Prêts immobiliers et obligations des emprunteurs : enjeux de la mise en garde et de la prescription

·

·

Prêts immobiliers et obligations des emprunteurs : enjeux de la mise en garde et de la prescription

M. [T] [W] et Mme [F] [K] ont ouvert un compte de dépôt à vue auprès de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France le 9 mars 2016. Ils ont ensuite contracté deux prêts immobiliers, l’un de 185’722 euros et l’autre de 78’605 euros, avec des mensualités respectives de 917,95 euros et 382,93 euros. Des impayés ont conduit le Crédit agricole à mettre en demeure les emprunteurs, puis à provoquer la déchéance du terme des prêts en janvier 2022, réclamant un total de 253’776,87 euros.

Le tribunal judiciaire de Blois a rendu un jugement le 6 septembre 2022, condamnant M. [W] et Mme [K] à payer des sommes spécifiques pour chaque prêt, ainsi qu’un solde débiteur de leur compte joint, et a accordé des intérêts et des frais de justice au Crédit agricole. M. [W] et Mme [K] ont interjeté appel, contestant le jugement et demandant son annulation, ainsi que des dommages et intérêts pour abus de crédit.

Le Crédit agricole a demandé la confirmation du jugement en appel. À l’audience, une erreur matérielle dans le jugement initial a été relevée, et la cour a décidé de la rectifier. Finalement, la cour a rejeté les demandes de M. [W] et Mme [K], confirmé le jugement de première instance, et condamné les emprunteurs à payer des frais supplémentaires au Crédit agricole.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 octobre 2024
Cour d’appel d’Orléans
RG
22/02461
COUR D’APPEL D’ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 17/10/2024

Me Nelly GALLIER

la SCP LAVAL – FIRKOWSKI – DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES

ARRÊT du : 17 OCTOBRE 2024

N° : 233 – 24

N° RG 22/02461

N° Portalis DBVN-V-B7G-GVJK

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BLOIS en date du 06 Septembre 2022

PARTIES EN CAUSE

APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°:1265280128388017

Madame [F] [K]

née le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 9]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Ayant pour avocat Me Nelly GALLIER, avocat au barreau de BLOIS

Monsieur [T] [W]

né le [Date naissance 4] 1980 à [Localité 8]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Ayant pour avocat Me Nelly GALLIER, avocat au barreau de BLOIS

D’UNE PART

INTIMÉE : – Timbre fiscal dématérialisé N°:1265290630575204

Société coopérative agricole CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL VAL DE FRANCE

Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social

[Adresse 3]

[Localité 5]

Ayant pour avocat postulant Me Olivier LAVAL, membre de la SCP LAVAL – FIRKOWSKI – DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d’ORLEANS, et pour avocat plaidant Me Julien BERBIGIER, membre de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS

D’AUTRE PART

DÉCLARATION D’APPEL en date du : 21 Octobre 2022

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 04 Juillet 2024

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l’audience publique du JEUDI 05 SEPTEMBRE 2024, à 9 heures 30, devant Madame Fanny CHENOT, Conseiller Rapporteur, par application de l’article 805 du code de procédure civile.

Lors du délibéré :

Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS,

Madame Fanny CHENOT, Conseiller,

Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller,

Greffier :

Monsieur Axel DURAND, Greffier lors des débats,

Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier lors du prononcé.

ARRÊT :

Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le JEUDI 17 OCTOBRE 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE :

Selon convention du 9 mars 2016, M. [T] [W] et Mme [F] [K] ont ouvert en les livres de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France (le Crédit agricole) un compte de dépôt à vue.

Selon offre préalable acceptée le 27 avril 2016, le Crédit agricole a accordé à M. [W] et Mme [K] un prêt immobilier (n° 10000101650) d’un montant de 185’722’euros remboursable en 239 mensualités de 917,95 euros suivies d’une dernière mensualité de 918,86 euros, incluant les intérêts au taux conventionnel de 1,75’% l’an.

