Responsabilité et obligations dans le cadre de la construction : enjeux de la provision et appels en garantie

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Responsabilité et obligations dans le cadre de la construction : enjeux de la provision et appels en garantie

En 2016, la société Conférenciel a lancé un projet de réhabilitation d’un site industriel à [Localité 12] pour y créer un centre de conférences, impliquant plusieurs entreprises dans la construction de trois bâtiments. Des problèmes structurels sont survenus, notamment avec le bâtiment 2, entraînant une expertise judiciaire ordonnée par le tribunal. En 2019, Conférenciel et l’association Impact Centre Chrétien ont assigné plusieurs sociétés, y compris des assureurs, pour obtenir des indemnités en raison de désordres constatés. En juillet 2023, le juge a rendu une ordonnance condamnant certaines sociétés à verser des indemnités provisionnelles, tout en rejetant d’autres demandes. La société Rochefolle a interjeté appel de cette ordonnance, demandant la réformation des condamnations. En réponse, Conférenciel et l’association ont également formulé des demandes d’infirmation de l’ordonnance. Les parties ont continué à échanger des conclusions et des demandes jusqu’à la clôture de l’affaire en juin 2024. La cour a finalement confirmé l’ordonnance de juillet 2023, condamnant Rochefolle et d’autres à verser des indemnités à Conférenciel, tout en déclarant irrecevables certaines demandes en garantie.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

13 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
23/14479
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 6

ARRET DU 13 SEPTEMBRE 2024

(n° /2024, 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/14479 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIFMK

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 11 juillet 2023 – Tribunal judiciaire de PARIS CEDEX 17 RG n° 19/14842

APPELANTE

S.A.S. ROCHEFOLLE CONSTRUCTIONS – ROC, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 13]

[Adresse 1]

[Localité 9]

Représentée par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075

Ayant pour avocat plaidant à l’audience Me Audrey FRANCO, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

S.C.I. CONFERENCIEL agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 12]

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Ayant pour avocat plaidant à l’audience Me Arnaud MAGERAND, avocat au barreau de PARIS

Association IMPACT CENTRE CHRETIEN agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 14]

[Adresse 3]

[Localité 11]

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Ayant pour avocat plaidant à l’audience Me Arnaud MAGERAND, avocat au barreau de PARIS

Compagnie d’assurance AREAS DOMMAGES, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 8]

Représentée à l’audience par Me Julien BESLAY de la SELARL CAUSIDICOR, avocat au barreau de PARIS, toque : J133

S.A.R.L. EDIFICE INGENIERIE prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Localité 6]

N’a pas constitué avocat – signification de la déclaration d’appel le 11 octobre 2023 à étude

INTERVENANTE

S.E.L.A.R.L. [X] PECOU prise en la personne de Me [U] [X], en sa qualité de liquidateur de la SARL EDIFICE INGENIERIE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 10]

N’a pas constitué avocat – signification de la déclaration d’appel le 14 novembre 2023 à personne morale

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 20 juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Valérie GUILLAUDIER, conseillère faisant fonction de présidente

Mme Laura TARDY, conseillère

Mme Viviane SZLAMOVICZ, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Laura Tardy dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Madame Manon CARON

ARRET :

– défaut.

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Laura Tardy, conseillère, pour la conseillère faisant fonction de présidente empêchée et par [U] Darj, greffier présent lors de la mise à disposition.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Courant 2016, la société Conférenciel a entrepris une opération de réhabilitation d’un site industriel situé à [Localité 12] (77) afin d’y établir un centre de conférences.

L’ensemble immobilier est composé de deux bâtiments existants. Dans le cadre des opérations de construction, l’ensemble a été scindé en trois bâtiments :

– le bâtiment 1 à usage de hall et de salles polyvalentes,

– le bâtiment 2 à usage d’auditorium,

– le bâtiment 3 résultant de la démolition partielle du bâtiment 2, à usage de parking.

