Responsabilité contractuelle et obligations de conseil dans le domaine de l’assurance : enjeux et conséquences

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Responsabilité contractuelle et obligations de conseil dans le domaine de l’assurance : enjeux et conséquences

La SCCV L’Autre [Localité 10] a réalisé une opération de construction comprenant cinq bâtiments et 121 logements, en souscrivant une assurance de responsabilité décennale auprès d’Elite Insurance Company Limited. Parallèlement, la SCCV Tendance vingtième a construit un bâtiment de cinq étages avec 12 logements et un commerce, en s’assurant auprès d’EISL. En octobre 2020, la société Excelya promotion, représentant les deux SCCV, a assigné ACR – Assurance courtage réassurance et MS Amlin Insurance devant le tribunal judiciaire de Paris, alléguant un manquement à l’obligation de conseil de la part d’ACR, entraînant une perte de chance de souscrire une assurance adéquate. Excelya promotion a demandé des réparations pour un préjudice de 182 313,32 € et a sollicité des condamnations à hauteur de 164 081,98 € ainsi que des frais d’avocat. En réponse, MS Amlin a contesté la recevabilité des demandes et a demandé le déboutement d’Excelya promotion. Le tribunal a finalement débouté Excelya promotion de toutes ses demandes et l’a condamnée aux dépens, tout en ordonnant le paiement de 1 000 € à MS Amlin au titre des frais d’avocat.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

13 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
20/10781
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

6ème chambre 2ème section

N° RG 20/10781 – N° Portalis 352J-W-B7E-CTDVL

N° MINUTE :

Réputé contradictoire

Assignation du :
15 Octobre 2020

JUGEMENT
rendu le 13 septembre 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. EXCELYA PROMOTION
[Adresse 3]
[Localité 9]

représentée par Maître Sébastien BENA de l’AARPI GUILBAUD – BENA – OUMER, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #B0992

DÉFENDERESSES

S.A.R.L. ASSURANCE COURTAGE REASSURANCE
[Adresse 2]
[Localité 8]

défaillante non constituée

S.A.R.L. MS AMLIN INSURANCE
[Adresse 4]
[Localité 7]

représentée par Maître Céline LEMOUX de la SELEURL CL AVOCAT, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C2341

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Nadja GRENARD, Vice-présidente
Madame Marion BORDEAU, Juge
Madame Stéphanie VIAUD, Juge

assistée de Madame Audrey BABA, Greffier

DEBATS

A l’audience du 08 mars 2024 tenue en audience publique devant Stéphanie VIAUD, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile.

JUGEMENT

– Réputé Contradictoire
– En premier ressort
– Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– Signé par Madame Nadja Grenard, Présidente de formation et par Madame Audrey BABA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La SCCV L’Autre [Localité 10] a, en qualité de maître d’ouvrage, conduit une opération de construction au [Adresse 6] [Localité 1] consistant en l’édification de cinq bâtiments comprenant 121 logements et un local professionnel.

Pour les besoins de cette opération de construction, la SCCV L’Autre [Localité 10] a souscrit, le 20 décembre 2013, une garantie d’assurance de responsabilité décennale constructeur non réalisateur et dommages-ouvrage auprès de la société Elite Insurance Company Limited (ci-après « Elite »).

De la même manière, en qualité de maître d’ouvrage, la SCCV Tendance vingtième a mené une opération de construction au [Adresse 5] à [Localité 11]) consistant, après démolition de l’existant, en l’édification d’un bâtiment de cinq étages comprenant 12 logements d’habitation et un commerce sur rue. La SCCV Tendance vingtième a souscrit, le 10 juin 2014, une assurance de responsabilité décennale constructeur non réalisateur et dommages-ouvrage auprès de d’EISL.

Engagement de la procédure au fond :

Par exploit de commissaire de justice du 15 octobre 2020 , la société Excelya promotion, venant aux droits des SCCV L’Autre Mantes et Tendance vingtième a assigné la société ACR – Assurance courtage réassurance et la société MS Amlin Insurance, en sa qualité d’assureur de la société ACR, devant le tribunal judiciaire de Paris.

