Conflit de compétence et secret bancaire : enjeux d’une relation bancaire transfrontalière

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Conflit de compétence et secret bancaire : enjeux d’une relation bancaire transfrontalière

M. [J] [B] et Mme [T] [B] sont clients de la BANQUE POSTALE. En avril 2018, ils ont été approchés par CRYPTOCROM LTD pour investir dans des cryptomonnaies, ce qui leur a été présenté comme un placement sûr. Le 24 mai 2018, ils ont transféré 30.000 euros de leur compte à la BANQUE POSTALE vers le compte de TALENSIS SPRL en Belgique. Le 20 septembre 2022, ils ont assigné la BANQUE POSTALE et le 26 septembre 2022, CBC BANQUE SA, pour obtenir une indemnisation. Dans leurs conclusions du 14 mai 2024, ils demandent à CBC BANQUE SA de fournir divers documents relatifs à l’ouverture du compte de TALENSIS SPRL, sous astreinte. Ils soutiennent que la banque doit avoir des informations sur les revenus et le patrimoine de ses clients. CBC BANQUE a partiellement répondu à la demande et a demandé le rejet du surplus, arguant que le droit belge s’applique et que certains documents sont protégés par le secret bancaire. Le juge a constaté la transmission de certaines pièces par CBC BANQUE, a débouté M. et Mme [B] de leur demande supplémentaire et a renvoyé l’affaire à une audience ultérieure.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

15 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
22/12835
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

9ème chambre 1ère section

N° RG 22/12835

N° Portalis 352J-W-B7G-CXYSI

N° MINUTE :

Assignation du :
20 Septembre 2022

Contradictoire

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 15 octobre 2024

DEMANDEURS

Monsieur [J] [B]
[Adresse 2]
[Localité 6]

Madame [R] [T] épouse [B]
[Adresse 2]
[Localité 6]

représentés par Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant et par Me Julie BARIANI, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #B0692

DEFENDERESSES

Société BANQUE POSTALE
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentée par Maître Thomas ROUHETTE de la SELEURL SELARLU THOMAS ROUHETTE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #K0151

S.A. CBC BANQUE SA
[Adresse 3]
[Localité 4]
BELGIQUE

représentée par Maître Marie DANIS de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0438

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Monsieur Patrick NAVARRI, Vice-président, Juge de la mise en état, assisté de Sandrine BREARD, Greffière.

DEBATS

A l’audience du 02 juillet 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 15 octobre 2024.

ORDONNANCE

Rendue publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [J] [B] et Mme [T] [B] sont clients auprès de l’établissement bancaire BANQUE POSTALE.

En avril 2018, M. [J] [B] et Mme [R] [T] épouse [B] ont été approchés par une entité dénommée CRYPTOCROM LTD pour investir leurs fonds dans l’acquisition et la revente de cryptomonnaies ce qui était présenté comme un placement financier sûr et très rentable à court terme.

Le 24 mai 2018, M. [J] [B] et Mme [R] [T] épouse [B] procédaient à un versement de 30.000 euros à partir de leur compte ouvert auprès de la BANQUE POSTALE. Les fonds étaient transférés sur le compte bancaire de la société TALENSIS SPRL domiciliée en Belgique au sein de l’établissement bancaire CBC BANQUE SA.

Par actes d’huissier de justice, M. [J] [B] et Mme [R] [T] épouse [B] ont assigné le 20 septembre 2022 la société BANQUE POSTALE et le 26 septembre 2022 la société CBC BANQUE SA devant le tribunal de céans, aux fins d’indemnisation du préjudice subi.

Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 14 mai 2024, M. [J] [B] et Mme [T] [B] demandent de :
Vu les articles 11, 138, 142, 788 et 789 du code de procédure civile,
Vu les articles L. 561-5 et suivants et R. 561-5 et suivants du code monétaire et financier,
Vu la jurisprudence et les pièces versées aux débats,
o ORDONNER à la société CBC BANQUE SA de communiquer à Monsieur et Madame [B] :
– Tout document attestant de la vérification d’identité de sa cliente, la société TALENSIS SPRL, et de son représentant légal lors de l’ouverture du compte bancaire :
→Une attestation de l’immatriculation de la société à la Banque-Carrefour des Entreprises,
→Les statuts de la société TALENSIS SPRL,
→Une déclaration de résidence fiscale de la société,
→ Une copie de la carte d’identité ou du passeport du représentant légal de la société et du bénéficiaire effectif ; ? La déclaration de bénéficiaire effectif.
– Tout document attestant de la nature professionnelle du compte ouvert :
→ La justification économique déclarée par le client ou le fonctionnement envisagé du compte bancaire.
– Les relevés de compte bancaire de la société TALENSIS SPRL pour les mois d’avril à juin 2018 ;
– La facture émise par la société TALENSIS SPRL pour justifier de la prestation fournie au titre de l’encaissement des fonds.
Sous astreinte définitive de 1.000 € par jour de retard, passé un délai de 15 jours après la signification de l’ordonnance à intervenir, durant 2 mois et L’Y CONDAMNER au besoin ;
o CONDAMNER la société CBC BANQUE SA à verser à Monsieur et Madame [B] la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
o CONDAMNER la même aux entiers dépens.

