Conflit financier et obligations contractuelles : enjeux d’un prêt immobilier face à la situation de surendettement et de curatelle.

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Conflit financier et obligations contractuelles : enjeux d’un prêt immobilier face à la situation de surendettement et de curatelle.

La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE a accordé un prêt immobilier de 119.310 euros à monsieur [O] [E] et madame [J] [W] épouse [E] le 3 janvier 2020. Madame [J] [W] a été placée sous curatelle renforcée par un jugement du 31 mars 2021, et le divorce des époux a été prononcé le 2 juin 2022. Monsieur [O] [E], incarcéré, a obtenu un moratoire de 24 mois pour le remboursement de ses dettes à partir du 31 juillet 2022. Le juge des tutelles a autorisé la vente de l’immeuble acquis avec le prêt pour rembourser le crédit. Après des impayés depuis le 5 mars 2022, la CAISSE REGIONALE a prononcé la déchéance du terme le 20 octobre 2022. Le 3 janvier 2023, elle a assigné madame [J] [W] et sa curatrice devant le tribunal pour obtenir le paiement de 94.742,94 euros.

Dans ses conclusions, la CAISSE REGIONALE demande le paiement de cette somme, des intérêts, la capitalisation des intérêts, et des dépens. Elle soutient que madame [W] ne conteste pas la dette. Madame [W] et sa curatrice demandent au tribunal de statuer sur la demande de la CAISSE REGIONALE et de rejeter sa demande d’article 700, arguant qu’elles ne contestent plus la déchéance des intérêts et que madame [W] bénéficie d’un réaménagement de sa dette dans le cadre d’une procédure de surendettement.

Le tribunal a condamné madame [J] [W] à payer 94.464,32 euros à la CAISSE REGIONALE, avec des intérêts au taux contractuel, a rejeté la demande de capitalisation des intérêts, a condamné madame [W] aux dépens, et a débouté la CAISSE REGIONALE de sa demande d’article 700.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

8 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Bordeaux
RG
23/00525
N° RG 23/00525 – N° Portalis DBX6-W-B7H-XJZX
CINQUIÈME CHAMBRE
CIVILE

SUR LE FOND

53B

N° RG 23/00525 – N° Portalis DBX6-W-B7H-XJZX

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

Société CAISSE REGIONALDE DE CREDIT AGRICOLE D’AQUITAINE

C/

[J] [W] épouse [E], [C] [D]

Grosses délivrées
le

à
Avocats : la SELARL C.A.B.
la SELARL LLAMAS-PELOTTE

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
CINQUIÈME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 08 OCTOBRE 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL
Lors des débats et du délibéré

Madame Myriam SAUNIER, Vice-Présidente,
Statuant à Juge Unique

Greffier, lors des débats et du prononcé
Isabelle SANCHEZ, Greffier

DÉBATS

A l’audience publique du 09 Juillet 2024

JUGEMENT

Contradictoire
En premier ressort
Par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile

DEMANDERESSE

Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE D’AQUITAINE
106 quai de Bacalan
33300 BORDEAUX

représentée par Maître Sylvaine BAGGIO de la SELARL C.A.B., avocats au barreau de BORDEAUX

DÉFENDERESSES

Madame [J] [W] épouse [E]
de nationalité Française
domiciliée : chez
29 bis route du Landat
33250 CISSAC MEDOC

représentée par Maître Aurélie LLAMAS de la SELARL LLAMAS-PELOTTE, avocats au barreau de BORDEAUX
N° RG 23/00525 – N° Portalis DBX6-W-B7H-XJZX

Madame [C] [D]
de nationalité Française
29 bis, route du Landat
33250 CISSAC MEDOC

représentée par Maître Aurélie LLAMAS de la SELARL LLAMAS-PELOTTE, avocats au barreau de BORDEAUX

EXPOSE DU LITIGE

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Selon offre de prêt acceptée le 03 janvier 2020, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE a consenti à monsieur [O] [E] et madame [J] [W] épouse [E], un prêt immobilier d’un montant de 119.310 euros, remboursable au taux de 1,60% en 300 mensualités, pour l’acquisition d’un immeuble situé à SAINT GERMAIN D’ESTEUIL.

Par jugement du 31 mars 2021, madame [J] [W] épouse [E] a bénéficié d’une mesure de curatelle renforcée.

Par jugement du 02 juin 2022, le divorce des époux [E] a été prononcé.

Par décision de la commission de surendettement des particuliers, monsieur [O] [E], incarcéré, a bénéficié d’un moratoire de 24 mois à compter du 31 juillet 2022.

Par ordonnance du 4 février 2022, le juge des tutelles a autorisé la vente de l’immeuble acquis grâce au prêt, en précisant que le capital revenant à madame [E] sera affecté au remboursement par anticipation du prêt souscrit auprès du CREDIT AGRICOLE.

Des échéances étant impayées depuis le 5 mars 2022, et après une mise en demeure adressée à madame [E], la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE a prononcé la déchéance du terme par courrier recommandé du 20 octobre 2022.

Par acte délivré le 03 janvier 2023, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE a fait assigner madame [J] [W] épouse [E], et sa curatrice madame [C] [D], devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de condamnation en paiement de la somme de 94.742,94 euros.

La clôture est intervenue le 05 juin 2024 par ordonnance du juge de la mise en état du même jour.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 08 novembre 2023, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE sollicite du tribunal :

de condamner madame [J] [W] à lui payer la somme de 94.742,94 euros, outre intérêts au taux de 4,60% à compter du 24 novembre 2022,d’ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil,de condamner madame [J] [W] au paiement des dépens et à lui payer la somme de 2.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE fait valoir que madame [W] ne conteste pas devoir les sommes sollicitées.

Pour s’opposer à la demande de déchéance du droit aux intérêts formée par madame [W], la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE soutient qu’elle a satisfait à l’ensemble des obligations du code de la consommation, notamment en produisant la fiche d’information standardisée et le justificatif de consultation du FICP.

Par ailleurs, elle indique que si madame [W] a été déclarée recevable dans le cadre d’une procédure de surendettement, cette situation ne lui interdit pas d’obtenir un titre juridique, qui ne pourra pas être exécuté pendant le temps de la procédure de surendettement.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 1er février 2024, madame [J] [W], assistée de sa curatrice, madame [C] [D], sollicite du tribunal de statuer ce que de droit sur la demande en paiement formulée par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE, et sur les dépens, et de débouter la demanderesse de sa prétention fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Madame [W], assistée de madame [D], font valoir qu’elles n’entendent plus se prévaloir de la déchéance du droit aux intérêts au vu des pièces versées par la demanderesse en cours de procédure.

Elles exposent que madame [W] bénéficie, dans le cadre d’une procédure de surendettement suite à un jugement du 11 juillet 2023, d’un réaménagement de sa dette, et que par application de l’article 722-2 du code de la consommation, le jugement qui la condamnerait au paiement ne pourrait être exécuté à son encontre. Elle indique par ailleurs que le bien est actuellement mis en vente.

Pour s’opposer à la demande d’article 700 du code de procédure civile au titre de l’équité, madame [W] fait valoir que ce sont des difficultés personnelles (incarcération de son ex-époux et divorce) qui l’ont placée dans l’impossibilité de pouvoir procéder au remboursement des échéances de l’emprunt immobilier.

MOTIVATION

Sur la demande en paiement formée par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE

Conformément à l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

En application des articles L313-51 et R 313-28 du code de la consommation, relatifs aux crédits immobiliers, en cas de défaillance de l’emprunteur et de résolution du contrat, le prêteur peut exiger le remboursement du capital restant dû, ainsi que le paiement des intérêts échus. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre, le prêteur peut demander à l’emprunteur défaillant une indemnité qui, sans préjudices de l’article 1231-5 du code civil, ne peut excéder 7% des sommes dues au titre du capital restant dû ainsi que des intérêts échus et non versés.

