La société Entreprise Jean Lefebvre Méditerranée (EJL), filiale d’Eurovia, exploite une carrière et a commandé un crible horizontal à la société Bonnet Frères, spécialisée dans la fourniture de matériels pour carrières. Après des dysfonctionnements de l’engin, EJL a assigné Bonnet devant le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence, demandant la résiliation de la vente et une indemnisation. Bonnet a soulevé une exception d’incompétence, invoquant une clause attributive de compétence. Le tribunal a déclaré l’exception recevable mais a maintenu sa compétence sur le fond. Bonnet a fait appel de cette décision. Les conclusions des parties ont été échangées, avec EJL demandant la confirmation du jugement et Bonnet cherchant à infirmer la décision. La cour a finalement confirmé le jugement initial, condamnant Bonnet aux dépens d’appel et rejetant sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
|
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Chambre 3-3
ARRÊT SUR COMPETENCE
DU 17 OCTOBRE 2024
N° 2024/117
N° RG 22/12988 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BKC57
S.A.S. BONNET FRERES
C/
Société ENTREPRISE JEAN LEFEBVREMEDITERRANEE EJL MEDITERRANEE
S.A. GENERALI IARD
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Philippe BRUZZO
Me Isabelle FICI
Me Christine MONCHAUZOU
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce d’Aix-en-Provence en date du 30 Mai 2022 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 2021003106.
APPELANTE
S.A.S. BONNET FRERES, représentée par son président,
dont le siège social est sis [Adresse 2] – [Localité 5]
représentée par Me Philippe BRUZZO de la SELAS SELAS BRUZZO DUBUCQ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
assistée de Me Thomas BEAUCHAMP, avocat au barreau de NANTES, plaidant, substituant Me Bernard RINEAU de la SELARL RINEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de NANTES
INTIMEES
SAS ENTREPRISE JEAN LEFEBVRE MEDITERRANEE EJL MEDITERRANEE, prise en la personne de son représentant légal,
dont le siège social est sis[Adresse 8]e – [Localité 1]
représentée par Me Isabelle FICI de la SELARL CABINET LIBERAS-FICI & ASSOCIÉS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
assistée de Me Georges GOMEZ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, plaidant
S.A. GENERALI IARD prise en la personne du président de son conseil d’administration
dont le siège social est sis [Adresse 3] – [Localité 4]
représentée par Me Christine MONCHAUZOU de la SCP TROEGELER – GOUGOT – BREDEAU- TROEGELER – MONCHAUZOU, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe DELMOTTE, Président, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Philippe DELMOTTE, Président
Madame Françoise PETEL, Conseillère
Madame Françoise FILLIOUX, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe, après prorogation, le 17 Octobre 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Octobre 2024
Signé par Monsieur Philippe DELMOTTE, Président et Madame Laure METGE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
La société Entreprise Jean Lefebvre Méditerranée (la société EJL), filiale de la société Eurovia, qui a son siège social à [Localité 6] (13), exploite une carrière sur ce site.
La société Bonnet Frères (la société Bonnet), assurée auprès de la société Génerali IARD, qui a son siège social à [Localité 7] (79), est spécialisée dans la fourniture de matériels pour carrières et sablières, notamment des cribles horizontaux ou inclinés.
Au cours du mois de décembre 2017, la société EJL, désireuse de procéder au changement d’un crible, s’est adressée à la société Bonnet auprès de laquelle elle avait déjà acquis, le 10 avril 2017, deux autres cribles.
Le 15 décembre 2017, la société Bonnet a adressé à la société Eurovia une offre relative à un crible horizontal de type CHDB 7021-D 14,7 m2 équipé de trois claies, avec débit de 650 tonnes/heure de 0,80, pour la somme totale HT de 129 290HT, ramené à 121 500€ HT, hors options, et pour la somme totale de 135 000€ HT avec options.
Après analyse de cette offre, la société Eurovia a, le 14 mai 2018, commandé pour le compte de sa filiale, la société EJL, un crible horizontal de type CHDB 7021-D 14,7 m2 équipé de trois claies, pour un prix total de 129 500€ HT.
Cette commande a été exécutée, le nouveau crible ayant été mis en service le 17 avril 2019.
A la suite de dysfonctionnements de l’engin et de plusieurs interventions de la société Bonnet entre le 3 mai et le 22 août 2019, la société EJL a assigné celle-ci devant le juge des référés du tribunal de commerce d’Aix-en-Povence lequel a ordonné une expertise par ordonnance du 27 septembre 2019. Les opérations d’expertise ont été déclarées communes à la société Giron, la société de montage industriel du Languedoc et la société Eurovia par ordonnance de référé du 7 octobre 2019.
Par ordonnance du 23 décembre 2020, le juge des référés a déclaré communes les opérations d’expertise à la société Generali tandis que l’expert s’est vu confier une mission complémentaire pour fournir tous éléments d’appréciation des préjudices éventuels subis par la société EJL.
Par actes d’huissier des 7 et 8 avril 2021, la société EJL a assigné la société Bonnet et son assureur devant le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence aux fins de résiliation de la vente aux torts exclusifs de la société Bonnet et d’indemnisation de ses dommages.
Se prévalant de la clause attributive de compétence insérée dans ses conditions générales de vente, la société Bonnet a soulevé avant toute défense au fond l’incompétence du tribunal de commerce d’Aix-en Provence au profit du tribunal de commerce de Niort.
