M. [G] [S] a été mis en examen pour trafic de stupéfiants le 12 juin 2013 et a été placé en détention provisoire jusqu’au 8 août 2013, date à laquelle il a été libéré sous contrôle judiciaire. Le 29 juin 2023, la Cour d’appel de Bordeaux a décidé de le renvoyer des fins de la poursuite. Le 18 décembre 2023, son avocat a demandé une indemnisation pour la détention provisoire, sollicitant des sommes pour préjudice moral, atteinte à l’image, préjudice matériel, frais de justice et au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Concernant le préjudice matériel, il a été noté que M. [G] [S] était co-gérant de deux établissements de nuit, fermés administrativement en 2013, ce qui a impacté ses revenus. Pour le préjudice d’image, il a été mentionné que des articles de presse ont largement couvert son incarcération, nuisant à sa réputation. Sur le plan moral, son avocat a souligné la souffrance psychologique liée à son incarcération et à l’éloignement de ses proches. L’Agent Judiciaire de l’État a contesté les demandes d’indemnisation, arguant que les pertes financières étaient dues à la fermeture des établissements et non uniquement à la détention. Il a proposé une indemnité de 8 000 € pour le préjudice moral. Le Procureur général a également recommandé une indemnisation de 15 000 € pour le préjudice moral, tout en rejetant les autres demandes. La décision finale a déclaré la requête recevable, allouant 8 000 € pour le préjudice moral et 1 000 € au titre de l’article 700, tout en rejetant le reste des demandes et laissant les dépens à la charge du Trésor Public. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DÉTENTION PROVISOIRE
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[G] [S]
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N° RG 23/05718 – N° Portalis DBVJ-V-B7H-NRYB
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DU 15 OCTOBRE 2024
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Notifications
le :
ORDONNANCE
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Rendue par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Le 15 OCTOBRE 2024
Nous, Cécile RAMONATXO, Présidente de chambre à la Cour d’appel de Bordeaux désignée en l’empêchement légitime de la Première Présidente par ordonnance en date du 06 décembre 2023, assistée de Séverine ROMA, Greffier,
Statuant en audience publique sur la requête de :
Monsieur [G] [S]
né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 8], demeurant [Adresse 3]
absent
représenté par Me Benoît DUCOS-ADER de la SELARL DUCOS-ADER / OLHAGARAY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX, substitué par Me Louise DURIN, avocat au barreau de BORDEAUX
Demandeur
D’une part,
ET :
L’AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT, demeurant [Adresse 2]
absent
représenté par Me Bénédicte DE BOUSSAC DI PACE de la SELARL BENEDICTE DE BOUSSAC DI PACE, avocat au barreau de BORDEAUX
Défendeur
D’autre part,
En présence du Procureur Général près la Cour d’appel de Bordeaux, pris en la personne de Jean-François COURET, Substitut Général près ladite Cour,
Avons rendu la décision suivante, laquelle a été prorogée au 17 septembre 2024, au 1er octobre 2024, puis au 15 octobre 2024 ce dont les parties ont été avisées, après que les débats ont eu lieu devant nous, assistée de Séverine ROMA, Greffier, en audience publique, le 04 Juin 2024, conformément aux dispositions de l’article R 37 du code de procédure pénale.
M. [G] [S] a été mis en examen du chef de trafic de stupéfiants le 12 juin 2013 et placé en détention provisoire. Par arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux en date du 29 juin 2023, [G] [S] a été renvoyé des fins de la poursuite.
M. [G] [S] a été placé en détention provisoire du 12 juin 2013 au 8 août 2013, date à laquelle il a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire. Il a donc été détenu provisoirement pendant 57 jours.
Par requête reçue le 18 décembre 2023, le conseil de M. [G] [S] a présenté une demande en indemnisation de la détention provisoire.
Il demande qu’il soit alloué à M. [G] [S] les sommes de
– 50 000 € en réparation du préjudice moral
– 50 000 € en réparation du préjudice d’atteinte à l’image
– 20 000 € en réparation du préjudice matériel
– 3 500 € en réparation du préjudice économique en lien avec les frais de justice concernant la détention provisoire
– 3 600 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur le préjudice matériel, le conseil relève que [G] [S] était co gérant avec sa compagne de deux établissements de nuit sur [Localité 7] : [6] et [5] ; que pour l’année 2013, il a déclaré une somme de 10 478 € de rémunération dans le cadre de la gérance de [5], aucun salaire n’ayant été versé pour [5]. Les deux établissements ont été fermés administrativement jusqu’à la fin de l’année 2013. Le salaire est donc évalué à 2 096 € par mois soit pour deux mois la somme de 4 192€ pour [5].
