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La requalification en contrat de travail à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d’inactivité, ces dernières n’ont pas d’effet sur le point de départ du délai de prescription. (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 20-12.271- Publié)
Aux termes de l’article 21 de la loi du 14 juin 2013, les dispositions réduisant les délais de prescription s’appliquent à celles qui sont en cours à compter de la promulgation de la loi, soit le 17 Juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit en l’espèce 5 ans. En cas de réduction de la durée du délai de prescription, ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Aux termes de l’article L.1471-1 du code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. Le délai de prescription d’une action en requalification d’un CDD en CDI fondée sur le motif de recours au CDD énoncé au contrat a pour point de départ le terme du contrat, ou, en cas de succession de CDD, le terme du dernier contrat conclu. Le salarié a alors droit, lorsque sa demande de requalification est reconnue fondée, de se prévaloir d’une ancienneté remontant au premier contrat irrégulier, peu important que les contrats aient été interrompus entre eux, sauf à ce que la prescription alors applicable ait été acquise durant l’une de ces interruptions. |
Résumé de l’affaire : Mme [Z] [E] a été employée par la société Mondadori France, maintenant Reworld Media Magazines, en tant que journaliste/secrétaire de rédaction depuis le 16 avril 2012, avec des contrats à durée déterminée. Après la cession de Mondadori à Reworld Media le 1er août 2019, son dernier contrat a pris fin le 29 novembre 2019. Le 30 octobre 2020, elle a saisi le conseil de prud’hommes pour demander la requalification de ses contrats en contrat à durée indéterminée et la requalification de la rupture de son contrat en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que le paiement de diverses sommes. Le jugement du 30 mai 2022 a déclaré irrecevables les demandes concernant les contrats antérieurs au 30 novembre 2017, a jugé conformes les contrats postérieurs, et a débouté Mme [E] de ses demandes. Elle a interjeté appel le 20 juillet 2022, demandant l’infirmation du jugement et la requalification de ses contrats. La société Reworld Media a demandé la confirmation du jugement en appel, tout en contestant certaines demandes de Mme [E]. L’instruction a été clôturée le 15 mai 2024, avec une date de plaidoiries fixée au 1er juillet 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE
VERSAILLES
Code nac : 80O
Chambre sociale 4-6
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 26 SEPTEMBRE 2024
N° RG 22/02304 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VKR3
AFFAIRE :
[Z] [E]
C/
S.A.S. REWORLD MEDIA MAGAZINES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Mai 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
N° Chambre :
N° Section : I
N° RG : 20/01321
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Noémie THUILLIER
Me Pascal LAGOUTTE de la SELARL CAPSTAN LMS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SIX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [Z] [E]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Noémie THUILLIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1726
APPELANTE
S.A.S. REWORLD MEDIA MAGAZINES
N° SIRET : 452 791 262
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Pascal LAGOUTTE de la SELARL CAPSTAN LMS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0020 – Représentant : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 – substitué par Me Marjorie NICOLET, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 01 Juillet 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseillère chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Nathalie COURTOIS, Présidente,
Madame Véronique PITE, Conseillère,
Madame Odile CRIQ, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
En présence de [C] [X], greffière stagiaire
Mme [Z] [E] a été engagée en qualité de journaliste / secrétaire de rédaction, par la société Mondadori France, aux droits de laquelle vient désormais la société Reworld Media Magazines, selon contrats de travail à durée déterminée successifs, à compter du 16 avril 2012.
La société Reworld Media Magazines est spécialisée dans le secteur de l’édition et de la presse, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective nationale des journalistes.
Après l’opération de cession du groupe Mondadori France auprès du groupe Reworld Media en date du 1er août 2019, Mme [E], a vu son dernier contrat à durée déterminée arriver à son terme le 29 novembre 2019.
Mme [E] a saisi, le 30 octobre 2020, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins d’obtenir, au titre de l’exécution de son contrat de travail, la requalification de ses contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, et, au titre de la rupture de son contrat de travail, la requalification de la rupture de son contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, ce à quoi la société s’est opposée.
Par jugement rendu le 30 mai 2022, notifié le 23 juin 2022, le conseil a statué comme suit :
Dit que les demandes portant sur des contrats conclus antérieurement au 30 novembre 2017 sont irrecevables en application de l’article L 1471-1 du code du travail et de la jurisprudence constante en matière de prescription ;
Dit que les contrats de travail à durée déterminée conclus postérieurement au 30 septembre 2017 sont conformes à la législation en la matière ;
Déboute Mme [E] de l’ensemble de ses demandes ;
Déboute la société Reworld Media Magazines de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Laisse les dépens à la charge de chacune des parties pour la part lui incombent.
