Radiation d’une instance d’appel : conditions et enjeux de l’exécution provisoire

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Radiation d’une instance d’appel : conditions et enjeux de l’exécution provisoire

Le 20 novembre 2023, le président du tribunal de commerce de Lyon a ordonné à la S.A. Capelli de verser des sommes provisionnelles à la S.A.S. Tri-home, totalisant 671 000 €, en raison de diverses factures liées à un permis de construire. Capelli a interjeté appel de cette décision le 24 novembre 2023. En réponse, Tri-home a demandé la radiation de l’instance d’appel pour non-exécution de l’ordonnance, ainsi qu’une indemnité. Lors de l’audience du 2 septembre 2024, Capelli a soutenu qu’elle ne pouvait pas exécuter la décision en raison de difficultés financières et a contesté la validité des factures. Le délégué du premier président a déclaré la demande de Tri-home recevable, ordonné la radiation de l’instance d’appel, rejeté la demande d’arrêt de l’exécution provisoire de Capelli, et condamné cette dernière aux dépens et à verser une indemnité à Tri-home.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

16 septembre 2024
Cour d’appel de Lyon
RG
24/00057
N° R.G. Cour : 24/00057 – N° Portalis DBVX-V-B7I-PQ7K

COUR D’APPEL DE LYON

JURIDICTION DU PREMIER PRESIDENT

ORDONNANCE DE REFERE

DU 16 Septembre 2024

DEMANDERESSE :

S.A.S. TRI-HOME

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Bertrand TAVERNIER, avocat au barreau de LYON

DEFENDERESSE :

S.A. CAPELLI

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON

assistée de Me Marie DUVERNE-HANACHOWICZ de la SELAS LAMY-LEXEL AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

Audience de plaidoiries du 02 Septembre 2024

DEBATS : audience publique du 02 Septembre 2024 tenue par Pierre BARDOUX, Conseiller à la cour d’appel de Lyon, délégataire du Premier Président dans les fonctions qui lui sont spécialement attribuées selon ordonnance du 2 septembre 2024, assisté de Sophie PENEAUD, Greffière.

ORDONNANCE : contradictoire

prononcée publiquement le 16 Septembre 2024 par mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;

signée par Pierre BARDOUX, Conseiller et Sophie PENEAUD, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 »

EXPOSE DU LITIGE

Par ordonnance de référé du 20 novembre 2023, le président du tribunal de commerce de Lyon a condamné la S.A. Capelli à payer à la S.A.S. Tri-home les sommes provisionnelles de :

‘ 360 000 € au titre de la facture numéro 2022-12-03 du 6 décembre 2022 afférente au dépôt du dossier de demande de permis de construire, outre intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2023,

‘ 36 000 € au titre de la facture numéro 2023-06-01 du 1er juillet 2023 afférente à l’accord des propriétaires des garages, outre intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2023,

‘ 270 000 € au titre de la facture numéro 2023-07-01 du 24 juillet 2023 afférente à l’obtention du permis de construire,

et la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

La société Capelli a interjeté appel de cette décision le 24 novembre 2023.

Par assignation en référé délivrée le 8 mars 2023 à la société Capelli, la société Tri-Home a saisi le premier président afin d’ordonner la radiation de l’instance d’appel enrôlée sous le numéro RG 23/08807 pour défaut d’exécution de l’ordonnance de référé du 20 novembre 2023, de la condamner à la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

A l’audience du 2 septembre 2024 devant le délégué du premier président, les parties, régulièrement représentées, s’en sont remises à leurs écritures, qu’elles ont soutenues oralement.

Dans son assignation, la société Tri-home invoque les dispositions de l’article 524 du Code de procédure civile et rappelle que la société Capelli n’a pas exécuté l’ordonnance de référé dont appel.

Dans ses conclusions déposées au greffe par RPVA le 3 mai 2024, la société Capelli demande au délégué du premier président à titre principal de déclarer la société Tri-home irrecevable en sa demande de radiation, à titre reconventionnel de prononcer l’arrêt de l’exécution provisoire de l’ordonnance de référé du 20 novembre 2023 et la condamnation de la société Tri-home à lui verser la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait état de ses difficultés financières qu’elle considère comme ayant été aggravées par des saisies-attribution ayant conduit à des saisies conséquentes d’un total de 183 288,04 €, alors qu’il reste un solde de 304 423,92 € dont le paiement total entraînerait des conséquences manifestement excessives pour elle.