Sont notamment intervenues aux opérations de construction :

– la société Fusion Architecture Urban, intervenue pour établir la définition des besoins fonctionnels et des surfaces, pour l’établissement de la documentation du permis de construire, pour la conception du design du projet, pour la modélisation 3D des plans d’architecte et la documentation design,

– la société Cotec en qualité de maître d »uvre et de bureau d’études techniques structure, suivant un contrat de maîtrise d »uvre du 7 septembre 2016, assurée auprès des sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles (les sociétés MMA),

– la société BTP Consultants, en charge d’une mission de contrôle technique, solidité des ouvrages et de coordination SPS, assurée auprès de la société Euromaf,

– la société Arka Plus en qualité de maître d »uvre suivant un contrat de maîtrise d »uvre du 22 janvier 2015, assurée auprès de la Mutuelle des Architectes Français (la société MAF),

– la société Bellegarde Architecture, en qualité de maître d »uvre en phase travaux suivant un contrat du 4 décembre 2018, assurée auprès de la société MAF,

– la société Ingibat en qualité de bureau d’études techniques en charge du suivi d’exécution et titulaire de la mission de maîtrise d »uvre en phase travaux, suivant un contrat du 10 septembre 2017, assurée auprès de la SMABTP,

– la société Berthold chargée du lot démolition,

– la société Rochefolle Constructions (la société Rochefolle), titulaire du lot n°1 gros ‘uvre, assurée auprès de la société Areas Dommages,

– la société MC Construction qui a succédé à la société Rochefolle pour la réalisation du lot gros ‘uvre,

– la société Strudal, fournisseur des dalles alvéolaires et des allèges en béton armé, assurée auprès de la SMABTP,

– la société Edifice Ingénierie, sous-traitante de la société Rochefolle, en qualité de bureau d’études techniques, en charge de l’implantation des micropieux et des descentes en charge, assurée auprès de la société CBL Insurance Europe Designated Activited Company (la société CBL),

– la société Berthold, en qualité de sous-traitante de la société Rochefolle pour la structure métallique, assurée auprès de la société Allianz IARD,

– la société ACR Metal, en qualité de sous-traitante de la société Rochefolle pour la structure métallique, assurée auprès de la SMABTP,

– la société Grimaud Fondations, en qualité de sous-traitante de la société Rochefolle pour le lot « réalisation des pieux », assurée par la société Axa France IARD,

– la société Eurosol Fondations, intervenue en qualité de sous-traitante de la société MC Construction, successeur de la société Rochefolle, en charge de la réalisation des micropieux, assurée auprès de la société Aviva Assurances IARD (la société Aviva).

La société Conférenciel a souscrit un contrat tous risques chantier (TRC) auprès de la société MMA.

La déclaration d’ouverture de chantier a été régularisée le 17 octobre 2017.

En cours de chantier, des problèmes sont survenus concernant notamment la structure métallique du bâtiment 2.

Aux termes d’une ordonnance du 20 décembre 2018, à la requête de la société Conférenciel, une expertise a été ordonnée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris.

Par trois ordonnances en date des 17 juillet 2019, 6 novembre 2019 et 11 septembre 2020, les opérations d’expertise ont été étendues aux sociétés intervenant sur le chantier.

Par actes d’huissier en date du 2 décembre 2019, la société Conférenciel et l’association Impact Centre Chrétien ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris les sociétés Cotec, Arka Plus, BTP Consultants, Ingibat, Rochefolle, Berthold, ACR Métal, MMA, en sa qualité d’assureur de la société Cotec et en qualité d’assureur TRC, MAF, en qualité d’assureur de la société BTP Consultants, Allianz IARD, en sa qualité d’assureur de la société Berthold, SMABTP, en sa qualité d’assureur de la société Ingibat et de la société ACR Métal, Areas Dommages, en sa qualité d’assureur de la société Rochefolle, Grimaud Fondations, Eurosol Fondations, Aviva, en qualité d’assureur de la société Eurosol Fondations, Edifice Ingénierie, CBL, en qualité d’assureur de la société Edifice Ingénierie, Strudal, SMABTP, en qualité d’assureur de la société Strudal, aux fins notamment de solliciter la condamnation in solidum des constructeurs et de leurs assureurs au paiement de la somme de 1 000 000 euros à chacune d’elles, sur le fondement de la responsabilité contractuelle et extra-contractuelle, ainsi que la condamnation de la société MMA en qualité d’assureur TRC au paiement de la somme de 1 000 000 euros à chacune d’elles.

