Prescription et Irrecevabilité : Les Limites du Droit à l’Action dans le Contexte d’un Prêt Immobilier

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Prescription et Irrecevabilité : Les Limites du Droit à l’Action dans le Contexte d’un Prêt Immobilier

Madame [X] [K] a assigné la banque NEUFLIZE OBC, Maître [W] [F], et la société MONASSIER ET ASSOCIES NOTAIRES ASSOCIES devant le tribunal judiciaire de Paris pour obtenir des dommages et intérêts en raison d’un manquement au devoir d’information et de conseil lors de la souscription d’un prêt de 5 300 000 euros. Elle a demandé la condamnation des défendeurs au paiement de 1 927 329,16 euros, ainsi que d’autres sommes pour préjudice moral et frais de justice. La société ABN AMRO BANK, ayant succédé à la banque NEUFLIZE, a demandé à intervenir, soulevant la nullité de l’assignation et l’irrecevabilité de l’action pour cause de prescription. Maître [F] et la société MONASSIER ont formulé des demandes similaires. Madame [K] a contesté ces arguments, affirmant que son action n’était pas prescrite. Lors de l’audience du 11 septembre 2024, les parties ont réitéré leurs positions, et le tribunal a mis l’affaire en délibéré. Dans son ordonnance du 17 octobre 2024, le juge a déclaré l’action de Madame [K] irrecevable, a reçu la société ABN AMRO BANK en intervention, et a condamné Madame [K] à payer des frais aux défendeurs.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
22/14724
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

5ème chambre 2ème section

N° RG 22/14724

N° MINUTE :

Assignation du :
06 Décembre 2022

IRRECEVABILITE

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 17 Octobre 2024

DEMANDEUR A L’INCIDENT

S.A. Banque Neuflize OBC
[Adresse 5] à [Localité 14]
[Localité 9]

ET

ABN AMRO BANK N.V,
[Adresse 11]
[Localité 2] (PAYS-BAS)

Succursale en France, agissant sous le nom commercial “Banque Neuflize OBC”, ayant son établissement principal [Adresse 3], [Localité 8],

Venant aux droits de la société anonyme Banque NEUFLIZE OBC

Partie intervenante

représentées par Maître Claire BOUSCATEL de l’ASSOCIATION BIARD BOUSCATEL, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0146

Madame [W] [F]
[Adresse 1] à [Localité 14]
[Localité 7]

ET

S.E.L.A.F.A. Monassier et associés notaires associés
[Adresse 1] à [Localité 14]
[Localité 7]

représentées par Maître Thomas RONZEAU, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0499

Décision du 17 Octobre 2024
5ème chambre -2ème section
N° RG 22/14724

DEFENDEURS A L’INCIDENT

Madame [X] [K]
[Adresse 4] à [Localité 14]
[Localité 7]

représentée par Maître Martine CHOLAY, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #B0242, et par Maître Frédéric PELTIER, Peltier Juvigny Marpeau & Associés, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Monsieur [O] [T]
[Adresse 6] à [Localité 14]
[Localité 9]

non représenté

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Monsieur Antoine DE MAUPEOU, Premier Vice-Président

assisté de Madame Fathma NECHACHE, greffière, lors des débats, et de Madame Célestine BLIEZ, greffière, lors de la mise à disposition.

DEBATS

A l’audience du 11 Septembre 2024 , avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 17 Octobre 2024.

ORDONNANCE

– Réputée contradictoire
– En premier ressort
– Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe

Vu l’assignation du 6 décembre 2022 aux termes de laquelle Madame [X] [K] a fait assigner la banque NEUFLIZE OBC, Maître [W] [F], Notaire et la société MONASSIER ET ASSOCIES NOTAIRE ASSOCIES devant le tribunal judiciaire de Paris pour obtenir :
La condamnation in solidum de la banque NEUFLIZE et de Maître [F] au paiement de la somme de 1 927 329,16 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement au devoir d’information et de conseil dans le cadre de la souscription d’un prêt de 5 300 000 euros par acte notarié du 3 mars 2011 par devant Maître [F], La compensation de cette somme avec sa dette au titre du prêt de 5 300 000 euros sous réserve du remboursement de la somme de 462 857,65 euros saisie sur ses comptes le 5 octobre 2021,
La condamnation in solidum de Maître [F] et de la banque NEUFLIZE au paiement de la somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, Que le jugement soit rendu opposable à Monsieur [O] [T], son ex-mari,La condamnation in solidum de Maître [F] et de la banque NEUFLIZE au paiement de la somme de 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ; Vu les dernières conclusions d’incident signifiées par voie électronique le 10 septembre 2024 aux termes desquelles la société ABN AMRO BANK, venant aux droits de la banque NEUFLIZE, demande à être reçue en son intervention volontaire, invoque la nullité de l’assignation, l’adresse de Madame [K] mentionnée sur cet acte étant sujette à caution, soulève l’irrecevabilité de l’action de Madame [K] pour cause de prescription, le contrat de prêt ayant été conclu le 3 mars 2011 et l’assignation ayant été délivré plus de cinq ans après la conclusions du contrat, et sollicite la condamnation de Madame [K] au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’incident ;
Vu les conclusions d’incident signifiées par voie électronique le 7 novembre 2023 aux termes desquelles Maître [F] et la société MONASSIER ET ASSOCIES NOTAIRES ASSOCIES s’en rapportent sur la demande en annulation de l’assignation, soulèvent l’irrecevabilité de l’action de Madame [K] pour les mêmes motif que la société ABN AMRO BANK, en situant le point de départ du délai de prescription au jour du contrat de prêt et, à défaut, au mois de mars 2016, et réclament la condamnation de Madame [K] au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’incident ;
Vu les dernières conclusions en réponse à l’incident signifiées par voie électronique le 22 juillet 2024 aux termes desquelles Madame [K] conclut au rejet de la demande en annulation de l’assignation, demande que l’examen de la fin de non-recevoir soit renvoyé devant la formation de jugement, sollicite le rejet de cette fin de non-recevoir au motif que son action n’est pas prescrite, situant le point de départ du délai de prescription de cinq ans le 28 janvier 2021, date à laquelle il lui a été proposé un échéancier pour rembourser le solde du prêt souscrit le 3 mars 2011, et réclame la condamnation in solidum de la société ABN AMRO BANK et de Maître [F] au paiement de la somme de 50 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’incident ;

Vu les débats à l’audience sur incident du 11 septembre 2024 lors de laquelle les parties ont réitéré les termes de leurs écritures et l’affaire a été mise en délibéré au 17 octobre 2024 ;

MOTIFS
Sur l’intervention volontaire de la société ABN AMRO BANK :
Il n’est pas contesté que la banque NEUFLIZE a été absorbée par la société ABN AMRO BANK par l’effet d’une fusion. Cette dernière, qui vient aux droits de la banque NEUFLIZE, est recevable à intervenir volontairement.

Sur la nullité de l’assignation :
Selon l’article 789 1° du code de procédure civile, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent pour statuer sur les exceptions de procédure.
La société ABN AMRO BANK fait valoir que l’adresse de Madame [K] figurant sur l’assignation, qui est / [Adresse 4] 75007 PARIS est différente de celle qu’elle a donné au cours d’une instance introduite par acte du 10 janvier 2023 devant le juge de l’exécution de Tarascon et qui est : [Adresse 13] à [Localité 10], que cela lui cause un grief dans la mesure où elle ne sait plus quelle est sa véritable adresse.
Selon l’article 54 3° a) du code de procédure civile, l’assignation doit mentionner, à peine de nullité, le domicile du demandeur.
Lorsque le demandeur a plusieurs adresses, il lui est loisible d’indiquer celle de son choix dans l’assignation qu’il fait délivrer du moment que cette adresse est exacte. Or, en l’espèce, il n’est pas démontré que l’adresse de Madame [K] figurant dans l’acte introductif d’instance qu’elle a fait délivrer est inexacte. Le fait que cette adresse est différente de celle qu’a donné Madame [K] dans le cadre d’une autre instance ne cause aucun grief à la société ABN AMRO BANK qui sait qu’elle a plusieurs adresses et qu’elle peut la contacter à l’une d’entre elles. Le fait que Madame [K] est, dans son assignation, donné une adresse différente de celle qu’elle a pu donner dans le cadre d’une procédure engagée devant le juge de l’exécution n’entraîne pas la nullité de son acte introductif d’instance.