Au soutien de sa demande reconventionnelle d’arrêt de l’exécution provisoire, la société Capelli, elle prétend que l’existence d’un permis de construire entaché de fraude constitue un moyen sérieux de réformation. Elle estime également que le juge des référés a outrepassé son pouvoir limité à l’évidence en procédant à l’interprétation du contrat d’origine.

Elle estime que la société Tri-home a facturé ses prestations sans que le syndic ait obtenu les accords de chaque copropriétaire et que l’obtention du permis de construire était irrégulière, ce qui constituait une contestation sérieuse.

Elle indique qu’elle n’est pas en mesure d’exécuter les condamnations prononcées par le juge des référés du tribunal de commerce, au regard de son impossibilité d’obtenir des financements nécessaires à l’opération immobilière.

Pour satisfaire aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour plus de précisions sur les faits, prétentions et arguments des parties, à la décision déférée, aux conclusions régulièrement déposées et ci-dessus visées, comme pour l’exposé des moyens à l’énoncé qui en sera fait ci-dessous dans les motifs.

MOTIFS

Sur la demande principale de radiation

Attendu que l’article 524 du Code de procédure civile dispose dans ses deux premiers alinéas :

«Lorsque l’exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d’appel, décider, à la demande de l’intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’article 521, à moins qu’il lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision.

La demande de l’intimé doit, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, être présentée avant l’expiration des délais prescrits aux articles 905-2, 909, 910 et 911.» ;

Que ce texte édicte une compétence exclusive du premier président pour statuer sur les demandes de radiation, qui ne peut être remise en cause que par la désignation d’un conseiller de la mise en état ;

Attendu qu’à défaut de désignation d’un conseiller de la mise en état, la demande de radiation formée au visa de l’article 524 du Code de procédure civile relève de la compétence exclusive du premier président, et tel est le cas en l’espèce car l’appel formé contre une ordonnance de référé ne peut être soumis à une mise en état ; que ce point n’est pas discuté par les parties ;

Attendu que la décision de radiation est une mesure d’administration judiciaire dépourvue de caractère juridictionnel, soumise au pouvoir discrétionnaire du premier président, et se trouve destinée à empêcher une partie d’utiliser à titre dilatoire la voie d’un appel ;

Attendu que la société Capelli demande le prononcé de l’irrecevabilité de la demande de radiation de l’adversaire sans pour autant préciser la fin de non-recevoir qu’elle invoque ;

Attendu que les éléments présents au dossier concernant la recevabilité temporelle de cette demande de la société Tri-home ne peuvent nous conduire à relever d’office une difficulté à ce sujet ;

Que dès lors la demande de radiation de l’instance d’appel présentée par la société Tri-Home est déclarée recevable ;

Attendu qu’il n’appartient pas au premier président d’apprécier le bien fondé de la décision assortie de l’exécution provisoire, ni même à s’attacher aux chances de réformation que la partie condamnée estime avoir pour statuer sur le bien fondé de la demande de radiation de l’instance d’appel ;

Que les deux critères déterminés par l’article 524 pour contrecarrer une telle demande sont constitués d’une part de l’impossibilité pour la partie condamnée d’exécuter ses condamnations et d’autre part de l’existence d’un risque de conséquences manifestement excessives susceptibles de résulter de leur exécution ;

Que la société Capelli a la charge de prouver que l’une de ces conditions se trouve réunie ;

Attendu que cette société soutient se trouver dans l’impossibilité d’exécuter le solde des condamnations prononcées par le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon, à la suite de saisies-attribution fructueuses à hauteur de 183 288,04 € et produit à cet effet :

– un rapport annuel d’activité mentionnant des chiffres ressortant des bilans et résultats pour les exercices 2021/2022 et 2022/2023 du groupe Capelli, et contenant un rapport du commissaire aux comptes du 31 juillet 2023,

– un article de presse non daté relatant la valorisation boursière du groupe Capelli,

– un communiqué de presse du 29 février 2024 émanant du groupe Capelli,

– les publications des jugements de redressement judiciaire des sociétés Grenelle et [Localité 4] Grenelle, faisant partie du même groupe ;

Attendu qu’aucune précision n’est faite sur la composition actuelle du groupe Capelli et sur la position qu’occupe la société Capelli au sein de ce groupe ;

Attendu que les documents ne permettent pas de discerner si les comptes référencés concernent le groupe Capelli reflètent fidèlement la situation financière de la société Capelli seule condamnée en l’espèce ;

Qu’à supposer que les tableaux contenus dans ces pièces puissent faire état de la situation spécifique de la S.A. Capelli, ils ne peuvent apporter un éclairage effectif des disponibilités financières actuelles de cette société comme sur le maintien d’un accès au crédit ;

