Indemnisation suite à une détention provisoire : Évaluation des préjudices moral et matériel

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Indemnisation suite à une détention provisoire : Évaluation des préjudices moral et matériel

M. [H] [S], né en 1943, a été mis en examen pour viol sur mineur de 15 ans le 6 février 2020 et placé en détention provisoire le même jour. Il a été libéré sous contrôle judiciaire le 14 mai 2020. Le 28 février 2023, une ordonnance de non-lieu a été rendue à son égard, confirmée par un certificat de non-appel le 20 mars 2023. Par requête du 31 août 2023, il a demandé réparation pour sa détention provisoire, sollicitant des indemnités pour préjudice moral, perte de revenus et gains professionnels futurs, ainsi qu’une somme pour les frais irrépétibles. L’agent judiciaire de l’État a proposé de réduire l’indemnité pour préjudice moral et de rejeter les demandes de préjudice matériel. Le Ministère Public a conclu à la recevabilité de la requête et a proposé une indemnisation pour le préjudice moral, tout en rejetant les demandes de préjudice matériel. Le 7 octobre 2024, la cour a déclaré la requête recevable, allouant 10.000 euros pour le préjudice moral et 1.500 euros pour les frais, tout en déboutant M. [H] [S] du surplus de ses demandes et laissant les dépens à la charge de l’État.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

7 octobre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
23/13853
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 07 Octobre 2024

(n° , 5 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/13853 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIDXS

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d’appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 31 Août 2023 par M. [H] [S]

né le [Date naissance 2] 1943 à [Localité 4], élisant domicile au cabinet de Me Clarisse Scialom – [Adresse 1] ;

Comparant

Représenté par Me Clarisse SCIALOM, avocat au barreau de MELUN

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l’Agent Judiciaire de l’Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l’audience fixée au 17 Juin 2024 ;

Entendu Me Clarisse SCIALOM assistant M. [H] [S],

Entendu Me Rosa BARROSO, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l’Agent Judiciaire de l’Etat,

Entendue Madame Chantal BERGER, magistrate honoraire,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [H] [S], né le [Date naissance 2] 1943, de nationalité française, a été mis en examen le 06 février 2020 du chef de viol sur mineur de 15 ans par un magistrat instructeur du tribunal judiciaire de Melun, puis placé en détention provisoire le même jour par le juge des libertés et de la détention de la même juridiction.

Le 14 mai 2020, M. [S] a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire par le magistrat instructeur.

Le 28 février 2023, le juge d’instruction du tribunal judiciaire de Melun a rendu une ordonnance de non-lieu à l’égard de M. [S]. Cette décision est devenue définitive à son égard comme en atteste le certificat de non-appel du 20 mars 2023.

Par requête du 31 août 2023, adressée au premier président de la cour d’appel de Paris, M. [S] sollicite par l’intermédiaire de son avocat la réparation de la détention provisoire effectuée du 06 février 2020 au 14 mai 2020, en application de l’article 149 du code de procédure pénale.

Le requérant sollicite dans celle-ci, reprise oralement à l’audience du 17 juin 2024 :

Déclarer sa requête recevable ;

Lui allouer les sommes suivantes :

11.760,00 euros au titre du préjudice moral ;

860,47 euros au titre de la perte de revenus durant l’incarcération ;

7.311,60 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs ;

Condamner l’Etat à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner l’Etat aux dépens

Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA, déposées le 14 novembre 2023 et développées oralement, l’agent judiciaire de l’Etat demande au premier président de la cour d’appel de Paris de :

Ramener l’indemnité qui sera allouée à M. [S] en réparation de son préjudice moral à la somme de 10.000 euros ;

Débouter M. [S] de ses demandes au titre de la perte de revenus et perte de gains professionnels futurs ;

Ramener à plus justes proportions la demande au titre des frais irrépétibles.

Le Ministère Public, dans ses dernières conclusions notifiées le 17 avril 2024, reprenant oralement à l’audience, conclut :

A la recevabilité de la requête pour une détention d’une durée de 2 mois et 39 jours ;

A l’indemnisation du préjudice moral proportionné à la durée de détention subie et prenant en compte les circonstances particulières soulignées, en particulier l’âge avancé du requérant ;

Au rejet de la demande d’indemnisation du préjudice matériel tiré tant de la perte de revenus que de la perte de gains professionnels futurs ;

S’en rapporter sur la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d’un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d’appel. Cette requête doit contenir l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l’article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité. En l’absence d’information du requérant potentiel sur son droit à recours, le délai de court pas et le recours reste donc recevable, au-delà du délai de 6 mois précité.

En l’espèce, M. [S] a présenté sa requête le 31 août 2023, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de non-lieu est devenue définitive ; cette requête, contenant l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée, ainsi que le certificat de non-appel, est signée par son avocat et la décision de non-lieu n’est pas fondée sur un des cas d’exclusions visé à l’article 149 du code de procédure pénale.

La demande de M. [S] est donc recevable au titre d’une détention provisoire indemnisable du 06 février au 14 mai 2020, soit 98 jours.

Sur l’indemnisation

Sur le préjudice moral

M. [S] indique avoir subi une détention difficile et un sentiment d’injustice. Il ajoute qu’outre les conditions de détention déplorables liée à la surpopulation carcérale, il a subi un choc carcéral. Il précise qu’il a passé sa détention dans la peur constante, car ses codétenus étaient au courant du motif de son placement en détention. Il dit qu’il a été victime de violences, d’insultes et de menaces permanentes, que le motif de sa détention a impacté très fortement ses relations familiales et a porté atteinte à son honneur et à la considération.