Par jugement du 30 mai 2022, le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence a déclaré recevable l’exception d’incompétence soulevée par la société Bonnet, s’est déclaré compétent pour juger l’affaire sur le fond, a débouté la société Bonnet de sa demande de sursis à statuer, débouté la société EJL de sa demande de dommages et intérêts, dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile, réservé les dépens et a rouvert les débats à une audience ultérieure.
Par déclaration du 30 septembre 2022, la société Bonnet a relevé appel de ce jugement.
Suivant ordonnance du 12 octobre 2022, le magistrat délégué du Premier président de cette cour a autorisé la société Bonnet à assigner les sociétés EJL et Generali IARD à jour fixe.
Vu les conclusions du 22 mars 2023 de la société Bonnet demandant à la cour
– d’infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté l’exception d’incompétence qu’elle a soulevée, a déclaré le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence territorialement compétent, l’a déboutée de ses demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens
– de dire que ses conditions générales de vente sont opposables à la société EJL
– de réputer non écrite et inopposable la clause attributive de compétence invoquée par la société EJL
– de déclarer territorialement incompétent le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence
– de renvoyer l’affaire et les parties devant le tribunal de commerce de Niort
– de condamner la société EJL à lui payer la somme de 5000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens de première instance et d’appel.
Vu des conclusions du 17 février 2023 de la société EJL demandant à la cour
– de confirmer le jugement
– de condamner la société Bonnet à lui verser la somme de 5000€ au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
– de rejeter toutes demandes, fins et conclusions, contraire à ses écritures et, notamment les demandes formulées par toutes autres parties en la cause visant à voir la décision dont appel être réformée par le biais d’appels incidents (ou improprement qualifiés tels) et/ou à la voir tenue de relever et garantir ces parties des condamnations qui seraient mises à leur charge
– de constater qu’elle se réserve le droit de répliquer à tout appel incident et à toutes demandes qui seraient, dans ce cadre, formées à son endroit
– de rejeter toutes demandes, fins et conclusions contraire à ses écritures.
Vu les conclusions du 9 mars 2023 de la société Generali IARD demandant à la cour
– de lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte à justice sur l’exception territoriale soulevée par la société Bonnet et, partant, sur la demande d’infirmation du jugement
– de lui donner acte de ce qu’elle conclura sur sa garantie (non acquise) devant le tribunal compétent
– de statuer ce que de droit sur les dépens
Il est constant que les conditions générales de vente de la société Bonnet sont annexées à l’offre qu’elle a délivrée le 15 décembre 2017, l’offre mentionnant expressément au pied de chaque page un renvoi auxdites conditions générales ; l’article 11 de ces conditions prévoit que ‘tout différend au sujet de l’application des présentes conditions générales de vente et de leur interprétation, de leur exécution et des contrats de vente conclus par la société Bonnet Frères, ou au paiement du prix, sera porté devant le tribunal de commerce du siège de la société’, en l’occurrence Niort.
Même si cette offre n’est pas signée, elle s’est intégrée dans le champ contractuel dès lors que la commande du 14 mai 2018 y fait expressément suite, mention étant portée ‘suite à votre offre n° 4121-2 du 15 décembre 2017″ et reprend les caractéristiques du crible qui y sont récapitulées comme le prix pour les fournitures et prestations, incluant le choix d’une seconde option relative à la protection des cadres de grilles à concurrence de 8000€.
Toutefois, cette commande à laquelle est annexé un descriptif technique, n’est pas la reproduction servile des termes de l’offre puisque la société Eurovia, agissant pour le compte de sa filiale la société EJL, y a intégré nombre de contraintes techniques pesant sur le fournisseur, des modalités d’exécution et des délais, soumis à pénalités éventuelles ainsi que des conditions de garanties qui peuvent s’avérer distinctes de celles prévues dans les conditions générales de vente de la société Bonnet laquelle conteste d’ailleurs nombre de dispositions qui y figurent.
Cette commande, qui a été exécutée par la société Bonnet, comprend elle aussi une clause attributive de compétence rédigée, dans des caractères identiques au reste de la commande, comme suit : ‘ article 11. Reglement des litiges : tout litige portant sur l’interprétation ou l’exécution du présent marché et qui ne pourrait être résolu à l’amiable sera de la compétence du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence’.
En présence de deux sociétés commerciales, qui ont déjà entretenu des relations d’affaires avant le présent litige et qui ont entendu fonder la vente du crible tant sur termes de l’offre de la société Bonnet que sur les termes de la commande de la société Eurovia agissant pour le compte de sa filiale la société EJL, les deux clauses attributives de compétence litigieuses, qui figurent de façon claire dans ces instruments contractuels, sont inconcliables et doivent s’annuler mutuellement.
En pareille hypothèse, la compétence territoriale est régie par les textes de droit commun du code de procédure civile.
C’est donc à bon droit que le jugement attaqué a retenu la compétence territoriale du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence, compétent à raison du lieu de livraison effective de la chose commandée, situé à Chateauneuf-les-Martigues (13), dans son ressort, en vertu de l’article 46 du code de procédure civile.
Le jugement déféré sera donc confirmé dans toutes ses dispositions.
Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions ;
Condamne la société Bonnet Frères aux dépens d’appel ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Bonnet Frères, la condamne à payer à la société Entreprise Jean Lefebvre Méditerranée la somme de 3000€.
LE GREFFIER LE PRESIDENT