Attendu qu’en l’état du caractère fructueux des saisies-attribution à hauteur de 183 288,04 €, il doit être relevé que l’absence d’indication de leur contestation devant le juge de l’exécution ne permet pas de présumer que ces fonds étaient essentiels et indispensables à l’activité de la société Capelli ;

Que l’absence d’actualisation des informations financières sur sa trésorerie actuelle ne peut conduire à retenir une impossibilité pour cette société de faire face aux condamnations assorties de l’exécution provisoire ;

Attendu que s’agissant de l’existence de conséquences manifestement excessives affirmée par la société Capelli, il y a lieu de rappeler qu’il appartient seulement au premier président de prendre en compte les risques générés par la mise à exécution de la décision rendue en fonction des facultés de remboursement de l’intimé si la décision était infirmée, mais également de la situation personnelle et financière du débiteur ;

Qu’en outre, le caractère manifestement excessif des conséquences de la décision rendue ne saurait exclusivement résulter de celles inhérentes à la mise à exécution d’une condamnation au paiement d’une somme d’argent, mais ces conséquences doivent présenter un caractère disproportionné ou irréversible ;

Attendu qu’au delà de considérations générales et sociologiques développées de manière peu opérante dans ses écritures sur l’état du marché immobilier, il vient d’être relevé que les documents produits étaient bien insuffisants à refléter concrètement la situation individuelle de la société Capelli ;

Qu’il était pourtant aisé de communiquer ses bilans et comptes de résultat récents et de faire préciser notamment par son expert-comptable l’état de sa trésorerie, comme l’impact déjà effectif ou susceptible d’intervenir de la poursuite d’une exécution forcée sur la pérennité de l’entreprise ;

Attendu qu’il est relevé à nouveau l’absence d’invocation d’une discussion des saisies-attribution devant le juge de l’exécution ne conduit pas à conforter l’affirmation d’une situation financière difficile et pouvant laisser présager que la poursuite de l’exécution de la décision déférée en appel va entraîner pour la société Capelli des conséquences disproportionnées ou irréversibles ; que la tardiveté de sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire, présentée à titre reconventionnel dans ses écritures déposées le 3 mai 2024 alors que son appel remonte au 24 novembre 2023 interroge tout autant ;

Que les pièces fournies par la société Capelli issues quasi uniquement des outils de communication de son groupe sont ainsi insuffisantes à caractériser l’existence d’un risque de conséquences manifestement excessives ;

Attendu qu’en conséquence, il convient de faire droit à la demande de radiation de l’instance d’appel ainsi qu’il sera précisé au dispositif de la présente ordonnance ;

Sur la demande reconventionnelle d’arrêt de l’exécution provisoire

Attendu que l’exécution provisoire de droit dont est assortie l’ordonnance rendue le 20 novembre 2023 par le président du tribunal de commerce de Lyon ne peut être arrêtée, que conformément aux dispositions de l’article 514-3 du Code de procédure civile, et lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives ; que ces deux conditions sont cumulatives ;

Qu’il vient d’être motivé que la société Capelli échoue à démontrer le risque de conséquences manifestement excessives de la poursuite de l’exécution provisoire, ce qui doit conduire au rejet de sa demande reconventionnelle en arrêt de l’exécution provisoire sans qu’il soit besoin d’apprécier le sérieux des moyens de réformation qu’elle articule ; qu’il est ainsi inopérant de vérifier le moment auquel la société Capelli a eu connaissance des conséquences qu’elle invoque pour appuyer cette demande, et il doit être souligné que la société Tri-home n’a d’ailleurs pas soutenu son irrecevabilité ;

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Attendu que la société Capelli succombe et doit supporter les dépens du présent référé comme indemniser son adversaire des frais irrépétibles engagés dans le cadre de la présente instance ;

PAR CES MOTIFS

Nous, Pierre Bardoux, délégué du premier président, statuant publiquement, en référé, par ordonnance contradictoire,

Vu la déclaration d’appel du 24 novembre 2023,

Déclarons recevable la demande présentée par la S.A.S. Tri-home et ordonnons la radiation de l’instance d’appel inscrite au rôle de la cour sous le N° RG 23/08807,

Rappelons que cette affaire ne pourra être réinscrite au rôle que sur justification de l’exécution de la décision,

Rejetons la demande d’arrêt de l’exécution provisoire présentée par la S.A. Capelli,

Condamnons la S.A. Capelli aux dépens de la présente instance en référé et à verser à la S.A.S. Tri-home une indemnité de 800 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

LA GREFFIERE LE MAGISTRAT DELEGUE


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