L’omission du nom du compositeur de musique au générique des séries TV

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L’omission du nom du compositeur de musique au générique des séries TV
Ce point juridique est utile ?

Quoique le droit moral de l’artiste-interprète soit imprescriptible et le droit patrimonial ouvert pendant soixante-dix ans, les actions en paiement des créances nées des atteintes portées à l’un ou à l’autre sont soumises à la prescription du droit commun de l’article 2224 du code civil (Civ. 1ère, 3 juillet 2013, pourvoi n° 10-27.043, Bull. 2013, I, n° 147 ; Civ.1ère, 6 avril 2022, pourvoi n°20-19.034) qui dispose que ” Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer “.

Par ailleurs, en cas de contestation sur la cession de ses droits, l’auteur d’une oeuvre musicale a l’obligation d’agir en nullité dans le délai de cinq ans à compter de la conclusion de chacun des actes de cession (sous peine de prescription).

En matière de paternité sur les oeuvres musicales, il n’y a pas lieu de distinguer selon que l’action tende à obtenir des dommages-intérêts ou à faire cesser les atteintes aux droits de l’auteur : le délai de prescription de l’action fondée sur la contrefaçon commence à courir à la date à laquelle a été admis le caractère contrefaisant d’une oeuvre, même si la contrefaçon s’inscrit dans la durée (Civ.1ère, 15 novembre 2023, pourvoi n°22-23.266, publié).

En conséquence, qu’il invoque une atteinte à son droit moral ou à son droit patrimonial, l’auteur doit, conformément à l’article 2224 du code civil, agir dans le délai de cinq ans à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action en contrefaçon, peu important que les faits litigieux perdurent dans le temps.

Selon l’article L 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit d’un droit moral perpétuel, inaliénable et imprescriptible consistant dans le respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.

Aux termes de l’article L 123-1 du même code, il jouit, sa vie durant, du droit exclusif d’exploiter son oeuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire.

En application des articles L. 212-2 et L. 212-3 du même code, l’artiste-interprète a également un droit moral au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation, droit inaliénable et imprescriptible, attaché à sa personne, et son autorisation est requise pour la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public.

Le délai quinquennal de l’action en réparation des atteintes portées aux droits de l’auteur court à compter du jour où le titulaire de ceux-ci a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (Civ.1ère, 6 avril 2022, pourvoi n°20-19.034 ; Civ.1ère, 31 janvier 2018, pourvoi n°16-23.591).

Résumé de l’affaire : M. [B] [D], compositeur et membre de la SACEM, a collaboré avec M. [J] [U] pour composer 385 musiques pour la série “Famille d’Accueil”. Des contrats ont été signés entre M. [U] et les sociétés GMT Productions et EMF1 pour la cession de droits d’auteur. M. [D] a émis des factures à M. [U] pour ses contributions. Après la diffusion des épisodes, M. [D] a accusé M. [U] d’avoir omis de reconnaître sa paternité sur les musiques et d’avoir déposé des œuvres à la SACEM de manière illicite. M. [D] a mis en demeure M. [U] et a assigné plusieurs parties en justice pour contrefaçon de ses droits d’auteur et d’artiste-interprète. Les défendeurs ont contesté la qualité d’auteur de M. [D] et ont soulevé des exceptions de prescription. Le tribunal a déclaré irrecevables les demandes de M. [D] pour contrefaçon, a rejeté la demande reconventionnelle de M. [U] pour dénigrement, et a condamné M. [D] aux dépens, tout en lui ordonnant de verser des sommes à M. [U] et aux sociétés EMF1 et GMT Productions.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
21/03937
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]

3ème chambre
1ère section

N° RG 21/03937
N° Portalis 352J-W-B7F-CUAEO

N° MINUTE :

Assignation du :
22 février 2021

JUGEMENT
rendu le 17 octobre 2024
DEMANDEUR

Monsieur [B] [D]
[Adresse 8]
[Localité 7]

représenté par Maître Christine AUBERT- MAGUERO de l’AARPI DAM AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0391

DÉFENDEURS

Monsieur [J] [U]
[Adresse 3]
[Localité 10]

représentée par Maître Xavier TERCQ de la SARL LAMBERT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C0010, et par Maître Loullig BRETEL de la SELARL RACINE, avocat au barreau de NANTES, avocat plaidant

S.A.S. GMT PRODUCTIONS
[Adresse 4]
[Localité 5]

représentée par Maître Marc-Olivier DEBLANC de la SELARL BARNETT AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #C1843
Expéditions exécutoires
délivrées le :
– Maître AUBERT-MAGUERO #P391
– Maître [R] #C0010
– Maître [O] #C1843
– Maître [Z] #L0237

S.N.C. LES EDITIONS MUSICALES FRANÇOIS 1ER
[Adresse 1]
[Localité 6]

représentée par Maître Eric LAUVAUX de la SELARL NOMOS, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #L0237

Décision du 17 Octobre 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/03937 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUAEO

Société SOCIETE DES AUTEURS COMPOSITEURS ET EDITEURS DE MUSIQUE
[Adresse 2]
[Localité 9]

défaillant

___________________________________

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère vice-présidente adjointe
Madame Elodie GUENNEC, vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, juge,

assistée de Madame Caroline REBOUL, greffière aux débats et de Madame Laurie ONDELE, greffière à la mise à disposition

DEBATS

A l’audience du 30 Avril 2024, avis a été donnée aux parties que le jugement serait rendue le 11 juillet 2024.

L’affaire fut prorogé et a été rendue le 17 octobre 2024 par mise à disposition au greffe.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

1. M. [B] [D] dit [M] est un compositeur de musique, musicien et réalisateur artistique, qui compose notamment de la musique ayant vocation à illustrer des films. Il est membre de la SACEM depuis mai 2014.

