Responsabilité bancaire et obligation de mise en garde : enjeux et conséquences pour l’emprunteur non averti

·

·

Responsabilité bancaire et obligation de mise en garde : enjeux et conséquences pour l’emprunteur non averti

Le 12 février 2015, la société EARL des Bibis de Saby a été créée par Mme [J] [F] pour l’élevage d’ovins et de caprins. Elle a ouvert un compte à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] et a obtenu plusieurs prêts professionnels entre 2015 et 2018, totalisant 33 000 euros. Mme [J] [F] s’est portée caution solidaire pour certains de ces prêts. L’EARL a rencontré des difficultés financières, entraînant des mises en demeure de la banque en 2019 pour régulariser sa situation. En octobre 2019, la banque a notifié la déchéance du terme des prêts. En septembre 2020, la Caisse de Crédit Mutuel a assigné l’EARL et Mme [F] en paiement. Le tribunal judiciaire de Bordeaux a rendu un jugement en janvier 2022, déboutant la banque de ses demandes contre l’EARL et Mme [F], tout en condamnant la banque à verser des dommages et intérêts à l’EARL. La banque a fait appel, demandant la réformation du jugement. En juin 2024, l’EARL et Mme [F] ont demandé la confirmation du jugement de première instance. Lors de l’audience de juillet 2024, la cour a infirmé le jugement initial, condamnant l’EARL et Mme [F] à rembourser les sommes dues à la banque, tout en reconnaissant un manquement de la banque à son devoir de mise en garde et en accordant des dommages et intérêts à l’EARL.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10 octobre 2024
Cour d’appel de Bordeaux
RG
22/00364
COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 10 OCTOBRE 2024

N° RG 22/00364 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MQSH

Caisse DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 11]

c/

[J] [F]

E.A.R.L. DES BIBIS DE SABY

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 11 janvier 2022 par le Tribunal judiciaire de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 20/07350) suivant déclaration d’appel du 25 janvier 2022

APPELANTE :

CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE LESPARRE société coopérative de crédit à capital variable et responsabilité statutairement limitée, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bordeaux sous le numéro 313 731 432 agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 7] / FRANCE

Représentée par Me ALLEMAND substituant Me Frédéric BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉES :

[J] [F]

née le [Date naissance 9] 1975 à [Localité 10]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 8]

E.A.R.L. DES BIBIS DE SABY agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 8]

Représentées par Me CASAGRANDE substituant Me Grégory TURCHET de la SELARL GREGORY TURCHET, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 juillet 2024 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérengère VALLEE, conseiller, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Paule POIREL, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Emmanuel BREARD, conseiller,

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

Greffier lors du prononcé : Séléna BONNET

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Le 12 février 2015, la société EARL des Bibis de Saby a été constituée par Mme [J] [F] pour exercer une activité d’élevage d’ovins et de caprins.

Le 1er avril 2015, l’EARL des Bibis de Saby a ouvert dans les comptes de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] un compte de dépôt n°[XXXXXXXXXX06] avec signature d’une convention Eurocompte Agri.

Par acte sous seing privé en date du 9 novembre 2015, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] a consenti à l’EARL des Bibis de Saby un prêt professionnel d’un montant de 7.331 euros, décomposé en deux crédits respectivement de :

– 2 531 euros, au taux nominal fixe de 2,15% l’an, sur une durée de 60 mois, remboursable en 5 échéances annuelles (prêt n°[XXXXXXXXXX01])

– 4 800 euros, au taux nominal fixe de 1,90% l’an, sur une durée de 36 mois, remboursable en trois échéances annuelles, soldé à ce jour.

Par acte sous seing privé du 12 mai 2017, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] a consenti à l’EARL des Bibis de Saby un prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX02] d’un montant de 14 000 euros, au taux nominal fixe de 1,35% l’an, d’une durée de 36 mois, remboursable en 3 échéances annuelles.

Par acte séparé du 12 mai 2017, Mme [J] [F], gérante, s’est portée caution solidaire du remboursement de cet emprunt, dans la limite de 16 800 euros pour une durée de 60 mois, avec renonciation au bénéfice de discussion.

Par acte sous seing privé du 4 août 2017, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] a consenti à l’EARL des Bibis de Saby un prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX03] d’un montant de 5 900 euros, au taux nominal fixe de 1,55% l’an, d’une durée de 48 mois remboursables en 4 échéances annuelles.