Selon offre préalable acceptée le 6 octobre 2016, le Crédit agricole a accordé à M. [W] et Mme [K] un second prêt immobilier (n° 10000113023) d’un montant de 78’605’euros remboursable en 239 mensualités de 382,93 euros suivies d’une dernière mensualité de 383,15 euros, incluant les intérêts au taux conventionnel de 1,60’% l’an.

Des échéances de ces deux prêts étant restées impayées tandis que le compte de dépôt des emprunteurs présentait un solde débiteur, le Crédit agricole a vainement mis en demeure chacun de M. [W] et de Mme [K] de régulariser la situation sous peine de résiliation de ses concours par courriers du 23 novembre 2021 adressés sous plis recommandés présentés le 26 novembre suivant.

Le Crédit agricole a provoqué la déchéance du terme des deux prêts immobiliers le 5 janvier 2022 et mis en demeure chacun de M. [W] et Mme [K], par courriers recommandés du même jour présentés le 6 janvier suivant, de lui payer la somme totale de 253’776,87’euros.

Par actes des 15 et 31 mars 2022, le Crédit agricole a respectivement fait assigner M. [W] et Mme [K] en paiement devant le tribunal judiciaire de Blois qui, par jugement réputé contradictoire du 6 septembre 2022, a’:

– condamné solidairement Mme [F] [K] et M. [T] [W] à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de Loire’:

-la somme de 166’569,39 euros au titre du prêt n° 10000101650, laquelle sera assortie des intérêts au taux contractuel de 1,75 % l’an à compter du 17 février 2022 et jusqu’à parfait paiement, outre celle de 1 euro au titre de la clause pénale, – la somme de 69’111,27 euros au titre du prêt n° 10000113023, laquelle sera assortie des intérêts au taux contractuel de 1,60 % à compter du 17 février 2022 et jusqu’à parfait paiement, outre celle de 1 euro au titre de la clause pénale,

– la somme de 1’822,26 euros au titre du solde débiteur du compte joint de dépôt à vue n° 90006241793, avec intérêts au taux légal à compter du I7 février 2022,

– dit que les intérêts échus, dus au moins pour une aimée entière, produiront intérêt,

– condamné solidairement Mme [F] [K] et M. [T] [W] à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de Loire une indemnité de 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de Loire de ses autres demandes,

– condamné solidairement Mme [F] [K] et M. [T] [W] aux dépens de l’instance,

– rappelé que Mme [F] [K] et M. [T] [W] seront tenus d’assumer les frais d’exécution forcée en application de l’article L. 111-8 du code des procédures civiles d’exécution,

– rappelé que le présent jugement est exécutoire de droit à titre provisoire.

M. [W] et Mme [K] ont relevé appel de cette décision par déclaration du 21 octobre 2022, en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause leur faisant grief.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 12 juillet 2023, M. [W] et Mme [K] demandent à la cour de’:

– déclarer recevable et bien fondé l’appel interjeté par Mme [F] [K] et M.[T] [W] à l’encontre du jugement rendu par le tribunal Judiciaire de Blois le 6 septembre 2022,

– juger nul et de nul effet l’acte introductif d’instance qui leur a été délivré par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France le 31 mars 2022,

En conséquence,

– annuler le jugement rendu le 6 septembre 2022 sur l’intégralité des chefs tels que visés dans la déclaration d’appel,

– renvoyer le Crédit agricole mutuel Val de France à mieux se pourvoir,

En tout état de cause,

– infirmer ledit jugement sur tous les chefs visés dans la déclaration d’appel,

– juger prescrite l’action introduite par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France,

– débouter la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples et contraires celles-ci étant prescrites,

Subsidiairement,

– condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France à verser à Mme [F] [K] et M. [T] [W] la somme de 237’000 euros à titre de dommages et intérêts pour concours abusif de crédit,

– ordonner la compensation entre les dommages et intérêts alloués à Mme [K] et M. [W] avec les sommes restant éventuellement dues au titre des contrats de prêt,

– débouter la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples et contraires,

Plus subsidiairement,

– prononcer la déchéance du droit aux intérêts,

A titre «’éminemment’» subsidiaire,

– accorder à Mme [K] et M. [W] les plus larges délais de paiement prévus par la loi,