2. Il se présente comme ayant composé et interprété, entre mai 2014 et novembre 2015, seul ou en collaboration avec M. [J] [U], compositeur de musique, musicien, et designer sonore spécialisé dans l’illustration audiovisuelle, 385 musiques différentes, reproduites dans les 8 épisodes n°63 à 70 de la saison 13 et les 4 épisodes n°71 à 74 de la saison 14 de la série télévisuelle ” Famille d’Accueil “, produite par la société GMT Productions (la société GMT), société spécialisée dans la production de films et de programmes pour la télévision, qui coédite avec la société Les Editions Musicales François 1er (la société EMF1), spécialisée dans l’édition de musiques d’œuvres audiovisuelles et/ou cinématographiques, les œuvres musicales des saisons 13 et 14.

3. Souhaitant confier à M. [U] la composition et l’interprétation de la musique du générique ainsi que la musique du fond sonore de certains épisodes des saisons 13 et 14 de cette série, la société GMT associée à la société EMF1, en sa qualité d’éditeur, ont conclu les 7 mai 2014, 23 avril 2015 et 23 octobre 2015 avec M. [U] et la société de production de celui-ci, la société M. Factory Publishing, des contrats intitulés ” contrat de commande “. Les contrats prévoyant en outre que M. [U] cédait ses droits d’auteur (article 3) et ses droits voisins d’artiste-interprète (article 4), ce dernier a conclu avec les sociétés GMT et EMF1 des contrats de cession et d’édition d’œuvre musicale et de cession du droit d’adaptation audiovisuelle en date du 9 mai 2014 pour la saison 13 et des 23 avril 2015 et 23 octobre 2015 pour la saison 14.

4. M. [D] a émis, entre le 7 juillet 2014 et le 7 mai 2015, cinq factures ayant pour objet la ” conception et réalisation d’œuvre originale dite rémunération de mise en œuvre ” et une ” cession de droits d’auteur ” à l’attention de M. [U].

5. Les épisodes n°63 à 70 de la saison 13 et ceux n°71 à 74 de la saison 14 ont été diffusés pour la première fois respectivement du 6 au 27 janvier 2015 et du 19 au 26 avril 2016 sur France 3. Les saisons 13 et 14 de la série ont été rediffusées à compter du mois d’août 2017, d’octobre 2018 sur France Ô et RMC story, de janvier 2019 sur France 4 et de mars 2022 sur RTL9.

6. Sur les génériques de début et de fin apparaît le nom de M. [U] comme compositeur de la musique originale.

7. Reprochant à M. [U] d’avoir omis dans les contrats précités sa paternité sur ces musiques, dans le but de percevoir de la SACEM, auprès de laquelle il est accusé d’avoir procédé à un dépôt illicite, l’intégralité de la part compositeur des droits d’exécution publique et de reproduction générés par ses œuvres, M. [D] l’a mis en demeure par lettre du 12 novembre 2018, réitérée le 18 mars 2019, de procéder à l’annulation de la part ” auteur ” que celui-ci s’était illicitement attribuée sur les musiques illustrant les épisodes litigieux de la série, de communiquer les relevés de la SACEM et de réparer les préjudices qu’il avait subis.

8. Contestant toute usurpation de la qualité de compositeur des musiques déposées en son nom à la SACEM, M. [U] répliquait que M. [D] était intervenu comme un exécutant sous ses directives de composition, avant de le présenter comme un sous-traitant, et qu’il lui appartenait d’apporter la preuve de la qualité de compositeur qu’il invoquait, ajoutant que si des droits d’auteur devaient être reconnus à M. [D], celui-ci en tout état de cause les lui avait cédés aux termes de ses factures. Il lui proposait néanmoins à titre amiable de le déclarer compositeur ou co-compositeur des épisodes 63 à 72 des saisons 13 et 14. M. [D] maintenait avoir composé 362 musiques sur les 407 reproduites dans les 12 épisodes des saisons 13 et 14 de la série, cependant qu’il en attribuait 11 à M. [U] et que 23 étaient déclarées issues d’une collaboration entre eux dans laquelle il jugeait sa propre contribution prépondérante.

9. Par lettres recommandées avec avis de réception respectivement du 23 décembre 2020 et du 19 janvier 2021, M. [D] a notifié aux sociétés GMT et EMF1 des mises en demeure de réparer ses préjudices, régulariser un contrat de cession de droits à son profit et modifier la documentation SACEM aux fins de reconnaissance de sa paternité sur les œuvres musicales.

10. C’est dans ces circonstances que par acte d’huissier du 22 février 2021, M. [D] a assigné M. [U], la société GMT, la société EMF1 et la SACEM devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de ses droits moraux et patrimoniaux d’auteur et d’artiste-interprète, réparation de ses préjudices, annulation des dépôts effectués à la SACEM des musiques des épisodes 63 à 74 de la série.

11. Par ordonnance du 30 juin 2022, le juge de la mise en état a rejeté la demande de nullité de l’assignation, déclaré irrecevable l’intervention volontaire de la société Art Maniac, débouté M. [D] de sa demande de communication de pièces et renvoyé au fond l’examen des motifs relatifs à l’intérêt à agir de M. [D] et à la prescription de son action.

12. Dans ses conclusions n°3 notifiées par voie électronique le 12 mai 2023, M. [D] demande au tribunal, au visa des articles 4, 112, 700 du code de procédure civile, L112-1, L113-1, L113-7, L121-1, L122-2, L122-3, L122-4, L131-1, L131-3, L131-4, L131-5, L132-1, L212-2, L212-3, L214-1, L311-1, L331-1-3, L335-2, L335-3 et L335-4 du code de la propriété intellectuelle, et l’article 2224 du code civil de :
– Rejeter la demande d’irrecevabilité de l’action de M. [D] soulevée par M. [U] et les sociétés GMT et EMF1 pour défaut de qualité à agir et prescription.

– Déclarer M. [D] recevable à agir en qualité d’auteur ;

– Déclarer M. [D] recevable à agir en qualité d’artiste-interprète ;

– Déclarer que la prescription n’est pas acquise à la date de l’acte introductif d’instance :

A titre principal, pour les faits de contrefaçon et les faits de détournement de droits d’auteur (répartis par la SACEM) commis depuis le 22 février 2016 ou dont M. [D] a eu connaissance depuis cette date ;

A titre subsidiaire, pour les faits de contrefaçon dont M. [D] a eu connaissance à compter du mois de novembre 2018.

