Engagements de caution : Évaluation de la disproportion et manquement au devoir de mise en garde

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Engagements de caution : Évaluation de la disproportion et manquement au devoir de mise en garde

La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel atlantique Vendée a accordé plusieurs prêts au GAEC de l'[Localité 5], avec M. [H] [G] et M. [Z] [N] se portant cautions solidaires. En raison de la liquidation judiciaire du GAEC, la banque a assigné les cautions en paiement. Le tribunal a condamné M. [H] [G] à rembourser des sommes spécifiques pour plusieurs prêts et a débouté la banque de certaines demandes. M. [Z] [N] a interjeté appel, suivi d’un appel incident de la banque. La cour a partiellement infirmé le jugement initial, confirmant certaines condamnations à l’égard de M. [H] [G] et déboutant la banque de ses demandes contre M. [Z] [N]. La cour a également statué sur les frais de justice et les dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

15 octobre 2024
Cour d’appel de Rennes
RG
22/02648
2ème Chambre

ARRÊT N°355

N° RG 22/02648

N° Portalis DBVL-V-B7G-SV64

(Réf 1ère instance : 19/00159)

(1)

M. [Z] [N]

C/

M. [H] [G]

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL ATLANTIQUE VENDEE

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

– Me LHERMITTE

– Me NAUX

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 15 OCTOBRE 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER :

Mme Ludivine BABIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 28 Mai 2024 et tenue en double rapporteur, sans opposition des parties par Monsieur David JOBARD, Président de Chambre, et Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

ARRÊT :

Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 15 Octobre 2024, après prorogations, par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [Z] [N]

né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 4]

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représenté par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Charlyves SALAGNON, plaidant, avocat au barreau de NANTES

INTIMÉS :

Monsieur [H] [G]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Assigné par acte d’huissier en date du 09/06/2022, délivré à personne, n’ayant pas constitué

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL ATLANTIQUE VENDEE

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représentée par Me Louis NAUX de la SELARL LRB, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE

EXPOSE DU LITIGE :

Suivant offre acceptée le 3 février 2009, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel atlantique Vendée (la banque) a consenti au GAEC de l'[Localité 5] (le GAEC) un prêt immobilier n° 00048561372 d’un montant de 60 000 euros au taux de 5,05 % l’an remboursable en 108 mensualités. M. [H] [G] s’est porté caution solidaire dans la limite de 78 000 euros pendant une durée de 11 ans.

 

Suivant offre acceptée le 26 avril 2011, la banque a consenti au GAEC un prêt professionnel n° 00070031871 d’un montant de 41 000 euros au taux de 4,09 % l’an remboursable en 120 mensualités. M. [H] [G] s’est porté caution solidaire dans la limite de 53 300 euros pendant une durée de 15 ans.

 

Suivant offre acceptée le 5 octobre 2011, la banque a consenti au GAEC un prêt professionnel n° 00071673064 d’un montant de 40 000 euros au taux de 2,50 % l’an remboursable en 144 mensualités. 

 

Suivant offre acceptée le 5 octobre 2011, la banque a consenti au GAEC un prêt professionnel n° 00071673073 d’un montant de 83 464 euros au taux de 3,80 % l’an remboursable en 144 mensualités. 

 

M. [H] [G] et M. [Z] [N] se sont portés cautions solidaires pour ces deux prêts dans la limite de 160 503,20 euros pour une durée de 17 ans.

 

Suivant offre acceptée le 10 avril 2013, la banque a consenti au GAEC un prêt professionnel n° 10000065375 d’un montant de 30 000 euros au taux de 3,27 % l’an remboursable en 144 mensualités. M. [H] [G] et M. [Z] [N] se sont portés cautions solidaires dans la limite de 39 000 euros pour une durée de 17 ans.

 

Suivant offre acceptée le 29 mai 2013, la banque a consenti au GAEC un prêt professionnel n° 10000094852 d’un montant de 6 200 euros au taux de 2,65 % l’an remboursable en 84 mensualités. M. [H] [G] et M. [Z] [N] se sont portés cautions solidaires dans la limite de 8 060 euros pour une durée de 12 ans.

 

Suivant jugement du 26 septembre 2017, le tribunal de grande instance de Nantes a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard du GAEC. La procédure a été clôturée pour insuffisance d’actifs le 4 décembre 2018.

 

Suivant acte d’huissier du 2 janvier 2019, la banque a assigné M. [H] [G] et M. [Z] [N] en paiement devant le tribunal de grande instance de Nantes.

 

Suivant jugement du 15 mars 2022, le tribunal de grande instance de Nantes devenu tribunal judiciaire de Nantes a :

 

– Condamné M. [H] [G] en qualité de caution à payer à la banque la somme de :

– 7 258,36 euros au titre du prêt n° 00048561372

– 15 965,97 euros au titre du prêt n° 00070031871

 

– Condamné solidairement M. [H] [G] et M. [Z] [N] en qualité de cautions à payer à la banque la somme de :

– 17 937,37 euros au titre du prêt n° 00071673064

– 40 157,21 euros au titre du prêt n° 00071673073

– 17 696,65 euros au titre du prêt n° 10000065375

– 2 328,12 euros au titre du prêt n° 10000094852

outre les intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2018.

