M. [C] [H], de nationalité surinamienne, a été condamné par défaut en décembre 2018 à 6 ans d’emprisonnement pour des infractions liées aux stupéfiants, entraînant un mandat d’arrêt. Interpellé en juillet 2022, il a formé opposition à ce jugement. En août 2022, il a reçu une peine d’un an d’emprisonnement pour des infractions similaires. En avril 2023, il a été placé en détention suite à l’exécution du mandat d’arrêt. En janvier 2023, sa culpabilité a été confirmée par le tribunal correctionnel de Paris. Cependant, en juillet 2023, la cour d’appel a renvoyé M. [H] des fins de poursuite, décision définitive. Le 5 octobre 2023, il a demandé une indemnisation pour sa détention provisoire de 88 jours. Il a sollicité 13 200 euros pour préjudice moral et 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’agent judiciaire de l’État a demandé l’irrecevabilité de la requête, tout en proposant une indemnisation de 5 300 euros. Le procureur général a également conclu à l’irrecevabilité, faute de certificat de non pourvoi, mais a reconnu la recevabilité pour une détention de 2 mois et 29 jours. La décision finale a déclaré la requête recevable, allouant 10 000 euros pour préjudice moral et 1 000 euros au titre de l’article 700, laissant les dépens à l’État.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Chambre 1-5DP
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 16 Septembre 2024
(n° , 5 pages)
N°de répertoire général : N° RG 23/17127 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIM3T
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d’appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :
né le [Date naissance 3] 1990 à [Localité 5] (SURINAME), élisant domicile au cabinet de Me Stéphane Gas – [Adresse 1] ;
non comparant
Représenté par Me Stéphane GAS, avocat au barreau de PARIS, pendant la procédure
Non représenté à l’audience
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l’Agent Judiciaire de l’Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l’audience fixée au 03 Juin 2024 ;
Entendu Me Célia DUGUES, avocat au barreau de PARIS substituant Me Fabienne DELECROIX, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l’Agent Judiciaire de l’Etat,
Entendue Madame Brigitte AUGIER DE MOUSSAC, Substitute Générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [C] [H], né le [Date naissance 2] 1990, de nationalité surinamienne, a été condamné par défaut le 06 décembre 2018 à la peine de 6 ans d’emprisonnement par jugement rendu par la 14ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris, pour des faits d’infractions à la législation sur le produits stupéfiants. Un mandat d’arrêt a été décerné à son encontre.
M. [H] a été interpellé le 07 juillet 2022 en exécution de ce mandat d’arrêt et a formé opposition à ce jugement rendu par défaut. Entre temps, il a été condamné le 18 août 2022 par le tribunal correctionnel de Créteil à une peine de à un an d’emprisonnement pour infractions à la législation sur mes stupéfiants et un mandat de dépôt a été décerné à son encontre.
Le mandat d’arrêt a été mis à exécution le 07 avril 2023 et M. [H] a été placé en détention à la maison d’arrêt de [Localité 4].
Par nouveau jugement du 20 janvier 2023, le tribunal correctionnel de Paris a confirmé la culpabilité du requérant et l’a condamné à nouveau à 6 ans d’emprisonnement.
Sur appel du prévenu, par arrêt du 05 juillet 2023, la 3e chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Paris a renvoyé M. [H] des fins de la poursuite. Cette décision est définitive à son égard comme en atteste le certificat de non pourvoi du 24avril 2024.
Le 05 octobre 2023, M. [H] a adressé une requête au premier président de la cour d’appel de Paris en vue d’être indemnisé de sa détention provisoire d’une durée de 88 jours pour une détention du 07 avril au 5 juillet 2023, en application de l’article 149 du code de procédure pénale.
M. [H] sollicite dans celle-ci, soutenue oralement :
– Déclarer recevable, par application des articles 149 et suivants du code de procédure pénale, la requête formée par M. [C] [H].
En conséquence,
– Lui allouer la somme de 13 200 euros en réparation de son préjudice moral,
– La somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées le 27 février 2024, développées oralement, l’agent judiciaire de l’Etat demande au premier président de :
A titre principal,
– Juger irrecevable la requête de M. [H],
A titre subsidiaire,
– Allouer à M. [H] la somme de 5 300 euros en réparation de son préjudice moral en lien avec son placement en détention,
– Ramener à de plus justes proportions la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le procureur général, dans ses dernières conclusions notifiées le 05 avril 2024, reprises oralement à l’audience du 03 juin 2024, conclut :
– À titre principal, à l’irrecevabilité de la demande d’indemnisation faute de production d’un certificat de non pourvoi attestant du caractère définitif de l’arrêt de relaxe ;
– À titre subsidiaire, à la recevabilité de la requête pour une détention de 2 mois et 29 jours ;
– À l’indemnisation du préjudice moral proportionné à la durée de détention subie en prenant en compte les circonstances particulières soulignées ;
– S’en rapporte sur la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile. indiquées ;
Le requérant a eu la parole en dernier.
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d’un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d’appel. Cette requête doit contenir l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l’article R.26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.
En l’espèce M. [H] a présenté sa requête aux fins d’indemnisation le 06 novembre 2023, dans les délais de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive comme en atteste le certificat de non pourvoi du 24 avril 2024 qui a été remis au greffe de la juridiction le 29 avril suivant. Cette requête contenant l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée, est signée par son avocat et la décision de relaxe n’est pas fondée sur un des cas d’exclusion visé à l’article 149 du code de procédure pénale.