– Débouter M.[U] et les sociétés EMF1 de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

– Déclarer recevables les demandes formées par M. [D] contre M.[U] et les sociétés GMT et EMF1 ;

– Condamner M. [U] et les sociétés GMT et EMF1 au titre des actes de contrefaçon par violation des droits moraux d’auteur de M.[D] ;

– Ordonner à la SACEM de communiquer à M.[D] tout élément relatif aux dépôts des musiques des épisodes 63 à 74 de la série télévisée ” Famille d’accueil “, et ce sous 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard; – Déclarer nul les dépôts effectués à la SACEM des musiques incorporées dans les épisodes 63 à 74 de la série télévisée ” Famille d’accueil ” ;

– Ordonner à M. [U] et les sociétés GMT et EMF1, en l’état et sous réserve des éléments qui seront communiqués par la SACEM, de régulariser les nouveaux bulletins de déclaration qui leur seront soumis pour les musiques des épisodes 63 à 74 de la série télévisée ” Famille d’accueil ” reconnaissant la qualité de compositeur seul de M. [D] à hauteur de 88,9% et sa qualité de co-compositeur à hauteur de 5,6% de la totalité des musiques concernées, et ce dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision à intervenir et précision faite que passé ledit délai, si M. [U] et/ou les sociétés GMT et EMF1 n’ont pas exécuté l’injonction dans le délai imparti, ils seront réputés avoir signé les contrats de cession des droits et les bulletins SACEM y afférent ;

– Déclarer que les nouveaux dépôts remplaceront les premiers dépôts jugés nuls, ledit remplacement prenant effet, pour chaque musique concernée, lorsque les contrats de cession de droits et les bulletins respectant les termes de la décision à intervenir auront été déposés auprès des services de la SACEM ou, s’il y a lieu, à l’expiration du délai imparti à [J] [U] et les sociétés GMT et EMF1 pour procéder à la régularisation desdits contrats et bulletins ;

– Ordonner à la SACEM de communiquer à M. [D] les décomptes de droits d’auteur (droits de représentation publique, droits de reproduction mécanique et droits phonographiques) versés à M. [U] au titre de l’exploitation des musiques incorporées dans les épisodes 63 à 74 de la série ” Famille d’accueil ” depuis le 22 février 2016 ainsi que les décomptes des droits éditoriaux correspondant perçus par les sociétés GMT et EMF1, et ce sous 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard ;

– Condamner solidairement M. [U] et les sociétés GMT et EMF1 à verser à M. [D] en réparation de son préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de ses droits patrimoniaux d’auteur et de détournement de ses redevances d’auteur en provenance de la SACEM, des dommages et intérêts à hauteur du montant correspondant à celui des droits de compositeur indûment perçus par M. [U] des droits éditoriaux correspondant versés aux sociétés GMT et EMF1 depuis le 22 février 2016, et ce conformément aux décomptes de droits susvisés que la SACEM devra communiquer ;

– Condamner solidairement M. [U] et les sociétés GMT et EMF1 à payer à M. [D] une somme de 100.000 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de la violation de son droit moral d’auteur ;

– Condamner solidairement M. [U] et les sociétés GMT et EMF1 à verser à M. [D] la somme provisionnelle de 200.000 € au titre du préjudice matériel subi, somme à parfaire en fonction des décomptes de droits d’auteur et droits éditoriaux qui seront communiqués par la SACEM ;

En tout état de cause
– Déclarer la société GMT coupable d’actes de contrefaçon par violation des droits patrimoniaux d’artiste-interprète de M. [D] ;

– Condamner la société GMT à payer à M. [D] une somme de 75.000 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de ses droits patrimoniaux d’artiste-interprète ;

– Déclarer la société GMT coupable d’actes de contrefaçon par violation du droit moral d’artiste-interprète de M. [D] ;

– Condamner la société GMT à payer à M. [D] une somme de 75.000 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de la violation de son droit moral d’artiste-interprète ;

– Faire interdiction à la société GMT de reproduire, faire reproduire, diffuser, faire diffuser, éditer et exploiter, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, toutes œuvres, interprétations et images de M. [D] sans son autorisation expresse, et ce sous astreinte de 1.000 € par infraction constatée à compter du jugement à intervenir ;

– Ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq revues ou journaux au choix au choix de M. [D] et aux frais de M. [U] et des sociétés GMT et EMF1 ;

– Condamner solidairement M. [U] et les sociétés GMT et EMF1 à régler à M. [D] le coût des insertions sur simple présentation de devis ;

– Condamner solidairement M. [U] et les sociétés GMT et EMF1 à payer à M. [D] une somme de 15.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Débouter M. [U] de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles ;

– Condamner M. [U] et les sociétés GMT et EMF1 aux dépens de l’instance.

– Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

13. Dans ses conclusions n°4 notifiées par voie électronique le 10 mai 2023, M. [J] [U] demande au tribunal, au visa des articles, 122 du code de procédure civile, 2224 du code civil, L122-4 et L335-3 du code de la propriété intellectuelle de :

– Dire et juger que M. [D] ne rapporte pas la preuve de la qualité de compositeur des musiques des épisodes des saisons 13 et 14 de la série télévisée Famille d’accueil, et donc qu’il n’a pas qualité à agir en contrefaçon de droits d’auteur ;

– Dire et juger que M. [D] n’est pas titulaire des droits patrimoniaux d’auteur sur les musiques des épisodes des saisons 13 et 14 de la série télévisée Famille d’accueil, et donc qu’il n’a pas qualité à agir en contrefaçon de droits patrimoniaux d’auteur ;

– Dire et juger que M. [D] ne rapporte pas la preuve de la qualité d’interprète des musiques des épisodes des saisons 13 et 14 de la série télévisée Famille d’accueil, et donc qu’il n’a pas qualité à agir en contrefaçon de droits voisins ;

– Dire et juger que l’action de M. [D] en réparation de l’atteinte alléguée à ses droits moraux d’auteur et d’interprète est prescrite ;

– Dire et juger que la demande de M. [D] en contestation de la validité des cessions de droit d’auteur sur les musiques des épisodes des saisons 13 et 14 de la série télévisée Famille d’accueil, au profit de [J] [U], est prescrite ;

– Dire et juger que l’action de M. [D] en réparation de l’atteinte alléguée à ses droits patrimoniaux d’auteur et d’interprète est prescrite.

