Conflit de responsabilités dans la mise en œuvre d’une garantie bancaire pour la levée de réserves dans un projet immobilier

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Conflit de responsabilités dans la mise en œuvre d’une garantie bancaire pour la levée de réserves dans un projet immobilier

La SARL LA MICHELE a entrepris la construction d’un ensemble immobilier comprenant 39 maisons individuelles et plusieurs immeubles, en confiant les travaux à la société DUO ENTREPRISE. Cette dernière a fourni une caution bancaire pour garantir les travaux. En juin 2020, des acquéreurs ont acheté une maison en état futur d’achèvement, dont la réception a été prononcée avec réserves en décembre 2021. Malgré une mise en demeure, DUO ENTREPRISE n’a pas levé les réserves et a cessé de travailler, entraînant une liquidation judiciaire de cette société en juin 2022. La SARL LA MICHELE a alors demandé à mobiliser la caution, mais celle-ci a été refusée. Les acquéreurs ont assigné LA MICHELE pour indemnisation, et cette dernière a appelé en garantie la société de caution. Un jugement a débouté LA MICHELE de sa demande de mobilisation de la caution. Des incidents ont été soulevés concernant la jonction des procédures et des demandes de sursis à statuer, qui ont été rejetées par le juge de la mise en état. L’affaire a été renvoyée pour conclusions au fond.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

15 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Marseille
RG
22/12466
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE

TROISIEME CHAMBRE CIVILE SECTION A1

*********

ORDONNANCE D’INCIDENT

audience du 24 septembre 2024
délibéré et mise à disposition le 15 octobre 2024

N° RG 22/12466 – N° Portalis DBW3-W-B7G-2ZJN

MAGISTRAT : Madame TAILLEPIERRE

GREFFIER : Madame HOBESSERIAN

PARTIES

DEMANDERESSE A L’INCIDENT – défenderesse au principal

LA S.A.R.L. LA MICHELE, inscrite au répertoire SIREN sous le numéro 422 830 174 et dont le siège social est sis [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal en exercice

représentée par Maître Hugo GERVAIS DE LAFOND de la SELARL RACINE, avocats au barreau de MARSEILLE,

DEFENDEURS A L’INCIDENT – demandeurs au principal

Madame [V], [R], [F] [Z]
née le 13 Août 1990 à [Localité 10] (92), de nationalité française, domiciliée et demeurant [Adresse 5]

représentée par Maître Frédéric GROSSO, avocat au barreau de MARSEILLE

Monsieur [N], [H] [J]
né le 31 Mars 1987 à [Localité 9] (13), de nationalité française, domicilié et demeurant [Adresse 5]

représenté par Maître Frédéric GROSSO, avocat au barreau de MARSEILLE

DEFENDERESSES A L’INCIDENT et au principal

LACOMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET CAUTIONS, dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal en exercice

représentée par Maître Frédéric AMSELLEM, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat postulant de Maître Matthieu MALNOY, avocat plaidant au barreau de Paris, [Adresse 4]

* * * *

EXPOSE DU LITIGE

La SARL LA MICHELE a fait réaliser un ensemble immobilier composé de 39 maisons individuelles, d’un immeuble de 8 logements et d’un immeuble de 4 logements sur un terrain situé [Adresse 7], cadastré section [Cadastre 6] I [Cadastre 3] et [Cadastre 8], afin de les commercialiser en état futur d’achèvement.

Elle a confié les travaux tous corps d’état, excepté certains lots spécifiques, à la société DUO ENTREPRISE suivant marché du 13 décembre 2019, pour un montant de 6 798 510 euros HT.

La société DUO ENTREPRISE a transmis à la SARL LA MICHELE une caution bancaire de la COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET CAUTIONS d’un montant de 407 910,60 euros en remplacement de la retenue de garantie de 5%.

Le 15 juin 2020, Madame [Z] et Monsieur [J] ont acquis, auprès de la SARL LA MICHELE, une maison d’habitation de type 4 (villa n°13) selon acte de vente en l’état futur d’achèvement.

La réception de la villa n°13 a été prononcée avec réserves le 12 décembre 2021, suivant procès-verbal signé par la SARL LA MICHELE, la société DUO ENTREPRISE et le maître d’œuvre, la société TRIUMVIRAT.