Par exploit en date du 30 juin 2021, la société Conférenciel et l’association Impact Centre Chrétien ont assigné en intervention forcée les sociétés Fusion Architecture, Bellegarde Architecture, Canet, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Neoz Services, Axa France IARD, en qualité d’assureur de la société Grimaud Fondations, Allianz IARD, en qualité d’assureur de la société Grimaud Fondation.

L’expert judiciaire a déposé son rapport le 19 novembre 2021.

La SCI Conférenciel et l’association Impact Centre Chrétien ont saisi le juge de la mise en état d’une demande d’octroi de provisions au titre de divers préjudices liés à des désordres de l’immeuble.

Par ordonnance en date du 11 juillet 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a statué en ces termes :

– rejette les demandes de mise hors de cause,

– rejette l’exception de nullité de l’assignation et la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d’intérêt pour agir de l’association Impact Centre Chrétien soulevées par la société Allianz IARD en sa qualité d’assureur de la société Grimaud Fondation,

– se déclare incompétent au profit du tribunal pour statuer sur les fins de non-recevoir soulevées,

– rejette les demandes d’indemnités provisionnelles de la société Conférenciel au titre du sous-dimensionnement de la structure métallique du bâtiment 2 du site de [Localité 12],

– condamne in solidum les sociétés Edifice Ingénierie, BTP Consultant et Cotec à payer à la société Conférenciel une indemnité provisionnelle de 178 891 euros HT au titre de la reprise des pieux de fondation du bâtiment 3,

– rejette les demandes de garantie formées par la société Conférenciel et la société Cotec à l’égard des société MMA et MMA Assurances Mutuelles en leurs qualités d’assureur TRC et d’assureur de responsabilité de la société Cotec,

– rejette la demande de garantie de la société Edifice Ingénierie formée à l’égard de son assureur la société CBL,

– rejette le recours en garantie de la société BTP Consultants à l’égard des sociétés Edifice Ingénierie et Cotec et à l’égard de tout autre intervenant avec son assureur dont la responsabilité n’a pas été retenue,

– déclare tout autre appel en garantie sans objet,

– condamne la société Rochefolle Constructions (Roc) à payer à la société Conférenciel les indemnités provisionnelles suivantes en réparation des désordres de structure affectant le bâtiment 3 :

– 186 275 euros HT au titre de la reprise des épaufrures sur les poutres au droit du joint de dilatation,

– 3 500 euros HT au titre de la reprise de l’appui de poteau dégradé et du contrôle des autres poteaux,

– condamne in solidum les société Strudal et Cotec à payer à la société Conférenciel une indemnité provisionnelle de 27 775 euros HT au titre des travaux de reprise des allèges au droit du joint de dilatation de la structure du bâtiment 3,

– rejette les demandes de garantie formées par la société Conférenciel et la société Cotec à l’égard des sociétés MMA et MMA Assurances Mutuelles en leurs qualités d’assureur TRC et d’assureur de responsabilité de la société Cotec,

– rejette le recours en garantie de la société Strudal à l’encontre de la société Cotec et à l’égard de tout autre intervenant avec son assureur dont la responsabilité n’a pas été retenue,

– déclare tout autre recours en garantie sans objet,

– rejette la demande d’indemnité provisionnelle de la société Conférenciel à l’encontre de la société Rochefolle Constructions (Roc) au titre de la location d’une tour pour accéder à la toiture du bâtiment 2,

– rejette les demandes de provision formées par la société Bellegarde Architecture mise en liquidation judiciaire,

– rejette les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et toute autre demande plus ample ou contraire,

– réserve les dépens en fin d’instance,

– dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit,

– renvoie l’examen de l’affaire à l’audience de mise en état du 16 octobre 2023 pour actualisation des conclusions au fond des demanderesses qui sont invitées à formaliser tout désistement à l’égard des personnes qu’elles ont attraites à la cause et à l’encontre desquelles elles ne formuleraient aucune demande.

Par déclaration en date du 16 août 2023, la société Rochefolle a interjeté appel de l’ordonnance, intimant devant la cour d’appel de Paris les sociétés Areas Dommages, Conférenciel et Edifice Ingénierie, en liquidation judiciaire, et l’association Impact Centre Chrétien.