Sur la fin de non-recevoir :
L’article 789 6° du code de procédure civile dispose que le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir. Il peut néanmoins renvoyer l’examen de la fin de non-recevoir dont il est saisi devant la formation de jugement du tribunal si la complexité du moyen soulevé ou l’avancement de l’instruction nécessitent que cet examen soit fait en même temps que celui du fond de l’affaire.
Le moyen soulevé par les demandeurs à l’incident n’étant pas complexe et l’état d’avancement de la procédure ne nécessitant pas que la fin de non-recevoir soit examinée par la formation de jugement du tribunal, l’examen de cette fin de non-recevoir ne sera pas renvoyé devant cette formation mais effectué par le juge de la mise en état.
Selon l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen tendant à faire déclarer une partie irrecevable en ses demandes sans examen au fond tel que le défaut d’intérêt à agir, le défaut de qualité à agir, la prescription, le délai préfixe et la chose jugée.
Selon l’article 2224 du code civil, les actions personnelles mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a eu connaissance ou aurait dû avoir eu connaissance des faits lui permettant de l’exercer.
En l’espèce, le 3 mars 2011, Monsieur [O] [T] et Madame [X] [K], son épouse à l’époque, ont contracté auprès de la banque NEUFLIZE un prêt in fine de 5 300 000 euros à échéance du 3 mars 2021 pour pouvoir verser la somme de 3 3 850 000 euros sur le compte courant d’une société suisse afin que celle-ci acquiert les 76/100èmes d’un chalet situé à [Localité 12] en Suisse et pour pouvoir prêter la somme de 1 440 000 euros à Monsieur et Madame [S] [T], parents de Monsieur [O] [T], dans le cadre d’un prêt familiale devant permettre à ces derniers d’acquérir les 24/100èmes de la propriété de ce chalet.
Le prêt était garanti par une hypothèque inscrite sur le [Adresse 13] situé à [Localité 10].
Le contrat de prêt familial a été signé le 22 mars 2011.
Il a été procédé à la vente des parts de la propriété du chalet fin 2012 au prix de 7 530 000 francs suisses, ce qui fait un peu plus de trois millions d’euros. Le fruit de cette vente a servi à rembourser partiellement le prêt de sorte qu’il restait 1 710 000 euros à rembourser.
Par courrier du 28 janvier 2021, la banque NEUFLIZE a proposé à Madame [K] une prorogation de la date d’échéance du prêt et un échéancier pour rembourser le solde.
Madame [K] a refusé cette prorogation et cet échéancier et a fait l’objet, par la suite de mesures d’exécution forcée.
Dans ses conclusions d’incident, elle fait valoir qu’elle pensait que le prêt avait été remboursé et elle reproche à la banque NEUFLIZE, aux droits de laquelle vient la société ABN AMRO BANK et à Maître [F], de ne pas l’avoir informée de ce qu’un solde restait à payer. Elle dit n’avoir été informé de cet élément qu’à réception du courrier du 28 janvier 2021.
Cependant, les griefs qui servent de fondement à ses demandes sont nécessairement formulés dans son assignation.