– débouter la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples et contraires,

En tout état de cause,

– condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France à verser à Mme [K] et M. [W] la somme de 3’000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction pour ces derniers au profit de Maître N. Gallier, avocat.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 19 juin 2024, le Crédit agricole demande à la cour de’:

Vu les articles 1905 et suivants du code civil,

Vu les anciennes dispositions de l’article 1134 du même code (devenus articles 1103 et 1104 depuis l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016),

– juger Mme [F] [K] et M. [T] [W] mal fondés en l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

– par suite, débouter Mme [F] [K] et M. [T] [W] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

– confirmer le jugement entrepris rendu le 6 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Blois en toutes ses dispositions,

Et y ajoutant :

– condamner Mme [F] [K] et M. [T] [W] à régler à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France la somme de 3’000’euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [F] [K] et M. [T] [W] aux entiers dépens d’appel.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 4 juillet 2024, pour l’affaire être plaidée le 5 septembre suivant et mise en délibéré à ce jour.

A l’audience, la cour a observé que, dans son dispositif, le jugement déféré ne se prononce pas à l’endroit de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France qui avait saisi le tribunal, mais de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel «’Val de Loire’», que cette erreur lui apparaissait comme une erreur purement matérielle qu’elle envisageait de rectifier puisqu’elle en est saisie par l’effet dévolutif et a autorisé les parties à présenter le cas échéant leurs observations au moyen d’une note en délibéré à transmettre contradictoirement sous quinzaine.

Par message transmis par voie électronique le 23 septembre 2024, le Crédit agricole a indiqué s’en rapporter à justice.

M. [W] et Mme [K] n’ont formulé aucune observation dans le délai imparti.

SUR CE, LA COUR :

Sur la demande d’annulation de l’assignation délivrée en première instance :

Au soutien de leur demande d’annulation de l’assignation, Mme [K] et M. [W] expliquent qu’aucun d’eux n’a été destinataire de l’assignation qui leur était destinée et qui n’est toujours pas versée aux débats, qu’ignorant tout de la procédure diligentée contre eux devant le tribunal judiciaire de Blois, ils n’ont pas été en mesure d’organiser leur défense en sorte que, sauf à les priver du double degré de juridiction, la cour devra annuler le jugement déféré et renvoyer la Caisse de crédit agricole à mieux se pourvoir.

Le Crédit agricole produit en pièce 20 l’assignation délivrée à chacun de M. [W] et de Mme [K] les 15 et 31 mars 2022, laquelle figure également au dossier qui a été transmis à la cour en application de l’article 968 du code de procédure civile.

Le procès-verbal de signification relate les diligences que le commissaire de justice a accomplies pour tenter de remettre ces actes à chacun de leurs destinataires, conformément aux dispositions de l’article 655 du code de procédure civile, puis mentionne, conformément aux dispositions de l’article 656 du même code, les vérifications qu’il a faites pour vérifier le domicile de chacun de Mme [K] et de M. [W].

Le commissaire de justice atteste enfin, sur chacun de ces procès-verbaux de signification, qu’un avis de passage a été laissé au domicile respectif de chacun de M. [W] et de Mme [K], puis qu’une lettre portant les mêmes mentions que l’avis de passage a été adressée les 16 mars et 1er avril 2022 à chacun de M. [W] et de Mme [K], le tout conformément aux exigences des articles 656 et 658 du code de procédure civile.

C’est donc sans sérieux que les appelants soutiennent ne pas avoir été en mesure d’organiser leur défense en première instance et affirment dans leurs dernières conclusions notifiées à hauteur d’appel, en contradiction avec les productions, que les conditions de délivrance de l’assignation, comme les diligences accomplies par le commissaire de justice, resteraient «’totalement ignorées’» d’eux.

Leur demande de nullité de l’assignation sera dès lors écartée.