Prétentions des parties :

Vu les conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 15 septembre 2022, signifiées à la société ACR le 29 mars 2022 aux termes desquelles la société Excelya promotion demande au tribunal de :

« -Dire que la société ACR – Assurance Courtage Réassurance a manqué à son obligation de conseil à l’égard des SCCV L’Autre [Localité 10] et Tendance vingtième, aux droits desquelles vient la société Excelya promotion ;
– Dire qu’il en est directement résulté une perte de chance de souscrire une assurance de responsabilité décennale Constructeur Non Réalisateur et Dommages Ouvrage auprès d’une société ayant son siège social en France et dont la solvabilité n’est pas en défaut ;
– Dire qu’il en est résulté, pour la société Excelya promotion, un préjudice non réparé s’élevant à 182 313,32 € correspondant aux primes de réassurance devant être exposées du fait de la déclaration d’insolvabilité d’Elite ;
– Dire que la société ACR – Assurance Courtage Réassurance sera tenue in solidum avec son assureur, la société MS Amlin, à réparation à hauteur de 90% du préjudice souffert ;
En conséquence,
– Condamner in solidum les sociétés ACR – Assurance Courtage Réassurance et MS Amlin à payer à la société Excelya promotion une somme de 164 081,98 € ;
– ORDONNER l’exécution provisoire, nonobstant appel et sans constitution de garantie ;
– Condamner in solidum les sociétés ACR – Assurance Courtage Réassurance et MS Amlin à payer à la société Excelya promotion une somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Sébastien BENA, Avocat, qui la réclame en exécution de l’article 699 du Code de procédure civile. »

* * *

Vu les conclusions notifiées par voie électronique le 27 septembre 2022 aux termes desquelles la société Amlin Insurance demande au tribunal de :

« A titre principal,
Juger que les demandes sont exclues du champ des garanties souscrites auprès de la société MS Amlin ;
Débouter en conséquence la demanderesse de toutes ses demandes à l’encontre de la société MS Amlin;
A titre subsidiaire :
Juger que la société ACR n’a commis aucune faute ;
Juger que les préjudices financiers invoqués par la demanderesse n’est pas indemnisable par MS Amlin ;
Débouter en conséquence la demanderesse de toutes ses demandes à l’encontre de la société MS Amlin;
A titre très subsidiaire,
Juger que la société MS Amlin ne saurait garantir les condamnations qui viendraient à être prononcées qu’après déduction de la franchise contractuelle de 7.622 €;
En tout état de cause,
Juger n’y avoir lieu à exécution provisoire
Condamner la société Excelya promotion à payer à la société MS Amlin une somme de 3000 € au titre de l’article 700 CPC, ainsi qu’aux entiers dépens d’instance dont distraction au profit de Maître LEMOUX en application de l’article 699 du CPC. »

*

Assignée à l’étude, la société ACR – Assurance Courtage Réassurance n’a pas constitué avocat.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux dernières écritures précitées des parties pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de celles-ci.

La clôture a été ordonnée le 18 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de préciser que les demandes des parties tendant à voire « dire et juger» ou « constater » ne constituent pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions des articles 4 et 30 du code de procédure civile dès lors qu’elles ne confèrent pas de droit spécifique à la partie qui en fait la demande. Elles ne feront alors pas l’objet d’une mention au dispositif.

De plus, le dispositif du présent jugement sera limité aux strictes prétentions formées par les parties, étant rappelé qu’il n’a pas vocation à contenir les moyens venant au soutien des demandes, peu important que ces moyens figurent dans le dispositif des conclusions.

Enfin, conformément à l’article 768 alinéa 2 du code de procédure civile, le tribunal ne statuera que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examinera les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

I- SUR LA DEMANDE PRINCIPALE

La société Excelya promotion se prévaut, sur le fondement des dispositions combinées des articles 1147 ancien du code civil et L.520-1 du code des assurances, d’une faute contractuelle de la société ACR et fait valoir qu’en sa qualité de courtier agissant pour son compte, elle a manqué à son devoir d’information et de conseil dans le choix de son assureur en plaçant son contrat auprès d’une compagnie d’assurance qui s’est avérée insolvable, de même que sa société mère, CBL, qui a fait l’objet d’une liquidation judiciaire, mais également dans le cours du contrat en s’abstenant de l’informer des difficultés de la société Elite Insurance Company Limited, la privant ainsi de la possibilité de souscrire un contrat auprès d’une autre société. Elle sollicite une condamnation in solidum de la société ACR et de son assureur la société MS Amlin Insurance.

La société MS Amlin à titre principal expose l’absence de mobilisation de ses garanties puis à titre subsidiaire l’absence de caractérisation d’une faute de son assuré ainsi que l’absence de préjudice.

*

Aux termes des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

L’article 1231-1 du code civil prévoit que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

Il appartient à la victime qui se prévaut d’une inexécution contractuelle, de rapporter cumulativement la preuve de celle-ci ainsi que du dommage en résultant.

