Prêt en devises : Évaluation des clauses contractuelles et leur conformité aux normes de protection des consommateurs

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Prêt en devises : Évaluation des clauses contractuelles et leur conformité aux normes de protection des consommateurs

Monsieur [L] [B] et Madame [W] [E] épouse [B] ont assigné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Est devant le tribunal judiciaire de Lyon, contestant un prêt en Francs suisses (CHF) qu’ils estiment entaché d’irrégularités. Ils demandent l’annulation de plusieurs clauses du contrat, la restitution d’une somme de 399 242,28 € après compensation, ainsi qu’un délai de paiement de 24 mois si nécessaire, et 6 000 € pour frais irrépétibles. En réponse, le Crédit Agricole demande le rejet des demandes des époux et leur condamnation à verser 10 000 € en vertu de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’une compensation sans délai de paiement. Le tribunal a débouté les époux de toutes leurs demandes, les condamnant à supporter les dépens et à verser 1 800 € au Crédit Agricole.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

8 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Lyon
RG
20/04080
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

Quatrième Chambre

N° RG 20/04080 – N° Portalis DB2H-W-B7E-VAM7

Jugement du 08 Octobre 2024

Minute Numéro :

Notifié le :

1 Grosse et 1 Copie à

Me Thomas BOUDIER,
vestiaire : 2634

Me Catherine TERESZKO de la SELARL SELARL ASCALONE AVOCATS,
vestiaire : 572

Copie Dossier
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal judiciaire de LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu par mise à disposition au greffe, en son audience de la Quatrième chambre du 08 Octobre 2024 le jugement contradictoire suivant,

Après que l’instruction eut été clôturée le 07 Mai 2024, et que la cause eut été débattue à l’audience publique du 25 Juin 2024 devant :

Président : Stéphanie BENOIT, Vice-Présidente
Siégeant en formation Juge Unique
Greffier : Sylvie ANTHOUARD,

Et après qu’il en eut été délibéré par le magistrat ayant assisté aux débats dans l’affaire opposant :

DEMANDEURS

Madame [W] [E] épouse [B]
née le [Date naissance 4] 1972 à [Localité 9] (PAYS-BAS)
[Adresse 5]
[Localité 1]

représentée par Maître Thomas BOUDIER, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, Maître Aude POULAIN de SAINT-PERE de la SELARL d’avocats POULAIN de SAINT-PERE, avocats au barreau de PARIS, avocat plaidant

Monsieur [L] [Z] [B]
né le [Date naissance 2] 1971 à [Localité 7] (PAYS BAS)
[Adresse 5]
[Localité 1]

représenté par Maître Thomas BOUDIER, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, Maître Aude POULAIN de SAINT-PERE de la SELARL d’avocats POULAIN de SAINT-PERE, avocats au barreau de PARIS, avocat plaidant

DEFENDERESSE

La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL CENTRE EST, société coopérative à capital variable, prise en la personne de son représentant légal en exercice dont le siège social est
[Adresse 3]
[Localité 6]

représentée par Maître Catherine TERESZKO de la SELARL SELARL ASCALONE AVOCATS, avocats au barreau de LYON

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant acte d’huissier en date du 29 juin 2020, Monsieur [L] [B] et Madame [W] [E] épouse [B] ont fait assigner la Caisse Régional de Crédit Agricole Mutuel Centre Est devant le tribunal judiciaire de LYON.

Ils expliquent que l’établissement bancaire leur a consenti un prêt en Francs suisses (CHF) entaché d’irrégularités dont ils entendent obtenir la sanction.

Dans leurs dernières conclusions, les époux [B] attendent de la formation de jugement qu’elle juge que les clauses “Montant du prêt”, “Monnaie de paiement”, “nature du prêt”, “modalités de remboursement”, “taux annuel” et “taux effectif global” contenues dans le contrat sont abusives et donc réputées non écrites, qu’elle en écarte l’application et qu’elle juge que ledit contrat est anéanti de manière rétroactive faute de pouvoir subsister sans les clauses en question.
Les intéressés réclament qu’il soit ordonné au Crédit Agricole de leur restituer une somme de 399 242, 28 € déduction faite de la contre-valeur au jour du paiement de tous les règlements en Francs suisses effectués par leurs soins, avec compensation entre les créances réciproques et condamnation de la partie restant redevable envers l’autre au versement du solde.
Dans l’hypothèse où ils seraient débiteurs de ce solde, ils sollicitent le bénéfice d’un délai de paiement de 24 mois.
Monsieur et Madame [B] demandent enfin que la banque soit condamnée au règlement d’une somme de 6 000 € au titre des frais irrépétibles.