Dans son assignation, elle reproche à la banque NEUFLIZE, aux droits de laquelle vient la société ABN AMRO BANK, de lui avoir fait souscrire un prêt d’un montant disproportionné par rapport à l’opération financée, de lui avoir fait financer l’acquisition d’un bien immobilier par un tiers et de ne pas avoir matérialisé le remboursement partiel du prêt consécutif à la vente des parts dans le chalet par un contrat.
Elle reproche à Maître [F] de lui avoir fait signer le prêt de 5 300 000 euros alors que le prêt familial de 1 440 000 euros accordé à Monsieur et Madame [S] [T] n’avait pas été signé, de n’avoir pas décelé que sa signature avait été imité sur la procuration fournie lors de la signature du prêt familial et de lui avoir fourni une réponse évasive en 2016 lorsqu’elle l’a interrogée sur le remboursement du prêt de 5 300 000 euros.
S’agissant des griefs formulés à l’encontre de la banque NEUFLIZE, c’est, au plus tard, au moment de signer le prêt le 3 mars 2011 qu’elle aurait dû se rendre compte du caractère disproportionné de la somme empruntée en se renseignant sur la valeur du chalet avant de s’engager. C’est aussi au moment où elle a signé le prêt qu’elle a pu s’apercevoir qu’elle s’engageait à financer l’acquisition d’un immeuble par un tiers. C’est au moment du remboursement anticipé du prêt qu’elle aurait dû s’apercevoir que ce remboursement n’avait pas fait l’objet d’un contrat écrit. Dès lors, s’agissant de ces griefs, le point de départ du délai de prescription se situe au plus tard fin 2012.
Pour ce qui est des reproches faits à Maître [F], Madame [K] aurait dû s’apercevoir dès le 3 mars 2011 que le prêt de 500 000 euros qu’elle signait était destiné à financer un prêt familial non encore conclu.
S’agissant de l’imitation de sa signature sur la procuration présentée lors de la signature du prêt familiale, le délai de prescription court à compter de la date de la signature de ce prêt, c’est-à-dire le 22 mars 2011, à moins que Madame [K] n’indique, preuve à l’appui, à quelle date elle s’est aperçue de cette anomalie. Or, elle ne le fait pas. L’on doit donc considérer que la prescription court à compter du 22 mars 2011 en ce qui concerne le grief fait à Maître [F] de ne pas avoir relevé cette imitation de signature. En ce qui concerne la réponse évasive de ce notaire sur l’état de remboursement du prêt du 3 mars 2011, elle résulte d’un courrier électronique du 12 mars 2016 dans lequel il indique penser que le prêt a été remboursé mais « peut-être partiellement ? ». C’est à la réception de ce courrier que Madame [K] aurait dû s’apercevoir que Maître [F] avait manqué à son devoir d’information en répondant de la sorte. C’est donc à compter du 12 mars 2016 que court le délai de prescription de cinq ans prévu à l’article 2224 du code civil en ce qui concerne ce grief.
S’agissant des griefs faits à Maître [F], le point de départ se situe au plus tard le 12 mars 2016.
Il résulte de ce qui précède que l’action de Madame [K] a été intentée plus de cinq ans après les faits lui permettant de l’exercer. Elle donc irrecevable, étant prescrite.

Sur les demandes accessoires :
Il serait inéquitable de laisser à la charge des demandeurs à l’incident les frais non compris dans les dépens. En conséquence, Madame [K] sera condamnée à leur payer chacun la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS
Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance réputée contradictoire et en premier ressort,
REÇOIT la société ABN AMRO BANK recevable en son intervention volontaire,
DIT n’y avoir lieu à annuler l’assignation,
DIT n’y avoir lieu à renvoyer l’examen de la fin de non-recevoir soulevée par la société ABN AMRO BANK, Maître [W] [F] et la société MONASSIER ET ASSOCIES NOTAIRES ASSOCIES devant la formation de jugement du tribunal,
DÉCLARE Madame [X] [K] irrecevable en son action,
La condamne à payer à la société ABN AMRO BANK, à Maître [W] [F] et à la société MONASSIER ET ASSOCIES NOTAIRES ASSOCIES la somme de 1 000 euros chacun en application de l’article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens.

Faite et rendue à Paris le 17 Octobre 2024;
Le Greffier Le Juge de la mise en état
Célestine BLIEZ Antoine DE MAUPEOU


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