– Débouté la banque de sa demande de capitalisation des intérêts.

– Débouté M. [H] [G] et M. [Z] [N] de leurs demandes.

– Condamné solidairement M. [H] [G] et M. [Z] [N] aux dépens, dans leurs rapports entre eux dans la proportion de 60 % pour M. [H] [G] et de 40 % pour M. [Z] [N], avec application de l’article 699 du code de procédure civile au bénéfice des avocats en ayant fait la demande.

– Condamné solidairement M. [H] [G] et M. [Z] [N] à payer à la banque la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile dans la même proportion que les dépens dans leurs rapports entre eux.

 

Suivant déclaration du 25 avril 2022, M. [Z] [N] a interjeté appel.

 

Suivant conclusions du 21 juin 2022, la banque a interjeté appel incident.

 

En ses dernières conclusions du 2 septembre 2022, M. [Z] [N] demande à la cour de :

 

Vu les articles 2292, 1134 et 1147 dans leur rédaction applicable, du code civil,

Vu les articles L. 341-1, L. 341-4 et L. 341-6 du code de la consommation dans leur rédaction applicable,

 

– Infirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il a prononcé la déchéance des intérêts conventionnels réclamés par la banque.

Statuant à nouveau,

A titre principal,

– Constater qu’il n’a pas entendu garantir les prêts n° 00048561372 et 00070031871 et débouter la banque de toute demande à ce titre.

– Constater la disproportion manifeste entre ses engagements de caution et son patrimoine.

– L’en décharger.

– Débouter la banque de ses demandes.

A titre subsidiaire,

– Dire que la banque a manqué à son devoir de mise en garde.

– La débouter de ses demandes.

A défaut,

– Condamner la banque à lui payer la somme de 77 000 euros à titre de dommages et intérêts.

– Ordonner la compensation de la créance indemnitaire avec les sommes dues au titre de ses engagements de caution.

A titre plus subsidiaire,

– Constater l’absence d’exigibilité des dettes invoquées.

– Débouter la banque de ses demandes.

A titre plus subsidiaire encore,

– Prononcer la déchéance du droit aux intérêts et pénalités de retard de la banque.

En toute hypothèse,

– Condamner la banque à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

– La condamner aux dépens avec application de l’article 699 du code de procédure civile au bénéfice de la société Gauvain, Demidoff & Lhermitte représentée par Me Demidoff.

 

En ses dernières conclusions du 1er août 2023, la banque demande à la cour de :

 

Vu les articles 1134 et 2288 du code civil,

 

– Confirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de capitalisation des intérêts et qu’il a jugé non prescrite la demande au titre du devoir de mise en garde.

Statuant à nouveau,

– Juger prescrite la demande de M. [Z] [N] au titre du devoir de mise en garde.

– Ordonner la capitalisation des intérêts.

– Condamner solidairement M. [H] [G] et M. [Z] [N] à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 code de procédure civile,

– Les condamner solidairement aux dépens avec application de l’article 699 du code de procédure civile au bénéfice de la société LRB avocats conseils représentée par Me Louis Naux.

 

M. [H] [G] n’a pas constitué avocat.

 

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions des parties.

 

L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

 

Au soutien de son appel, M. [Z] [N] fait valoir qu’il n’a pas entendu garantir les prêts n° 00048561372 et 00070031871 et conclut au rejet des demandes de la banque à cet égard. La demande est sans objet puisque la banque ne formule aucune demande et que le jugement déféré n’emporte aucune condamnation contre M. [Z] [N] au titre de ces deux prêts.

 

M. [Z] [N] fait valoir par ailleurs la disproportion manifeste entre ses engagements de caution et son patrimoine. Il explique qu’il n’était pas imposable sur la période 2011-2015 et qu’il ne possédait aucun bien immobilier ou mobilier de valeur. Il indique n’avoir complété aucune fiche de renseignement sur sa situation patrimoniale à la date de ses engagements de caution.

La banque objecte que M. [Z] [N] ne produit aucun élément permettant de vérifier ses assertions selon lesquelles la disproportion serait acquise. 

Il convient de rappeler que la preuve de la disproportion au moment de l’engagement de caution incombe à la caution. La proportionnalité de l’engagement doit s’apprécier au regard de l’ensemble des éléments d’actif et de passif.

 

Entre 2011 et 2013, M. [Z] [N] s’est engagé en qualité de caution à hauteur de la somme de 207 563,20 euros. S’il justifie de la réalité de ses revenus pour cette période, de l’ordre de 1 500 euros par mois, et de son endettement, la souscription d’un prêt de 74 010 euros le 20 janvier 2012, il ne donne aucune indication sur la valorisation des parts sociales qu’il détenait dans le GAEC. Selon ses explications, il est en effet devenu associé du GAEC courant 2012 après avoir acheté les parts sociales détenues par les parents de M. [H] [G].

