Rétention administrative : conditions de légalité et exercice des droits des retenus

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Rétention administrative : conditions de légalité et exercice des droits des retenus

Le tribunal correctionnel de Toulouse a condamné M. [V] [L], alias [F] [C], à 18 mois d’emprisonnement et à une interdiction du territoire français de 10 ans pour détention et cession non autorisée de stupéfiants en récidive. Après sa libération le 3 août 2024, il a été placé en rétention administrative. M. [L] ne possédait aucun document d’identité et a exprimé son intention de ne pas retourner dans son pays d’origine. Des demandes de reconnaissance ont été adressées aux autorités consulaires algériennes, sans réponse. Le Préfet de l’Aube a demandé une prolongation de la rétention, qui a été contestée par le Juge des Libertés et de la Détention, qui a ordonné la mainlevée de la mesure en raison de l’absence d’un arrêté préfectoral valide. Le procureur a interjeté appel, soutenant que M. [L] représentait une menace pour l’ordre public. Lors de l’audience, le Procureur Général a présenté des preuves de la légalité de la rétention, tandis que le conseil de M. [L] a contesté la notification de ses droits. M. [L] a demandé un délai pour quitter le territoire. Finalement, la cour a infirmé la décision de mainlevée et a ordonné la prolongation de la rétention pour 26 jours.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

9 août 2024
Cour d’appel de Lyon
RG
24/06544
N°RG 24/06544 – N��Portalis DBVX-V-B7I-P3BU

Nom du ressortissant :

[V] [L]

PREFET DE L’AUBE

PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE

C/

[L]

PREFET DE L’AUBE

COUR D’APPEL DE LYON

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE SUR APPEL AU FOND

EN DATE DU 09 AOUT 2024

statuant en matière de Rétentions Administratives des Etrangers

Nous, Aurore JULLIEN, conseiller à la cour d’appel de Lyon, déléguée par ordonnance de madame la première présidente de ladite Cour en date du 30 juillet 2024 pour statuer sur les procédures ouvertes en application des articles L.342-7, L. 342-12, L. 743-11 et L. 743-21 du code d’entrée et de séjour des étrangers en France et du droit d’asile,

Assistée de Gwendoline DELAFOY, greffière placée,

En présence du ministère public, représenté par Jean- Daniel REGNAULD, Avocat général, près la cour d’appel de Lyon,

En audience publique du 09 Août 2024 dans la procédure suivie entre :

APPELANT :

Monsieur le Procureur de la République

près le tribunal de judiciaire de Lyon, représenté par le parquet général de Lyon

ET

INTIMES :

M. [V] [L]

né le 06 Septembre 1996 à [Localité 5] (ALGERIE) [Localité 1]

de nationalité Algérienne

Actuellement retenu au CRA de [4]

Comparant à l’audience assisté de Maître Virginie MOREL, avocat au barreau de LYON et avec le concours de [G] [Y], interprète assermenté en langue arabe, expert près la cour d’appel de LYON

M. LE PREFET DE L’AUBE

Non comparant, représenté par Maître Maéva MADDALENA, avocat au barreau de LYON, substituant Maître Jean-Paul TOMASI, avocat au barreau de LYON

Avons mis l’affaire en délibéré au 09 Août 2024 à 16h00 et à cette date et heure prononcé l’ordonnance dont la teneur suit :

FAITS ET PROCÉDURE

Par jugement du 13 juillet 2023, le tribunal correctionnel de Toulouse a condamné M. [V] [L], sous son alias de [F] [C], à une peine de 18 mois d’emprisonnement, assortie d’une interdiction du territoire français pendant une durée de 10 ans ainsi que la confiscation des substances ou plantes classées comme stupéfiants, pour des faits de détention et d’offre ou cession non autorisée de stupéfiants en récidive.

M. [L] a été incarcéré du 25 janvier au 3 août 2024 au Centre de Détention de [Localité 7].

À sa levée d’écrou, M. [L] a fait l’objet d’une décision de placement en rétention après une procédure contradictoire initiée le 11 juillet 2024, lui permettant de présenter ses observations.

Le 3 août, M. [L] a été conduit au local de rétention administrative de la ville de [Localité 6] avant son transfert au centre de rétention administrative de [Localité 3].

Le retenu n’est porteur d’aucun document relatif à son identité ou de documents de voyage et a indiqué ne pas avoir l’intention de regagner son pays d’origine.

Une demande de reconnaissance, par mail et lettre recommandée avec accusé de réception, a été adressée aux autorités consulaires algériennes le 26 juin 2024, avec des rappels les 5 et 25 juillet 2024, et le 6 août 2024.

Par requête du 6 août 2024, le Préfet de l’Aube a saisi le Juge des Libertés et de la Détention du tribunal judiciaire de Lyon d’une demande de première prolongation de la mesure de rétention administrative prise à l’encontre de M. [L] pour une durée de 26 jours.

Par décision du 7 août 2024 à 15h18, le Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal Judiciaire de Lyon a ordonné la mainlevée de la mesure de rétention au motif de l’absence de production de l’arrêté préfectoral de création d’un local de rétention administrative au sein de l’hôtel de police de [Localité 6], et estimant que l’arrêté du 18 mai 2010 n’emportait qu’une création temporaire d’un local de cette nature.

Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon a interjeté appel de cette décision le 7 août 2024 à 18h39 et a demandé que son appel soit déclaré suspensif, en indiquant notamment que M. [L] n’avait pas de garantie de représentation, ne justifiait pas d’une résidence stable sur le territoire français, était interdit de paraître sur le territoire national, mais également qu’un arrêté préfectoral avait été pris le 27 mai 2011 créant un local permanent de rétention administrative au sein de l’hôtel de police de [Localité 6], sis [Adresse 2], avec une capacité d’accueil de 4 personnes.

Par ordonnance du 8 août 2024, la juridiction du Premier Président de la cour d’appel de Lyon a déclaré recevable l’appel du procureur de la République de Lyon et l’a déclaré suspensif, les parties étant convoquées à l’audience du 9 août 2024 à 10h30.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du 9 août 2024 à 10h30.

Dans ce cadre, le Procureur Général près la cour d’appel de Lyon a sollicité l’infirmation de la décision déférée. Il a indiqué que l’arrêté de création d’un local de rétention administrative permanent du 27 mai 2011 a été versé aux débats, ainsi que la preuve de sa publication au recueil des actes administratifs des services de l’Etat.

Concernant l’exercice des droits de la personne retenue, il a rappelé que la preuve était rapportée de ce que le retenu avait eu la notification de ses droits, et que ce dernier ne rapportait pas la preuve de ce qu’il avait formulé des demandes en ce sens, l’administration n’ayant pas à suppléer à la preuve sur ce point.

Le conseil de la préfecture de l’Aube a repris les réquisitions du Procureur Général. Il a rappelé que M. [L] a eu la notification de ses droits et la possibilité de les exercer. Il a également rappelé que l’intéressé représente une menace à l’ordre public et qu’il ne dispose d’aucune garantie de représentation.

Le conseil de M. [L] a fait valoir que si l’arrêté était produit, la preuve de sa notification au procureur de la République et au Contrôleur général des lieux de privation de liberté et de détention n’était pas rapportée.

Il a également fait valoir que si la notification des droits avait été faite, la preuve de ce que le retenu avait eu la possibilité de les exercer n’était pas rapportée, ce qui dès lors démontrait l’irrégularité de la mesure de rétention.

M. [L], entendu par le truchement d’un interprète en langue arabe, a eu la parole en dernier et a indiqué qu’il supportait difficilement d’être en centre de rétention administrative et souhaitait qu’un délai de 24 heures lui soit laissé pour quitter le territoire français afin de se rendre en Espagne où il a de la famille.

MOTIVATION

Attendu que l’article L. 741-3 du CESEDA rappelle qu’un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que le temps strictement nécessaire à son départ et que l’administration doit exercer toute diligence à cet effet ;

Attendu que des critiques sont soulevées concernant la régularité de l’arrêté du 27 mai 2011 ayant ordonné la création d’un lieu de rétention dans les locaux du Commissariat de [Localité 6],

Qu’il est relevé que cet arrêté a été publié au recueil des actes administratifs des services de l’Etat,

Que le conseil de M. [L] fait grief à cet arrêté de ce qu’il n’a pas été notifié au procureur de la République et au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, alors que cela est prévu à l’article R 744-10 du CESEDA,

Que sur ce point, il sera rappelé dans un premier temps que l’article R744-10 du CESEDA a été créé par l »article 18 du décret n° 2020-1734 du 16 décembre 2020 pour une entrée en vigueur au 1er mai 2021 et n’a aucune valeur rétroactive,

Que par ailleurs, la question de la notification ou non aux autorités indiquées par ce texte relève du contentieux du tribunal administratif,

Qu’enfin, la preuve de la publication de cet arrêté au recueil des actes administratifs des services de l’Etat démontre que cet arrêté est opposable à tous,

Que de fait, ce moyen ne peut qu’être rejeté.

Attendu qu’il est fait état de ce que le retenu n’aurait pas été mis en mesure d’exercer ses droits en rétention, en contrariété avec l’article L743-9 du CESEDA,

Attendu toutefois qu’il est relevé que les droits de M. [L] lui ont été notifiés à son arrivée dans le local de rétention administrative de [Localité 6] le 3 août 2024,

Que ses droits lui ont, à nouveau, été notifiés à son arrivée au centre de rétention administrative de [Localité 3] le 4 août 2024,

Que la notification des droits vaut preuve de l’effectivité des droits, sans compter que le retenu ne rapporte pas la preuve d’un quelconque empêchement,

Que dès lors, ce moyen doit être également rejeté,

Attendu en conséquence qu’il convient d’infirmer totalement la décision déférée et d’ordonner la prolongation de la mesure de rétention de X se disant [V] [L] pour une durée de 26 jours.

PAR CES MOTIFS

Infirmons en toutes ses dispositions l’ordonnance déférée,

Ordonnons la prolongation de la mesure de rétention de X se disant [V] [L] pour une durée de 26 jours.

La greffière, Le conseiller délégué,

Gwendoline DELAFOY Aurore JULLIEN


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