À titre principal

– Déclarer irrecevable et rejeter l’action et toutes demandes de M. [D].

À titre subsidiaire
– Débouter M. [D] de toutes ses demandes ;

– Écarter l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

A titre reconventionnel

– Condamner M. [D] à payer à M. [U] la somme de 30 000 euros en réparation des actes de dénigrement commis par M. [D] ;

En tout état de cause

– Condamner M. [D] à payer à M. [U] la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner M. [D] aux entiers dépens.

14. Dans ses conclusions n°3 signifiées le 5 mai 2023, la société EMF1 demande au tribunal, au visa des articles 122 du code de procédure civile, L111-3, L131-3 et L131-4 du code de la propriété intellectuelle, et 2224 du code civil, de :

In limine litis :

– Juger M. [D] irrecevable à agir à défaut de justifier de sa qualité d’auteur des musiques incorporées dans les épisodes 63 à 74 de la série télévisée ” Famille d’accueil ” ;

– Juger M. [D] irrecevable à agir pour des faits de contrefaçon qu’il invoque qui seraient postérieurs à l’assignation du 21 février 2021 ;
– Juger prescrite l’action en réparation de M. [D] fondée sur une atteinte à son droit moral;

– Juger prescrite l’action de M. [D] en contestation de la validité des cessions de droits sur les musiques incorporées dans les épisodes 63 à 74 de la série télévisée ” Famille d’accueil ” et pour faute qui serait liée aux prétendus dépôts illicites des œuvres à la SACEM.

– Débouter M. [D] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire

– Juger que la société EMF1, éditeur, n’a commis aucune faute de nature à entrainer sa responsabilité et a exploité les œuvres de bonne foi compte tenu des cessions de droits consenties ;

– Débouter M. [D] de l’intégralité de ses demandes ses demandes, fins et conclusions.

A titre plus subsidiaire

– Fixer la quote-part revenant à M. [D] sur les compositions musicales en fonction de la part originale qui lui serait incontestablement reconnue ;

– Ramener le montant de l’indemnité due au titre du préjudice moral à une juste proportion ;

– Rejeter toute solidarité entre l’éditeur, EMF1 et l’auteur M. [U] ;

– Débouter M. [D] de ses demandes de publication et d’interdiction ;

– Condamner M. [U] à garantir la société EMF1 de toute condamnation prononcée à son encontre ;

– Condamner M. [U] à verser la société EMF1 en réparation du préjudice subi du fait de la perte de ses droits éditoriaux, une somme égale aux montants des revenus éditoriaux perdus augmentée d’une somme égale en réparation de la perte de revenus futurs ;

– Rejeter la demande d’exécution provisoire.

– Condamner M. [D] à payer à la société EMF1, la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner M. [D] aux entiers dépens.

15. Dans ses conclusions n°3 notifiées par voie électronique le 5 mai 2023, GMT demande au tribunal au visa des articles 4, 514-1, 699 et 700 du code de procédure civile, 1101, 1103, 1104, 1188, 1192, 1625, 1626, 2224, 2241 du code civil, L111-1, L113-1, L132-8, L212-1, L331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 13 de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 de :

A titre principal

– Juger que les actions engagées par M. [D] fondées sur l’atteinte au droit moral d’auteur et d’artiste-interprète sont prescrites à la date de délivrance de l’assignation à comparaitre en application de l’article 2224 du Code civil ;

– Juger que les actions engagées par M. [D] fondées sur l’atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur et d’artiste-interprète sont prescrites à la date de délivrance de l’assignation à comparaitre en application de l’article 2224 du Code civil ;

– Juger M. [D] irrecevable à agir sur le fondement de la contrefaçon de droits d’auteur et d’artiste-interprète et le débouter de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l’encontre de la société GMT Productions.

A titre subsidiaire

– Juger que l’action en contrefaçon de droits d’auteur et de droits voisins d’artiste-interprète engagée par Monsieur [B] [D] n’est pas fondée faute pour le demandeur de rapporter la preuve de sa qualité d’auteur et d’artiste-interprète ;

– Débouter M. [D] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l’encontre de la société GMT Productions au titre de la contrefaçon de droits d’auteur et de droits voisins d’artiste-interprète et les dire mal fondées ;

A titre très subsidiaire :

– Juger que M. [U] disposait de l’autorisation de diffuser les œuvres musicales et les interprétations revendiquées par M. [D] et qu’aucune atteinte à ses droits patrimoniaux et à son droit moral d’auteur et d’artiste-interprète n’a été commise ;

– Juger qu’aucun acte de contrefaçon n’a été commis par la société GMT et les codéfendeurs.

A titre infiniment subsidiaire :

– Juger que les dépôts effectués à la SACEM des musiques incorporées dans les épisodes 63 à 74 de la série télévisée ” Famille d’accueil ” sont valables en ce qui concerne la part éditoriale de la société GMT ;

– Débouter M. [D] de sa demande de modification de la documentation SACEM et de régularisation de nouveau bulletin de déclaration SACEM relatif aux œuvres musicales des épisodes 63 à 74 de la série télévisée ” Famille d’accueil “.

– Débouter M. [D] de sa demande de communication de pièces relatives aux dépôts des musiques des épisodes 63 à 74 de la Série et de décomptes des droits éditoriaux de GMT Productions ;

– Débouter M. [D] de ses demandes de dommages-intérêts au titre du préjudice patrimonial et moral d’auteur en ce qu’il ne justifie d’aucun préjudice effectif au titre des droits d’auteur ;

– Débouter M. [D] de ses demandes de dommages-intérêts au titre des préjudices patrimoniaux et moraux d’artiste-interprète en ce qu’il n’apporte la preuve d’aucun préjudice effectif subi au titre des droits d’artiste-interprète ;

– Juger subsidiairement que la prescription quinquennale empêche de prendre en compte la période antérieure au 21 février 2016 pour évaluer le montant des préjudices ;

– Débouter M. [D] de sa demande d’interdiction et de diffusion des œuvres musicales et enregistrements et rejeter la demande d’astreinte de 1 000,00 euros par infraction constatée ;

– Débouter M. [D] de sa demande de publication du jugement à intervenir ;

– Débouter M. [D] de sa demande d’exécution provisoire.