 

Il ne justifie donc pas que ses engagements de caution étaient, lors de leur conclusion, manifestement disproportionnés à ses biens et revenus au sens de l’article L. 341-4 du code de la consommation dans sa rédaction applicable.

 

M. [Z] [N] reproche également à la banque d’avoir manqué à son devoir de mise en garde. Il rappelle qu’il était salarié agricole avant de devenir associé du GAEC et qu’il ne disposait d’aucune compétence en gestion, comptabilité ou finance.

 

La banque soutient que la demande relative au manquement au devoir de mise en garde est prescrite. Elle soutient également que M. [Z] [N], titulaire d’un BTS agricole et investi dans la gestion du GAEC, était une caution avertie.

 

Le délai de prescription de l’action en indemnisation du dommage dû au manquement d’une banque à son obligation de mise en garde commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt et d’engagement de la caution, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles la caution n’est pas en mesure de faire face. M. [Z] [N] a été mis en demeure de faire face à ses obligations de caution le 4 décembre 2018. Le moyen tiré du manquement de la banque à son devoir de mise en garde a été soulevé devant les premiers juges. L’action en responsabilité contre la banque n’est manifestement pas prescrite contrairement à ce qu’elle prétend.

 

Il convient de rappeler que le devoir de mise en garde n’est dû qu’à la caution non avertie. En l’espèce, la banque ne démontre pas que M. [Z] [N], qui n’avait jamais géré une entreprise, était une caution avertie. S’il est titulaire d’un BTS agricole, qui inclut une formation en gestion des exploitations, ce diplôme et son absence d’expérience effective ne lui conféraient aucune connaissance établie de la vie des affaires.

 

La banque était donc tenue d’un devoir de mise en garde à l’égard de M. [Z] [N]. Elle ne démontre pas avoir attiré son attention, si ce n’est sur le risque d’endettement excessif du débiteur principal, à tout le moins sur l’insuffisance de ses propres capacités de remboursement en cas de défaillance de celui-ci.

 

En effet, M. [Z] [N] était locataire avec son épouse d’un logement. Il disposait d’une épargne de l’ordre de 5 000 euros. Il justifie, par la production d’une copie écran extraite de son espace personnel sur le site internet des impôts, qu’il ne disposait d’aucun patrimoine immobilier. Il justifie également de ses revenus. Il démontre que ses capacités financières étaient insuffisantes pour faire face à ses engagements de caution.

 

Le préjudice consiste dans une perte de chance de ne pas contracter. La caution peut à son choix, demander à être déchargée ou solliciter des dommages et intérêts. En l’espèce, M. [Z] [N], demande à titre principal à être déchargé de ses engagements de caution. Les demandes formulées à son encontre seront rejetées.

 

La banque sollicite l’infirmation du jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de capitalisation des intérêts.

 

Elle ne formule aucun moyen au soutien de cette prétention. Or, conformément aux dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, les conclusions doivent contenir, en dehors de l’objet de la demande et de la cause juridique qui lui est donnée, un exposé des moyens sur lesquels les prétentions sont fondées. Il y a lieu de rejeter purement et simplement la demande.

 

La banque sera condamnée à payer à M. [Z] [N] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en cause d’appel.

 

Le jugement déféré sera infirmé en ce sens. La cour statue dans les limites de l’appel et il convient de rappeler que M. [H] [G] n’a pas relevé appel des dispositions le concernant.

 

Les demandes de la banque au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel seront rejetées.

 

La banque sera condamnée aux dépens de la procédure d’appel et il sera fait application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au bénéfice des avocats de la cause.

PAR CES MOTIFS :

  

La cour,

 

Infirme partiellement le jugement rendu le 15 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Nantes.

 

Statuant à nouveau sur l’entier litige,

 

Condamne M. [H] [G] en qualité de caution à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel atlantique Vendée la somme de :

 

7 258,36 euros au titre du prêt n° 00048561372.

15 965,97 euros au titre du prêt n° 00070031871.

17 937,37 euros au titre du prêt n° 00071673064.

40 157,21 euros au titre du prêt n° 00071673073.

17 696,65 euros au titre du prêt n° 10000065375.

2 328,12 euros au titre du prêt n° 10000094852.

 

Outre les intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2018.

 

Déboute la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel atlantique Vendée de sa demande de capitalisation des intérêts.

 

Déboute la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel atlantique Vendée de ses demandes à l’égard de M. [Z] [N].

 

Condamne M. [H] [G] à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel atlantique Vendée la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance.

 

Condamne M. [H] [G] aux dépens de première instance avec application de l’article 699 du code de procédure civile au bénéfice des avocats en ayant fait la demande.

 

Y ajoutant,

 

Condamne la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel atlantique Vendée à payer à M. [Z] [N] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en cause d’appel.

 

Condamne la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel atlantique Vendée aux dépens de la procédure d’appel et dit qu’il sera fait application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au bénéfice des avocats de la cause.

 

Rejette toute demande plus ample ou contraire.

 

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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