Par acte séparé du 14 août 2017, Mme [J] [F] s’est portée caution solidaire du remboursement de cet emprunt, dans la limite de 5 900 euros pour une durée de 72 mois, avec renonciation au bénéfice de discussion.

L’EARL a par ailleurs bénéficié de plusieurs crédits de trésorerie, le dernier ayant été signé le 23 mai 2018, pour un montant de 6 000 euros, au taux variable de 3,6720%, afin de lui permettre d’apurer son découvert en compte en deux ans.

L’EARL a rencontré des difficultés pour honorer le paiement des échéances de ses prêts et son compte s’est trouvé en position débitrice.

Par courrier recommandé du 21 septembre 2019 avec avis de réception signé le 27 septembre 2019, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] a mis en demeure l’EARL des Bibis de Saby de régulariser la situation du fait des difficultés rencontrées pour honorer les mensualités des prêts et la position débitrice du compte dépôt. Elle lui précisait qu’à défaut, elle se réservait la possibilité de prononcer, par un prochain courrier, la déchéance du terme des crédits en cours.

Par courrier recommandé du 24 septembre 2019 avec avis de réception signé le 27 septembre 2019, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] a mis en demeure Mme [J] [F], en sa qualité de caution solidaire des prêts n°[XXXXXXXXXX02] et n°[XXXXXXXXXX03], de respecter ses engagements en s’acquittant des sommes impayées par la débitrice principale au titre des prêts cautionnés.

A défaut de régularisation, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] a, par lettre recommandée en date du 29 octobre 2019 avec avis de réception signé le 5 novembre 2019, notifié à l’EARL des Bibis de Saby la déchéance du terme des prêts.

Par courrier recommandé du 30 octobre 2019 avec avis de réception signé le 5 novembre 2019, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] a informé Mme [J] [F] en sa qualité de caution, de la déchéance du terme des prêts souscrits par la débitrice principale, et l’a mise en demeure d’avoir à honorer ses engagements de caution.

C’est dans ces circonstances que, par acte du 28 septembre 2020, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] a fait assigner l’EARL des Bibis de Saby et Mme [F] en paiement.

Par jugement contradictoire du 11 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– débouté la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] de l’ensemble de ses demandes formées à l’encontre de l’EARL des Bibis de Saby,

– condamné la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] à payer à l’EARL des Bibis de Saby la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de ne pas contracter,

– débouté la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] de l’ensemble de ses demandes formées à l’encontre de Mme [F] en sa qualité de caution solidaire,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,

– condamné la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] à payer à Mme [F] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la Caisse aux entiers dépens.

La Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] a relevé appel de l’ensemble des chefs de ce jugement par déclaration du 25 janvier 2022, et par dernières conclusions déposées le 20 juin 2024, elle demande à la cour de :

– ordonner le rabat de l’ordonnance de clôture au jour des plaidoiries,

– déclarer la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] recevable et bien fondée en son appel,

A titre principal,

– déclarer irrecevable la demande nouvelle de Mme [F], caution, tendant à solliciter la condamnation de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice tiré de la perte de chance de ne pas contracter pour manquement a son devoir de mise en garde,

– réformer le jugement rendu par la 5ème chambre civile du tribunal judiciaire de Bordeaux du 11 janvier 2022 (RG 20/07350), en ce qu’il a :

– débouté la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] de l’ensemble de ses demandes formées à l’encontre de la société des Bibis de Saby,

– condamné la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] à payer à la société des Bibis de Saby la somme de 10 000 à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de ne pas contracter,

– débouté la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] de l’ensemble de ses demandes formées à l’encontre de Mme [F] en sa qualité de caution solidaire,

– condamné la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] à payer à Mme [F] la somme de 1 500 au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] aux dépens,

Statuant à nouveau,

– débouter la société des Bibis de Saby et Mme [F] de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,

– condamner la société des Bibis de Saby à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] au titre du solde débiteur du compte chèques la somme principale de 6 195,93 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2019, et jusqu’à parfait paiement,

– condamner la société des Bibis de Saby à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX01] la somme principale 1 229,82 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 5,15 % l’an à compter du 22 juillet 2020, et jusqu’à parfait paiement,

– condamner solidairement la société des Bibis de Saby et Mme [F] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX02] la somme principale de 10 802,55 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,35 % l’an à compter du 22 juillet 2020, et jusqu’à parfait paiement,

– condamner solidairement la société des Bibis de Saby et Mme [F] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX03] la somme principale de 4 965,80 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,55 % l’an à compter du 22 juillet 2020, et jusqu’à parfait paiement,