Malgré mise en demeure notifiée par la SARL LA MICHELE le 19 mai 2022, la société DUO ENTREPRISE n’a pas levé l’intégralité des réserves dans le délai contractuel et a cessé de se présenter sur le chantier.

Par procès-verbal d’huissier du 1er juin 2022, la SARL MICHELE a fait constater la défaillance de la société DUO ENTREPRISE.

Par jugement du 3 juin 2022, le Tribunal de Commerce d’Aix-en-Provence a prononcé l’ouverture d’une liquidation judiciaire à l’encontre de la société DUO ENTREPRISE.

Parallèlement, la SARL LA MICHELE a notifié à la société COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET DE CAUTION (CEGC) une demande de mobilisation de la caution destinée à couvrir le coût de levée des réserves de réception, suivant courrier reçu le 25 mai 2022.

La société CEGC a refusé de mobiliser la caution.

***

Par exploit du 12 décembre 2022, Mme [Z] et M. [J] ont assigné la SARL LA MICHELE devant le tribunal judiciaire de Marseille aux fins d’indemnisation de leurs préjudices résultant de l’absence de levée de certaines réserves (RG n°22/12466).

Par exploit du 7 septembre 2023, la SARL LA MICHELE a appelé en garantie la société CEGC aux fins qu’elle la relève et la garantisse de toute condamnation qui serait éventuellement prononcée à son encontre (RG n°23/10216).

Par décision du 6 février 2024, le juge de la mise en état a ordonné la jonction de ces deux instances.

Parallèlement, la SARL LA MICHELE a obtenu l’autorisation d’assigner au fond à jour fixe la société CEGC devant le Tribunal de commerce de Marseille, afin que celle-ci soit condamnée à mobiliser sa caution.

Par jugement du 8 janvier 2024, le Tribunal de Commerce de Marseille a jugé que la caution n’avait pas été régulièrement mise en jeu et a débouté la société LA MICHELE de ses demandes.

***
 
Par conclusions d’incident notifiées par voie électronique le 26 octobre 2023, la SARL LA MICHELE demande au Juge de la mise en état de :

Vu les articles 367 et 378 du Code de procédure civile,

Ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les numéros RG n°22/12466 et n°23/10216 ;
Ordonner le sursis à statuer de la présente affaire dans l’attente d’une décision définitive des juridictions commerciales dans l’affaire opposant la COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIE ET CAUTIONS et la SARL LA MICHELE ;
Réserver les dépens de l’incident.

Elle expose que l’objet de la caution est de pallier la carence de l’entreprise notamment lors de la levée des réserves, que le refus infondé de mobilisation de la caution de la CGEC est directement à l’origine de l’absence de la levée des réserves énoncées par les consorts [C] et de la procédure judiciaire en résultant et que la justification ou non de ce refus doit être tranchée par le Tribunal de Commerce.

***
 
Par conclusions d’incident notifiées par voie électronique le 30 avril 2024, la société Compagnie Européenne de Garanties et Cautions demande au Juge de la mise en état de:

Vu le jugement prononcé le 8 janvier 2024 (2023F00692) par lequel le Tribunal de Commerce de MARSEILLE a débouté la société LA MICHELE de ses demandes à l’encontre de la Compagnie Européenne de Garanties et Cautions,
Vu l’appel de la société LA MICHELE enregistré le 6 févier 2024,
Vu l’article 378 du Code de procédure civile,

– ORDONNER un sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt qui sera prononcé sur l’appel de la société LA MICHELE,
– RESERVER les dépens.

Elle soutient que si le jugement est confirmé, aucune demande ne pourra prospérer à son encontre.
***
 
Par conclusions d’incident notifiées par voie électronique le 1er juillet 2024, Mme [Z] et M. [J] demandent au Juge de la mise en état de :

Vu l’article 378 du code civil,

REJETER la demande de sursis à statuer,
CONDAMNER la société la MICHELE à payer la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du CPC,
CONDAMNER la société la MICHELE aux dépens.

Ils soutiennent que des vices apparents ont été constatés dans le procès-verbal du 11 décembre 2021 puis dénoncés par courrier recommandé et rappellent que le vendeur ne s’est nullement engagé à les réparer et a commis une faute en ne sollicitant pas la restitution de la garantie par la société COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET CAUTIONS.
Ils ajoutent que la caution solidaire de la CEGC ne concerne que les réserves effectuées à la livraison entre la SARL LA MICHELE et la société DUO ENTREPRISE et non celles constatées à réception par les acquéreurs eux mêmes à la livraison et dans le mois suivant, aussi la caution ne couvre pas les réserves qui ont été faites par eux et leurs demandes ne dépendent pas de la procédure entre les sociétés CGEC et LA MICHELE.