Le 20 juillet 2022, Mme [E] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
‘ Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 19 octobre 2022, Mme [E] demande à la cour de :
Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau
Recevoir Mme [E] en son action,
L’y déclarer recevable non prescrite et bien fondée
A titre subsidiaire, si la cour devait estimer une partie des demandes prescrites,
Dire les demandes liées aux contrats conclus entre le 29 novembre 2017 et le 29 novembre 2019, non prescrites,
Constater et juger que l’employeur a gravement manqué à ses obligations légales et contractuelles,
En conséquence,
Ordonner la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, à temps complet, à compter du 16 avril 2012,
Dire et juger irrégulière, radicalement viciée, abusive et sans cause réelle et sérieuse la rupture du contrat de travail de Mme [E],
En tout état de cause,
Condamner la société Reworld Media Magazines aux sommes suivantes :
Indemnité de requalification (articles L.1245-1 et R.1245-1 du code du travail) : 3.033,33 euros (1 mois) nets de charges sociales,
Rappel de salaire sur la période du 29 novembre 2016 au 29 novembre 2019 : 43.763,66 euros bruts,
Congés payés y afférents : 4.376,36 euros bruts,
Indemnité de travail dissimulé (articles L.8221-1 et suivants et L.8223-1 du code du travail) : 18.200 euros (6 mois de salaire brut reconstitué) nets de charges sociales,
Indemnité de préavis : 6.066,66 euros bruts (2 mois sur base reconstituée),
Indemnité de congés payés : 606,66 euros bruts,
Indemnité conventionnelle de licenciement : 23.599,33 euros nets,
Indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse (article L.1235-3 du code du travail) : 24.266,66 euros (8 mois) nets de charges sociales,
A titre subsidiaire, indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement (article L.1235-2 du code du travail) : 3.033,33 euros nets de charges sociales,
Remboursement des allocations chômage dans la limite de 6 mois de salaire ‘ article L 1235-4 du code du travail,
Condamner la société Reworld Media Magazines au paiement de la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société Reworld Media Magazines à la remise des documents sociaux (certificat de travail, attestation Pôle Emploi, solde de tout compte) conformes à la présente décision, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement, la cour se réservant la liquidation de l’astreinte,
Ordonner la capitalisation des intérêts (article 1154 du code civil),
Condamner la société Reworld Media Magazines aux entiers dépens y compris les frais éventuels d’exécution du Jugement à intervenir.
Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 19 janvier 2023, la société Reworld Media Magazines demande à la cour de :
A titre principal :
Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en date du 30 mai 2022 dans toutes ses dispositions ;
Condamner Mme [E] à verser à la Société la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
A titre subsidiaire, si la cour devait reconnaitre l’existence d’un contrat à durée indéterminée :
Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en date du 30 mai 2022 sauf en ce qu’il a
o fixé le point de départ de la prescription permettant d’apprécier la période couverte par l’action de Mme [E] au 30 septembre 2017 ;
o débouté la Société de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Fixer l’ancienneté de Mme [E] au 5 novembre 2018 compte-tenu de la prescription biennale applicable aux contrats à durée déterminée ;
Ramener le montant des éventuelles condamnations à :
2.569,56 euros au titre de la demande relative à l’indemnité de requalification ;
5.139,12 euros au titre de la demande relative à l’indemnité de préavis, outre 514 euros de congés payés y afférents ;
2.569,56 euros au titre de la demande relative à l’indemnité conventionnelle de licenciement au regard de l’ancienneté qui lui est applicable ; de plus justes proportions s’agissant de la demande de Mme [E] au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et ce, au regard de l’ancienneté qui lui est applicable ;
2.569,56 euros au titre de la demande de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ;
Ordonner la compensation des sommes dues par Mme [E] à la société au titre de sa demande de rappel de salaires et congés payés y afférents ;
Débouter Mme [E] de sa demande d’indemnité au titre du travail dissimulé ;
En tout état de cause :
Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en date du 30 mai 2022 en ce qu’il a :
Débouté Mme [E] de sa demande au titre de l’astreinte ;
Débouté Mme [E] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Jugé qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la capitalisation des intérêts.
