Par acte sous seing privé du 17 janvier 2020, la banque CIC Sud-Ouest a accordé un prêt professionnel de 20’000 euros à M. [D] [L] pour l’achat d’un food truck. Le 27 décembre 2021, la banque a mis en demeure M. [D] [L] pour des mensualités impayées totalisant 2’219,48 euros. Le 1er mars 2022, la banque a résilié le contrat de prêt. Le 31 mai 2022, elle a assigné M. [D] [L] en paiement de 16’824,23 euros, incluant des intérêts et une indemnité pour exigibilité anticipée. Le tribunal de commerce de Béziers a, par jugement du 13 mars 2023, débouté la banque de ses demandes, considérant l’engagement de caution de M. [D] [L] comme disproportionné, et a condamné la banque à lui verser 500 euros. La banque a interjeté appel le 11 avril 2023. Dans ses conclusions du 7 août 2024, la banque a demandé l’infirmation du jugement et le paiement des sommes dues. M. [D] [L] a formé un appel incident le 10 juin 2024, demandant la confirmation du jugement initial et la compensation des sommes dues. La cour a finalement infirmé le jugement de première instance, condamnant M. [D] [L] à payer les sommes réclamées par la banque, tout en déboutant ses demandes de dommages et intérêts et de délais de paiement.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 15 OCTOBRE 2024
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 23/01907 – N° Portalis DBVK-V-B7H-PZCS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 13 MARS 2023
TRIBUNAL DE COMMERCE DE BÉZIERS
N° RG 2022 002220
APPELANTE :
SA BANQUE CIC SUD OUEST représentée en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités au dit siège social
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Camille DUMAS, avocat au barreau de MONTPELLIER susbtituant Me Yannick CAMBON de la SELARL ELEOM BEZIERS-SETE, avocat au barreau de BEZIERS
INTIME :
Monsieur [D] [L]
né le [Date naissance 3] 1987 à [Localité 7] (69)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représenté par Me Samuel TALLON, avocat au barreau de BEZIERS substituant Me Stéphanie CARRIE, avocat au barreau de BEZIERS
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro C-34172-2023-06613 du 28/08/2023 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de MONTPELLIER)
Ordonnance de clôture du 20 Août 2024
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 SEPTEMBRE 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO
ARRET :
– Contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.
Par acte sous seing privé du 17 janvier 2020, la banque CIC Sud-Ouest a consenti un prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX02] à M. [D] [L], entrepreneur individuel, d’un montant de 20’000 euros remboursable en 60 mensualités, aux fins d’acquisition d’un véhicule (food truck) avec divers équipements pour la confection de pizzas.
Le 27 décembre 2021, la banque CIC Sud-Ouest a vainement mis en demeure M. [D] [L] de régler les mensualités impayées s’élevant à la somme de 2’219,48 euros.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er mars 2022, la banque CIC Sud-Ouest a notifié la résiliation du contrat de prêt à M. [D] [L].
Par exploit du 31 mai 2022, la banque CIC Sud-Ouest a assigné la M. [D] [L] en paiement de la somme de 16’824,23 euros à la date du 31 mars 2022, outre notamment la capitalisation des intérêts et l’indemnité due en cas d’exigibilité anticipée.
Par jugement contradictoire du 13 mars 2023, le tribunal de commerce de Béziers a’:
– jugé que l’engagement de caution de M. [D] [L] était manifestement disproportionné’;
– débouté la banque CIC Sud-Ouest de toutes ses demandes’;
– rappelé que l’exécution provisoire est de droit’;
– rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires tenues pour injustes ou mal fondées’;
– et condamné la banque CIC Sud-Ouest à payer à M. [D] [L] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par déclaration du 11 avril 2023, la banque CIC Sud-Ouest a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 7 août 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 1101 et suivants, 1231-5 et 1343-2 du code civil, de :
– déclarer ses demandes recevables et bien fondées’;
– rejeter toutes demandes contraires comme injustes et mal fondées’;
– déclarer recevable son appel incident’;
En conséquence,
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions’;
Statuant à nouveau,
– condamner M. [D] [L] au paiement de la somme de 16’824,23 euros arrêté au 31 mars 2022 outre intérêts au taux conventionnel majoré de 4.95 % à compter du 1 avril 2022 et ce jusqu’à parfait paiement, au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX02] souscrit le 17 janvier 2020 ;
– condamner M. [D] [L] au paiement de la somme de 1’128,78 euros au titre de l’indemnité contractuelle de 7 % en cas d’exigibilité anticipée conformément au contrat de prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX02] souscrit le 17 janvier 2020′;
– juger que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt ;
– et condamner M. [D] [L] à lui payer la somme de 1’500 euros au titre de la première instance et la somme de 3’000 euros au titre de l’appel en application l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens’de première instance et d’appel.