En tout état de cause :

– Juger que la demande d’appel en garantie de M. [U] formulée par la société GMT est recevable et y faire droit ;

– Condamner M. [U] à garantir la société GMT de toutes condamnations prononcées à son encontre dans le cadre du présent litige et le condamner à supporter seul les charges de l’intégralité des condamnations éventuellement prononcées par le Tribunal de céans.

En tout état de cause :

– Condamner M. [D] à verser à la société GMT la somme de 15 000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– Condamner M [D] aux entiers dépens conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de la procédure civile ;

– Prononcer l’exécution provisoire qui est de droit des condamnations prononcées à l’encontre du demandeur.

16. La SACEM n’a pas constitué avocat.

17. L’ordonnance de clôture a été prononcée le 16 mai 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

1.- Sur les fins de non-recevoir

Moyens des parties

18. M. [U] soutient que l’action de M. [D] est irrecevable comme prescrite, tant en ce qu’elle est fondée sur l’atteinte au droit moral d’auteur et d’interprète et sur la remise en cause de la validité des actes de cession de droits d’auteur, que sur l’atteinte au droit patrimonial d’auteur et d’interprète. Il invoque le régime de prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil selon lequel le délai commence à courir à compter de la commission de la contrefaçon ou du jour où le titulaire en a eu connaissance, même si la contrefaçon s’inscrit dans la durée, estimant qu’en l’occurrence, les faits qui lui sont reprochés par [B] [D] ne sont ni continus, ni répétés, mais instantanés.

19. Il soutient que M. [D] savait dès mai 2014, compte tenu de leur accord entre eux, et au plus tard en janvier 2015, date à laquelle la saison 13 de la série a été diffusée, que les musiques en cause seraient déclarées sous le seul nom de [U] et que le nom de celui-ci serait seul mentionné aux génériques de début et de fin comme seul compositeur, en sorte qu’il savait ne pouvoir percevoir de redevances de la SACEM. Il en déduit que M. [D] avait jusqu’en janvier 2020 pour agir en réparation des atteintes à son droit moral tant d’auteur que d’interprète. Il ajoute qu’à supposer que M. [D] puisse être considéré comme compositeur desdites musiques, celui-ci lui a cédé ses droits d’auteur par six factures du 7 juillet 2014 au 11 décembre 2015 et que s’il conteste aujourd’hui la validité de ces cessions au visa des articles L. 131-3 et L.131-4 du code de la propriété intellectuelle, il est en réalité prescrit depuis le 11 décembre 2020.

20. Par ailleurs, il estime que le dépôt des musiques à la SACEM et l’autorisation d’exploiter les musiques accordées à la société GMT ne constituent pas des atteintes au droit patrimonial d’auteur faute de mettre en œuvre un droit de reproduction, représentation ou de toute autre prérogative attachée à ce droit patrimonial. Il soutient que M. [D] avait connaissance dès mai 2014 des dépôts à la SACEM ; que les actes de reproduction des compositions et interprétations reprochés à la société GMT sont prescrits à compter de cette date et au plus tard en juin 2014 et les actes de diffusion reprochés à la société GMT concernent la diffusion en janvier 2015 de la saison 13. Il ajoute en tout état de cause que ni lui, ni les sociétés défenderesses n’ont qualité à défendre pour ces actes de diffusion.

21. La société EMF1 et la société GMT soutiennent, dans le même sens, que l’action en réparation de M. [D] au titre d’une atteinte à son droit moral d’auteur est prescrite depuis mai 2019 ou à tout le moins depuis janvier 2020 ; qu’il n’existe pas une prescription unique qui ne commencerait à courir qu’à compter du jour où l’activité délictueuse a cessé ; que l’action de M. [D] est une action en réparation d’un préjudice au titre d’un ensemble indivisible d’actes successifs de nature différente invoqués indistinctement à l’appui de la violation du droit moral et patrimonial d’auteur ; que le dommage allégué est connu de M. [D] depuis mai 2014 date de sa collaboration avec M. [U] ou au plus tard le 11 décembre 2015, date de la dernière facture émise ; qu’il importe peu que l’exploitation s’inscrive dans la durée, la reproduction de la musique dans la bande son des épisodes étant intervenue dès l’origine ; que le dépôt des œuvres à la SACEM ne caractérise aucune exploitation de l’œuvre et n’est donc pas constitutif d’un acte de contrefaçon ; que M. [D] échoue à démontrer des diffusions et rediffusions constantes et donc le caractère continu de l’infraction de contrefaçon pour fonder ses demandes, précisant qu’en tout état de cause, le caractère continu de l’infraction importe peu.

22. Elles considèrent de même que l’action en réparation du préjudice fondée sur l’atteinte aux droits patrimoniaux est prescrite ; que M. [D] ne peut valablement contester la validité des cessions consenties aux termes des factures entre juillet et décembre 2015, cette action étant prescrite depuis au plus tard décembre 2020, dès lors que la prescription de l’action en nullité d’un acte court à compter du jour où l’acte irrégulier a été passé ; que la faute qui leur est imputée d’avoir déposé les œuvres à la SACEM et les conséquences dommageables qui en sont résulté étaient connues de M. [D] depuis sa collaboration en mai 2014 avec M. [U] et au plus tard en décembre 2015 date de la dernière facture émise qui prévoit une cession de ses droits d’auteur ; qu’il ne peut ignorer que la déclaration à la SACEM doit intervenir préalablement à la date de première diffusion ; que la perception de redevances ne constitue nullement en soi un acte de contrefaçon, mais n’est que la conséquence d’une exploitation ; que les droits d’auteur étant gérés collectivement par la SACEM à qui M. [D] en a fait apport, M. [U] comme les éditeurs n’ont aucune obligation de reddition de comptes ou de paiement de redevances au titre des exploitations audiovisuelles.