– ordonner la capitalisation des intérêts jusqu’à parfait paiement,

– condamner solidairement la société des Bibis de Saby et Mme [F] à verser à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] une indemnité de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner solidairement la société des Bibis de Saby et Mme [F] aux entiers dépens de première instance et d’appel,

A titre subsidiaire, si la cour d’appel venait à retenir un manquement de la Caisse de Crédit Mutuel à son devoir de mise en garde à l’égard de la société des Bibis de Saby,

– déclarer irrecevable la demande nouvelle de Mme [F], caution, tendant à solliciter la condamnation de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice tire de la perte de chance de ne pas contracter pour manquement à son devoir de mise en garde,

– réformer le jugement rendu par la 5ème chambre civile du tribunal judiciaire de Bordeaux du 11 janvier 2022, en ce qu’il a :

– débouté la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] de l’ensemble de ses demandes formées à l’encontre de la société des Bibis de Saby,

– condamné la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] à payer à la société des Bibis de Saby la somme de 10 000 à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de ne pas contracter,

– débouté la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] de l’ensemble de ses demandes formées à l’encontre de Mme [F] en sa qualité de caution solidaire,

– condamné la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] à payer à Mme [F] la somme de 1 500 au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] aux dépens,

Statuant à nouveau,

– débouter Mme [F] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

– débouter la société des Bibis de Saby de l’intégralité de ses demandes tendant au débouté de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] de ses demandes formées à son encontre,

– condamner la société des Bibis de Saby à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] au titre du solde débiteur du compte chèques la somme principale de 6 195,93 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2019, et jusqu’à parfait paiement,

– condamner la société des Bibis de Saby à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX01] la somme principale 1 229,82 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 5,15 % l’an à compter du 22 juillet 2020, et jusqu’à parfait paiement,

– condamner solidairement la société des Bibis de Saby et Mme [F] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX02] la somme principale de 10 802,55 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,35 % l’an à compter du 22 juillet 2020, et jusqu’à parfait paiement,

– condamner solidairement la société des Bibis de Saby et Mme [F] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX03] la somme principale de 4 965,80 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,55 % l’an à compter du 22 juillet 2020, et jusqu’à parfait paiement

– ordonner la capitalisation des intérêts jusqu’à parfait paiement,

– fixer le montant des dommages et intérêts aux fins de réparer le préjudice de perte de chance de ne pas contracter de la société des Bibis de Saby à la somme maximum de 3 000 euros,

– ordonner la compensation entre les créances respectives de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] et de la société des Bibis de Saby,

– condamner solidairement la société des Bibis de Saby et Mme [F] à verser à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] une indemnité de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner solidairement la société des Bibis de Saby et Mme [F] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Par dernières conclusions déposées le 19 juin 2024, Mme [F] et l’EARL des Bibis de Saby, demandent à la cour de :

– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 11 janvier 2022 en l’ensemble de ses dispositions,

– débouter la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] de ses demandes de réformation du jugement de première instance, ainsi que de l’ensemble de ses demandes toutes fins et conclusions,

– constater l’inexécution de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] de son devoir de mise en garde à l’égard de la société des Bibis de Saby,

– constater l’inexécution de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] de son devoir de mise en garde à l’égard de Mme [F], en sa qualité de caution,

– constater que l’inexécution de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] de son devoir de mise en garde à l’égard de la société des Bibis de Saby a privé la société des Bibis de Saby de la chance de ne pas contracter,

En conséquence,

– débouter la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la société des Bibis de Saby,

– la condamner à verser à la société des Bibis de Saby la somme de 23 194,10 euros en réparation du préjudice subi de la perte de la chance de ne pas contracter,

– la condamner à verser à Mme [F] la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi de la perte de chance de ne pas contracter,

– débouter la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de Mme [F] en sa qualité de caution,

– la condamner à verser à Mme [F] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Par message RPVA du 20 juin 2024, l’avocat de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] sollicite le rabat de l’ordonnance de clôture au jour des plaidoiries.

L’affaire a été fixée à l’audience rapporteur du 4 juillet 2024.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 20 juin 2024.

Lors de l’audience, avant tous débats au fond, les parties se sont entendues pour voir révoquer l’ordonnance de clôture et fixer la clôture de l’instruction du dossier au jour de l’audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I- Sur la demande de la banque à l’égard de l’EARL des Bibis de Saby, débitrice principale

Pour rejeter la demande en paiement formée par la Caisse de Crédit Mutuel de Lesparre à l’encontre de l’EARL des Bibis de Saby et la condamner au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts, le tribunal a retenu un manquement de la banque à son devoir de mise en garde occasionnant pour l’emprunteur un préjudice de perte de chance de ne pas contracter.

La Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] sollicite l’infirmation de la décision entreprise, faisant valoir, en substance, l’absence de tout manquement de sa part à son obligation de mise en garde, à apprécier au jour de la signature de chacun des trois prêts, dès lors que l’EARL a réglé leurs échéances pendant trois ans avant de rencontrer des difficultés directement en lien avec la mortalité réitérée du troupeau, du fait de maladie ou d’empoisonnements, entre 2017 et 2019 et, de ce fait, non prévisibles lors de l’octroi des concours. A titre subsidiaire, elle rappelle que le seul préjudice indemnisable est la perte de chance de ne pas conclure le prêt litigieux, estimant que le tribunal ne pouvait, outre l’octroi de dommages et intérêts à ce titre qu’elle propose de ramener à de plus justes proportions qui ne sauraient excéder 3.000 euros, sanctionner le manquement au devoir de mise en garde par le débouté de la banque de ses demandes en paiement. Enfin, elle souligne que l’EARL des Bibis de Sady, qui conclut à la confirmation du jugement en l’ensemble de ses dispositions, ne peut qu’être déboutée de sa demande tendant à réévaluer ses dommages et intérêts à hauteur de 23.194,10 euros.

L’EARL des Bibis de Sady sollicite quant à elle la confirmation du jugement entrepris, invoquant l’obligation de mise en garde qui lui était due en sa qualité d’emprunteuse non avertie, au regard de la position débitrice du compte chèque dès juillet 2015 et des difficultés de remboursement rencontrées pour les prêts souscrits, antérieurement à 2017, date à laquelle le risque caractérisé d’endettement était présent et identifié lors de la signature des contrats en mai et août 2017. Concluant au débouté de la demande en paiement de la banque, elle demande la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 23.194,10 euros en réparation du préjudice subi de la perte de chance de ne pas contracter.

A- Sur la créance de la banque

La Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] établit par la production de chacun des contrats avoir consenti trois prêts professionnels à l’EARL des Bibis de Saby, qui était aussi titulaire d’un compte courant en ses guichets.

Elle justifie avoir, après une mise en demeure restée infructueuse, prononcé la déchéance du terme des crédits dont le principe n’est au demeurant pas litigieux.

Les sommes réclamées par la banque au titre de la résiliation anticipée de ces concours et du solde débiteur du compte courant, sont conformes aux stipulations contractuelles et aux productions, notamment des tableaux d’amortissement et des historiques de compte.

L’EARL n’en réfute ni n’en conteste véritablement le montant, sa défense consistant principalement à faire valoir le manquement de la banque à son obligation de mise en garde, ce qui l’aurait privée d’une chance de ne pas contracter.

Or, comme le rappelle à juste titre la banque, le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s’analyse en la perte d’une chance de ne pas contracter, laquelle est réparée par l’octroi de dommages et intérêts dont le montant est souverainement apprécié par les juges du fond, une compensation pouvant ensuite s’opérer entre cette créance et celle de la banque à l’égard de l’emprunteur.

C’est donc à tort que le tribunal a débouté la banque de ses demandes en paiement à l’encontre de l’EARL des Bibis de Saby.

Par infirmation de la décision entreprise, il sera en conséquence fait droit à la demande de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] tendant à la condamnation de l’EARL des Bibis de Saby à lui payer les sommes suivantes :

– au titre du solde débiteur du compte chèques : 6 195,93 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2019, et jusqu’à parfait paiement,

– au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX01] : 1 229,82 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 5,15 % l’an à compter du 22 juillet 2020, et jusqu’à parfait paiement,

– au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX02]: 10 802,55 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,35 % l’an à compter du 22 juillet 2020, et jusqu’à parfait paiement,

– au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX03] la somme principale de 4 965,80 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,55 % l’an à compter du 22 juillet 2020, et jusqu’à parfait paiement.

Il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

B- Sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde

Aux termes de l’article 1147 ancien devenu l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Au titre de son obligation de mise en garde, la banque qui consent un prêt à un emprunteur non averti est tenue à son égard, lors de la conclusion du contrat, d’un devoir de mise en garde en considération de ses capacités financières et des risques d’endettement excessif nés de l’octroi du prêt.