Par acte en date du 14 novembre 2023, la société Rochefolle a assigné en intervention forcée la société [X] Pecou, en qualité de liquidateur de la société Edifice Ingénierie.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 28 décembre 2023, la société Rochefolle demande à la cour de :

– déclarer la société Rochefolle recevable ;

– confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état en ce qu’elle a débouté la société Conférenciel de sa demande de condamnation in solidum de la société Rochefolle à régler la somme de 178 891 euros HT à titre provisionnel concernant la reprise des pieux de fondation du bâtiment 3 ;

– infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état en ce qu’elle a condamné la société Rochefolle à régler à la société Conférenciel une indemnité provisionnelle de 186 275 euros HT au titre de la reprise des épaufrures sur les poutres au droit du joint de dilatation et une indemnité provisionnelle de 3 500 euros HT au titre de la reprise de l’appui de poteau dégradé et du contrôle du joint de dilatation et l’a déboutée de ses demandes ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

– juger irrecevables les demandes de condamnation à titre provisionnel lesquelles se heurtent à des contestations sérieuses ;

En conséquence,

– débouter la société Conférenciel et l’association Impact Centre Chrétien de leurs demandes de condamnation de la société Rochefolle, à titre provisionnel, à leur verser la somme totale de 189 775 euros HT ;

A titre subsidiaire,

– condamner les sociétés Edifice Ingénierie et Areas Dommages à relever et garantir la société Rochefolle de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;

– fixer la créance au passif de la société Edifice Ingénierie, représentée par Maître [U] [X] en qualité de liquidateur judiciaire, pour la somme de 3 500 euros HT ;

En tout état de cause,

– condamner la société Conférenciel et l’association Impact Centre Chrétien à verser à la société Rochefolle la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Conférenciel et l’association Impact Centre Chrétien aux entiers dépens.

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 17 mai 2024, la société Conférenciel et l’association Impact Centre Chrétien demandent à la cour de :

Sur l’appel principal de la société Rochefolle

– débouter la société Rochefolle de sa demande de réformation de l’ordonnance rendue le 11 juillet 2023 en ce qu’elle l’a condamnée à payer à la société Conférenciel les sommes provisionnelles de 186 275 euros HT au titre de la reprise des épaufrures sur les poutres au droit du joint de dilatation et de 3 500 euros HT au titre de la reprise de l’appui de poteau dégradé et du contrôle du joint de dilatation,

– confirmer l’ordonnance rendue de ce chef,

– débouter la société Rochefolle de l’intégralité de ses demandes formées contre la société Conférenciel et l’association Impact Centre Chrétien,

Sur l’appel incident formé par la société Conférenciel et l’association Impact Centre Chrétien

– infirmer l’ordonnance rendue le 11 juillet 2023 en ce qu’elle a uniquement condamnée in solidum les sociétés Edifice Ingénierie, BTP Consultants et Cotec à payer à la société Conférenciel une indemnité provisionnelle de 178 891 euros H.T. au titre de la reprise des pieux de fondation du bâtiment 3, en excluant la société Rochefolle de la condamnation,

Statuant à nouveau

– condamner in solidum les sociétés Rochefolle, Edifice Ingénierie, BTP Consultants et Cotec à payer à la société Conférenciel une indemnité provisionnelle de 178 891 euros H.T. au titre de la reprise des pieux de fondation du bâtiment 3,

– fixer cette somme au passif de la société Edifice Ingénierie,

– confirmer l’ordonnance pour le surplus des condamnations prononcées à titre provisionnel au profit de la société Conférenciel,

– débouter toute partie de toute autre demande de réformation des condamnations à provision prononcées au profit de la société Conférenciel aux termes de l’ordonnance rendue le 11 juillet 2023,

– condamner la société Rochefolle et/ou tout autre succombant aux entiers dépens d’appel dont distraction au profit de la SCP Grappotte, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile et à verser la somme de 8 000 euros à la société Conférenciel et à l’association Impact Centre Chrétien au titre des frais irrépétibles d’appel, conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 29 novembre 2023, la société Areas Dommages demande à la cour de :

– confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état, en ce qu’elle a rejeté toutes les demandes formées contre la société Areas Dommages,

Et statuant à nouveau,

Principalement,

– juger irrecevables les demandes de la société Rochefolle contre la société Areas Dommages,

Subsidiairement,

– constater que les demandes formées contre la société Areas Dommages se heurtent à des contestations sérieuses,

– rejeter en conséquence toutes les demandes formées contre la société Areas Dommages,

En tout état de cause,

– condamner la société Rochefolle à 4 000 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de la société Causidicor, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Par acte en date du 11 octobre 2023, la société Edifice Ingénierie a reçu signification de la déclaration d’appel mais n’a pas constitué avocat.