Pour l’année 2014, la rémunération tirée de l’exploitation de [6] s’élève à 1 744 € soit pour deux mois la somme de 3487 € somme qu’il aurait perçu si la fermeture administrative en 2013 ne l’avait pas empêché de percevoir une rémunération.
Ajoutant que la fermeture administrative, le préjudice d’image et les obligations du contrôle judiciaire l’ont privé du droit d’exercer sa profession, [G] [S] demande la somme forfaitaire de 20 000 € au titre du préjudice matériel.
Sur le préjudice d’image, le conseil relève les articles de presse parus le 11 juin et le 12 décembre 2013 et fait état de nombreux articles de presse et des reportages des journaux télévisés nationaux qui se sont faits écho de l’incarcération de [G] [S] et de son implication dans un trafic de stupéfiants organisé dans ses établissements de nuit. Ces articles qui reprenaient la teneur des décisions judiciaires en matière de détention ont porté une atteinte considérable à l’honneur et à la respectabilité de [G] [S] . Ce préjudice existe encore, la réputation de [G] [S] et de ses établissements ayant été définitivement entachée par cette mauvaise publicité et [G] [S] étant invectivé par certains clients.
Sur le préjudice moral, le conseil relève que [G] [S] a vécu son incarcération de façon très douloureuse étant de surcroît dans l’incertitude de la durée d’un emprisonnement qu’il savait injustifié ; que l’expertise psychologique rend compte de l’importance des souffrances psychologique endurées du fait de l’incarcération provisoire ; de l’éloignement de ses proches étant détenu à [Localité 4]. Selon le conseil, les circonstances sont plus graves habituellement en raison de la position sociale de [G] [S] et de l’exposition médiatique de son dossier.
Dans ses conclusions reçues au greffe le 5 mars 2024 complétées par ses conclusions du 29 mai 2024, l’Agent Judiciaire de L’État conclut sous réserve de la recevabilité de la requête, au débouté de [G] [S] quant à ses demandes au titre du préjudice matériel, du préjudice d’image et des frais d’avocat.
Sur le préjudice moral, l’Agent Judiciaire de L’État demande que l’indemnité ne puisse excéder 8000 €.
Sur la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, l’ Agent Judiciaire de L’État demande qu’elle soit réduite à de plus justes proportions faute de justificatif.
S’agissant du préjudice matériel, l’ Agent Judiciaire de l’État relève que la perte financière ne résulte pas exclusivement de l’incarcération mais de la fermeture des établissements et que le préjudice lié à l’interdiction de gérer en lien avec le contrôle judiciaire est par définition distinct de celui causé par la détention provisoire.
S’agissant des frais d’avocat, l’Agent Judiciaire de l’État relève que la facture ne permet pas d’identifier les frais en lien avec la détention.
S’agissant du préjudice d’image, l’Agent Judiciaire de l’État relève que le préjudice invoqué relève de la publication des articles et non pas de la détention provisoire.
S’agissant du préjudice moral, l’ Agent Judiciaire de l’État rappelle que le bien ou mal fondé de la détention provisoire est sans effet sur le principe de réparation de la détention provisoire ; que si le choc carcéral n’est pas contestable, le rapport psychologique n’est pas produit et il n’est pas rapporté la preuve d’évènements qui auraient rendu sa détention provisoire plus difficile que celle des autres détenus.
Dans son avis en date du 17 avril 2024, M. le Procureur général conclut à la recevabilité de la requête et demande à Mme la Première Présidente de fixer à 15 000 € l’indemnisation au titre du préjudice moral, de rejeter la demande d’indemnisation du préjudice matériel, du préjudice d’atteinte à l’image et des frais d’avocats au vu des justificatifs produits.
Aux termes de l’article 149 du code de procédure pénale [‘] la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention [‘] Toutefois aucune réparation n’est due lorsque [‘] la personne était dans le même temps détenue pour autre cause [‘]
Cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral en lien de causalité direct et certain avec la privation de liberté.
Aux termes de l’article 149-2 du code de procédure pénale la requête doit être déposée dans le délai de 6 mois à compter de la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive.
1/ Sur la recevabilité de la requête
La requête déposée dans le délai de 6 mois après l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux renvoyant [G] [S] des fins de la poursuite doit être déclarée recevable.
2/ Sur le préjudice moral
Le préjudice moral au sens de l’article 149 du code de procédure pénale résulte du choc carcéral ressenti par une personne injustement privée de liberté, le choc carcéral correspondant à l’émotion violente et inattendue provoquée par la perturbation physique et psychique éprouvée par une personne écrouée dans un établissement pénitentiaire.