Ce devoir de mise en garde n’existe toutefois qu’en présence d’un prêt inadapté aux capacités financières déclarées de l’emprunteur et à condition qu’il ait la qualité de non-averti.

L’emprunteur qui invoque le manquement de la banque à son obligation de mise en garde doit justifier de la disproportion du prêt à ses capacités financières ou du risque de l’endettement né de l’octroi du crédit. Lorsqu’il est établi que cette obligation était due, c’est au banquier de prouver qu’il l’a remplie.

L’assujettissement au devoir de mise en garde suppose donc, d’une part, un risque d’endettement excessif et, d’autre part, que le client soit non averti, ces deux conditions étant cumulatives, le risque d’endettement excessif s’appréciant au jour de l’octroi du crédit.

Il n’est pas contesté en l’espèce que l’EARL des Bibis de Saby est un emprunteur non averti.

Il convient dès lors d’examiner la situation de l’emprunteur, chronologiquement, au jour de la souscription de chaque opération de crédit consentie.

S’agissant du prêt souscrit le 9 novembre 2015 à hauteur de 7.331 euros, décomposé en deux crédits, l’un sur 5 ans de 2.531 euros et l’autre sur trois ans de 4.800 euros, l’appelante fait valoir que :

– ce prêt a notamment permis l’acquisition de bêtes, coeur de l’activité de l’EARL et ne présentait aucun risque financier particulier,

– l’EARL a d’ailleurs réglé les échéances de ce prêt pendant plus de trois ans, ce qui démontre qu’il n’existait aucun risque d’endettement excessif, la première annualité impayée non régularisée du prêt de 2.531 euros étant de janvier 2019 et le prêt de 4.800 euros ayant été soldé,

– les positions débitrices du compte courant ne sont pas liées au financement de la banque mais notamment à l’absence de perception de la prime ovine de 4.000 euros, celle-ci ayant été versée sur un compte clôturé, ce qui a impacté la trésorerie de la structure, aux frais d’analyse et de vétérinaire après la mortalité du troupeau en 2017,

– le tribunal n’a pas pris en compte la situation globale de l’exploitation agricole, ce type d’activité fonctionnant régulièrement avec un compte débiteur, grâce à un crédit de trésorerie, dans l’attente du versement des subventions de la PAC.

Cependant, comme le souligne l’EARL et comme l’a justement retenu le premier juge, les relevés du compte chèque ouvert au nom de l’EARL le 1er avril 2015 dans les livres de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] révèlent l’apparition d’incidents de fonctionnement dès le 28 juillet 2015 avec un solde débiteur sans discontinuer jusqu’à août 2017, position débitrice générée par les échéances des prêts ainsi que par la tarification récurrente de frais notamment de commissions d’intervention et de lettres d’information pour chèques sans provision.

Au regard de la position débitrice continue du compte chèque de l’EARL depuis juillet 2015, il est manifeste qu’au jour de l’octroi du prêt souscrit le 9 novembre 2015, il existait un risque d’endettement excessif, peu important que le compte de la société puisse fonctionner à découvert grâce à des crédits de trésorerie.

S’agissant des prêts souscrits le 12 mai 2017 d’un montant de 14.000 euros et le 4 août 2017 d’un montant de 5.900 euros, la banque fait valoir que :

– les prêts de 2017 ont été accordés sur la base d’un diagnostic établi le 31 juillet 2017 par la conseillère de la chambre de l’agriculture qui indique que le coût de l’acquisition de nouvelles bêtes, suite à la mortalité d’une partie du troupeau début 2017, devait être en partie compensé par une subvention de l’ordre de 2.500 euros de la coopérative Groupement des éleveurs girondins, que l’EARL dispose de 350 brebis après l’achat de 40 mères pour renforcer le troupeau, ce qui devrait ‘fortement augmenter les naissances en 2018 et par conséquent les recettes’, relevant que la rentabilité de l’exploitation devait même être plus forte que celle espérée à l’installation et préconisant, dans ce contexte, de rencontrer la banque pour ‘réemprunter pour régler l’endettement court et moyen terme et repasser en positif sur le compte. Commencer à rembourser en 2018, lorsque le cheptel est plus conséquent et l’entreprise a plus de rentrées pour supporter et pour remplacer un des emprunts qui se termine’,

– selon le prévisionnel remis avec ce diagnostic, il était prévu que la prime ovine de 2015 allait solder des dettes fournisseurs, qu’un prêt dont les annuités s’élevaient à 3.250,65 euros allait se solder en 2017 et que les annuités des prochains emprunts seraient prélevés en 2018, soit quand les naissances devaient fortement augmenter et par voie de conséquence les recettes également,