Sur la demande d’annulation du jugement déféré :

Au soutien de leur demande d’annulation de jugement, qu’ils fondent sur les dispositions des articles 455 et 558 du code de procédure civile, Mme [K] et M. [W] affirment que, dans l’exposé du litige, le jugement en cause se borne à faire référence à l’assignation dont ils n’ont toujours pas eu connaissance ainsi qu’aux pièces produites au soutien des demandes puis que, dans les motifs de ce jugement, il est indiqué que les demandes plus amples formulées par le Crédit agricole sont rejetées. Ils en déduisent, sans davantage d’explications, que le jugement déféré «’viole manifestement les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile’».

L’article 455 du code de procédure civile énonce que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens et doit être motivé. Depuis le décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998, entré en vigueur le 1er mars 1999, il est précisé que l’exposé des prétentions des parties et de leurs moyens peut revêtir la forme d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date.

Au cas particulier, M. [W] et Mme [K] n’ayant pas comparu, le premier juge a statué sur les prétentions et moyens que le Crédit agricole avait formulés dans son assignation, et a satisfait à l’obligation d’exposer ceux-ci en visant expressément dans l’exposé du litige l’assignation et la date de sa délivrance.

Dans sa motivation, le premier juge a rappelé la teneur du texte sur lequel étaient fondées et examinées les demandes de la Caisse de crédit agricole (article 1134 ancien du code civil), examiné les deux contrats de prêts conclus entre les parties en explicitant leurs principales caractéristiques, vérifié l’exigibilité de la créance de la Caisse de crédit agricole en se référant à la mise en demeure et au courrier emportant déchéance du terme, puis calculé le montant de la créance de ladite Caisse en examinant les décomptes produits et les tableaux d’amortissement.

C’est dès lors sans fondement que les appelants reprochent au premier juge d’avoir méconnu les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

Leur demande de nullité du jugement sera en conséquence rejetée.

Sur l’erreur matérielle affectant le jugement déféré :

Aux termes de l’article 462 du code de procédure civile, les erreurs matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande.

Au cas particulier M. [W] et Mme [K] ont contracté avec la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France, qui les a assignés en paiement devant le tribunal judiciaire de Blois et c’est par erreur que, après avoir rappelé dans l’exposé du litige que celui-ci concernait M. [W] et Mme [K] d’une part, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel ‘Val de France’ d’autre part, le premier juge a prononcé dans son dispositif des condamnations au profit de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel ‘Val de Loire’.

Cette erreur étant purement matérielle, la décision sera rectifiée par la cour en application du texte précité.

Sur la prescription :

Au dispositif de leurs dernières écritures, tout en demandant de «’juger prescrite l’action du Crédit agricole’», les appelants demandent à titre principal à la cour de «’débouter’» le Crédit agricole, ce qui signifie rejeter, au fond, les demandes de l’intimé.

Même à admettre que ces prétentions puissent s’entendre comme la formulation d’une fin de non-recevoir, M. [K] et Mme [W] n’offrent nullement d’établir la prescription qu’ils invoquent, mais se contentant de rappeler les termes de l’article L. 218-2 du code de la consommation, puis d’affirmer que les pièces communiquées par le Crédit agricole ne permettent pas de déterminer «’à partir de quelle date ils ont rencontré des difficultés de remboursement de leurs prêts’».

Selon l’article L. 137-2, devenu l’article L. 218-2, du code de la consommation, l’action des professionnels pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs se prescrit par deux ans.

En l’absence de dispositions spéciales relatives à la prescription de l’action des professionnels en matière de crédit immobilier, cet article issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 s’applique à l’action en paiement du solde d’un prêt immobilier souscrit par un consommateur.

Le point de départ de ce délai de prescription doit être fixé conformément aux dispositions de l’article 2257 ancien du code civil, devenu l’article 2233, qui énonce que la prescription ne court pas, à l’égard d’une créance à terme, jusqu’à ce que ce terme soit arrivé.

Il en résulte, pour un prêt remboursable à échéances périodiques, c’est-à-dire pour une dette payable par termes successifs, que la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéances successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité.