Peu importe que la détention provisoire ait été strictement nécessaire à la manifestation de la vérité au vu de la nature et de la gravité des faits reprochés dans l’évaluation du préjudice moral.
Pour évaluer le préjudice moral, la jurisprudence prend en compte la situation personnelle et familiale de la personne, l’existence ou non d’antécédents judiciaires, les conditions et la durée de la détention.
Ce préjudice peut être aggravé notamment par des conditions d’incarcération particulièrement difficiles ou au contraire minoré lorsque la personne avait déjà connu la prison auparavant.
En l’espèce
S’agissant de la durée de l’incarcération, M. [G] [S] a été détenu provisoirement du 12 juin 2013 au 8 août 2013 soit pendant 57 jours.
Lors de son incarcération, il était âgé de 44 ans.
En ce qui concerne son activité professionnelle, il gérait une discothèque, « [5] » et il était co-gérant d’une deuxième discothèque « [6] ».
Il est indiqué dans la requête que [G] [S] vivait en concubinage avec Mme [P] co-gérante de [6].
Il s’agissait d’une première incarcération.
Si la séparation d’avec sa famille proche lui a nécessairement causé un préjudice moral, il ne démontre pas que les contacts téléphoniques ou les droits de visite lui aient été refusés.
Ce préjudice moral est conforté par le rapport d’expertise psychologique.
Il ne justifie ni n’évoque de conditions indignes de détention et ni quelque particularité que ce soit qui pourrait être prise comme facteur d’aggravation du préjudice moral lié à une détention injustifiée.
En conséquence, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il convient de fixer le préjudice moral subi par [G] [S] à la somme de 8 000 €.
3/ Sur le préjudice d’image
Si quelques articles ont paru dans la presse régionale en 2013 ces articles faisaient surtout référence au trafic de cocaïne qui se déroulait au sein de ces deux établissements, un trafic dont la réalité a été formellement établie par les investigations puisque plusieurs personnes ont été condamnées pour avoir participé à ce trafic de stupéfiants dont le frère de M. [S] qui travaillait au sein de ces établissements.
C’est donc plus sûrement le trafic de cocaïne que la détention provisoire de M. [S] qui était de nature à porter atteinte à l’image des établissements.
Compte tenu de la banalisation de la consommation de cocaïne dans ces établissements de nuit, il n’est même pas établi que la révélation des faits soit de nature à causer un préjudice d’image de nature à détourner la clientèle.
Quoiqu’il en soit n’étant pas démontré l’existence d’un lien direct entre la détention provisoire de [G] [S] et un éventuel préjudice d’image, il ne sera pas fait droit à la demande.
3/ Sur le préjudice matériel
[G] [S] demande une somme forfaitaire de 20 000 €
pour les rémunérations perdues pendant sa détention provisoire.
Pour l’exploitation de [5], il demande la somme de 4 192 € (2 096 € x 2 mois) calculée d’après l’avis d’imposition 2014
Pour l’exploitation de [6], il demande la somme de 3 487 € (1 744 € x 2 mois) calculée d’après la rémunération de 2014 attestée par l’expert comptable au motif que suite à la fermeture administrative l’établissement dégageait suffisamment de dividendes et [G] [S] en retirait une rémunération.
et pour l’interdiction d’exercer à laquelle il a été astreint par son contrôle judiciaire.
La cour relève que la perte de revenus qui serait en lien avec le contrôle judiciaire ne peut être indemnisée sur le fondement de l’article 149 du code de procédure pénale, lequel ne permet que d’indemniser les pertes de revenus directement en lien avec la détention provisoire.
La cour relève encore que l’absence de revenus pendant les deux mois de détention provisoire (57 jours) n’est pas directement en lien avec cette détention injustifiée mais par la fermeture administrative de 6 mois dont les établissements ont fait l’objet.
De sorte que [G] [S] sera débouté de sa demande au titre du préjudice matériel.
4/ Sur les frais d’avocat
La facture n° DA20130342 porte sur une somme de 3 500 € en date du 31 juillet 2013, outre qu’il n’est pas mentionné qu’elle soit acquittée, ne précise pas que les honoraires sont en lien avec la détention provisoire. La demande sera rejetée.
Il sera néanmoins alloué à la somme de 1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Statuant publiquement, contradictoirement par décision susceptible de recours
Déclare la requête en indemnisation de la détention provisoire recevable
Alloue à M. [G] [S]
– la somme de 8 000 euros en réparation du préjudice moral
– la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Rejette le surplus de ses demandes
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.
La présente décision est signée par Cécile RAMONATXO, présidente de chambre et par Séverine ROMA, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La greffière La présidente