A l’appui de leurs demandes M. [J] [B] et Mme [T] [B] font valoir :
– que selon les différents articles du Code monétaire et financier, la banque doit avant d’entrer en relations avec son client, disposer d’informations sur les revenus et le patrimoine de son client ;
– que si le secret bancaire peut être opposé par la banque en revanche on peut lui demander de produire tous les documents fournis lors de l’ouverture du compte ainsi que ceux relatifs à son devoir de vigilance comprenant la totalité des relevés de compte.

Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 28 juin 2024, la société CBC BANQUE demande de :
– PRENDRE ACTE de la communication des pièces n°1 à 6 correspondant à une partie de la demande des époux [B] ;
– DÉBOUTER Monsieur [C] [B] et Madame [R] [T] épouse [B] de leur demande de communication, sous astreinte, des autres documents demandés.

A l’appui de sa demande elle fait valoir :
– qu’elle communique une partie des pièces sollicitées ;
– que M. [J] [B] et Mme [T] [B] ne peuvent pas se fonder sur le Code monétaire français pour solliciter leur demande de communication de pièces dès lors que c’est le droit belge qui s’applique ;
– que selon la loi belge elle ne peut pas communiquer les relevés bancaires qui sont couverts par le secret bancaire.

Sur l’incident, la BANQUE POSTALE n’a pas conclu.

MOTIVATION

La transmission des pièces n°1 à 6 portant notamment sur la vérification de l’identité du titulaire du compte bancaire ouvert dans ses livres par la CBC BANQUE a été effectuée.

L’article 4 du Règlement CE n° 864/2007 Rome II du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit Rome II qui dispose que : ‘Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent’.

En l’espèce, le lieu de survenance du dommage est la Belgique où l’appropriation des fonds s’est produite et la seule circonstance que les effets de cette appropriation ont été ressentis par M. [J] [B] et Mme [T] [B] en France à raison de ce que les fonds investis l’ont été par l’intermédiaire d’un ordre de virement à partir de leur compte ouvert en France auprès de la BANQUE POSTALE, en l’absence de tout autre élément de rattachement produit attestant de liens plus étroits de nature à concourir à la désignation de la loi française, est insuffisante à justifier l’application de la loi française alors que, tout au contraire, ce sont les obligations de la banque belge à l’égard de sa propre cliente détenant un compte dans ses livres en Belgique qui sont invoqués.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la loi applicable à l’action intentée par M. [J] [B] et Mme [T] [B] à l’encontre de la société CBC BANQUE SPA est la loi belge.

Il y a donc lieu de déclarer que la loi belge s’applique à cette action en responsabilité. Or M. [J] [B] et Mme [T] [B] se fondent sur les dispositions de la loi française pour trancher leur litige.

Il est de jurisprudence constante qu’il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d’en rechercher, soit d’office, soit à la demande de la partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger (Com., 24 juin 2014, n°10-27646 ; Civ. 1ère, 28 juin 2005, n°00-15734 ; Civ. 1ère 11 février 2009, n°07-13088 ; Civ. 1ère, 20 février 2008, n° 06-19936).

En l’espèce, il est constant que les relations entre une banque belge et son client sont couverts par le secret bancaire. Or M. [J] [B] et Mme [T] [B] ne justifient pas d’éléments suffisants permettant de demander à une banque de produire les relevés de compte pour les mois d’avril à juin 2018 qui sont couverts par le secret bancaire ainsi que les autres documents sollicités et non transmis qui sont couverts également par le secret bancaire.

Dès lors, il y a lieu de rejeter la demande de M. [J] [B] et Mme [T] [B] de production de pièces ainsi que des relevés bancaires.

Il y a lieu également de réserver les autres demandes ainsi que les dépens et l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état statuant publiquement, en premier ressort,
par ordonnance contradictoire et mise à disposition au greffe ,

CONSTATONS la transmission par la CBC BANQUE des pièces n°1 à n°6 ;

DÉBOUTONS M. [J] [B] et Mme [T] [B] du surplus de leur demande d’injonction à l’encontre de la société CBC BANQUE SPA ;

RENVOYONS l’affaire à l’audience de mise en état en date du mardi 26 novembre 2024 pour conclusions demandeur ;

RÉSERVONS les autres demandes ainsi que les dépens et l’article 700 du Code de procédure civile.

Faite et rendue à Paris le 15 octobre 2024.

La Greffière Le Juge de la mise en état


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