Par conclusions du 10 juin 2024, formant appel incident, M. [D] [L] demande à la cour de’:
– déclarer l’appel de la banque CIC Sud-Ouest mal fondé’;
– confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a rejeté l’intégralité des demandes de la banque CIC Sud-Ouest et l’a condamnée à lui payer la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens’;
– infirmer le jugement entrepris au besoin pour préciser’:
– condamner la banque CIC Sud-Ouest à lui payer la somme de 16’824,23 euros à la date du 31 mars 2022, outre les intérêts contractuels intégrant la capitalisation des intérêts’;
– ordonner la compensation des sommes dues entre les parties’;
– dire qu’il n’est redevable d’aucune somme envers la banque CIC Sud-Ouest’;
Au subsidiaire en cas de rejet de la responsabilité de la banque,
– réduire l’indemnité conventionnelle à la somme de 1 euros’;
– débouter la banque CIC Sud-Ouest de sa demande de capitalisation des intérêts’;
– accorder les plus larges délais de paiement’;
– et en tout état de cause condamner la banque CIC Sud-Ouest à lui payer la somme de 2’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.
Il est renvoyé, pour l’exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est datée du 20 août 2024.
Sur le devoir de mise en garde de la banque vis-à-vis de l’emprunteur
1. L’établissement de crédit est tenu envers un emprunteur non averti d’un devoir de mise en garde à raison de ses capacités financières et des risques de l’endettement excessif né de l’octroi du prêt, lequel s’apprécie au jour de la conclusion du contrat (en ce sens, Ch. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104 ).
2. La charge de la preuve du caractère averti de l’emprunteur incombe au créancier. La seule qualité de dirigeant de l’emprunteur ne lui confère pas d’office le caractère averti. Cette qualité s’apprécie non seulement au regard de son âge et de son expérience des affaires, mais aussi de la complexité de l’opération envisagée et de son implication personnelle dans l’affaire.
3. Le 17 janvier 2020, la banque CIC Sud-Ouest a consenti un prêt professionnel à M. [D] [L], entrepreneur individuel, d’un montant de 20’000 euros aux fins d’acquisition d’un food-truck.
4. En l’espèce, l’extrait Kbis produit aux débats indique que M. [L] était l’exploitant direct du fonds de commerce Pizza Jim, sous la forme d’un food-truck, et situe un début d’activité au 27 mai 2019.
5. La banque CIC Sud-Ouest soutient qu’en raison de son âge lors de la souscription du prêt, soit 31 ans, et sa qualité de chef d’entreprise, il avait les compétences lui permettant d’appréhender pleinement les risques attachés à cette opération de crédit, peu complexe.
6. Or, comme le précise M. [L], il n’a eu aucune expérience précédente dans le milieu des affaires et exploite seul son food-truck, ces seuls éléments ne lui conférant aucune expérience professionnelle dans le monde des affaires ou en matière d’opérations financières.
7. Le prêt souscrit le 17 janvier 2020, même s’il ne s’agissait pas d’une opération complexe, ne saurait en conséquence l’avoir été par un emprunteur averti.
8. Il appartient à l’emprunteur, qui invoque un manquement de la banque à ce devoir et entend engager sa responsabilité, d’apporter la preuve que le prêt n’était pas adapté à sa situation financière et créait, de ce fait, un tel risque d’endettement excessif (en ce sens, Com., 29 nov. 2017, n°16-17.802).
