Responsabilité et preuve : enjeux d’une chute dans un espace commercial

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Responsabilité et preuve : enjeux d’une chute dans un espace commercial

Le 15 octobre 2019, Mme [V] [R] a chuté dans la cour des matériaux du magasin CASTORAMA à [Localité 6], entraînant une fracture du 3ème métacarpien de la main droite. Elle a trébuché sur des fourches métalliques laissées au sol. Après avoir demandé une expertise médicale, l’expert a conclu à un déficit fonctionnel permanent de 1% et a fixé la date de consolidation de son état au 1er juin 2020. En janvier 2023, Mme [V] [R] a assigné CASTORAMA pour obtenir une indemnisation de ses préjudices, et a également impliqué la CPAM. Les deux affaires ont été jointes et les débats ont été clôturés le 5 octobre 2023, avec une audience prévue pour le 16 mai 2024. Dans ses conclusions, Mme [V] [R] a demandé l’indemnisation de divers préjudices, tandis que CASTORAMA a demandé le déboutement de ses demandes et, subsidiairement, une réduction de l’indemnisation. Le tribunal a finalement débouté Mme [V] [R] de toutes ses demandes et l’a condamnée à verser 1.500 euros à CASTORAMA au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, tout en lui faisant supporter les dépens de l’instance.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

13 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Lille
RG
23/00543
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 04
N° RG 23/00543 – N° Portalis DBZS-W-B7H-WZDV

JUGEMENT DU 13 SEPTEMBRE 2024

DEMANDEUR :

Mme [V] [R]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Perceval LEBAS, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEURS :

La société CASTORAMA FRANCE Prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 9]
[Localité 3]
représentée par Me Gaëlle LE ROC’H, avocat postulant au barreau de LILLE, Me Jean-Marie PERINETTI avocat plaidant au barreau de LYON

LA CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 7]-[Localité 8]
[Adresse 5]
[Localité 4]
défaillant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur : Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur : Sophie DUGOUJON, Juge

GREFFIER : Yacine BAHEDDI, Greffier

DEBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 05 Octobre 2023.

A l’audience publique du 16 Mai 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 13 Septembre 2024.

Sophie DUGOUJON, Juge rapporteur qui a entendu la plaidoirie en a rendu compte au tribunal dans son délibéré

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 13 Septembre 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 15 octobre 2019, Mme [V] [R], alors âgée de 39 ans, a été victime d’une chute dans la cour des matériaux du magasin CASTORAMA de [Localité 6] (Nord), au cours de laquelle elle a présenté une fracture spiroïde à trois fragments du 3ème métacarpien de la main droite.

Déclarant avoir trébuché sur deux fourches métalliques qui se trouvaient anormalement au sol devant le rayon placoplâtre, Mme [V] [R] a sollicité et obtenu du président du tribunal judiciaire de LILLE l’organisation d’une expertise médicale confiée au Docteur [B] [L], suivant ordonnance de référé en date du 05 octobre 2021.

L’expert a déposé son rapport le 15 novembre 2022, fixant la date de consolidation de l’état de santé de Mme [V] [R] au 1er juin 2020 et retenant, notamment, un déficit fonctionnel permanent de 1%.

Sur la base de ce rapport, Mme [V] [R] a, par exploit en date du 17 janvier 2023, fait assigner la société CASTORAMA FRANCE aux fins d’indemnisation de ses préjudices.

Par acte ultérieur daté du 20 avril 2023, Mme [R] a également fait intervenir à la cause la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (ci-après la CPAM) de [Localité 7]-[Localité 8], laquelle n’a toutefois pas constitué avocat.

Les deux assignations ont été jointes sous le même numéro de répertoire général, par décision du juge de la mise en état du 24 mai 2023.

La clôture des débats est intervenue le 05 octobre 2023, suivant ordonnance du même jour et l’affaire a été fixée à l’audience du 16 mai 2024.