Il est constant qu’un courtier, commerçant indépendant et professionnel de l’assurance a, à l’égard de son client, une obligation de conseil et d’exacte information. A ce titre, il doit notamment vérifier la solvabilité de l’assureur qu’il conseille à ses clients, cette solvabilité constituant une finalité essentielle du contrat d’assurance, sans laquelle il n’a pas de réelle efficacité. Cette obligation de conseil pèse sur le courtier au moment de la formation du contrat d’assurance et perdure pendant son exécution.

Il appartient au courtier de démontrer qu’il a respecté cette obligation de conseil.

Sur ce,

1) Sur le contrat d’assurance de la SCCV L’Autre [Localité 10] :

Concernant la police souscrite par la SCCV L’autre [Localité 10] le 20 décembre 2013, strictement aucun élément du dossier ne vient au soutien de l’allégation selon laquelle la société de construction a eu recours aux services de courtage de la société ACR dont la responsabilité est recherchée.

Le seul document produit est un exemplaire des conditions particulières de la police dommages-ouvrage souscrite auprès de la société EISL -Elite Insurance Newton Chamber. Ce document ne comporte aucune référence à la société ACR.

Ainsi, la SCCV L’Autre [Localité 10] échoue à justifier de l’existence d’un lien contractuel avec la société ACR à qui elle reproche des manquements contractuels.

Par voie de conséquence, les demandes de la société Excelya promotion au titre de la police souscrite par la SCCV L’Autre [Localité 10] seront rejetées.

2) Sur le contrat souscrit par la SCCV Tendance vingtième :

Il s’infère de l’attestation délivrée par la société ACR- Assurance-Courtage-Réassurance le 10 juin 2014 que celle-ci est intervenue dans la signature du contrat la SCCV Tendance vingtième. Cette attestation indique que celle-ci a souscrit auprès de la société EISL un contrat dommages-ouvrage et s’est acquittée de la cotisation correspondante.

La société Excelya promotion n’apporte pas plus de précisions quant à ce contrat d’assurance conclu avec la société EISL (European Insurance Services Ldt), en particulier sur le point de savoir auprès de quel assureur dommages-ouvrage le contrat avait été souscrit.

A ce titre, force est de constater que la société Excelya promotion, qui soutient que le courtier en assurances l’a orientée vers une compagnie d’assurance insolvable et a de ce fait méconnu son devoir de conseil, ne rapporte pas la preuve que la société EISL rencontrait des difficultés financières au mois de juin 2014 date de la signature du contrat, ni au cours de l’année 2016 au cours de laquelle l’opération de construction de la SCCV Tendance vingtième a été achevée.

Ensuite, la société Excelya promotion reproche à la société ACR de ne pas l’avoir avisée en temps utiles des difficultés rencontrées par la société Elite Insurance et par la société CBL Insurance et avoir dû, conséquemment à la liquidation de cette dernière, souscrire à un contrat de réassurance auprès de la société SMA alors qu’une société d’assurance ayant bénéficié de son siège socle en France aurait bénéficié du fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO)

En l’espèce, la société Excelya promotion n’établit ni que le contrat était souscrit auprès d’une des sociétés mentionnées dans ses écritures ni l’existence d’aucun lien entre une faute de la société de courtage et un préjudice direct, réel et certain, pas plus qu’elle ne justifie avoir fait de la protection du FGAO un élément essentiel de sa relation contractuelle avec la société ACR.

Dans ces conditions, la responsabilité contractuelle de la société de courtage ACR – Assurance Courtage Réassurance ne saurait être engagée.

Les demandes de la société Excelya promotion seront en conséquence rejetées, sans qu’il soit besoin d’examiner si la garantie de la société MS Amlin Insurance, assureur de la société ACR, est mobilisable.

II- SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :

En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une partie. Elle peut également être condamnée à payer à l’autre une somme que le juge détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. A cet égard, le juge tient compte, dans tous les cas, de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Partie ayant succombé au sens de ces dispositions, la société Excelya promotion sera condamnée aux dépens. Elle sera également condamnée à payer à la société MS Amlin Insurance la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, après débats en audience publique, par jugement réputé contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe et rendu en premier ressort ;

DEBOUTE la société Excelya promotion de l’intégralité de ses demandes ;

CONDAMNE la société Excelya promotion aux dépens ;

AUTORISE Maître Céline Lemoux , avocate, à recouvrer directement ceux des dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision ;

CONDAMNE la société Excelya promotion à payer à la société MS Amlin Insurance la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente


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