M. [K] [T], de nationalité sénégalaise, a été mis en examen pour viol le 23 septembre 2020 et placé en détention provisoire. Le 18 mai 2021, il a été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Le 26 avril 2023, une ordonnance de non-lieu a été rendue à son égard, confirmée par un certificat de non appel le 8 juin 2023. Le 27 juillet 2023, il a déposé une requête pour obtenir une indemnisation de sa détention provisoire, demandant 50 000 euros pour préjudice moral, 1 200 euros pour préjudice matériel, et 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’agent judiciaire de l’État a proposé une indemnisation de 18 000 euros pour le préjudice moral et a reconnu le préjudice matériel. Le procureur général a conclu à la recevabilité de la requête et a proposé une indemnisation proportionnée à la durée de la détention. La décision rendue le 16 septembre 2024 a déclaré la requête recevable et a alloué à M. [T] 21 000 euros pour préjudice moral, 1 200 euros pour préjudice matériel, et 1 500 euros sur le fondement de l’article 700, tout en déboutant M. [T] du surplus de ses demandes et laissant les dépens à la charge de l’État.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Chambre 1-5DP
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 16 Septembre 2024
(n° , 5 pages)
N°de répertoire général : N° RG 23/12414 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CH7HT
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d’appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :
Comparant
Assisté par Me Emilie BERENGIER, avocat au barreau de PARIS
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l’Agent Judiciaire de l’Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l’audience fixée au 03 Juin 2024 ;
Entendu Me Emilie BERENGIER représentant M. [P], [K] [T],
Entendu Me Célia DUGUES, avocat au barreau de PARIS substituant Me Fabienne DELECROIX, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l’Agent Judiciaire de l’Etat,
Entendue Madame Brigitte AUGIER DE MOUSSAC, Substitute Générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [P] [T], né le [Date naissance 1] 1984, de nationalité sénégalaise, a été mis en examen du chef de viol le 23 septembre 2020 par un juge d’instruction du tribunal judiciaire de Créteil, puis placé en détention provisoire à la maison de [Localité 3] le lendemain par un juge des libertés et de la détention de la même juridiction.
Par ordonnance du 18 mai 2021, ce magistrat instructeur ordonnait la remise en liberté du requérant er le plaçait sous contrôle judiciaire.
Le 26 avril 2023, ce magistrat instructeur a rendu une ordonnance de non-lieu à l’égard de M. [T] et cette décision est définitive à son égard comme en atteste le certificat de non appel en date du 08 juin 2023
Le 27 juillet 2023, M. [T] a adressé une requête au premier président de la cour d’appel de Paris en vue d’être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l’article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement :
– que sa requête soit déclarée recevable,
– le paiement des sommes suivantes :
* 50 000 euros au titre de son préjudice moral,
* 1 200 euros en réparation de son préjudice matériel lié aux frais d’avocat,
* 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– la condamnation de l’agent judiciaire de l’Etat, ès qualités, aux dépens de la présente procédure.
Dans ses écritures, déposées le 07 novembre 2023 et développées oralement, l’agent judiciaire de l’Etat demande au premier président de :
– Allouer à M. [T] la somme de 18 000 eur en réparation de son préjudice moral en lien avec son placement en détention,
– Allouer à M. [T] la somme de 1 200 euros en réparation de son préjudice matériel lié aux honoraires d’avocat,
– Ramener à de plus justes proportions la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le procureur général, reprenant oralement à l’audience les termes de ses conclusions déposées le 05 avril 2024, conclut à :
– La recevabilité de la requête pour une détention de 7 mois et 25 jours,
– L’indemnisation du préjudice moral proportionné à la durée de la détention subie et prenant en compte les circonstances particulières soulignées,
– S’en rapporte sur la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Le requérant a eu la parole en dernier.
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d’un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d’appel.
Cette requête doit contenir l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l’article R.26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.
M. [T] a présenté sa requête aux fins d’indemnisation le 27 juillet 2023, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de non-lieu est devenue définitive, et justifie du caractère définitif de cette décision par la production du certificat de non appel de cette décision du 08 juin 2023.
Cette requête est recevable pour une durée de détention indemnisable de 236 jours, ainsi que 6 mois d’assignation à résidence sous surveillance électronique.
Sur l’indemnisation
– Sur le préjudice moral
M. [T] considère qu’il a subi un choc carcéral important car il n’était âgé que de 36 ans au jour de son incarcération, n’avait jamais été condamné auparavant car son casier judiciaire est vierge. Il n’a pu bénéficier que de deux visite durant le temps où il était en détention provisoire et sa mère et ses deux filles se trouvaient au Guinée n’ont pu lui rendre visite, ce qui l’a placé dans l’isolement plus total, et ce d’autant plus que c’est lui qui subvenait aux besoins de sa mère et lui payait ses soins. Il encourait un peine particulièrement importante de 15 ans de réclusion criminelle, ce qui a créé un sentiment d’ injustice et d’angoisse chez lui, accentué par le faits qu’il a été victime de menace de la part de ses codétenus, ce qui l’a amené à changé à plusieurs reprises de cellule. Ses conditions de détentions ont été difficiles en raison de la pandémie de Covid-16 et de l’insalubrité, la vétusté des locaux, le manque d’hygiène et la promiscuité au sein de la maison d’arrêt de [Localité 3] qui ont été relevés par un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, par un rapport de l’Observatoire International des Prisons et par un arrêt du Conseil d’Eta en date du 20 octobre 2021. C’est pourquoi il sollicite une indemnisation à hauteur de 30 000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral.
