M. [D] a été condamné en mai 2016 par la cour d’assises du Var pour avoir détenu et séquestré plusieurs femmes, actes ayant conduit à leur mort, en état de récidive. Après un pourvoi en cassation rejeté en juillet 2017, il a assigné Mme [T] en mai 2022, demandant 150 000 euros de dommages et intérêts pour dénonciation calomnieuse. Le tribunal a débouté sa demande en février 2023, condamnant M. [D] à une amende civile de 10 000 euros pour abus de droit, soulignant qu’il n’avait pas déposé plainte contre Mme [T] et n’avait pas prouvé que son témoignage avait influencé la décision de la cour d’assises. M. [D] a fait appel de cette décision en juillet 2023. La cour a confirmé le jugement, réduisant l’amende à 5 000 euros et condamnant M. [D] aux dépens de l’appel.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 08 OCTOBRE 2024
N° 2024/ 303
Rôle N° RG 23/09113 – N° Portalis DBVB-V-B7H-BLTAF
[E] [D]
C/
[P] [T]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me François CHANTRAINE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TARASCON en date du 02 Février 2023 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 22/00959.
APPELANT
Monsieur [E] [D]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2023-001867 du 24/08/2023 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
né le 21 Avril 1957 à [Localité 2]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]
représenté et assisté par Me François CHANTRAINE, avocat au barreau de TARASCON
INTIMEE
Madame [P] [T], demeurant [Adresse 1]
Non représentée
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 03 Septembre 2024 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Mme TOULOUSE, Présidente, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre
Madame Catherine OUVREL, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Octobre 2024.
ARRÊT
Par défaut
Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Octobre 2024,
Signé par Madame Fabienne ALLARD, Conseillère, pour la Présidente empêchée et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par arrêt du 19 mai 2016, rendu par la cour d’assises du département du Var statuant en appel, M. [E] [D] a été déclaré coupable d’avoir notamment, en 2008, détenu et séquestré plusieurs femmes, avec la circonstance que ces actes ont été suivis de leur mort et ce, en état de récidive légale pour avoir été condamné définitivement le 15 mai 1993 par la cour d’assises du Var à la peine de 20 ans de réclusion criminelle.
M. [D] a formé un pourvoi en cassation qui a été rejeté le 11 juillet 2017. Cette décision est devenue définitive.
Par acte du 18 mai 2022, M. [D] a fait assigner Mme [P] [T], qui avait témoigné dans son affaire pénale devant le tribunal judiciaire de Tarascon aux fins de la voir condamnée à lui payer la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par jugement rendu le 2 février 2023, cette juridiction a :
– débouté M. [D] de sa demande de dommages et intérêts,
– condamné M. [D] au paiement d’une amende civile d’un montant de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 32-1 du code de procédure civile,
– condamné M. [D] aux entiers dépens,
– rappelé que le présent jugement est exécutoire de droit à titre provisoire.
Pour débouter M. [D] de sa demande d’indemnisation sur le fondement de la dénonciation calomnieuse régie par l’article 226-10 du code pénal, le tribunal a relevé qu’il lui appartenait de déposer plainte à l’encontre de Mme [T], ce qu’il n’a pas fait.
Le tribunal a également considéré que M. [D] ne rapportait pas la preuve que la cour d’assises s’était déterminée sur le témoignage de Mme [T], qui n’avait pas à lui seul emporté la conviction sur sa culpabilité, de sorte qu’il échouait à démontrer un lien de causalité existant entre les déclarations de Mme [T] et la peine prononcée à son encontre.
Enfin le tribunal a condamné M. [D] au paiement d’une amende civile en relevant que sa faute faisait dégénérer en abus son droit d’ester en justice et que la mauvaise foi avec laquelle il tentait de faire peser la responsabilité de sa lourde condamnation pénale sur Mme [T] sans avoir au préalable déposé plainte contre elle, ni rapporté la preuve du caractère mensonger des déclarations de cette dernière, justifiait cette amende civile.
Par déclaration du 10 juillet 2023, M. [D] a relevé appel de cette décision en visant chacun des chefs de son dispositif.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 6 août 2024.
EXPOSE DES MOYENS ET PRETENTIONS
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 7 septembre 2023, M. [D] demande à la cour, au visa de l’article 1240 du code civil et de l’article 954 du code de procédure civile, de :
– infirmer le jugement entrepris,
– condamner Mme [T] à lui payer une somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts,
– le dispenser de toute amende civile, dans la mesure où il n’a fait qu’exercer sa liberté d’ester en justice,
– laisser les dépens à la charge de l’Etat, l’appel étant justifié essentiellement par le prononcé d’une amende civile infondée.
M. [D] fait valoir essentiellement que la responsabilité délictuelle de Mme [T] est engagée sur le fondement de l’article 1240 du code civil au regard de la fausseté des déclarations qu’elle a réalisées dans le cadre de la procédure pénale au terme de laquelle il a été condamné à une peine de réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté de 22 ans.
Il soutient que ses déclarations sont erronées, Mme [T] n’ayant prétendu le reconnaître lors d’une parade que trois ans après les faits, alors que l’affaire avait été médiatisée et qu’elle ne l’avait jamais reconnu précédemment sur les films de vidéo-surveillance, lors d’une parade, sur des photographies ou à l’aide d’un portrait-robot.
Il considère qu’il existe un lien de causalité entre les déclarations de Mme [T] et la peine prononcée puisque son témoignage a eu, selon lui, pour conséquence d’altérer la perception des jurés en présentant le lien qu’il a eu avec les victimes.