* * *

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 20 juin 2023, Mme [V] [R] demande au tribunal de :

– Débouter la SASU CASTORAMA de ses demandes, fins et conclusions,
En conséquence,
– Dire et juger que la responsabilité de la SASU CASTORAMA est engagée suite aux faits qu’elle a subis,
– Juger que la SASU CASTORAMA sera tenu à indemniser son entier préjudice,
– Condamner la SASU CASTORAMA à lui payer :
– la somme de 6.102 euros en réparation de l’assistance à tierce personne
– la somme de 5.049 euros en réparation de l’aide à la parentalité
– la somme de 807,96 euros en réparation de la perte de gains professionnels actuels
– la somme de 10.000 euros en réparation de l’incidence professionnelle
– la somme de 1.283,75 euros en réparation du déficit fonctionnel temporaire
– la somme de 4.000 euros en réparation des souffrances endurées
– la somme de 1.770 euros en réparation de son déficit fonctionnel permanent
– 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
– Condamner la SASU CASTORAMA aux frais et dépens,
– Déclarer la présente décision opposable à la CPAM de [Localité 7]-[Localité 8].

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 11 septembre 2023, la société CASTORAMA demande au tribunal, au visa des articles L.376-1 du Code de la sécurité sociale, 1243 et 1353 du Code civil, 9 et 700 du Code de procédure civile, de :

A titre principal
débouter Mme [V] [R] de l’ensemble de ses prétentions au regard de l’absence de toute responsabilité de sa part dans le présent litige ;condamner Mme [V] [R] à la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre aux entiers dépens de l’instance ;
A titre subsidiaire, si par extraordinaire, le Tribunal venait à admettre sa responsabilité dans le présent litige :
limiter l’indemnisation de Mme [R] comme suit :
réduire à de plus justes proportions la demande de Mme [R] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Il est renvoyé aux conclusions récapitulatives des parties susvisées pour l’exposé des moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la non-constitution de la CPAM de [Localité 7]-[Localité 8]

Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 760 du Code de procédure civile, les parties sont tenues, devant le tribunal, sauf disposition contraire, de constituer avocat.

Conformément aux dispositions de l’article 472 du Code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît (ou ne constitue) pas, il est néanmoins statué sur le fond, le juge ne faisant droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.

Par ailleurs, la C.P.A.M. de [Localité 7]-[Localité 8] ayant été assignée, le jugement est réputé contradictoire à l’égard de toutes les parties, sans qu’il soit nécessaire de le lui déclarer opposable.

Sur la responsabilité de la société CASTORAMA

Mme [R] formule ses demandes à l’encontre de la société CASTORAMA sur le fondement unique de l’article 1242 alinéa 1er du Code civil, lequel énonce que :

« On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. ».

Cette disposition érige une présomption de responsabilité du gardien de la chose ayant causé un dommage, le gardien étant défini comme étant celui qui exerce les pouvoirs d’usage, de direction, de contrôle et de surveillance.

Une chose inerte peut être l’instrument d’un dommage, à condition que la victime rapporte la preuve du rôle actif de la chose dans la survenue de son dommage, ce qui implique que soit caractérisée une position anormale ou un mauvais état de la chose à l’origine du dommage.

La présomption de responsabilité qui pèse sur le gardien de la chose est toutefois écartée lorsque le gardien établit l’existence d’une cause étrangère, revêtant les caractères d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité.

Conformément aux dispositions de l’article 9 du Code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Dans le cas d’espèce, Mme [R] expose avoir chuté après avoir percuté deux grandes fourches de Clark qui étaient anormalement placées au centre de l’allée, dans la cour extérieure du magasin CASTORAMA, endroit où le passage de la clientèle était prévu et fréquent, de sorte que l’abandon de ces deux grandes fourches rendait périlleux le chargement des placoplâtres par la clientèle et était dangereux, ce d’autant qu’aucun signalement n’avait été apposé par l’enseigne.