– au jour de l’octroi des prêts, il n’existait donc aucun risque anormal d’endettement,

– la première annualité des prêts, qui tombait en 2018 pour l’un et l’autre a d’ailleurs été acquittée, la première annualité impayée non régularisée étant intervenue en 2019,

– les difficultés financières rencontrées par la débitrice, ayant conduit à la déchéance du terme des prêts, sont liées à une mortalité récurrente de son troupeau en 2017, 2018 et 2019, l’absence de perception d’une prime, l’augmentation du coût de l’alimentation du bétail, la rentabilité moindre que prévue de l’activité, éléments que la banque ne pouvait prévoir, qui sont extérieurs à elle et qui n’ont pas être constatés qu’a posteriori.

Il ressort des pièces produites qu’à la date de l’octroi du crédit du 12 mai 2017, l’EARL n’avait pas réussi à récupérer la prime ovine de 2015 de l’ordre de 4.000 euros, qu’elle avait subi une mortalité importante de son troupeau début 2017 et dû mobiliser des frais d’analyse et de vétérinaire, le coût de l’alimentation ayant par ailleurs fortement augmenté.

Il apparaît également à la lecture des relevés du compte chèque de la société que celui-ci présentait un solde débiteur de façon continue depuis juillet 2015 et, ainsi que le relève pertinemment le premier juge, que le prêt souscrit le 12 mai 2017 avait manifestement pour vocation de permettre le remboursement anticipé des prêts n°[XXXXXXXXXX04] et [XXXXXXXXXX05], sans aucunement résoudre les difficultés de trésorerie à nouveau enregistrées dès fin mai 2017, génératrices de la même tarification récurrente de frais d’incidents.

Au regard de la situation financière de l’EARL à la date de l’octroi du crédit, il apparaît que le prêt du 12 mai 2017 faisait donc apparaître un risque d’endettement excessif de l’emprunteur.

Lors de l’octroi du prêt souscrit le 4 août 2017, le solde du compte chèque de l’EARL était toujours débiteur. En outre, selon le diagnostic établi par la chambre de l’agriculture le 31 juillet 2017, il apparaît qu’à cette date, la prime ovine de 2015 n’était toujours pas récupérée, que l’EARL avait des ‘dettes bancaires, sociales et auprès de (ses) fournisseurs’, que s’il était certes indiqué qu’elle disposait désormais de 350 brebis après avoir acheté 40 mères de sorte que les naissances, et par là même les recettes, devraient augmenter en 2018, il était néanmoins précisé que cette augmentation n’aurait pas lieu dans un avenir proche, le conseiller notant également que ‘les dettes s’accumulent et ne pourront être soldées car il y a peu d’entrées prévues dans les mois à venir’. Il était encore mentionné que si l’exploitation était encore en phase de croissance et que les investissements avaient été réalisés de façon très récente ce qui expliquait l’endettement élevé par rapport aux recettes, l’EARL était particulièrement exposée en cas d’aléa, le conseiller de la chambre de l’agriculture soulignant qu’ ‘à ce jour, il n’y a plus de trésorerie et le GEC ne veut plus suivre pour financer les derniers achats de cheptel (…) il est donc nécessaire de remettre à plat l’endettement pour repartir sur de bonnes bases.’

Compte tenu du solde débiteur du compte chèque, de la particulière exposition de l’EARL en cas d’aléa et de son absence de trésorerie, il ne peut être contesté que l’octroi du prêt du 4 août 2017 faisait également apparaître un risque d’endettement excessif de l’emprunteur.

Or, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] ne justifie, ni même ne prétend avoir satisfait à l’obligation de mise en garde qui, dans ces circonstances, pesait sur elle.

Le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s’analyse en la perte d’une chance de ne pas contracter. L’existence d’une perte de chance raisonnable, dont résulterait un préjudice direct et certain, doit être appréciée au regard des circonstances de l’espèce. La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

En première instance, l’EARL avait sollicité la somme de 23.194,10 euros à titre de dommages et intérêts, soit un montant égal à la condamnation demandée par l’organisme de crédit.

Le tribunal lui a alloué la somme de 10.000 euros.

La banque demande à la cour de ramener le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions qui ne sauraient excéder 3.000 euros.

L’EARL, tout en sollicitant de la cour de confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 11 janvier 2022 en l’ensemble de ses dispositions, demande que la Caisse de Crédit Mutuel de Lesparre soit condamnée à lui verser la somme de 23.194,10 euros en réparation du préjudice subi de la perte de chance de ne pas contracter.