Il soutient que son préjudice s’analyse en perte de chance de ne pas être condamné ou d’être condamné à une peine inférieure et d’un préjudice moral puisqu’il aurait pu éviter l’opprobre et jouir de sa liberté, ainsi qu’en un préjudice économique, la peine l’ayant privé de la possibilité de travailler et de cotiser pour sa retraite.
Enfin, M. [D] conteste sa condamnation à une amende civile et estime qu’aucun abus de son droit d’ester en justice n’est caractérisé, sa condamnation par une juridiction pénale ne le privant pas du droit de saisir la justice civile alors même qu’il a qualité, intérêt à agir et que la procédure est régulière.
Mme [T], assignée par M. [D], par acte d’huissier du 11 septembre 2023, délivré à personne physique, et contenant dénonce de l’appel, n’a pas constitué avocat.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux dernières écritures déposées conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
1-Sur la responsabilité délictuelle de Mme [T]
En application de l’article 1240 du Code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il appartient à la victime de rapporter la preuve d’une faute, d’un préjudice subi et d’établir le lien de causalité entre cette faute et le dommage qu’elle allègue.
En l’espèce, M. [D] ne rapporte pas la preuve, en premier lieu, que le témoignage de Mme [T] est erroné par le simple fait qu’il a été donné plusieurs années après les faits et a été induit par d’autres éléments médiatisés dans la presse.
En second lieu, il ressort de la motivation de l’arrêt de la cour d’assises d’appel du Var du 19 mai 2016 que :
« le témoignage de [P] [T], étayé par celui de [C] [U], confirmés par tous deux à l’audience et confortés par des éléments matériels (notamment les études de la téléphonie, les témoignages de Mesdames [I], [G] et [Y] et l’analyse des bornages de la carte RTM de l’accusé) […] » et « La confrontation de ce témoignage aux autres éléments du dossier permet de conclure à la culpabilité de l’accusé dans la séquestration ayant conduit au décès de [M] [R] ».
Ainsi, bien que le témoignage de Mme [T] soit mentionné dans le corps de l’arrêt, il n’apparaît pas qu’il constitue le fondement exclusif de la condamnation de M. [D]. La cour précise en effet que son témoignage est corroboré par au moins deux autres témoignages et conforté par d’autres éléments de preuve.
Enfin, à supposer que les différentes interventions de Mme [T] dans la procédure soient sujettes à caution ou de nature à remettre en cause son témoignage devant la cour, il n’est pas pour autant établi que la décision eut été différente si elle n’avait pas ainsi témoigné. Il est au contraire établi qu’au regard des charges, tant matérielles que testimoniales, autres que le témoignage de Mme [T], existants contre lui et de l’extrême gravité des faits commis en récidive, il est plus que certain que M. [D] aurait été déclaré coupable et condamné à une peine lourde. Il n’a perdu dés lors aucune chance ni d’être acquitté ni de subir une peine moins lourde.
Il ne démontre pas plus, au regard de ces éléments, subir un préjudice moral.
Par voie de conséquence, à défaut de lien de causalité entre le témoignage de Mme [T] et la condamnation de M. [D] , la responsabilité délictuelle de Mme [T] ne peut-être retenue et le jugement déféré mérite confirmation de ce chef.
2-Sur l’amende civile
Aux termes de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Le prononcé d’une amende civile nécessite ainsi la caractérisation d’une faute qui fait dégénérer en abus le droit d’agir en justice.
En l’espèce, M. [D] a attrait en justice un témoin entendu dans le cadre d’une procédure devant la cour d’assises, alors même que cette décision possédait la force de chose jugée en l’état du rejet de son pourvoi par la Cour de cassation le 11 juillet 2017 et qu’il ne pouvait ainsi retirer aucun intérêt de cette procédure civile au titre de sa condamnation pénale.
Ainsi, s’il considérait que des infractions pénales, notamment une dénonciation calomnieuse, pouvaient être reprochées à Mme [T], il lui appartenait de saisir les juridictions pénales à ce titre, ce qu’il n’a jamais envisagé.
Par ailleurs, il ne pouvait croire au succès de ses prétentions en appel eu égard à la démonstration par la cour d’assises d’appel du Var et le jugement entrepris que le témoignage de Mme [T] n’était pas le seul motif ayant conduit la juridiction pénale à le condamner à une peine de réclusion criminelle à perpétuité.
De plus, le caractère très tardif de la demande de condamnation de M. [D] à l’encontre de Mme [T], dont l’assignation a été introduite près de cinq ans après le rejet de son pourvoi, et l’absence d’éléments sérieux lui permettant d’établir le lien entre le témoignage de Mme [T] et sa condamnation, tant en première instance qu’en appel, permet de considérer que cette demande est marquée par un certain esprit de revanche contre cette personne, caractérisant d’autant plus une intention de nuire et d’instrumentaliser la justice pour le faire.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que M. [D] ne pouvait ignorer que cette procédure était vouée à l’échec et qu’ayant été introduite dans le but de nuire à Mme [T], l’abus du droit d’ester en justice est ainsi caractérisé.
La décision de première instance sera confirmée en ce qu’elle a condamné M. [D] au paiement d’ une amende civile, sauf à ramener son montant à la somme de 5 000 euros.
Les dépens de l’appel seront supportés par M. [D] qui succombe.
LA COUR,
Confirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour sauf à ramener le montant de l’amende civile à la somme de 5 000, 00 euros ;
Y ajoutant,
Condamne M. [D] à supporter les dépens de l’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT