [L] & [W] en qualité de mandataire judiciaire, le juge de la mise en état a, par décision du 1er décembre 2022, constaté l’interruption de l’instance et invité M. [F] à régulariser la procédure à l’égard du mandataire judiciaire.

Suivant exploit de commissaire de justice en date du 20 janvier 2023, M. [F] a fait assigner la Selarl [L] & [W], en qualité de mandataire judiciaire de la Sarl Homelines, devant le tribunal judiciaire de Mulhouse (RG n° 23/00051).

Les deux procédures ont été jointes par le juge de la mise en étant suivant mention au dossier le 6 avril 2023.

Aux termes de ses conclusions notifiées par Rpva le 14 novembre 2023, la Sarl Homelines représentée par son liquidateur, la Selarl [L] & [W], prise en la personne de Me [M] [W], a sollicité, à titre reconventionnel, la condamnation de M. [F] à lui payer les sommes restant dues au titre du dernier appel de fond de 95 %.

Par conclusions distinctes notifiées par voie électronique le 13 mars 2024, M. [F] a saisi le juge de la mise en état d’un incident de procédure.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 juin 2024, M. [F] sollicite de voir le juge de la mise en état :
– déclarer irrecevable et mal fondé la société Homelines, en liquidation judiciaire représentée par son mandataire judiciaire la Selarl [L] & [W], en sa demande reconventionnelle en condamnation à son encontre à lui verser la somme de 22 103,77 euros qui correspondrait au dernier appel de fond de 95 %,

– déclarer irrecevable et mal fondée la société Homelines en liquidation judiciaire représentée par son mandataire judiciaire la Selarl [L] & [W] en l’ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions,
– condamner la société Homelines, en liquidation judiciaire représentée par son mandataire judiciaire la Selarl [L] & [W], à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner la société Homelines, en liquidation judiciaire représentée par son mandataire judiciaire la Selarl [L] & [W], aux entiers frais et dépens de la procédure incidente ;
– rappeler le caractère exécutoire de la décision à intervenir.

A l’appui de ses prétentions, M. [F] fait valoir, pour l’essentiel :
– que la Sarl Homelines fonde son action en paiement sur l’appel de fonds correspondant au stade “équipement” dont un rappel a été adressé par courrier du 26 août 2020, de sorte que l’appel de fonds est nécessairement antérieur à cette date,
– qu’en vertu de l’article L.218-2 du code de consommation, la demande en paiement formée, pour la première fois, par la Sarl Homelines par conclusions notifiées le 14 novembre 2023 est forclose,
– que l’arrêt rendu le 13 février 2020 par la Cour de cassation sur lequel se fonde la Sarl Homelines se rapporte au solde de prix de 5% qui doit être versé, en l’absence de réserves, à l’issue de la réception et, s’il y a des réserves, à la levée des réserves de sorte que la défenderesse ne peut s’en prévaloir s’agissant de l’appel de fonds correspondant au stade des “équipements”, soit le stade des 95 %, conformément à l’article R.231-7 du code de la construction et de l’habitation.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 28 mai 2024, la Sarl Homelines représentée par son mandataire liquidateur, la Selarl [L] & [W], demande au juge de la mise en état de :
– débouter M. [F] de l’intégralité de ses prétentions incidentes tendant à voir déclarer forclose, irrecevable et mal fondée la demande reconventionnelle à hauteur de 22 103,77 euros formée par la société Homelines en liquidation judiciaire représentée par liquidateur la Selarl [L] & [W] ;
– débouter M. [F] de ses prétentions au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des frais et dépens ;
– condamner M. [F] à verser à la Selarl Harmann & [W] représentée par Me [M] [W], agissant en qualité de liquidateur de la Sarl Homelines, la somme de 2 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [F] aux entiers frais et dépens ;
– rappeler l’exécution provisoire de droit de la décision à intervenir.

Au soutien de ses demandes, la Sarl Homelines représentée par son mandataire liquidateur, la Selarl [L] & [W] expose, en substance :
– que la Cour de cassation a jugé, dans le cadre d’un contrat de construction d’une maison d’habitation individuelle, que le point de départ du délai de prescription de l’action en paiement prévu à l’article L.218-2 du code de la consommation, se situe au jour de la levée des réserves,
– que ladite levée des réserves n’étant pas intervenue en l’espèce, s’agissant précisément de l’objet de la demande de M. [F], le délai de prescription n’a pas commencé à courir.

A l’audience des plaidoiries en date du 26 septembre 2024, les avocats des parties s’en sont remis à leurs écritures. La décision a été mise en délibéré au 17 octobre 2024, les parties avisées.

Il sera renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample examen des prétentions et moyens, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

En vertu de l’article 789 du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement seul compétent à l’exclusion de toute autre formation du tribunal pour statuer sur les fin de non-recevoir.

L’article 122 du même code précise que tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée constitue une fin de non-recevoir.

Lorsque l’action en paiement est intentée par un professionnel à l’encontre d’un consommateur, l’article L.218-2 du code de la consommation prévoit un délai de prescription, et non de forclusion, de deux ans.

Il est constant que le point de départ du délai de prescription édicté par ce texte se situe au jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (Civ. 1ère, 19 mai 2021, n°20-12.520).

En vertu de l’article L.231-2 du code de la construction et de l’habitation, “les modalités de règlement mentionnées au contrat, en vertu de l’article L. 231-2, tiennent compte de l’état d’avancement des travaux de construction et de l’achèvement de la fabrication des éléments préfabriqués”.

A cet égard, aux termes de l’article R. 231-7 du même code, le pourcentage maximum du prix convenu, exigible aux différents stades de la construction et de la fabrication des éléments préfabriqués d’après l’état d’avancement des travaux, est fixé de la manière suivante :
– 20 % à l’ouverture du chantier, pourcentage incluant éventuellement celui du dépôt de garantie ;
– 25 % à l’achèvement des fondations ;
– 50 % à l’achèvement des éléments préfabriqués, tels que définis au premier alinéa de l’article R. 231-3-1, après information du maître de l’ouvrage dans les conditions prévues au deuxième alinéa du même article ;
– 75 % à l’achèvement, sur le chantier, des cloisons et à la mise hors d’eau et la mise hors d’air ;
– 95 % à l’achèvement des travaux d’équipement, de plomberie, de menuiserie, de chauffage et d’enduits extérieurs.

En l’espèce, il n’est pas contesté que la Sarl Homelines, en sa qualité de professionnel, et M. [F] ont conclu un contrat de construction d’une maison individuelle le 13 avril 2018 de sorte que les dispositions précitées sont applicables à la cause.

Aux termes du courrier adressé en recommandé avec demande d’avis de réception le 26 août 2020 par la Sarl Homelines au maître de l’ouvrage, celle-ci indique “par ailleurs, le règlement de l’appel de fonds correspondant au stade “équipements” pour un montant Ttc de 27 089,74 euros n’est pas à ce jour régularisé par vos soins”, étant observé que la Sarl Homelines reconnaît solliciter le paiement de la somme de 22 103,77 euros au titre de l’ “appel de fonds 95 %”.

Il en résulte que l’appel de fonds de la somme de 27 089,74 euros est nécessairement
antérieur au courrier de rappel de la Sarl Homelines, de sorte que le maître d’oeuvre a eu connaissance des faits lui permettant d’exercer son action avant cette date et, qu’ainsi, le point de départ du délai de prescription biennal prévu à l’article L.218-2 du code de la consommation est nécessairement antérieur au 26 août 2020.

A cet égard, M. [F] verse aux débats la facture établie le 24 juin 2020 sollicitant le paiement de la somme de 27 089,74 euros Ttc au titre de “20 % achèvement des travaux d’équipement”.

Dès lors, le point de départ du délai de deux ans édicté à l’article L.218-2 du code de la consommation est également antérieur au 24 juin 2020, date d’établissement de la facture.

Au demeurant, les parties ont conclu, le 27 juillet 2020, un accord portant sur la consignation de la somme de 7 608,75 euros à la caisse des dépôts et consignations de sorte que la Sarl Homelines avait connaissance, au plus tard le 27 juillet 2020, de l’exigibilité du solde des travaux n’ayant pas fait pas l’objet d’une consignation.

La Sarl Homelines ne conteste pas avoir sollicité le paiement de l’appel de fonds correspondant à “95 %” du marché de travaux, pour la première fois, par conclusions notifiées par voie électronique le 14 novembre 2023 (page 3 de ses conclusions).

Il en résulte que la demande en paiement du prix des travaux, correspondant au stade de 95 % des travaux, formée par la Sarl Homelines, représentée par son liquidateur judiciaire, pour la première fois le 14 novembre 2023 est atteinte du délai de prescription de deux ans édicté à l’article L.218-2 du code de la consommation.

Il est sans emport que le point de départ du délai de prescription du solde de 5% du prix des travaux soit fixé à la levée des réserves, dès lors que la Sarl Homelines reconnaît que la somme dont elle sollicite le paiement à titre reconventionnel correspond au stade de 95 % du prix des travaux, soit le stade “équipements” et non au solde de 5 % du prix correspondant à la retenue de garantie dans l’attente de la levée des réserves.

Par conséquent, la demande en paiement formée par la Sarl Homelines, représentée par son liquidateur judiciaire, sera déclarée irrecevable.

Sur les autres demandes

Aux termes de l’article 790 du code de procédure civile, le juge de la mise en état peut statuer sur les dépens et les frais de l’article 700 du code de procédure civile.

En l’espèce, les dépens de l’incident suivront le sort de ceux de l’instance au fond.

Les demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

Pour permettre la poursuite d’instruction de la procédure, il convient de donner avis à la Selas Lexares, conseil de M. [F], d’avoir à déposer ses conclusions signifiées sur le fond avant le 19 décembre 2024, date de renvoi de l’affaire à la mise en état électronique ; à défaut une injonction sera délivrée en application de l’article 763 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Nous, juge de la mise en état, statuant publiquement, et par décision contradictoire susceptible d’appel dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile, mise à disposition au greffe,

DÉCLARONS irrecevable la demande en paiement de la somme de 22 103,77 euros formée par la Sarl Homelines représentée par son liquidateur judiciaire, la Selarl [L] & [W], prise en la personne de Me [M] [W],

REJETONS les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DISONS que les dépens de l’incident suivront le sort de ceux de l’instance au fond ;

RENVOYONS l’affaire à l’audience de mise en état électronique en date du 19 décembre 2024 ;

DISONS que la Selas Lexares, conseil de M. [F], devra conclure avant la date de ladite audience ;

Et la présente ordonnance a été signée par le Juge de la mise en état et le Greffier.

Le Greffier, Le Juge,


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