***

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’audience sur incident s’est tenue le 24 septembre 2024.

L’affaire a été mise en délibéré à la date du 15 octobre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

En premier lieu, il doit être observé que les procédures RG n°22/12466 et n°23/10216 ont déjà fait l’objet d’une jonction par ordonnance du juge de la mise en état en date du 6 février 2024, de sorte qu’il n’apparaît pas nécessaire de statuer à nouveau sur ce point.

Par ailleurs, l’article 789 du code de procédure civile donne compétence au juge de la mise en état à l’exclusion de toute autre formation du tribunal pour :
– statuer sur les exceptions de procédure et sur les incidents mettant fin à l’instance,
– allouer une provision pour le procès,
– accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable,
– ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires,
– ordonner d’office toute mesure d’instruction,
– statuer sur les fins de non-recevoir.

En vertu des dispositions de l’article 73 du code de procédure civile, une exception de procédure est notamment un moyen qui tend à suspendre le cours de la procédure.

Il résulte de l’article 377 du Code de procédure civile qu’en dehors des cas où la loi le prévoit, l’instance est suspendue par la décision qui sursoit à statuer, radie l’affaire ou ordonne son retrait son rôle. 

Selon l’article 378 du même code, la décision de sursis à statuer suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine.

En l’espèce, il résulte des éléments de la procédure que Mme [Z] et M. [J] ont assigné la SARL LA MICHELE devant le tribunal judiciaire de Marseille par acte du 12 décembre 2022 aux fins d’indemnisation de leurs préjudices sur le fondement des articles 1642-1 et 1648 du code civil.

Postérieurement et par exploit du 7 septembre 2023, la SARL LA MICHELE a appelé en garantie, devant la même juridiction, la société COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET DE CAUTION, en évoquant que cette dernière a refusé de mobiliser la caution souscrite en remplacement de la retenue de garantie de façon injustifiée, l’empêchant de lever les réserves existantes sur le chantier, chiffrées à la somme totale de 410 021,82 euros. Elle ajoute, dans le cadre de son assignation, que ce refus est à l’origine des préjudices allégués par les demandeurs et relève de la responsabilité de la société COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET DE CAUTION.

Parallèlement, la SARL LA MICHELE avait déjà assigné à jour fixe la société COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET DE CAUTION devant le tribunal de commerce de Marseille par acte du 11 mai 2023 aux fins de versement de la somme de 407 910,60 euros au titre de la mobilisation de sa caution.

Dans la mesure où l’appel en garantie de la SARL LA MICHELE a été joint à l’instance principale, sans opposition des parties, la question de la mobilisation de la caution de la société COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET DE CAUTION a nécessairement une influence sur le bien-fondé de cette demande.

Or, le tribunal de commerce de Marseille a, par jugement du 8 janvier 2024, débouté la SARL LA MICHELE de ses demandes.

La SARL LA MICHELE n’indique aucunement dans des conclusions récapitulatives avoir interjeté appel de cette décision et ne produit aucun justificatif en ce sens. Cette affirmation ne ressort en effet que des écritures de la société COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET DE CAUTION et n’est corroborée par aucune pièce.

L’évènement évoqué apparaissant en l’état incertain, aucune mesure de sursis à statuer ne peut être ordonnée. Par conséquent, il convient de rejeter la demande de sursis à statuer dans la présente instance.

Il n’y a pas lieu à ce stade de faire droit aux demandes formulées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les dépens suivront le sort de l’instance au fond.

PAR CES MOTIFS
 
Le Juge de la mise en état, statuant après audience publique, par ordonnance contradictoire mise à disposition au greffe,

DEBOUTE la SARL LA MICHELE et la société COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET DE CAUTION de leur demande de sursis à statuer,

REJETTE les demandes formulées au titre des frais irrépétibles,

RESERVE les dépens,

RENVOIE le dossier à l’audience de mise en état électronique du 17 décembre 2024 à 09h00 pour conclusions au fond de Maître AMSELLEM.

Fait à Marseille, le 15 octobre 2024.

Le Greffier Le Juge de la Mise en état


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