10. La banque produit une fiche patrimoniale de M. [L] aux termes de laquelle celui-ci a indiqué vivre en concubinage, disposer d’un revenu mensuel de 1’308 euros en tant que salarié au sein d’un lycée, d’allocations versées par Pôle Emploi à hauteur de 150 euros par mois ainsi que de l’Arce (aide à la reprise ou à la création d’entreprise) à hauteur de 6’000 euros «’versée en 2 fois’», et n’avoir ni patrimoine ni actions ou épargne monétaire, soit un total mensuel de 1’958 euros.
11. Au titre de ses charges et de son endettement, il règle un loyer d’habitation mensuel de 650 euros dont il est précisé «’à diviser par deux car il est en commun avec ma conjointe’», ainsi qu’une pension alimentaire mensuelle de 100 euros, soit un total de 425 euros.
12. Le crédit litigieux, remboursable en 60 mensualités de 364,84 euros, a porté le taux d’endettement de M. [L] à 23,80 %.
13. Il est de jurisprudence constante que le taux d’endettement excessif moyen est arrêté usuellement à 33%.
14. Par conséquent, M. [L] ne démontre pas qu’au jour de la conclusion du contrat, le prêt litigieux faisait naître un risque d’endettement excessif ou était inadapté à sa situation financière, de sorte qu’il sera débouté de sa demande en dommages et intérêts et le jugement infirmé de ce chef.
Sur l’application de l’indemnité contractuelle de 7%
15. Le contrat de prêt souscrit le 17 janvier 2020 contient une clause «’Conséquences de l’exigibilité anticipée’» ainsi rédigée’: «’dans tous les cas de résiliation ou de déchéance du terme visés aux paragraphes précédents, le prêteur’: [‘] aura droit à une indemnité de 7% du capital dû à la date d’exigibilité anticipée du crédit, à l’exception du cas de décès d’un assuré ou le cas échéant d’une caution’».
16. La créance actualisée selon décompte arrêté au 31 mars 2022 s’élève à 16’824,23 euros en prenant seulement en compte les intérêts conventionnels ayant couru au taux majoré de 4,95% depuis la déchéance du terme.
17. M. [L] soutient, en application des dispositions de l’article 1231-5 du code civil, que la clause pénale arrêtée à hauteur de 1’128,78 euros serait manifestement excessive par rapport au préjudice effectivement subi par la banque.
18. Mais, M. [L] ne démontre pas en quoi la clause pénale arrêtée à hauteur de 1’128,78 euros aurait un caractère excessif eu égard le remboursement de seulement 12 échéances d’un prêt en comptant 60, et l’obligation dans laquelle la banque CIC Sud Ouest s’est trouvée d’avoir à recourir à justice malgré plusieurs mises en demeure proposant un règlement amiable du litige.
19. Il n’y a donc pas lieu de réduire le montant réclamé à ce titre.
20. Par application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, les intérêts dus pour une année entière au moins produiront des intérêts.
21. Le jugement sera également infirmé de ces chefs.
Sur la demande de délais de paiement
22. L’article 1343-5 du code civil dispose que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement de sommes dues.
23. Depuis la première mise en demeure du 27 décembre 2021, M. [L] a, de fait, bénéficié de délais de paiement. Il ne justifie pas, à hauteur de cour, de perspectives lui permettant d’honorer sa dette dans le délai de deux ans dès lors qu’il allègue des difficultés actuelles et persistantes dans l’exploitation de son food truck et qu’il produit seulement des bulletins de salaire pour l’année 2023 concernant un travail qu’il qualifie lui-même de saisonnier.
24. La demande de délais de paiement sera donc rejetée.
25. L’intimé succombant devra supporter la charge des dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément à l’aide juridictionnelle.
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [D] [L] à payer à la banque CIC Sud Ouest la somme de 16’824,23 euros arrêtée au 31 mars 2022 outre intérêts au taux conventionnel majoré de 4,95% à compter du 1er avril 2022 et ce jusqu’à parfait paiement, au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX02] souscrit le 17 janvier 2020,
Condamne M. [D] [L] à payer à la banque CIC Sud Ouest la somme de 1’128,78 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de 7% prévue au titre dudit prêt professionnel,
Ordonne la capitalisation des intérêts par année entière,
Déboute M. [D] [L] de sa demande de dommages et intérêts,
Déboute M. [D] [L] de sa demande de délais de paiement,
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [D] [L] aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l’aide juridictionnelle.
le greffier, la présidente,