L’agent judiciaire de l’Etat considère que le principe d’une indemnisation est acquis mais qu’il ne saurait être accueilli à hauteur de la somme sollicitée. C’est ainsi qu’il y a lieu de prendre en compte l’absence de passé carcéral du requérant et du fait qu’il n’a pas pu régulariser sa situation administrative alors qu’il avait fait une demande pour avoir un titre de séjour régulier. L’incertitude lié au mandat de dépôt criminel et le sentiment d’injustice ne sont pas liés à la détention provisoire mais à la procédure pénale elle-même et ne peuvent pas donner lieu à indemnisation. S’agissant de ses conditions de détention, faute pour M. [T] de produire un rapport concomitant à sa période de détention et faute d’établir qu’il a personnellement souffert des conditions de détention difficiles, ce facteur d’aggravation ne peut être retenu. Par contre, le fait d’avoir été en détention durant la pandémie de Covid-19 doit être pris en compte, ainsi que son éloignement familial . Dans ces conditions, l’AJE propose une somme de 18 000 euros en réparation du préjudice moral.
Le procureur général estime que le choc carcéral de M. [T] est plein et entier en raison de l’absence de condamnation au casier judiciaire, de la séparation d’avec les siens et sans véritables possibilités de visites, le fait d’avoir été incarcéré pendant la pandémie de Covid-19 , ainsi que le sentiment d’angoisse lié à la qualification criminelle des faits reprochés. De même, les mauvaises conditions de détention sont attestés par des rapports concomitant à la période de détention et seront pris en considération, de même que l’altération de son état de santé durant son placement en détention.
Il ressort des pièces produites aux débats que M. [T] était âgé de 36 ans au moment de son incarcération et était célibataire et père de deux fillettes mineures qui vivaient en Guinée avec sa mère. Le bulletin numéro 1de son casier judiciaire ne porte trace d’aucune condamnation. C’est ainsi que le choc carcéral initial a été important.
La durée de la détention provisoire, 236 jours, n’est pas un facteur aggravant du préjudice moral mais un élément d’appréciation de celui-ci.
Il y a lieu de retenir que M. [T] n’a pu bénéficier de deux visites de la part de ses proches durant la période durant laquelle il a été placé en détention provisoire et sa mère et ses deux filles qui demeuraient au Guinée n’ont pu lui rendre visite, ce qui a entraîné un isolement total qui l’a beaucoup affecté. Dans la mesure où sa mère avait des problèmes de santé et que c’était lui qui fiançait ses soins.
Si, selon la jurisprudence de la Commission National de la Réparation des Détentions, le sentiment d’injustice ne peut être retenu comme un facteur aggravant du préjudice moral, l’importance de la peine criminelle encourue pour des faits de viol , soit 15 ans de réclusion criminelle, a néanmoins eu un impact psychologique sur M. [T] qui craignait les réaction de ses codétenues et qui a dû changer à plusieurs reprises de cellule en raison de menaces de ces derniers qui savaient qu’il était incarcéré pour des faits de viol. Cela constitue un facteur aggravant du choc carcéral.
Les conditions particulièrement difficiles de détention au sein de la maison d’arrêt de [Localité 3] sont attestées par une décision du Conseil d’Etat en date du 20 octobre 2021, par un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 3 juin 2020, et par un rapport de l’Observatoire International des Prisons (OIT) de 2020, qui sont concomitants à la période de détention et qui font état notamment de d’une surpopulation carcérale particulièrement importante (170%), des locaux vétustes et insalubres, des cellules où règne une promiscuité et un manque d’hygiène. Cet élément constitue également un facteur d’aggravation du choc carcéral. L fait d’avoir été incarcéré pendant la pandémie de Covid-19 alors qu’il n’y avait aucune activité et que les détenus restaient en cellule pour éviter toute contamination a aggravé ses conditions de détention.
Il est en outre démontré, notamment par la production d’un certificat du psychiatre de l’établissement pénitentiaire, que M. [T] a présenté en détention des problèmes de santé tels que des insomnies et des ruminations anxieuses.
C’est ainsi qu’au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [T] une somme de 21 000 euros en réparation de son préjudice moral.
– Sur le préjudice matériel
M. [T] sollicite l’allocation d’une somme de 1 200 euros correspondant aux honoraires de son avocat en lien direct et exclusif avec le contentieux de la détention provisoire et produit à cet égard une facture détaillant les diligences en lien avec les demandes de mise en liberté.
L’agent judiciaire de l’Etat et le Ministère Public considèrent qu’il y a lieu de retenir cette facture qui est bien en lien avec le contentieux de la détention provisoire et d’allouer au requérant la somme qu’il sollicite.
En l’espèce M. [T] produit aux débats une facture de son conseil datée du 12 mai 2012 et qui fait état des diligences suivantes :
– visite à la maison d’arrêt dans le cadre de sa demande de mise en liberté
– rendez-vous avec la personne se proposant d’héberger M. [T]
– rédaction de la demande de mise en liberté
– dépôt de la demande de mise en liberté le 11 mai 2021 auprès du greffe du cabinet du juge d’instruction
total HT 1 000 euros
TVA 20% 200 euros
Total TTC 1 200 euros.
C’est ainsi que ces différents actes sont en lien direct et exclusif avec le contentieux de la détention provisoire et il y a lieu d’allouer la somme de 1 200 euros à M. [T] en réparation de son préjudice matériel.
Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [T] ses frais irrépétibles et une somme de 1 500 euros lui sera allouée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Déclarons la requête de M. [P] [T] recevable,
Lui allouons les sommes suivantes :
– 21 000 euros en réparation de son préjudice moral,
– 1 200 euros en réparation de son préjudice matériel,
– 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboutons M. [P] [T] du surplus de ses demandes,
Laissons les dépens à la charge de l’Etat.
Décision rendue le 16 Septembre 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFI’RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