23. M. [D] oppose essentiellement que la prescription de son action en contrefaçon des droits patrimoniaux d’auteur et d’artiste-interprète ne peut courir qu’à compter du jour où il a connu l’existence de chaque fait générateur pris individuellement (diffusion de chaque épisode, rediffusion, perception de droits d’auteur lors de chaque répartition SACEM), de sorte que chaque fait dommageable donne lieu à sa propre prescription même lorsqu’il en existe plusieurs ; qu’ainsi, son action en contrefaçon relative aux actes qui se sont déroulés à compter du 22 février 2016 n’est pas prescrite dès lors que chacun des actes de reproduction de ses œuvres, de leur dépôt à la SACEM, de leur diffusion subséquente au public et de perception des redevances de la SACEM a fait naitre une nouvelle action indemnitaire soumise à un délai de prescription qui lui est propre ; que l’ensemble des faits litigieux ayant débuté le 6 janvier 2015 ne sauraient être regardés comme un ensemble unique régi par une prescription commune ; que postérieurement à cette date, chaque nouvelle diffusion et rediffusion d’épisodes distincts génère une nouvelle répartition de droits SACEM qui ne saurait être soumise au même point de départ de prescription que la précédente.

24. A titre subsidiaire, il prétend que ce n’est qu’à partir de la mise en demeure qu’il a adressée en 2018 à [J] [U] qu’il a compris que ses musiques avaient été déposées à la SACEM et qu’elles avaient généré des droits ; qu’en tout état de cause, le point de départ du délai de prescription peut être reporté dès lors que la prescription dépend d’éléments qui ne sont pas connus du créancier et doivent résulter de déclarations que le débiteur est tenu de faire et qu’en déposant à son insu ses musiques à la SACEM dont il a perçu les droits et en omettant de faire état de sa qualité d’artiste-interprète auprès des partenaires, M. [U] a procédé à une dissimulation frauduleuse qu’il ne peut invoquer à l’appui de la fin de non-recevoir tirée de la prescription.

25. Il soutient que son action en contrefaçon de son droit moral d’auteur et d’artiste-interprète n’est pas davantage prescrite pour les faits qui se sont déroulés entre le 22 février 2016 et l’assignation, s’agissant d’une infraction continue soumise à la prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil. Il estime que l’atteinte à son droit moral a débuté lors du dépôt des œuvres à la SACEM et se perpétue avec les diffusions continues depuis 2015 des épisodes 13 et 14, dont le générique ne mentionne pas le nom. Il précise qu’il n’a pu renoncer par avance à son droit moral d’auteur, le droit au respect de l’œuvre étant inaliénable. A titre subsidiaire, il estime qu’en ignorant jusqu’en novembre 2018 le dépôt des œuvres à la SACEM et la fraude opérée par M. [U], le délai de prescription n’a commencé à courir qu’à compter de cette date.

26. Enfin, il conteste avoir agi en nullité des factures et des cessions de droit qui y sont évoqués.

Appréciation du tribunal

27. Selon l’article L 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit d’un droit moral perpétuel, inaliénable et imprescriptible consistant dans le respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.

28. Aux termes de l’article L 123-1 du même code, il jouit, sa vie durant, du droit exclusif d’exploiter son oeuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire.

29. En application des articles L. 212-2 et L. 212-3 du même code, l’artiste-interprète a également un droit moral au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation, droit inaliénable et imprescriptible, attaché à sa personne, et son autorisation est requise pour la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public.

30. Quoique le droit moral de l’artiste-interprète soit imprescriptible et le droit patrimonial ouvert pendant soixante-dix ans, les actions en paiement des créances nées des atteintes portées à l’un ou à l’autre sont soumises à la prescription du droit commun de l’article 2224 du code civil (Civ. 1ère, 3 juillet 2013, pourvoi n° 10-27.043, Bull. 2013, I, n° 147 ; Civ.1ère, 6 avril 2022, pourvoi n°20-19.034) qui dispose que ” Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer “.

31. Le délai quinquennal de l’action en réparation des atteintes portées aux droits de l’auteur court à compter du jour où le titulaire de ceux-ci a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (Civ.1ère, 6 avril 2022, pourvoi n°20-19.034 ; Civ.1ère, 31 janvier 2018, pourvoi n°16-23.591).

32. Il n’y a pas lieu de distinguer selon que l’action tende à obtenir des dommages-intérêts ou à faire cesser les atteintes aux droits de l’auteur : le délai de prescription de l’action fondée sur la contrefaçon commence à courir à la date à laquelle a été admis le caractère contrefaisant d’une oeuvre, même si la contrefaçon s’inscrit dans la durée (Civ.1ère, 15 novembre 2023, pourvoi n°22-23.266, publié).

33. En conséquence, qu’il invoque une atteinte à son droit moral ou à son droit patrimonial, l’auteur doit, conformément à l’article 2224 du code civil, agir dans le délai de cinq ans à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action en contrefaçon, peu important que les faits litigieux perdurent dans le temps.

34. En l’espèce, M. [D] invoque au fondement de son action en contrefaçon des atteintes, d’une part, à son droit moral d’auteur et d’artiste-interprète à raison du dépôt de ses œuvres à la SACEM sous le nom de M. [U] et de l’absence de mention de son propre nom au générique des épisodes des saisons 13 et 14, d’autre part, à ses droits patrimoniaux d’auteur et d’artiste-interprète, à raison de la reproduction de ses œuvres, de leur dépôt à la SACEM, de la diffusion à compter de janvier 2015 de chaque épisode des saisons 13 et 14 de la série, de leur rediffusion à compter d’août 2017 et de la perception illicite de droits d’auteur lors de chaque répartition SACEM.