Par acte en date du 14 novembre 2023, la société [X] Pecou, en qualité de liquidateur de la société Edifice Ingénierie, a reçu signification de la déclaration d’appel et n’a pas constitué avocat.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 6 juin 2024.

Par demande de note en délibéré envoyée par message RPVA le 2 juillet 2024, la cour a invité les parties à faire part de leurs observations, dans un délai de huit jours, sur le caractère nouveau en appel, et, partant, irrecevable, de la demande subsidiaire de la société Rochefolle tendant à appeler la société Edifice Ingénierie, en liquidation judiciaire, en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.

MOTIVATION

Sur les demandes provisionnelles

Moyens des parties :

La société Rochefolle se prévaut des dispositions de l’article 789 du code de procédure civile et fait valoir que le désordre du joint de dilatation résulte de l’intervention d’une société tierce, de sorte qu’il existe une contestation sérieuse excluant toute condamnation à verser une provision, ce qui doit conduire à l’infirmation de l’ordonnance du juge de la mise en état. Elle conclut de même pour le désordre des poteaux, faisant observer que les plans d’exécution ont été réalisés par la société Edifice Ingénierie et transmis aux différents intervenants, et qu’elle a réalisé son ouvrage au regard des plans d’exécution réalisés par cette société.

La SCI Conférenciel et l’association Impact Centre Chrétien concluent à la confirmation de l’ordonnance et se prévalent des termes de l’expertise. Elles font valoir que les contestations de la société Rochefolle ne sont pas sérieuses car celle-ci avait une obligation de résultat et qu’elle devait répondre des fautes de ses sous-traitants, et que le désordre des épaufrures ne relève pas de l’intervention d’une entreprise tierce. Elles concluent dans le même sens pour le désordre des poteaux.

Réponse de la cour :

L’article 789 du code de procédure civile dispose que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : (…) 3° accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l’exécution de sa décision à la constitution d’une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5, 517 et 518 à 522.

Il résulte des pièces produites par les parties que la société Rochefolle a été chargée du lot n° 1 ‘gros oeuvre’ incluant les terrassements et fondations, les structures métalliques et mixtes et les structures béton. Son contrat a été résilié par la société Conférenciel le 1er mars 2019.

L’expert a indiqué dans son rapport que des épaufrures (éclats de béton enlevés des poutres) ont été constatées (ses constatations du 21 janvier 2020) dans les poutres situées au droit du joint de dilatation à chaque niveau du parking, avec chute d’éclats de béton, parfois volumineux. Il a également constaté, au plancher haut du niveau R+4, au droit du joint de dilatation, un gros éclat de béton de l’ordre de 2 kg en nez de corbeau sur le poteau de rive, ‘qui met en évidence le manque d’acier de couture.’ Il a précisé que ces désordres résultaient d’une mise en oeuvre défectueuse, laquelle relève du lot gros-oeuvre dont était chargée la société Rochefolle. En réponse à un dire de cette société précisant qu’une entreprise tierce était intervenue après son départ du chantier, il a répondu qu’une entreprise était intervenue après son départ pour réaliser le ragréage de certains éléments en béton, ‘mais cette opération de finition des surfaces ne peut pas être à l’origine des épaufrures profondes constatées sur certaines poutres.’

Ainsi, la société Rochefolle, qui est tenue à l’égard du maître d’ouvrage d’une obligation de résultat impliquant la livraison d’un ouvrage exempt de vices, ne justifie pas de l’intervention d’une entreprise tierce sur celui-ci ayant eu une incidence sur l’intégrité de l’ouvrage après qu’elle a réalisé celui-ci, l’expert ayant imputé les désordres constatés à sa réalisation défectueuse Elle ne soulève donc pas de contestation sérieuse justifiant d’infirmer la décision du juge de la mise en état quant au principe de versement d’une provision. Les parties ne discutant pas le montant alloué à ce titre par le juge de la mise en état, qui s’est fondé sur le chiffrage établi par l’expert, la cour confirme les provisions mises à la charge de la société Rochefolle au titre des épaufrures et du défaut des appuis au droit de la rampe.