En l’espèce, la déchéance du terme des deux prêts litigieux a été prononcée le 5 janvier 2022, de sorte que le délai biennal de prescription de l’action en paiement du capital restant dû pour chacun des deux prêts a commencé à courir à cette date, nettement moins de deux ans avant les assignations en paiement qui ont été délivrées à chacun des emprunteurs solidaires dès les 15 et 31 mars 2022.

Sans qu’importe la date à partir de laquelle Mme [K] et M. [W] ont rencontré «’des difficultés de remboursement de leurs prêts’», mais seulement la date des premières échéances de ces prêts restées impayées, les pièces produites par le Crédit agricole, notamment les décomptes communiqués en pièces 5 à 8, établissent sans doute possible que les premières échéances impayées non régularisées de chacun des deux prêts litigieux, qui marquent le point de départ de l’action en paiement des mensualités impayées, sont celles du 15 octobre 2020.

Dès lors qu’il ne s’est pas écoulé deux ans avant la délivrance des assignations en paiement, en mars 2022, la demande tendant à voir juger prescrite l’action du Crédit agricole ne peut qu’être écartée.

Sur le fond :

– sur la demande de déchéance des intérêts tirée d’une inexactitude du taux effectif global (TEG) résultant d’un calcul des intérêts sur la base d’une année bancaire de 360 jours

Le Crédit agricole, qui invoque dans le corps de ses écritures la prescription de la demande de déchéance des intérêts des appelants, ne reprend pas cette fin de non-recevoir dans le dispositif de ses dernières écritures.

La cour n’est donc saisie d’aucune fin de non-recevoir tirée de la prescription de cette demande de déchéance des intérêts (v. par Civ. 1, 2 février 2022, n° 19-20,640), étant précisé à titre surabondant que la demande de déchéance des intérêts, qui n’est pas une demande d’annulation de la stipulation d’intérêts mais qui tend seulement au rejet de la demande en paiement des intérêts au taux contractuel formée par la banque constitue un moyen de défense au fond, sur laquelle la prescription est sans incidence.

Sur le fond de cette demande, les appelants affirment sans aucune offre de preuve, alors que le Crédit agricole démontre le contraire, qu’il ressortirait des tableaux d’amortissement que les intérêts ont été calculés sur la base d’une année de 360 jours, et soutiennent pareillement sans le moindre justificatif que le taux effectif global serait erroné et que cette inexactitude leur aurait causé un préjudice.

La demande de déchéance des intérêts ne peut dès lors qu’être écartée.

En l’absence d’autre contestation sur le montant de la créance du Crédit agricole, le jugement déféré sera confirmé en tous ses chefs portant condamnation solidaire de M. [W] et Mme [K] à régler à l’intimé le solde de leurs deux prêts immobiliers, ainsi que celui de leur compte de dépôt.

– sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts tirée d’un manquement du prêteur à son devoir de mise en garde

En application de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le banquier dispensateur de crédit est tenu d’un devoir de mise en garde envers l’emprunteur non averti, ou lorsqu’il a sur ses revenus, son patrimoine et ses facultés de remboursement raisonnablement prévisibles, en l’état du succès escompté de l’opération financée, des informations que lui-même ignorait.

La responsabilité du banquier peut donc être engagée pour manquement à ce devoir à raison de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur ou du risque d’endettement excessif né de l’octroi du prêt, lesquels s’apprécient à la date de l’engagement.

Il s’ensuit que le prêteur n’est tenu d’aucun devoir de mise en garde si la charge de remboursement du prêt n’excède pas les facultés contributives de son client ou si ce dernier est un emprunteur averti.

Au cas particulier, le Crédit agricole ne conteste pas que les appelants, qui n’avaient aucune expérience du crédit, étaient des emprunteurs non avertis.

Pour instruire la demande de financement, le Crédit agricole a recueilli un certain nombre d’éléments qu’il a consignés dans le dossier de demande de crédit qu’il verse aux débats avec les justificatifs sollicités.