35. Pour étayer l’accord verbal de 2014 dont ils se prévalent et contesté par M. [D], les défendeurs produisent des attestations de M. [H] [W], qui était le partenaire de M. [U] dans la gestion du studio, ce qui affaiblit leur force probante. Toutefois, le récit qui y est restitué d’une collaboration qui a démarré entre les intéressés sur la commande passée à M. [U] d’une musique destinée à sonoriser plusieurs épisodes d’une série télévisée, et les modalités de cette collaboration – ” [M] était payé par épisode. Il n’était donc pas question de droit d’aucune nature que ce soit. C’était entendu entre eux depuis le début ” – est corroboré par les propres écritures de M. [D] qui indique dans son assignation (page 5), puis dans ses ultimes conclusions (page 6) : ” Leur façon de travailler était la suivante : Monsieur [U] transférait à Monsieur [B] [D] les épisodes que lui envoyait le producteur et/ou le diffuseur de la série ainsi que les exigences de ces derniers, puis, à partir de ces éléments, [B] [D] composait et interprétait (jouait) les musiques destinées à illustrer les 12 épisodes de la série. Des allers-retours avaient ensuite lieu entre [B] [D] et [J] [U] et, parallèlement, entre ce dernier (qui transférait les musiques du demandeur) et les producteurs et diffuseurs de la série “. Il ajoute : ” Monsieur [J] [U], qui est alors un professionnel averti, fait croire au jeune [B] [D] qu’il doit lui céder ses droits d’auteur sur ses compositions et qu’il n’a vocation à percevoir aucune rémunération autre que celle forfaitaire que Monsieur [U] va lui proposer, et notamment aucune redevance proportionnelle à l’exploitation en provenance de la SACEM “. Les factures émises par M. [D] à ce titre entre le 16 juillet 2014 et le 11 décembre 2015 pour la ” conception et réalisation d’œuvre originale dite ” rémunération de mise en œuvre ” et ” cession de droits d’auteur ” mentionnent toutes sans équivoque ” utilisations : Série Télévisée “, ce qui ressort encore du courriel du 14 mai 2014 dans lequel M. [U] transfère à M. [D] un fichier d’un épisode de la série provenant d’une adresse e-mail ” francetv.fr “, assorti d’un commentaire explicite sur le nom de la série télévisée. Il est par ailleurs établi que le 17 juin 2014 M. [U] a adressé à M. [D] un courriel contenant le montage définitif des épisodes 63 et 64 de la série, et donc avec leur générique.

36. Ces éléments font suffisamment ressortir que M. [D], qui allègue de manœuvres frauduleuses de la part de M. [U] sans en justifier, avait connaissance dès le début de sa collaboration, soit en mai 2014, que la commande passée à M. [U] portait sur la composition et l’interprétation des musiques des épisodes 63 à 74 de la série télévisée aux fins de leur reproduction dans ces épisodes et de leur diffusion subséquente, et que M. [U] serait mentionné comme leur compositeur et interprète, de sorte qu’il n’est pas vraisemblable, alors qu’il en était adhérent depuis 2014, qu’il ait ignoré que le dépôt à la SACEM avait été fait sous le seul nom de [J] [U] et que seul le nom de ce dernier était mentionné au générique des épisodes de la série. L’ignorance que M. [D] allègue est d’autant moins vraisemblable que le 1er janvier 2015, il avait conclu comme co-compositeur d’une musique intitulée ” we gonna dance on ” utilisée dans l’épisode 68 de la série, un contrat de cession et d’édition d’œuvre musicale avec la société M. Factory publishing, société d’édition de M. [U], en vue de la synchronisation de ce titre dans la série, ce qui compte tenu des termes du contrat, confirme qu’il savait qu’en étant déclaré compositeur d’une musique, il avait vocation à percevoir des redevances de la SACEM au titre de son droit de représentation, à hauteur de 2/3 en l’occurrence, et au titre de son droit de reproduction, à concurrence de 50% s’agissant d’une co-composition sur le titre en cause.

37. En conséquence de ce qui précède, et par application de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil, M. [D] ne pouvait agir en réparation des atteintes à son droit moral d’auteur et artiste-interprète à raison du dépôt à la SACEM sous le nom de M. [U] et de la diffusion des épisodes litigieux et de leurs génériques au seul crédit de celui-ci, qu’au plus tard à la fin de l’année 2019. Il doit donc être déclaré prescrit en son action au jour de l’assignation délivrée le 22 février 2021, peu important que les premières diffusions des épisodes n° 63 à 70 qui ont eu lieu du 6 au 27 janvier 2015 et celle des épisodes n° 71 à 74 qui ont eu lieu du 19 au 26 avril 2016, aient donné lieu, à partir de 2017, à rediffusions, celles-ci n’étant que le prolongement des premières diffusions des épisodes aux génériques desquels M. [D] savait dès 2014 qu’il ne serait pas crédité. Celui-ci ne peut pas davantage prendre prétexte du dépôt effectué à la SACEM pour soutenir que l’atteinte à son droit moral perdurant, il ne serait pas prescrit, le dépôt étant un acte instantané.

38. S’agissant des atteintes invoquées aux droits patrimoniaux d’auteur et d’artiste-interprète résultant du dépôt à la SACEM et de la perception des redevances de droits d’auteur en lieu et place de M. [D], force est de constater que celui-ci, qui savait dès mai 2014, ainsi qu’il le rapporte dans ses propres écritures, que les compositions et interprétations étaient destinées à leur reproduction au sein d’épisodes de la série et à leur diffusion, qu’il devait ” céder ses droits d’auteur ” à M. [U] et qu’il ” n’a[vait] vocation à percevoir aucune rémunération autre que celle forfaitaire que Monsieur [U] va lui proposer, et notamment aucune redevance proportionnelle à l’exploitation en provenance de la SACEM “, a émis à cette fin entre juillet 2014 et décembre 2015 cinq factures au titre de la ” Conception et Réalisation d’oeuvre Originale dite “rémunération de mise en oeuvre” ” et mentionnant chacune en lettres capitales nettement visibles une ” CESSION DE DROITS D’AUTEUR ” au profit de M. [J] [U].

39. M. [D] soutient désormais vainement que ces factures ne sauraient emporter cession de droit d’auteur aux motifs qu’il avait d’ores et déjà cédé ses droits à la SACEM dont il était l’adhérent depuis le 20 mai 2014.