Si l’article L722-2 du code de la consommation emporte suspension et interdiction des voies d’exécution diligentées à l’encontre des biens du débiteur dès que la recevabilité de la procédure de surendettement est prononcée, ce texte n’interdit en revanche pas au créancier d’engager une action au fond pour obtenir un titre juridique, sur la base duquel il ne pourra pas engager de voie d’exécution.

En l’espèce, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE produit au débat le contrat et les pièces justificatives pour la phase précontractuelle exigées par le code de la consommation.

Suite à la défaillance dans les paiements, elle justifie avoir, conformément à la clause contractuelle, adressé à monsieur [W] le 19 avril 2022, une mise en demeure de payer, reçue le 21 avril 2022, lui laissant un délai raisonnable pour s’acquitter du paiement de la somme due, et l’avisant de son intention de prononcer la déchéance du terme en l’absence de paiement. Elle justifie avoir ensuite prononcé la déchéance du terme par courrier du 20 octobre 2022, reçu le 21 octobre 2022, en lui laissant un nouveau délai de quinze jours pour s’acquitter du paiement de la somme.

Au regard du tableau d’amortissement et décompte produit, la créance de la banque s’élève, à la date de déchéance du terme le 20 octobre 2020, à la somme de :

84.653,09 euros au titre du capital restant dû,3.631,33 euros au titre des échéances impayées (capital restant dû + intérêts) entre le mois de mars 2020 et le mois d’octobre 2020,6.179,90 euros au titre de l’indemnité de 7%,
soit un total de 94.464,32 euros, outre intérêt au taux contractuel de 1,60% (le taux majoré réclamé n’étant contractuellement applicable qu’en l’absence de déchéance du terme) sur la somme de 88.284,42 euros à compter du 21 octobre 2022, et au taux légal pour le surplus.

La règle édictée par l’article L313-52 du code de la consommation, selon lequel aucune indemnité ni aucun autre coût que ceux qui sont mentionnés à l’article L313-51 ne peuvent être mis à la charge de l’emprunteur dans les cas de défaillance prévus par les dispositions de cet article, fait obstacle à l’application de la capitalisation des intérêts prévue par l’article 1343-2 du code civil, et doit conduire au rejet de la demande formée en ce sens.

Par conséquent, il convient de condamner madame [J] [W], assistée de sa curatrice, madame [C] [D], à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE la somme de 94.464,32 euros, outre intérêt au taux contractuel de 1,60% sur la somme de 88.284,42 euros à compter du 21 octobre 2022, et au taux légal pour le surplus. Il convient par ailleurs de rejeter la demande de capitalisation des intérêts formée par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE.

Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

Dépens
En vertu de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
Les conditions dans lesquelles il peut être mis à la charge d’une partie qui bénéficie de l’aide juridictionnelle tout ou partie des dépens de l’instance sont fixées par les dispositions de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020.

En l’espèce, madame [J] [W], assistée de son curateur, perdant la présente instance, il convient de la condamner au paiement des dépens

Frais irrépétibles
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer : 1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; / [….] / Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. / Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent. / […]

En l’espèce, l’équité et la disparité de situations économiques entre les parties, madame [W] faisant l’objet d’une mesure de surendettement, commandent de débouter la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Condamne madame [J] [W], assistée de sa curatrice, madame [C] [D], à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE la somme de 94.464,32 euros, outre intérêts au taux contractuel de 1,60% sur la somme de 88.284,42 euros à compter du 21 octobre 2022, et au taux légal pour le surplus, au titre du prêt référence 10001762850 souscrit le 03 janvier 2020 ;

Rejette la demande de capitalisation des intérêts ;

Condamne madame [J] [W], assistée de sa curatrice, madame [C] [D] au paiement des dépens ;

Déboute la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE de sa demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

La présente décision est signée par Madame Myriam SAUNIER, Vice-Présidente, et Isabelle SANCHEZ, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


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