Il en résulte qu’à l’époque de la souscription du premier prêt litigieux destiné à financer l’acquisition de leur résidence principale, en avril 2016, Mme [K], adjoint technique communal à [Localité 10] (41), percevait un traitement net d’environ 1’458 euros et que M. [W], auparavant ouvrier spécialisé intérimaire, venait d’être embauché comme fraiseur sur commande numérique dans par une entreprise des Deux-Sèvres (79), en vertu d’un contrat à durée indéterminée conclu le 3 mars 2016, sans période d’essai, dans lequel son salaire brut était fixé à 2’100 euros sur 13 mois, ce qui représente un salaire mensuel net moyen de l’ordre de 1’777’euros.

Le couple avait alors deux enfants à charge et M. [W], qui affirme qu’il ne percevait que des indemnités de Pôle emploi d’un montant de 1’000 euros n’en justifie pas et n’explique pas, si tel était le cas, les raisons pour lesquelles il avait alors remis au Crédit agricole le contrat de travail que celui-ci produit aux débats.

Des éléments produits, il résulte qu’à la date de souscription du premier prêt, la charge de l’emprunt proposé par le Crédit agricole à M. [W] et Mme [K], remboursable sur 20 ans par mensualités de 1’012 euros, primes d’assurances comprises, absorbait environ 31,30’% de leurs revenus.

Un tel taux d’endettement n’est pas excessif en soi.

Dès lors que les appelants n’établissent pas que, pour des raisons particulières, cette charge d’emprunt aurait excédé leurs facultés contributives, ils ne démontrent pas que le Crédit agricole aurait été tenu à leur égard d’un devoir de mise en garde et ne peuvent qu’être déboutés de leur demande indemnitaire liée à la souscription de ce premier prêt.

En octobre 2016, lors de la conclusion du second prêt immobilier destiné à financer l’acquisition et des travaux d’amélioration d’une résidence secondaire à usage locatif, la situation professionnelle de Mme [K] n’avait pas changé.

M. [W] achevait une formation rémunérée par Pôle emploi à hauteur 1’000 euros, ce à la demande de son nouvel employeur qui avait attesté qu’à compter du 3 octobre 2016, il retrouverait un salaire mensuel net de 1’800 euros.

La charge du nouvel emprunt proposé par le Crédit agricole, remboursable lui aussi sur 20 années, par mensualités de 404’euros, primes d’assurances incluses, portait le taux d’endettement de M. [W] et Mme [K] à plus de 43’%.

Pour assurer que ce prêt ne générait pas de risque d’endettement excessif, le Crédit agricole explique que l’immeuble financé est un gîte situé à proximité du zoo de [Localité 7] et qu’il a en conséquence pris en considération les revenus locatifs escomptés de l’opération, tels qu’il en avait été justifié par M. [W] et Mme [K].

Le Crédit agricole produit en effet aux débats, en pièce 19, les dix justificatifs de réservations que lui avaient communiqués Mme [K] et M. [W], dont il résulte que, déduction faite de la commission à verser à l’organisme intermédiaire, les revenus escomptés du gîte ont été évalués sur les bases suivantes’:

– réservation du 09/09/2016 pour la période du 9 au 10 septembre 2016′: 156 euros

– réservation du 11/09/2016 pour la période du 14 au 15 septembre 2016′: 140 euros

– réservation à une date inconnue pour la période du 20 au 23 septembre 2016′: 292 euros

– réservation du 14/09/2016 pour la période du 19 au 22 octobre 2016′: 292 euros

– réservation du 18/09/2016 pour la période du 23 au 25 octobre 2016′: 224 euros

– réservation du 18/09/2016 pour la période du 25 au 27 octobre 2016′: 224 euros

– réservation du 15/09/2016 pour la période du 27 au 28 octobre 2016′: 156 euros

– réservation du 12/09/2016 pour la période du 27 au 30 décembre2016′: 292 euros

– réservation du 09/09/2016 pour la période du 3 au 5 juillet 2017′: 241 euros

– réservation du 21/09/2016 pour la période du 3 au 8 avril 2017′: 470,50 euros

Le Crédit agricole n’explique pas comment, à partir de ces justificatifs, il a pu estimer à 916 euros par mois les revenus locatifs des candidats à l’emprunt.