Aux termes de ses ultimes écritures, le Crédit Agricole conclut au rejet des prétentions adverses et réclame en retour la condamnation solidaire des époux [B] à lui verser une somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en sus des dépens directement recouvrés par son avocat.
Subsidiairement, il entend que les intéressés soient condamnés à lui régler la somme résultant de la compensation entre ce qui devra être restitué par lui et ce qui devra l’être par les demandeurs, sans qu’un délai de paiement ne leur soit accordé et sans que l’exécution provisoire soit maintenue.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il sera rappelé à titre liminaire que l’article 9 du code de procédure civile impose à celui qui entend obtenir satisfaction de sa demande de rapporter la preuve des faits nécessaires à son succès.

Sur la demande des époux [B] tendant au rejet de pièces communiquées en défense

Le premier point de la discussion en demande, numéroté 2.1., a pour objet que soient écartées des débats diverses pièces produites par le Crédit Agricole dont ils estiment qu’elles l’ont été en violation du secret bancaire.
Il sera cependant observé qu’en application de l’article 768 du code de procédure civile, les conclusions des parties doivent contenir un dispositif récapitulant leurs prétentions, étant précisé que le tribunal ne statue que sur celles qui y sont énoncées.
Dès lors que le dispositif des écritures transmises pour les compte des époux [B] ne reprend pas la prétention en question, il y a lieu de considérer que le tribunal n’en est pas saisi et ne doit donc pas se prononcer à son sujet.

Sur les demandes présentées par les époux [B] au titre des clauses abusives

L’ancien article L132-1 du code de la consommation, pris dans sa version applicable au litige, dispose :
-en son premier alinéa, que doivent être tenues pour abusives les clauses qui, insérées dans un contrat conclu entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat
-en son sixième alinéa, que de telles clauses sont réputées non écrites
-en son septième alinéa, que l’appréciation de ce caractère abusif ne peut porter ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert à la condition que la clause en jeu soit rédigée de façon claire et compréhensible.

L’offre querellée émise le 4 mai 2005 par le Crédit Agricole Centre Est au profit des époux [B] comporte en son point 2.2 mention d’un prêt de 625 000 CHF et d’une contre-valeur donnée à titre indicatif de 402 732 €, avec cette précision que la contre-valeur effective est calculée sur la base du cours du Marché Interbancaire de [Localité 8] le jour de la mise à disposition des fonds et qu’elle peut donc être inférieure ou supérieure à celle affichée. Il s’agit là de la première clause dont les emprunteurs dénoncent le caractère abusif, comme étant celle relative au montant du prêt.

Les époux [B] dirigent également leurs objections critiques contre le paragraphe 2.7 des conditions particulières dont ils ont extrait les stipulations suivantes : “Les remboursements s’effectueront dans la devise du prêt par utilisation de devises préalablement disponibles ou par achat de devises au comptant ou à terme, par débit du compte euro de l’Emprunteur, deux jours ouvrés avant la date de l’échéance.
A l’échéance ou à chaque échéance, l’Emprunteur sera redevable des sommes échues en capital et intérêts, lesdites sommes étant calculées dans la devise dans laquelle le prêt a été octroyé sur le nombre de jours calendaires entre deux échéances.
L’approvisionnement du compte en devise devra être effectué au plus tard huit jours ouvrés avant la date d’échéance, compte tenu des délais d’acheminement des fonds (chèques, virements…). En cas de non approvisionnement, total ou partiel, du compte en devise, le montant de l’échéance en devise sera dû pour sa contre-valeur en euro.
Si l’Emprunteur choisit de régler en euro, il devra en aviser la banque huit jours ouvrés avant la date d’exigibilité du paiement.
Dans le cas où l’échéance sera réglée en euro, la contre-valeur sera calculée au cours en vigueur au deuxième jour ouvré précédent la date d’échéance. L’Emprunteur supportera intégralement, en cas d’achat de devises au comptant, le risque de change”.

Les demandeurs pointent enfin les termes de l’article 2.1 précisant que le prêt est en devises à échéances constantes, mis en perspective avec le début du paragraphe 2.7 prévoyant que le prêt est révisable en considération d’un taux annuel, avec cette précision qu’en cas de hausse de ce taux, l’échéance reste constante tant que la durée initiale du crédit n’est pas rallongée de plus de 48 mois et qu’à défaut, la révision s’applique sur le montant de l’échéance qui est augmentée de manière à ce que la durée du crédit ne soit pas supérieure à la durée initiale de 48 mois.
Ils ajoutent à leurs griefs les stipulations contenues aux points 2.4 et 2.5 affichant le taux effectif global et précisant que le taux d’intérêt est composé du taux de référence, en l’espèce le taux du Franc suisse à trois mois sur le marché interbancaire de [Localité 8] relevé chez Crédit Agricole Indosuez SA avec majoration d’une marge de 1, 0000 point, et qu’il est susceptible de varier à la hausse comme à la baisse.