Par ordonnance rendue le 15 mai 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 1er juillet 2024.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Sur la requalification de la relation de travail :
La salariée sollicite la requalification des contrats de travail à durée déterminée en CDI à temps complet, à compter du 16 avril 2012. Elle fait valoir le caractère permanent de l’emploi occupé.
Sur la prescription :
L’employeur soutient que l’action de la salariée est partiellement prescrite en ce que la l’application de la prescription biennale dans le cadre d’une requalification en contrat à durée indéterminée, ne peut conduire le juge à requalifier la période antérieure aux deux ans précédant la saisine.
La salariée conteste toute prescription de l’action, le délai de prescription de deux ans courant à compter du terme du dernier contrat signé en l’espèce le 29 novembre 2019 et la saisine du conseil de prud’hommes ayant eu lieu le 28 octobre 2020.
Aux termes de l’article 21 de la loi du 14 juin 2013, les dispositions réduisant les délais de prescription s’appliquent à celles qui sont en cours à compter de la promulgation de la loi, soit le 17 Juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit en l’espèce 5 ans.
En cas de réduction de la durée du délai de prescription, ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
Aux termes de l’article L.1471-1 du code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Le délai de prescription d’une action en requalification d’un CDD en CDI fondée sur le motif de recours au CDD énoncé au contrat a pour point de départ le terme du contrat, ou, en cas de succession de CDD, le terme du dernier contrat conclu.
Le salarié a alors droit, lorsque sa demande de requalification est reconnue fondée, de se prévaloir d’une ancienneté remontant au premier contrat irrégulier, peu important que les contrats aient été interrompus entre eux, sauf à ce que la prescription alors applicable ait été acquise durant l’une de ces interruptions.
La requalification en contrat de travail à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d’inactivité, ces dernières n’ont pas d’effet sur le point de départ du délai de prescription. (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 20-12.271- Publié)
Il résulte des bulletins de paie versés aux débats que les missions de la salariée se sont succédées avec des périodes d’interruption plus ou moins longues sans jamais qu’il ne s’écoule plus de deux ans entre deux contrats.
Il s’ensuit qu’aucune prescription n’est encourue dès lors que le dernier contrat est arrivé à terme le 29 novembre 2019 et que la salariée a introduit son action devant le conseil de prud’hommes le 30 octobre 2020.
La salariée est donc recevable à demander la requalification de ses contrats en contrat à durée indéterminée depuis le premier contrat à durée déterminée en date du 16 avril 2012.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le fond.
À l’appui de son action, la salariée invoque le fait pour l’employeur d’avoir pourvu durablement, un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, moyennant des contrats à durée déterminée successifs dont l’employeur ne justifie pas le recours par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets et précis, établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.
Mme [E] affirme qu’elle exerçait toujours les mêmes tâches, assistait aux réunions concernant l’activité, l’organisation du service, et notamment les réunions de rédaction, qu’elle recevait les courriels adressés à l’équipe de rédaction au même titre que les salariés en CDI. Mme [E] ajoute que la société Mondadori lui a créé une adresse électronique personnelle à l’instar des autres salariés et que des missions d’envergure pour le magazine lui étaient confiées, telles que les parutions spéciales du festival de [Localité 5] ou encore avoir travaillé pour la parution du Grazia Homme.
Mme [E] précise qu’elle participait activement à la vie de l’entreprise, et qu’elle était conviée, annuellement à la soirée Grazia, qui avait pour but de faire se rencontrer tous les acteurs importants du monde de la mode.
Madame [E] produit aux débats plusieurs témoignages.
Ainsi, il résulte des attestations de Mme [W], journaliste rédactrice en chef ( pièce n° 7 de l’appelante) et de Mme [R], journaliste ( pièce n° 8 ) que la présence de Mme [E] à son poste n’était pas occasionnelle, qu’elle faisait partie intégrante de la rédaction et qu’elle contribuait au même titre que les personnes en CDI au bon fonctionnement du magazine. Mme [R] précise pour ce poste « qu’ils n’ont jamais transformé en CDI ».
Madame [U] [L], journaliste ( pièce n°45) témoigne que Mme [E] en poste en qualité de secrétaire de rédaction du magazine hebdomadaire Grazia est un élément clé du service.
La société intimée critique l’analyse de la salariée sur son prétendu rattachement à l’activité durable et permanente de la société et affirme que son poste a toujours été un poste de renfort en période de bouclage des numéros, en faisant valoir que la salariée a travaillé au cours de :
– l’année 2017 : 102 jours
– l’année 2018 : 128 jours
– l’année 2019 : 151 jours.