Il est toutefois rappelé qu’en application des articles 542 et 954 du code de procédure civile, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement si l’intimé qui forme appel incident ne demande pas l’infirmation du jugement dans le dispositif de ses conclusions (Civ. 2e, 1er juil. 2021, no 20-10.694).

Ainsi, et comme le relève à juste titre la banque, le dispositif des conclusions de l’EARL des Bibis de Saby ne comportant aucune demande d’infirmation ou d’annulation du jugement, la cour n’est saisie par l’EARL que de la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.

En l’espèce, l’indemnisation allouée à l’EARL, en réparation du manquement par la banque de son devoir de mise en garde, ne peut être équivalente au montant des prêts qui lui ont été accordés et qui lui ont permis de disposer de fonds employés à son bénéfice, mais doit correspondre à la perte de chance de ne pas contracter lesdits prêts ou de ne pas contracter aux conditions qu’ils ont acceptées, et donc de n’en pas supporter les coûts.

Compte tenu de la nécessité d’emprunter afin de financer son exploitation, la chance que l’EARL ne souscrive pas les prêts en cause peut être considéré comme faible. Les dommages et intérêts seront ainsi plus justement évalués à la somme de 7.000 euros

Comme demandé par la banque, il sera ordonné la compensation entre les créances respectives de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] et de l’EARL des Bibis de Saby.

II- Sur les demandes de la banque à l’égard de Mme [F] en sa qualité de caution

Retenant le caractère disproportionné de ses engagements de caution, le tribunal a rejeté la demande en paiement formée par la Caisse de Crédit Mutuel de Lesparre à l’encontre de Mme [F].

La banque conclut à l’infirmation du jugement, faisant valoir que Mme [F], à qui il appartient de rapporter la preuve que le montant de son engagement était manifestement disproportionné à ses revenus et son patrimoine au jour de la souscription de l’acte, ne justifie pas de la situation qui était la sienne en mai et août 2017, date de souscription de ses engagements de caution, puisqu’elle ne verse aux débats que des justificatifs de ses revenus antérieurs à 2017, aucun relevé de banque n’étant par ailleurs produit. Elle soulève par ailleurs l’irrecevabilité de la demande de Mme [F], nouvelle en appel, consistant à demander 10.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi de la perte de chance de ne pas contracter.

Mme [F] conclut à la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté la banque de ses demandes formées à son encontre au titre du cautionnement, soulignant qu’au jour de la souscription des actes, elle disposait de très faibles revenus et n’avait aucun patrimoine immobilier. Elle invoque également le manquement de la banque à son devoir de mise en garde et sollicite à ce titre des dommages et intérêts à hauteur de 10.000 euros, faisant valoir la recevabilité de cette demande.

A- Sur la recevabilité de la demande de dommages et intérêts de Mme [F]

Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, les parties peuvent soumettre à la cour d’appel de nouvelles prétentions pour opposer compensation.

L’article 567 du même code précise que les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel.

En l’espèce, la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts par la caution pour manquement de la banque à son obligation de mise en garde est recevable en appel comme tendant à opposer compensation à concurrence du montant auquel elle peut être condamnée au titre de la demande en paiement présentée par la banque.

La fin de non-recevoir soulevée par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] sera en conséquence rejetée et la demande de dommages et intérêts formée par Mme [F] déclarée recevable.

B- Sur la disproportion de l’engagement de la caution

L’article L. 341-4 du code de la consommation devenu l’article L.332-1 énonce qu’un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Ces dispositions s’appliquent que la caution, personne physique, soit ou non avertie.

Il appartient à la caution qui prétend que son engagement était disproportionné au jour de la souscription, de le prouver.

La disproportion s’apprécie au jour de la conclusion de l’engagement au regard du montant de celui-ci, des biens et revenus de la caution ainsi que de son endettement global, comprenant l’ensemble des charges, dettes et éventuels engagements de cautionnements contractés par la caution au jour de l’engagement.

En l’espèce, Mme [F], agricultrice, s’est portée caution solidaire :

– le 12 mai 2017, dans la limite de 16.800 euros, pour une durée de 60 mois, de l’emprunt de 14.000 euros soucrit par l’EARL des Bibis de Saby le même jour,

– le 14 août 2017, dans la limite de 5.900 euros, pour une durée de 72 mois, de l’emprunt de 5.900 euros souscrit par l’EARL des Bibis de Saby le 4 août 2017.