La demande de M. [H] est donc recevable au titre d’une détention provisoire indemnisable du 07 avril au 05 juillet 2023, soit de 88 jours.
Sur l’indemnisation
– Sur le préjudice moral
M. [H] considère qu’il est un primo délinquant car son casier judiciaire français est vierge et son casier judiciaire européen porte trace d’une condamnation il y a plus e 10 ans aux Pays-Bas. Il dit avoir mal vécu sa détention provisoire à cause des conditions de détention difficiles à la maison d’arrêt de [Localité 4], dont les conditions d’accueil et l’insalubrité sont fréquemment dénoncées. Il s’est retrouvé incarcéré à des milliers e kilomètres de son pays natal et de sa résidence et c’est ainsi qu’il n’a pu bénéficier d’aucun parloir. Ne parlant pas français il a été victime d’un isolement linguistique. Il a également été séparé de sa famille et surtout de son fils qui était gravement malade, au chevet duquel il n’a pas pu se rendre, et qui est décédé alors que le requérant se trouvait en détention en France. C’est ainsi qu’au vu de ces différents éléments qui ont aussi impacté sa peine d’emprisonnement ferme qu’il a exécuté au même moment, M. [H] sollicite la somme de 13 200 euros en réparation de son préjudice moral.
En réponse, l’agent judiciaire de l’Etat estime qu’il avait déjà été condamné à la peine d’un an d’emprisonnement ferme juste avant l’exécution du mandat d’arrêt, de sorte qu’il avait déjà été confronté à 36 ans à l’univers carcéral. Faute d’établir qu’il a personnellement souffert de conditions de détention difficiles, M. [H] ne peut bénéficier de ce facteur d’aggravation du préjudice moral. De même, selon le justificatif produit, son fils a été hospitalisé alors qu’il était incarcéré en exécution de peine et non pas dans le cadre de l’exécution du mandant d’arrêt. La lourdeur de la peine encourue et la gravité des faits ne sont pas en lien direct avec la détention provisoire et ne peuvent influer sur le quantum de l’indemnisation. Par contre, il y a lieu de tenir compte du fait que le requérant a été privé de liens familiaux et que son absence de maitrise de la langue française a aggravé son préjudice moral. L’agent judiciaire de l’Etat propose l’allocation d’une somme de 5 300 euros.
Le procureur général retient le requérant avait 32 ans au jour de son placement en détention provisoire, qu’il avait déjà été condamné à une peine d’emprisonnement ferme d’une durée d’un an. Par contre, il a souffert d’un isolement familial et éloigné de son pays d’origine et de résidence. Il a également subi la barrière de la langue. Les conditions de détention difficiles de la maison d’arrêt de [Localité 4] sont attestées par un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et de l’Observatoire International des Prisons. Pour autant, le requérant ne démontre pas en quoi il a personnellement souffert de ces conditions de détention difficiles.
Il est de jurisprudence constante que le préjudice moral ne doit être apprécié qu’au regard de l’âge du requérant, de la durée et des conditions de la détention, de son état de santé, de sa situation familiale et d’éventuelles condamnations antérieures, soulignant l’existence d’une précédente incarcération.
En l’espèce au moment de son incarcération, M. [H] était âgé de 32 et il était le père d’un enfant mineur. Il ne s’agissait pas d’une première incarcération pour lui, car il avait été incarcéré juste avant l’exécution de son mandat d’arrêt pendant une durée d’emprisonnement d’une année pour infractions à la législation sur les produits stupéfiants. Le choc carcéral initial a donc été atténué.
La jurisprudence de la Commission nationale de réparation de la détention précise qu’il appartient au requérant de démontrer les circonstances particulières de sa détention de nature à aggraver son préjudice et de justifier avoir personnellement souffert des conditions qu’il dénonce.
En l’espèce M. [H] ne produit aucun élément tendant à démontrer qu’il ait personnellement souffert des conditions carcérales au sein de la maison d’arrêt de [Localité 4] et ne cite aucun rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou de l’Observatoire International des Prisons qui serait concomitant à sa période de détention provisoire.
Par contre, le requérant a subi un isolement familial car sa famille et son fils mineur demeuraient au Surinam et n’ont pu lui rendre visite à la maison d’arrêt. De même son fils mineur a été hospitalisé alors qu’il se trouvait en exécution de peine, mais dans un état critique comme l’indique le certificat médical traduit en français, ce qui laisse à penser que ce dernier est décédé, sans que la date exacte de ce décès soit connue.
De plus, M. [H] est de nationalité surinamienne et ne maitrise par la langue française ce qui a entraîné un isolement linguistique.
Par contre, la lourdeur de la peine délictuelle encourue et la gravité des faits reprochés sont en lien avec la procédure pénale suivie contre lui et non pas avec la détention provisoire. Cela ne constitue donc pas un facteur d’aggravation du choc carcéral.
C’est ainsi qu’au vu de ces différents éléments, il convient d’allouer à M. [H] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.
M. [H] sollicite également la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [H] ses frais irrépétibles et une somme de 1 000 euros lui sera allouée sur ce fondement.
Les dépens seront laissés à la charge de l’Etat.
Déclarons la requête de M. [C] [H] recevable ;
Allouons à M. [C] [H] les sommes suivantes :
– 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
– 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Laissons la charge des dépens à l’Etat
Décision rendue le 16 Septembre 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFI’RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