Le requérant dit qu’il souffrait de lourds problèmes de santé, qu’il était diabétique au moment de son placement en détention provisoire et qu’il n’a pas été correctement pris en charge et suivi par l’établissement pénitentiaire. Il indique que son épouse était également malade et qu’il n’a pas pu s’en occuper à cause de son placement en détention provisoire.

L’agent judiciaire de l’Etat et le ministère public soutiennent que le préjudice moral ne doit être apprécié qu’au regard de l’âge du requérant, de la durée et des conditions de la détention, de son état de santé, de sa situation familiale et d’éventuelles condamnations antérieures, soulignant l’existence d’une précédente incarcération.

Il convient de rappeler que la réparation provisoire n’a pas vocation à remettre en cause la procédure judiciaire qui a mené au placement en détention.

Il est de jurisprudence constante que s’agissant du choc carcéral, celui-ci ne tient pas compte du sentiment d’injustice qu’a pu naturellement ressentir le requérant au moment de son placement en détention provisoire. Cependant, l’âge avancé du requérant au moment de son placement en détention provisoire ouvre droit à une majoration de l’indemnisation au titre du préjudice moral.

En l’espèce, au moment de son incarcération M [S] était marié et âgé de 76 ans. Il s’agissait de sa première incarcération, malgré la condamnation pour agression sexuelle figurant sur le Bulletin numéro 1 de son casier judiciaire a une peine d’emprisonnement avec sursis qui n’a pas entraîné d’incarcération.

Le choc carcéral subi par le requérant du fait de sa première incarcération ainsi que son âge seront retenus comme entraînant un choc carcéral important. L’éloignement d’avec son épouse et sa famille sera également pris en considération. 

La jurisprudence de la [3] ([3]) précise qu’il appartient au requérant de démontrer les circonstances particulières de sa détention de nature à aggraver son préjudice et de justifier avoir personnellement souffert desdites conditions qu’il dénonce.

En l’espèce M. [S] invoque les mauvaises conditions de détention, la dégradation de son état psychique et de son état de santé, mais n’apporte aucun élément, ni aucun justificatif tendant à démontrer les faits mentionnés, contrairement à ce qu’exige la jurisprudence de la [3]. En effet, même s’il est démontré que le requérant est diabétique, il n’est pas justifié que son état de santé se soit aggravé durant son placement en détention provisoire. De même, M. [S] ne fait état d’aucun rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou de l’Observatoire International des Prisons attestant de conditions de détentions indignes de l’établissement pénitentiaire dans lequel il se trouvait au moment de son placement en détention provisoire. Enfin, le requérant allègue sans justifier du fait qu’il aurait été victimes d’insultes, de menaces ou de violences de la part de ses codétenus du fait du motif de son placement en détention provisoire. En effet, aucun rapport d’incident ou de certificat médical n’est produit aux débats. Dans ces conditions, ces éléments ne seront donc pas retenus comme éléments d’aggravation du préjudice moral.

Au vu de ces différents éléments, il sera alloué une somme de 10.000 euros à M. [S] en réparation de son préjudice moral.

Sur le préjudice matériel

Sur la perte de revenus et la perte de gains professionnels futurs

Le requérant demande la somme de 8172,07 au titre de son préjudice matériel. Il soutient qu’il a été privé de son salaire durant son incarcération, car il était employé au sein de l’Intermarché de [Localité 5] pour un salaire moyen de 263,47 euros et qu’il n’a pas pu retrouver un emploi à sa sortie de prison, alors qu’avant son incarcération « il faisait des extras en boucherie au sein de l’Intermarché du [Localité 5] ».

L’agent judiciaire de l’Etat et le ministère public font valoir que le requérant, étant à la retraite depuis le 1er novembre 2023, ne justifie pas, par des éléments probants, qu’au moment de son incarcération il était employé de manière régulière et qu’il a été dans l’incapacité de poursuivre ses missions à l’Intermarché après sa remise en liberté.

En l’espèce M. [S] produit trois bulletins de paie pour la période entre les mois de mars et mai 2019. Il convient de rappeler que le requérant a été placé en détention provisoire le 06 février 2020 et que les bulletins de paie produits sont donc bien antérieurs à son placement en détention provisoire.

Il ressort des pièces produites au débat que M. [S] est à la retraite depuis le 1er novembre 2023 de la profession de boucher. Il a néanmoins poursuivi des missions ponctuelles, notamment pour le magasin Intermarché, mais ne produit aucun élément justifiant de son incapacité à poursuivre ses missions après sa remise en liberté et que cette incapacité serait en lien avec son placement en détention provisoire.

Les demandes de M. [S] au titre du préjudice matériel seront donc rejetées.

M. [S] sollicite également la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [S] les frais irrépétibles et une somme de 1.500 euros lui sera allouée sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS :

– Déclarons la requête de M. [H] [S] recevable ;

Allouons à M. [H] [S] les sommes suivantes ;

10.000 euros en réparation de son préjudice moral,

1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboutons M. [H] [S] du surplus de ses demandes ;

Laissons les dépens à la charge de l’Etat

Décision rendue le 07 Octobre 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI’RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


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