Si Mme [F] produit ses avis d’imposition sur ses revenus 2014, 2015 et 2016 qui démontrent en effet la faiblesse des revenus de Mme [F] pour les années immédiatement antérieures à ses engagements de caution, elle ne verse en revanche aucun document attestant de sa situation financière en 2017, son avis d’imposition sur ses revenus 2017 n’étant pas produit aux débats et aucun relevé de banque à son nom n’étant communiqué.

Contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, Mme [F] ne rapporte donc pas la preuve qui lui incombe qu’au jour de la souscription de ses engagements de caution en mai et août 2017, le montant de ceux-ci était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Il y a lieu en conséquence d’infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] de ses demandes formées à l’encontre de Mme [F] au titre des cautionnements et de condamner cette dernière, solidairement avec l’EARL des Bibis de Saby, au paiement de :

– au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX02] pour lequel Mme [F] est caution solidaire à hauteur de 16.800 euros, la somme de 10.802,55 euros, augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,35% l’an à compter du 22 juillet 2020,

– au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX03], et pour lequel Mme [F] est caution solidaire à hauteur de 5.900 euros, la somme de 4.965,80 euros, augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,55% l’an à compter du 22 juillet 2020.

C- Sur la responsabilité de la banque au titre du devoir de mise en garde à l’égard de Mme [F]

Mme [F] soutient qu’elle a la qualité de caution profane et reproche à la banque de ne pas l’avoir suffisamment mise en garde sur les risques d’endettement encourus à raison de ses capacités financières. Elle sollicite en conséquence la condamnation de la banque à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi de la perte de chance de ne pas contracter.

En apllication de l’article 1231-1 du code civil, le banquier dispensateur de crédit est tenu d’un devoir de mise en garde à l’égard de la caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou lorsqu’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur. La charge de la preuve d’un manquement du banquier à cet égard incombe à la caution qui l’invoque.

Le caractère averti de la caution s’évalue au regard des aptitudes de celle-ci à comprendre la portée de son engagement, à apprécier le risque inhérent à l’engagement et de son expérience dans les affaires. Il doit être démontré qu’elle avait une connaissance étendue du domaine de la finance et de la direction d’entreprise.

En l’espèce, sans qu’il y ait lieu d’examiner le caractère averti ou non de la caution, il a été vu ci-avant qu’il n’était pas démontré, au vu des pièces produites, que les engagements de caution de Mme [F] à hauteur de 22.700 euros étaient, à la date du 12 mai 2017 et 14 août 2017, manifestement disproportionnés en considération de ses capacités financières. Faute de justifier de l’inadaptation de l’engagement de caution à ses capacités financières ou du risque d’endettement, il ne peut être reproché à la banque d’avoir manqué à son devoir de mise en garde.

La demande de Mme [F] à titre de dommages et intérêts sera par conséquent rejetée.

III – Sur les dépens et les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Mme [F], qui succombe principalement à l’instance, supportera la charge des dépens.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En l’espèce, il n’y a pas lieu à condamnation sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme la décision déférée,

Statuant à nouveau,

Condamne l’EARL des Bibis de Saby à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] au titre du solde débiteur du compte chèques la somme principale de 6 195,93 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2019, et jusqu’à parfait paiement,

Condamne l’EARL des Bibis de Saby à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX01] la somme principale 1 229,82 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 5,15 % l’an à compter du 22 juillet 2020, et jusqu’à parfait paiement,

Condamne solidairement l’EARL des Bibis de Saby et Mme [J] [F] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX02] la somme principale de 10 802,55 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,35 % l’an à compter du 22 juillet 2020, et jusqu’à parfait paiement,

Condamne solidairement l’EARL des Bibis de Saby et Mme [J] [F] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] au titre du prêt professionnel n°[XXXXXXXXXX03] la somme principale de 4 965,80 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,55 % l’an à compter du 22 juillet 2020, et jusqu’à parfait paiement,

Ordonne la capitalisation des intérêts jusqu’à parfait paiement,

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 11] à payer à l’EARL des Bibis de Sady la somme de 7.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du manquement de la banque à son devoir de mise en garde,

Ordonne la compensation entre les créances respectives des parties,

Y ajoutant,

Déclare recevable la demande de dommages et intérêts formée par Mme [J] [F],

Déboute Mme [J] [F] de sa demande de dommages et intérêts,

Dit n’y avoir lieu à condamnation en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [J] [F] aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x