Sur l’imputation de la provision au titre du sous-dimensionnement des fondations du bâtiment 3

Moyens des parties :

La SCI Conférentiel sollicite que la société Rochefolle soit condamnée, in solidum avec les sociétés Edifice Ingénierie, BTP Consultants et Cotec, à lui payer l’indemnité provisionnelle fixée par le juge de la mise en état à ce titre. Elle fait valoir que cette société est débitrice à son égard, en qualité de maître d’ouvrage, d’une obligation de résultat d’exécuter des travaux exempts de vice, de laquelle elle ne peut s’exonérer qu’en prouvant qu’elle en a été empêchée par un événement présentant les caractéristiques de la force majeure et non par la seule démonstration d’une absence de faute de sa part. Elle ajoute que la circonstance qu’un débiteur supplémentaire soit ajouté dans le cadre de la condamnation ne crée aucune difficulté d’exécution et est favorable aux autres débiteurs, rappelant que la condamnation a été prononcée in solidum.

La société Rochefolle rappelle que la société Edifice Ingénierie avait en charge l’établissement des plans d’implantation des pieux et l’évaluation des charges et que selon l’expert judiciaire, la mise à jour des charges n’a pu être effectuée que par cette société, validée par le bureau de contrôle BTP Consultants et la société Cotec, et qu’il ne peut lui être à elle reproché aucune faute, même secondaire. Elle conteste toute immixtion dans les études, prestation à la seule charge de la société Edifice Ingénierie. Elle estime donc qu’il existe une contestation sérieuse quant à sa responsabilité dans la survenance de ce désordre. Enfin, elle soutient que, comme les sociétés Cotec et BTP Consultants, qui ont été condamnées in solidum à verser une provision pour ce désordre, ne sont pas dans la cause, la réformation de l’ordonnance de ce chef leur est inopposable et crée une difficulté d’exécution pour elle-même et ces sociétés.

Réponse de la cour :

L’expert judiciaire a constaté que le diamètre de certains pieux avait été modifié à la baisse, passant de 100 cm à 42 cm, à la demande de la société Rochefolle, et que les charges prises en compte pour le dimensionnement de ces pieux avaient été sous-évaluées, ce désordre résultant selon l’expert d’une étude d’exécution des descentes de charges défectueuse. Il a imputé ce désordre aux sociétés Edifice Ingénierie, sous-traitante de la société Rochefolle chargée des plans d’exécution, Cotec et BTP Consultants qui ont émis un avis favorable à ces plans erronés, et à la société Rochefolle, chargée de ce lot et qui se serait immiscée dans l’élaboration des études.

Si l’immixtion de la société Rochefolle dans l’élaboration des études de charges est discutée, il n’en demeure pas moins qu’elle était chargée du lot gros oeuvre, débitrice à l’égard du maître d’ouvrage d’une obligation de résultat de délivrer un ouvrage exempt de vices et qu’elle répond des fautes de ses sous-traitants, de sorte qu’elle n’élève pas de contestation sérieuse à ce titre. C’est donc à tort que le juge de la mise en état n’a pas mis la provision au titre de ce désordre à sa charge.

En outre, le juge de la mise en état a mis cette provision à la charge des sociétés Edifice Ingénierie, BTP Consultants et Cotec in solidum. La circonstance que la cour ajoute un débiteur à cette provision est donc sans incidence sur la situation spécifique des débiteurs condamnés initialement, et ne crée pas de difficulté d’exécution, par ailleurs non spécifiquement précisée par l’appelante.

L’ordonnance du juge de la mise en état sera donc complétée par la condamnation de la société Rochefolle, in solidum avec les sociétés Edifice Ingénierie, BTP Consultants et Cotec, à verser une indemnité provisionnelle d’un montant de 178 891 euros HT à la SCI Conférenciel au titre de la reprise des pieux de fondation du bâtiment 3.

Sur les appels en garantie

Moyens des parties :

La société Rochefolle appelle en garantie la société Areas Dommages, en sa qualité d’assureur, et la société Edifice Ingénierie en sa qualité de responsable du désordre, en application des articles 1240 et 1241 du code civil. Au visa de l’article 566 du code de procédure civile, elle soutient que sa demande d’être garantie par la société Areas Dommages ne constitue pas une demande nouvelle mais la conséquence et le complément nécessaire à sa demande originelle.