Alors qu’elle ne conteste en aucune façon la présentation faite par la salariée de son activité concrète, confirmée par les témoignages produits aux débats par l’appelante, la société Mondadori qui se borne à souligner que la collaboration de Mme [E] a été des plus ponctuelles et à critiquer la force probante des pièces produites par Mme [E] ( témoignages, courriels) en ajoutant que les journalistes pigistes non salariés reçoivent également des invitations pour se rendre aux évènements de la rédaction, n’apporte aucun élément objectif susceptible de démontrer que le recours à des contrats à durée déterminée pour pourvoir l’emploi de journaliste / secrétaire de rédaction, est justifié par des raisons objectives reposant sur des éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné.
De ce chef, la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée est encourue et ce à compter du premier contrat conclu dont le motif de recours n’est pas justifié soit le 16 avril 2012.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur la requalification de la relation de travail en contrat à temps plein :
Au soutien de sa demande en paiement de la somme de 43 763,66 euros à titre de rappel de salaire, dans la limite de la prescription triennale, du 29 novembre 2016 au 29 novembre 2019, Mme [E] sollicite la requalification de la relation de travail à temps plein.
Mme [E] fait valoir qu’au vu de la multitude de CDD conclus avec la société Reworld Média Magazines en près de huit ans de collaboration, elle se tenait à la disposition de son employeur entre deux contrats.
C’est ainsi qu’elle indique qu’elle travaillait plus de la moitié de son temps pour le compte de la société et en dernier lieu près de 70 % de son temps, outre le fait qu’elle était appelée au dernier moment, ce que démontre la signature des CDD, toujours le jour même de la prise de poste.
La salariée fait valoir que cette situation est corroborée par ses avis d’imposition sur le revenu des années 2016 à 2019 qui démontrent qu’elle n’avait pas ou très peu de ressources complémentaires, et que la société Reworld Média Magazines, était son principal, voire son unique employeur.
La société objecte que la requalification de la relation contractuelle n’emporte pas rappel de salaire sur les périodes non travaillées et qu’il appartient à la salariée d’établir qu’elle est demeurée à disposition de son employeur, ce qu’elle ne fait pas.
Elle fait valoir que le taux d’occupation de Mme [E] sur une année n’occupait pas plus de 41 %. Elle ajoute que Mme [E] n’a pas collaboré une seule journée au cours de l’année 2016.
La requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée de travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat ; réciproquement, la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail. Ainsi, en cas de requalification de contrats à durée déterminée successifs, à temps partiel ou à temps complet, en contrat à durée indéterminée, le salarié ne peut obtenir de rappel de salaire pour les périodes interstitielles qu’à la condition de prouver qu’il est resté à la disposition de l’employeur.
Certes, les avis d’imposition sur les revenus de l’année 2017, 2018 et 2019 produits par l’appelante établissent sur cette période que les revenus complémentaires de la salariée n’ont pas dépassé un tiers de ses revenus principaux.
Cependant, ces pièces sont insuffisantes à établir que Mme [E], se serait tenue à la disposition de la société pendant les périodes pour lesquelles elle ne travaillait pas et notamment pendant l’année 2016 pour laquelle il est constant qu’il n’a été conclu, aucun contrat à durée déterminée.
Nonobstant, le nombre de CDD conclus avec la société Reworld Média Magazines, la salariée ne fournit aucun élément probant de nature à établir qu’elle est restée effectivement à la disposition de la société au cours des périodes interstitielles.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté Mme [E] de sa demande de rappel de salaire.
III – Sur les conséquences de la requalification en contrat à durée indéterminée :
Sur l’indemnité de requalification :
La salariée sollicite une indemnité de 3 033,33 euros au titre de l’article L.1245-2 du code du travail.
La société conclut au débouté de cette demande.
Conformément à l’article L. 1245-2 du code du travail, Mme [E] peut prétendre à une indemnité de requalification qui ne peut être inférieure au dernier mois de salaire avant la saisine du conseil de prud’hommes. Eu égard aux conditions de précarité qui ont été imposées à la salariée, aux éléments de la cause et au vu du salaire payé au mois de novembre 2019 cette indemnité sera fixée à 3 033,33 euros.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la rupture de la relation contractuelle :
En ne lui fournissant plus de travail à compter du 29 novembre 2019, terme du dernier contrat de travail à durée déterminée, la société Reworld Media Magazines a pris l’initiative de rompre la relation de travail requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée, sans l’envoi d’une lettre de licenciement motivée.
