Application de la loi étrangère et secret bancaire : enjeux de la responsabilité bancaire dans un contexte international

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Application de la loi étrangère et secret bancaire : enjeux de la responsabilité bancaire dans un contexte international

M. [D] [P] et Mme [S] [Z] épouse [P] sont clients de la BANQUE POSTALE et ont investi 150.000 € via NATWEST MARKETS PLC et LONDON STOCK EXCHANGE MANAGEMENT dans deux livrets d’épargne entre octobre et novembre 2020. Les fonds ont été transférés à la BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA S.P.A. en Italie. Le 22 février 2021, ils ont déposé plainte et ont assigné la BANQUE POSTALE et la BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA S.P.A. pour obtenir une indemnisation. Ils demandent des documents relatifs à l’ouverture du compte de la société ANDY DI YAN ZONGWEI, ainsi qu’une condamnation de la banque à verser des frais. La BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA S.P.A. conteste la demande, affirmant que l’affaire est régie par la loi italienne et que les documents demandés sont couverts par le secret bancaire. Le juge a débouté M. [D] [P] et Mme [S] [Z] de leur demande d’injonction contre la banque italienne et a renvoyé l’affaire à une audience ultérieure.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

15 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
22/12839
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

9ème chambre 1ère section

N° RG 22/12839

N° Portalis 352J-W-B7G-CXYIH

N° MINUTE :

Assignation du :
20 Septembre 2022

Contradictoire

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 15 octobre 2024

DEMANDEURS

Monsieur [D] [P]
[Adresse 3]
[Adresse 3]

Madame [S] [Z] épouse [P]
[Adresse 3]
[Adresse 3]

représentés par Me Arnaud DELOMEL, avocat plaidant, avocat au barreau de RENNES et par Me Julie BARIANI, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #B0692

DEFENDERESSES

S.A. LA BANQUE POSTALE
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Thomas ROUHETTE et Maître Claire MASSIERA de la SELEURL SELARLU THOMAS ROUHETTE, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #K0151

S.A. BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA
[Adresse 2]
[Adresse 2] ITALIE

représentée par Maître Olivier TAMAIN, avocat au barreau de Toulouse, avocat plaidant et par Maître Réjane GIRARDIN de l’AARPI APM, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #K0044

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Monsieur Patrick NAVARRI, Vice-président, juge de la mise en état,
assisté de Madame Sandrine BREARD, Greffière.

DEBATS

A l’audience du 02 juillet 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 15 octobre 2024.

ORDONNANCE

Rendue publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE
 
M. [D] [P] et Mme [S] [Z] épouse [P] sont clients auprès de l’établissement bancaire BANQUE POSTALE. 
Au cours des mois d’octobre et de novembre 2020, ils sont entrés en relation avec deux sociétés, NATWEST MARKETS PLC et LONDON STOCK EXCHANGE MANAGEMENT, qui se présentaient comme étant spécialisées dans les placements financiers.
Monsieur et Madame [P] décidaient d’investir par leur intermédiaire dans deux livrets d’épargne. Durant les mois d’octobre et de novembre 2020, ils procédaient aux règlements suivants :
– 40.000 € le 22 octobre 2020 ;
– 60.000 € le 4 novembre 2020 ;
– 50.000 € le 24 novembre 2020.
Soit la somme totale de 150.000 €.
Les deux premiers virements de fonds transférés étaient réceptionnés par l’établissement bancaire BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA S.P.A domicilié en Italie.
Le 22 février 2021, M. [D] [P] et Mme [S] [Z] épouse [P] ont  déposé  plainte. 
M. [D] [P] et Mme [S] [Z] épouse [P]  ont assigné devant le tribunal de céans les  20 septembre 2022 et 11 octobre 2022 la BANQUE POSTALE et la BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA S.P.A., aux fins d’indemnisation du  préjudice subi. 
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 18 juin 2024, M. [D] [P] et Mme [S] [Z] épouse [P] demande de :
Vu les articles 11, 138, 142, 788 et 789 du code de procédure civile,
Vu les articles L. 561-5 et suivants et R. 561-5 et suivants du code monétaire et financier,
Vu la jurisprudence et les pièces versées aux débats,
• ORDONNER à la société BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA S.P.A. de communiquer à Monsieur [P] :
– Une traduction libre en français de ses pièces n°1 à 5 ;
– Tout document attestant de la vérification d’identité de sa cliente, la société ANDY DI YAN ZONGWEI, et de son représentant légal lors de l’ouverture du compte bancaire :
→ Les statuts de la société ANDY DI YAN ZONGWEI,
→ Une déclaration de résidence fiscale de la société,
→ Une copie de la carte d’identité ou du passeport du représentant légal de la société et du bénéficiaire effectif,
→ La déclaration de bénéficiaire effectif ;
– Tout document attestant de la nature professionnelle du compte ouvert :
→ La justification économique déclarée par le client ou le fonctionnement envisagé du compte bancaire ;