Il n’est pas fondamentalement discuté que, le 15 octobre 2019, Mme [R] a été victime d’une chute dans la cour des matériaux du magasin CASTORAMA de [Localité 6]. L’existence de dommages corporels résultant de cette chute n’est pas davantage sujette à débats.

La société CASTORAMA objecte, en revanche, que l’attestation de Monsieur [M] [R], époux de la demanderesse, ne permet pas d’établir que cette dernière s’est effectivement blessée en chutant sur les fourches présentées sur les photographies versées aux débats, rien ne permettant, selon elle, d’exclure qu’elle soit tombée par suite d’un simple déséquilibre, lequel aurait pu être causé par un défaut de prises des matériaux encombrants et lourds qu’elle portait. Elle rajoute que la seule présence de fourches au sol ne suffit pas à caractériser la présence anormale de celles-ci, alors que la présence de fourches de clark, nécessaires au transport de palettes lourdes et volumineuses, trouvait son utilité dans le rayon considéré.

Sur ce, à l’appui de ses prétentions, Mme [V] [R] verse aux débats les éléments suivants :

une attestation de son époux, Monsieur [M] [R], datée du 1er juillet 2021, aux termes de laquelle ce dernier relate que, s’étant rendus dans la cour des matériaux du magasin et s’étant garés devant l’emplacement des placoplâtres afin de charger des matériaux, il a vu son épouse « trébucher sur les deux fourches métalliques qui se trouvaient au sol devant le rayon », puis « tomber sur sa main droite et crier de douleur » (pièce n°10) ;la fiche d’intervention des secours le 15 octobre 2019 à 15h10 au magasin CASTORAMA de [Localité 6], lequel fait état d’une chute « CP » « de sa hauteur », sans précision des conditions alléguées de cette chute, ni du requérant de l’intervention (pièce n°3) ;les photographies en relativement gros plan et non-datées de deux fourches métalliques jaunes laissées au sol devant le rayon placo-plâtre, photographies indiquées comme correspondant à la situation des lieux le jour des faits (pièce n°2).
En l’état des contestations adverses, ces éléments ne sauraient, toutefois, suffire à établir la localisation exacte de la chute de Mme [R] ni les conditions de ladite chute, les déclarations de la demanderesse et de son époux n’étant corroborées par aucun autre élément de preuve objectif et circonstancié.

En effet, il n’est pas fait état d’un quelconque témoin extérieur. Par ailleurs, les compte-rendus de son hospitalisation suite à l’accident ne sont pas communiqués et les éléments médicaux postérieurs ainsi que les avis d’arrêt de travail produits (pièces n°1, 5 à 9) ne font aucunement état des doléances de la patiente quant aux circonstances de survenue de sa blessure.

Dans ces conditions, il ne peut qu’être constaté que le rôle actif desdites fourches dans la survenance de la chute de Mme [V] [R] et des préjudices subis par elle n’est pas suffisamment établi.

Dès lors, Mme [V] [R], qui défaille à démontrer que les conditions de la responsabilité de la société CASTORAMA sont réunies sur le fondement de l’article précité, sera déboutée de l’intégralité de ses demandes à l’encontre de cette dernière.

Sur les mesures accessoires

L’article 696 du Code de procédure civile dispose : « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».

L’article 700 du même code dispose, en outre, que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

En l’espèce, Mme [V] [R], qui succombe en ses demandes, sera condamnée aux entiers dépens de la présente instance. Sa demande au titre des frais irrépétibles sera, dès lors, rejetée.

En outre, l’équité commande qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile au profit de la société CASTORAMA, laquelle a été contrainte d’engager des frais irrépétibles pour faire valoir sa défense en justice.

Il lui sera accordé à ce titre la somme de 1.500 euros.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement réputé contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe et susceptible d’appel,

Déboute Mme [V] [R] de l’intégralité de ses demandes ;

Condamne Mme [V] [R] à verser à la S.A.S. CASTORAMA FRANCE la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu à aucune autre condamnation au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne Mme [V] [R] à supporter les entiers dépens de l’instance ;

Le greffier, La présidente.


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