Il apparaît néanmoins qu’à la date à laquelle il a émis son offre de prêt, le 22 septembre 2016, les réservations déjà enregistrées pour la période du mois de septembre représentaient environ 590 euros pour trois week-ends et que les réservations pour les vacances scolaires de Toussaint qui étaient proches représentaient presque 900 euros pour huit jours de ces vacances qui en comptent presque le double.

Les justificatifs de réservations qu’avaient produits les appelants montrent que, hors frais de ménage et de linge, le gîte était loué, déduction faite de la commission de l’intermédiaire de 15’%, 65 euros par nuit.

Sur la base très raisonnable d’une location à raison de la moitié des vacances scolaires et de la moitié des week-ends des mois de juin et septembre, périodes durant lesquelles les visiteurs du zoo de [Localité 7] sont les plus nombreux, les revenus locatifs du gîte pouvaient être estimés, hors rémunération du ménage et de la fourniture de linge, à un peu plus de 4’500 euros par an.

Dès lors que, même selon une analyse prudente, les revenus locatifs tirés du gîte apparaissaient comme au moins égaux, voire supérieurs au montant des échéances du prêt que le Crédit agricole proposait à M. [W] et Mme [K] de souscrire pour financer l’acquisition de ce gîte, les appelants échouent à démontrer que ce second prêt faisait naître un risque d’endettement excessif contre lequel le Crédit agricole aurait dû les mettre en garde.

Ils ne peuvent qu’être déboutés, en conséquence, de l’intégralité de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts.

Sur la demande de délais de paiement :

En application de l’article 1244-1, devenu 1343-5, du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Au cas particulier, M. [W] et Mme [K] sollicitent les plus larges délais de paiement sans fournir le moindre justificatif de leur situation financière actuelle.

Dès lors qu’ils ont déjà bénéficié, de fait, de très larges délais de paiement sans procéder au moindre règlement, ce alors que le Crédit agricole démontre qu’ils continuent de louer leur gîte à des prix atteignant presque 600 euros par nuit l’été, en utilisant notamment, pour recevoir les revenus de certaines plateformes, le compte de leur fille mineure, M. [W] et Mme [K], qui apparaissent d’une particulière mauvaise foi, seront déboutés de leur demande de délais de paiement.

Sur les demandes accessoires :

M. [W] et Mme [K], qui succombent au sens de l’article 696 du code de procédure civile, devront supporter in solidum les dépens de l’instance et seront déboutés de leur demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur ce dernier fondement, ils seront condamnés in solidum à régler au Crédit agricole, auquel il serait inéquitable de laisser la charge de la totalité des frais qu’il a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens, une indemnité de procédure de 2000’euros.

PAR CES MOTIFS

Rejette la demande d’annulation des assignations délivrées à M. [T] [W] et Mme [F] [K],

Rejette la demande d’annulation du jugement déféré,

Confirme la décision entreprise en tous ses chefs critiqués,

Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu de juger prescrite l’action de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France,

Déboute M. [T] [W] et Mme [F] [K] de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts,

Condamne in solidum M. [T] [W] et Mme [F] [K] à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France la somme de 2’000’euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande de M. [T] [W] et Mme [F] [K] formée sur le même fondement,

Condamne in solidum M. [T] [W] et Mme [F] [K] aux dépens,

Dit n’y avoir lieu d’accorder à Maître Nelly Gallier le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Rectifiant l’erreur purement matérielle affectant le jugement déféré’:

Dit que dans le dispositif du jugement déféré (tribunal judiciaire de Blois, 6 septembre 2022, RG 22/00895), au lieu de Caisse régionale de crédit agricole mutuel «’Val de Loire’», il convient de lire Caisse régionale de crédit agricole mutuel «’Val de France’»,

Dit qu’à la diligence du greffe de cette cour, une copie de la présente décision rectificative sera adressée au greffe du tribunal judiciaire de Blois pour être mentionnée sur la minute et les expéditions du jugement rectifié conformément aux dispositions de l’article 462 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x