– Les relevés de compte bancaire intégral de la société ANDY DI YAN ZONGWEI pour les mois d’octobre et de novembre 2020 ;

– Les factures émises par la société ANDY DI YAN ZONGWEI pour justifier des prestations fournies au titre de l’encaissement des fonds ;

Sous astreinte définitive de 1.000 € par jour de retard, passé un délai de 15 jours après la signification de l’Ordonnance à intervenir, durant 2 mois et L’Y CONDAMNER au besoin.

• CONDAMNER la société BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA S.P.A. à verser à Monsieur [P] la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

• CONDAMNER la même aux entiers dépens.

A l’appui de leurs demandes, M. [D] [P] et Mme [S] [Z] épouse [P] font valoir :
– que selon les différents articles du Code monétaire et financier, la banque doit avant d’entrer en relations avec son client, disposer d’informations sur les revenus et le patrimoine de son client ;
– que si le secret bancaire peut être opposé par la banque en revanche on peut lui demander de produire tous les documents fournis lors de l’ouverture du compte ainsi que ceux relatifs à son devoir de vigilance comprenant la totalité des relevés de compte. 
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 28 juin 2024, la société BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA demande de :
 Vu les dispositions du Code de procédure civile et notamment l’article 11,
Vu les dispositions du Règlement européen n°864/2007 du 11 juillet 2007 concernant les questions relatives à la loi applicable aux obligations non contractuelles,
Vu les pièces énumérées sur le bordereau annexé ci-après, précédemment produites,
Rejetant toutes conclusions adverses et contraires comme étant injustes et infondées,
– JUGER que l’action introduite par Monsieur [D] [P] et Madame [S] [Z] épouse [P] à l’encontre de la BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA est régie par la loi italienne ;
– DEBOUTER Monsieur [D] [P] et Madame [S] [Z] épouse [P] de l’intégralité des demandes présentées à l’encontre de la BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA, et en particulier de toute demande d’astreinte,
– CONDAMNER Monsieur [D] [P] et Madame [S] [Z] épouse [P] au paiement de la somme de 1 500 euros au profit de la BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens s’agissant de cet incident devant le Juge de la mise en état.

A l’appui de sa demande, elle fait valoir :
– qu’il n’est pas nécessaire de traduire des pièces comptables de l’italien au français car ces documents sont parfaitement clairs ; qu’en outre le juge peut apprécier la force probante des documents communiqués ; que ces pièces répondent aux demandes des époux [P] ;
– que M. [D] [P] et Mme [S] [Z] épouse [P] ne peuvent pas se fonder sur l’obligation de vigilance relative à la loi luttant contre le financement du terrorisme et le blanchiment des capitaux pour engager la responsabilité d’un établissement bancaire ;
– que M. [D] [P] et Mme [S] [Z] épouse [P] ne peuvent pas se fonder sur le Code monétaire français pour solliciter leur demande de communication de pièces dès lors que c’est le droit italienne qui s’applique ;
– que selon la loi italienne, elle ne peut pas communiquer les documents sollicités qui sont couverts par le secret bancaire.
 