La rupture s’analyse, donc en un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 29 novembre 2019.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur l’indemnisation de la rupture injustifiée :
En application des dispositions de l’article L 1235-3, dans sa rédaction applicable au litige, issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minima et maxima variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié, Mme [E] ayant acquis 7 ans et 9 mois d’ancienneté au moment de la rupture dans la société employant habituellement au moins 11 salariés, le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est compris entre trois et huit mois de salaire brut.
Mme [E] avait perçu au cours des 12 derniers mois précédant la rupture, une rémunération brute globale de 27 630 euros.
Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération, de son âge ( 32 ans), de son ancienneté et des conséquences du licenciement à son égard telles qu’elles résultent des pièces fournies, il y a lieu de condamner la société Reworld Media Magazines à lui payer la somme de 10 000 euros bruts.
Le licenciement de Mme [E] étant sans cause réelle et sérieuse, la salariée a droit au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, qui conformément à l’article L. 1234-5 du code du travail doit correspondre à la rémunération brute qu’elle aurait perçue si elle avait travaillé pendant la période du délai-congé d’une durée de deux mois et des congés payés afférents.
Au vu des dernières fiches de paye de la salariée, l’indemnité de préavis doit être fixée à la somme de 6 066,66 euros bruts, augmentée de 606,66 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Selon l’article L.7112-3 du code du travail, le journaliste a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze.
Tenant le salaire de référence calculé sur les douze derniers mois et l’ancienneté de la salariée, Mme [E] est fondée à percevoir une indemnité conventionnelle de licenciement de 17 844,74.
Le jugement sera infirmé de ces chefs.
Comme tenu de l’ancienneté et de l’effectif de la société, il sera fait application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail.
Sur la demande au titre du travail dissimulé :
Selon l’article L. 8221-5 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1°/ soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L.1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2°/ soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2 relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3°/ soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
L’article L.8223-1 du même code précise qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l’article L.8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Mme [E] soutient qu’en ne mentionnant pas sur les bulletins de salaire toutes les heures travaillées, la société s’est rendue coupable de travail par dissimulation d’emploi salarié.
La société qui rappelle que la salariée était soumise à des contrats de travail à durée déterminée réguliers fait valoir qu’il n’existe aucune heure de travail non rémunérée et non déclarée.
Mme [E], qui a été déboutée de sa demande de requalification du contrat de travail à temps plein ne justifie pas du manquement allégué.
Cette dernière sera déboutée de sa demande par confirmation du jugement entrepris sur ce point.
Sur les autres demandes :
Il sera ordonné à l’employeur de remettre à la salariée les documents de fin de contrat régularisés, mais sans astreinte laquelle n’est pas nécessaire à assurer l’exécution de cette injonction.
Conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes, alors que les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne. La capitalisation des intérêts sera ordonnée en application de l’article 1343-2 du code civil.
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du conseil de prud’hommes du 30 mai 2022, en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté Mme [Z] [E] de sa demande de rappel de salaire et de sa demande au titre du travail dissimulé et en ce qu’il a débouté la société Reworld Média Magazines de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription,
Requalifie les contrats de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 16 avril 2012.
Dit le licenciement de Mme [Z] [E] par la société Reworld Média Magazines, le 29 novembre 2019 non fondé,
Condamne la société Reworld Média Magazines à payer à Mme [Z] [E], les sommes suivantes :
– 3 033,33 euros à titre d’indemnité de requalification,
– 10 000 euros bruts à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– 6 066,66 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 606,66 euros bruts au titre des congés payés afférents,
– 17 844,74 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles,
Dit que les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne.
Ordonne la capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil.
Ordonne conformément aux dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, le remboursement par l’employeur aux organismes concernés des éventuelles indemnités de chômage payées à la salarié licenciée du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnités chômage et dit qu’une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes.
Ordonne à la société Reworld Media Magazines de remettre à Mme [Z] [E] les documents de fin de contrat régularisés,
Dit n’y avoir lieu à la fixation du montant d’une astreinte.
Condamne la société Reworld Media Magazines aux entiers dépens.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Nathalie COURTOIS, Présidente et par Madame Isabelle FIORE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La greffière La Présidente