Les clauses du contrat litigieux dont il est question ont donc pour objet le montant du prêt consenti aux époux [B], les modalités de remboursement de cet emprunt et les différents taux de référence qui lui sont applicables.
D’évidence, les stipulations en cause traitent de l’objet principal du contrat qui consiste en la mise à disposition aux emprunteurs d’une somme d’argent à charge de restitution et moyennant rémunération.
Dans ces conditions, seul l’éventuel caractère obscure et inintelligible des termes en jeu est susceptible de justifier la mise en oeuvre des dispositions propres aux clauses abusives.

A ce titre, il sera observé que la première des stipulations querellées se contente d’afficher un montant du prêt fixe, exprimé en Franc suisse qui constitue la monnaie de remboursement et qui était d’ailleurs celle dans laquelle les revenus du couple étaient encaissés. Il apparaît que la mention d’une contre-valeur en Euro ne figure qu’à titre indicatif.

La clause spécifiquement dédiée au paiement des échéances n’est pas davantage entachée de nébulosité en ce qu’elle décrit de façon tout à fait compréhensible les modalités retenues en cas de choix opéré par l’emprunteur en faveur d’un règlement en Euro et non pas dans la devise du prêt : nécessité d’un avis adressé à l’établissement bancaire dans un délai déterminé et indication du jour de référence pour le calcul de la contre-valeur.

Restent les stipulations relatives au taux d’intérêt révisable, dont il est indiqué qu’il est composé du taux du CHF à 3 mois sur le marché interbancaire de [Localité 8] avec majoration, qui laissent apparaître sans difficulté que le remboursement du prêt s’opère par règlement d’échéances constantes selon une durée ajustable dès lors que l’allongement n’excède pas les 48 mois ou par règlement d’échéances réévaluées à la hausse afin que l’ajustement de la durée ne dépasse par les 48 mois.

Les termes litigieux permettent donc de connaître aisément le montant du prêt, d’appréhender l’existence d’une faculté de remboursement en Euro ainsi que ses conditions de mise en oeuvre et de comprendre le mécanisme applicable en raison du caractère révisable du taux d’intérêt, avec variation soit du quantum de l’échéance soit de la durée de remboursement.

La qualité de néerlandophones des emprunteurs mise en avant dans les écritures en demande (page 15) ne saurait être prise en compte pour apprécier la qualité de rédaction du contrat.
Les époux [B] font en effet valoir qu’ils sont des consommateurs béotiens en matière financière handicapés par le fait que le contrat n’est pas rédigé dans leur langue maternelle, ajoutant cette précision qu’ils maîtrisent mal la langue française. Cependant, il n’appartenait pas à la banque de simplifier de manière outrancière les stipulations contractuelles jusqu’à les rendre accessibles à des interlocuteurs non francophones, au risque d’en travestir la teneur au détriment des demandeurs, alors même que la matière en jeu présente une inévitable technicité.

Il ressort de tout ce qui précède que les stipulations en cause sont dénuées de toute complexité, opacité ou ambiguïté, de sorte qu’elles ne sauraient être tenues pour des clauses présentant un caractère abusif imposant qu’elles soient réputées non-écrites.

En conséquence, Monsieur et Madame [B] seront déboutés pour l’intégralité de leurs prétentions.

Sur les demandes accessoires

En application de l’article 696 du code de procédure civile, les époux [B] tenus in solidum seront condamnés aux dépens qui pourront être directement recouvrés par l’avocat de la banque conformément à l’article 699 de ce même code.
Selon des modalités identiques, ils devront également régler à la partie adverse une somme de 1 800 € au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS       
 
Le Tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire,

Déboute Monsieur [L] [B] et Madame [W] [E] épouse [B] de l’ensemble de leurs demandes

Condamne in solidum Monsieur [L] [B] et Madame [W] [E] épouse [B] à supporter le coût des dépens de l’instance, avec droit de recouvrement direct au profit de l’avocat de la CAISSE RÉGIONAL DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL CENTRE EST

Condamne in solidum Monsieur [L] [B] et Madame [W] [E] épouse [B] à régler à la CAISSE RÉGIONAL DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL CENTRE EST la somme de 1 800 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Prononcé à la date de mise à disposition au greffe par Stéphanie BENOIT, vice-président
En foi de quoi le présent jugement a été signé par le Président, Stéphanie BENOIT, et Karine ORTI, Greffier présent lors du prononcé.

Le Greffier                                                                                               Le Président


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