Sur l’incident, la BANQUE POSTALE n’a pas conclu.

MOTIVATION
La transmission des pièces n°1 à 5 par la BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA porte sur des pièces comptables dont la compréhension ne nécessite pas, pour l’essentiel, une traduction en français. En outre, il appartiendra au tribunal de tirer toutes les conséquences d’un refus de traduction si une question soulevée par les époux [P] rend indispensable une telle traduction.
C’est à juste titre que la société BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA, pour faire valoir que la loi italienne est applicable, se fonde sur l’article 4 du Règlement CE n° 864/2007 Rome II du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit Rome II qui dispose que : ‘Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent’.
En l’espèce, le lieu de survenance du dommage est l’Italie où l’appropriation des fonds s’est produite et la seule circonstance que les effets de cette appropriation ont été ressentis par M. [D] [P] et Mme [S] [Z] épouse [P] en France à raison de ce que les fonds investis l’ont été par l’intermédiaire d’un ordre de virement à partir de leur compte ouvert en France auprès de la BANQUE POSTALE, en l’absence de tout autre élément de rattachement produit attestant de liens plus étroits de nature à concourir à la désignation de la loi française, est insuffisante à justifier l’application de la loi française alors que, tout au contraire, ce sont les obligations de la banque italienne à l’égard de sa propre cliente détenant un compte dans ses livres en Italie qui sont invoqués.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la loi applicable à l’action intentée par M. [D] [P] et Mme [S] [Z] épouse [P] à l’encontre de la société BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA SPA est la loi italienne.
 
Il y a donc lieu de déclarer que la loi italienne s’applique à cette action en responsabilité. Or M. [D] [P] et Mme [S] [Z] épouse [P] se fonde sur les dispositions de la loi française pour trancher leur litige.
 
Il est de jurisprudence constante qu’il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d’en rechercher, soit d’office, soit à la demande de la partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger (Com., 24 juin 2014, n°10-27646 ; Civ. 1ère, 28 juin 2005, n°00-15734 ; Civ. 1ère 11 février 2009, n°07-13088 ; Civ. 1ère, 20 février 2008, n° 06-19936).
En l’espèce, il est constant que les relations entre une banque italienne et son client sont couverts par le secret bancaire. Or M. [D] [P] et Mme [S] [Z] épouse [P] ne justifient pas d’éléments suffisants permettant de demander à une banque de produire tous les documents fournis lors de l’ouverture du compte bancaire puis lors du fonctionnement de ce dernier ainsi que ceux relatifs à son devoir de vigilance comprenant notamment la totalité des relevés de compte pour les mois d’octobre et de novembre 2020 qui sont couverts par le secret bancaire.
 
Dès lors il y a lieu de rejeter la demande de M. [D] [P] et Mme [S] [Z] épouse [P] de production de pièces.
 
Il y a lieu également de réserver les autres demandes ainsi que les dépens et l’article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
 
Le juge de la mise en état statuant publiquement, par ordonnance mise à la disposition au greffe, contradictoirement et susceptible d’appel dans les conditions prévues par l’article 380 du Code de procédure civile,
 
DÉBOUTONS M. [D] [P] et Mme [S] [Z] épouse [P] de leur demande d’injonction à l’encontre de la société BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA SPA ;
 
RENVOYONS l’affaire à l’audience de mise en état en date du mardi 26 novembre 2024 pour conclusions demandeur ;
 
RÉSERVONS les autres demandes ainsi que les dépens et l’article 700 du Code de procédure civile.

Faite et rendue à Paris le 15 octobre 2024.

LA GREFFIÈRE LE JUGE DE LA MISE EN ÉTAT


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