40. Outre qu’il avait toute latitude pour en solliciter la nullité dans le délai de cinq ans à compter de la conclusion de chacun de ces actes de cession, soit au plus tard le 11 décembre 2020, ce qu’il n’a pas fait, il est en effet établi ainsi qu’il a été dit plus avant, que M. [D] savait dès le début de sa collaboration avec M. [U], soit en mai 2014, que le dépôt à la SACEM n’avait pas été fait sous son nom mais celui de [J] [U] et qu’il n’avait pas vocation à percevoir une rémunération en provenance de la SACEM et ce au plus tard le 11 décembre 2015, date de la dernière facture émise au profit de M. [U].

41. Il prétend donc de manière inopérante qu’il n’aurait eu connaissance au plus tôt qu’en novembre 2018, date de sa première mise en demeure adressée à M. [U] que les musiques n’avaient pas été déposées sous son nom et qu’il n’avait pas été informé des perceptions des droits d’auteur afférents, étant observé qu’en l’absence de dépôt des musiques à son nom, il n’avait pas, en tout état de cause, à être informé, outre que la perception de redevances liées à l’exploitation de la musique incorporée dans les épisodes de la série est la conséquence de cette exploitation et ne saurait donc constituer un acte de contrefaçon distinct. Enfin, le défaut d’information allégué sur la créance trimestrielle de droit d’auteur comme la dissimulation frauduleuse du dépôt à la SACEM et de la perception des redevances allégués par M. [D] ne sauraient pas davantage justifier le report du point de départ du délai de prescription de son action dès lors que celle-ci tend à obtenir la réparation du préjudice qu’il estime avoir subi et non le paiement d’une créance de redevance trimestrielle et que M. [D] ne démontre pas la mauvaise foi, preuve qui lui incombe.

42. La prescription quinquennale de l’action de M. [D] au titre des atteintes à ses droits patrimoniaux d’auteur et d’interprète était donc acquise au jour de l’assignation qu’il a fait délivrer le 22 février 2021.

43. Il en résulte que les demandes de M. [D] en contrefaçon de ses droits d’auteur et d’artiste-interprète au titre d’atteintes tant à ses droits moraux que patrimoniaux sont donc irrecevables, comme prescrites. Il n’y a donc plus lieu d’examiner les autres moyens d’irrecevabilité, devenus inopérants.

2. – Sur la demande reconventionnelle de M. [U] au titre du dénigrement

Moyens des parties

44. M. [U] expose que [B] [D] n’a pas hésité à adresser avant toute action au fond, à France Télévisions, et aux sociétés GMT et EMF1, un courrier dans lequel il se présente comme le compositeur et l’interprète de la majeure partie des musiques des saisons 13 et 14 de la série, et y fait état d’atteintes constitutives, selon lui, d’actes de contrefaçon de ses droits patrimoniaux et moraux d’auteur et d’interprète, mettant en demeure chacun des destinataires de ses courriers de l’indemniser et de régulariser la situation vis-à-vis de lui. Il soutient que la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit est constitutive de dénigrement dès lors que cette information ne repose sur aucune décision de justice ou qu’elle n’est pas exprimée avec mesure, ce qui est précisément le cas en l’espèce. Il ajoute que par ces mises en demeure vis-à-vis d’un diffuseur national et de ses clients, M . [D] a détérioré son image gravement.

45. M. [D] soutient s’être contenté d’exercer son droit fondamental à agir en justice et de faire valoir ses droits à l’égard des parties prenantes à la présente affaire. Il conteste l’application de la jurisprudence invoquée par M. [U] en ce qu’elle ne viserait que le cas particulier des informations divulguées à des tiers aux parties et au litige, en particulier à des consommateurs, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Appréciation du tribunal

46. Le dénigrement se définit comme ” la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent […], peu important qu’elle soit exacte ” (Com., 24 sept. 2013, n°12-19.790, Bull. n°139).

47. Par ailleurs, la liberté d’expression est un droit dont l’exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi (1re Civ., 10 avril 2013, pourvoi n°12-10.177, Bull. 2013, I, n°67). Il s’ensuit que, hors restriction légalement prévue, la liberté d’expression est un droit dont l’exercice, sauf dénigrement de produits ou services, ne peut être contesté sur le fondement de l’article 1240 du code civil (1re Civ., 2 juillet 2014, pourvoi n° 13-16.730, Bull. 2014, I, n°120 ; 1ère Civ., 25 mars 2020, pourvoi n°19-11.554 ; Com., 18 octobre 2023, pourvoi n° 19-24.221).

48. Il en résulte que des propos jetant le discrédit sur une personne doivent être sanctionnés sur le terrain de la diffamation conformément à l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, cependant que l’article 1240 du code civil ne s’applique qu’au dénigrement de produits ou services.

49. En l’espèce, M. [U] demande la condamnation de M. [D] à lui verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l’atteinte à son image et à ses relations avec ses clients causée par les propos de M. [D].

50. Cette prétention ayant pour objet de réparer le discrédit que les propos de M. [D] auraient jeté sur la personne de M. [U], l’atteinte dont se plaint celui-ci s’analyse en une diffamation dont la réparation ne pouvait être poursuivie que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881.

51. Il y a donc lieu de rejeter la demande de M. [U].

3. – Sur les autres demandes

52. M. [B] [D], qui succombe, sera condamné aux entiers dépens de l’instance et à payer sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à la société EMF1 et à la société GMT, chacune la somme de 8.000 euros, et à M. [U] la somme de 10.000 euros.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Déclare irrecevables comme prescrites les demandes de M. [B] [D] sur le fondement de la contrefaçon de droits d’auteur et d’artiste-interprète ;

Rejette la demande reconventionnelle de M. [J] [U] au titre du dénigrement ;

Condamne M. [B] [D] aux entiers dépens ;

Condamne M. [B] [D] à payer la somme de 10.000 euros à M. [U], la somme de 8.000 euros à la société Les Editions musicales François 1er et la somme de 8.000 euros à la société GMT Productions sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 17 octobre 2024

La Greffière La Présidente
Laurie ONDELE Anne-Claire LE BRAS


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