La société Areas Dommages fait observer que la société Rochefolle ne formulait aucune demande à son encontre devant le juge de la mise en état et que dès lors son appel en garantie formé pour la première fois en cause d’appel constitue donc une demande nouvelle, irrecevable de ce chef. Subsidiairement, elle estime que l’appel en garantie soulève une contestation sérieuse au titre de l’imputabilité des désordres, supposant de déterminer la responsabilité de chaque intervenant, en fonction du marché de chacun, et de la date de résiliation. Elle précise que le contrat de la société Rochefolle a été résilié en cours d’expertise et de chantier, et ajoute que le contrat d’assurance a, lui, été résilié le 31 décembre 2018. Elle ajoute que ses garanties ne sont pas dues, quelle que soit celle mobilisée, A, B, D ou E.

Par message RPVA reçu le 10 juillet 2024 en réponse à la demande de note en délibéré adressée le 2 juillet par la cour, la société Rochefolle a fait savoir, au visa de l’article 564 du code de procédure civile, que la société Edifice Ingénierie a fait l’objet d’une ouverture de liquidation judiciaire selon jugement du tribunal de commerce de Beauvais en date du 5 septembre 2023 et que ce fait nouveau constituait une évolution du litige lui imposant de solliciter sa condamnation à la garantir des condamnations provisionnelles prononcées contre elle.

Les observations de la société Areas Dommages, arrivées par message RPVA du 11 juillet, sont hors délai et ne seront pas prises en compte.

Réponse de la cour :

La société Rochefolle appelle en garantie son assureur, la société Areas Dommages, ainsi que la société Edifice Ingénierie, son sous-traitant.

Il résulte des termes de l’ordonnance du juge de la mise en état que la société Rochefolle n’a pas formé devant ce juge d’appel en garantie à l’égard des sociétés Areas Dommages et Edifice Ingénierie, par ailleurs attraites à la procédure.

La demande de garantie de la société Rochefolle, présentée pour la première fois en appel, ne peut être tenue pour l’accessoire, la conséquence ou le complément de sa demande principale tendant à l’infirmation de sa condamnation à verser une provision à la SCI Conférenciel (Cass., 2e Civ., 14 septembre 2017, n° 15-28.127).

A cet égard, l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire au bénéfice de la société Edifice Ingénierie postérieurement à l’ordonnance du juge de la mise en état n’est pas de nature à rendre recevable en appel la demande de garantie formée contre cette société par la société Rochefolle, ce fait nouveau n’ayant pas pour conséquence de faire juger une question qui en découlerait, au sens de l’article 564 du code de procédure civile.

Ces appels en garantie seront donc déclarés irrecevables.

Sur les frais du procès

Le sens de l’arrêt conduit à confirmer l’ordonnance quant à la réservation des dépens et au rejet des demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

En cause d’appel, la société Rochefolle, partie succombante, sera condamnée aux dépens et à verser aux sociétés SCI Conférenciel et Areas Dommages la somme de 1 500 euros chacune, au titre des frais irrépétibles. Sa demande de ce chef sera rejetée.

Le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile sera accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME l’ordonnance rendue le 11 juillet 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Rochefolle, in solidum avec les sociétés Edifice Ingénierie, BTP Consultants et Cotec, à verser une indemnité provisionnelle d’un montant de 178 891 euros HT à la SCI Conférenciel au titre de la reprise des pieux de fondation du bâtiment 3,

DECLARE irrecevables les appels en garantie formés par la société Rochefolle à l’égard des sociétés Areas Dommages et Edifice Ingénierie représentée par Maître [U] [X], liquidateur judiciaire, comme étant nouveaux en appel,

CONDAMNE la société Rochefolle aux dépens d’appel,

ADMET les avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Rochefolle aux dépens d’appel et à verser aux sociétés SCI Conférenciel et Areas Dommages la somme de mille cinq cent euros (1 500 euros) chacune au titre des frais irrépétibles,

REJETTE la demande de la société Rochefolle au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, La conseillère pour la conseillère faisant fonction de présidente empêchée,


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