La société Financo a demandé à la cour d’infirmer un jugement précédent, de débouter M. [V] de ses demandes, et de le condamner à lui verser 12 996,61 euros avec intérêts, ainsi que 1 500 euros pour frais irrépétibles et à couvrir les frais et dépens. De son côté, M. [V] a également demandé l’infirmation du jugement, la condamnation de Financo à lui verser 10 610 euros pour perte de chance de vente, 2 000 euros pour préjudice moral, ainsi que la compensation de créances et le remboursement de ses frais.
La cour a finalement infirmé le jugement sur certains points, condamnant M. [V] à payer 12 996,61 euros à Financo, tout en accordant à M. [V] 9 654,75 euros pour préjudice matériel. La cour a ordonné la compensation des dettes entre les parties et a décidé que chaque partie supporterait ses propres dépens, tout en déboutant les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N°
S.A. FINANCO
C/
[V]
MS/VB/DPC
COUR D’APPEL D’AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU DIX SEPTEMBRE
DEUX MILLE VINGT QUATRE
Numéro d’inscription de l’affaire au répertoire général de la cour : N° RG 22/01405 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IMOP
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU JUGE DES CONTENTIEUX DE LA PROTECTION DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE SAINT QUENTIN DU VINGT CINQ FEVRIER DEUX MILLE VINGT DEUX
PARTIES EN CAUSE :
S.A. FINANCO agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Emilie CHRISTIAN substituant Me Christian LUSSON de la SCP LUSSON ET CATILLION, avocats au barreau d’AMIENS
Ayant pour avocat plaidant Me Francis DEFFRENNES de la SCP THEMES, avocat au barreau de LILLE
APPELANTE
ET
Monsieur [O] [V]
né le 07 Décembre 1979 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Aurélie CARPENTIER, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
INTIME
DEBATS :
A l’audience publique du 21 mai 2024, l’affaire est venue devant Mme Myriam SEGOND, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l’article 805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 10 septembre 2024.
La Cour était assistée lors des débats de Mme Vitalienne BALOCCO, greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de Mme Agnès FALLENOT, Présidente, M. Vincent ADRIAN et Mme Myriam SEGOND, Conseillers, qui en ont délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE DE L’ARRET :
Le 10 septembre 2024, l’arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Agnès FALLENOT, Présidente de chambre et Mme Vitalienne BALOCCO, Greffière.
*
* *
DECISION :
Le 14 mars 2019, la société Financo (le crédit-bailleur) et M. [V] (le locataire) ont conclu un contrat de location avec option d’achat portant sur un véhicule automobile, d’un montant de 38 019,74 euros TTC, comprenant 84 mensualités de 452,61 euros.
A la suite d’impayés, le véhicule a été restitué au crédit-bailleur le 26 août 2019.
Par courrier du 10 décembre 2019, la société Financo a notifié la résiliation du contrat à compter du 15 novembre 2019 et mis en demeure M. [V] de lui payer la somme de 29 810,03 euros.
Par courrier recommandé avec demande d’avis de réception du 19 décembre 2019, la société Financo a dénoncé à M. [V] la vente du véhicule aux enchères publiques pour un montant de 16 975 euros, ramenant sa créance à la somme de 12 835,03 euros.
La société Financo a adressé à M. [V] une mise en demeure par courrier recommandé avec demande d’avis de réception signé le 22 février 2020, puis a assigné M. [V] en paiement par acte du 12 mai 2021.
Par jugement du 25 février 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Saint-Quentin a :
– déclaré recevable l’action de la société Financo,
– constaté la résiliation du contrat de location avec option d’achat souscrit le 14 mars 2019,
– condamné M. [V] à payer à la société Financo pour solde du contrat la somme de 6 835,03 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision,
– débouté la société Financo du surplus de ses demandes,
– débouté M. [V] de ses demandes,
– condamné M. [V] à payer à la société Financo la somme de 300 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [V] aux dépens de l’instance,
– écarté l’exécution provisoire de droit.
Par déclaration du 25 mars 2022, la société Financo a fait appel des chefs ayant condamné M. [V] au paiement de la somme de 6 835,03 euros et l’ayant déboutée du surplus de ses demandes.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 6 mars 2024.
Par conclusions du 22 novembre 2022, la société Financo demande à la cour de :
– infirmer le jugement,
– débouter M. [V] de l’intégralité de ses demandes,
– condamner M. [V] à lui payer la somme en principal de 12 996,61 euros avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2020,
– condamner M. [V] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
– condamner M. [V] aux entiers frais et dépens, y compris ceux d’appel dont distraction au profit de la SCP Lusson & Catillon, société d’avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions du 24 octobre 2023, M. [V] demande à la cour :
– d’infirmer le jugement,
– condamner la société Financo à lui verser la somme de 10 610 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de vendre le véhicule de gré à gré à un meilleur prix,
– condamner la société Financo à lui verser la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
– prononcer la compensation judiciaire des créances respectives entre les parties,
– débouter la société Financo de ses demandes,
– condamner la société Financo à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens, y compris ceux d’appel, dont distraction au profit de Me Carpentier, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
1. Sur la demande en paiement de la société Financo
La société Financo sollicite une somme de 12 996,61 euros se décomposant comme suit :
loyers impayés : 2 261,60 euros,
indemnité de résiliation : 27 548,43 euros,
intérêts contentieux arrêtés au 28/02/2021 : 161,58 euros,
acompte reçu par la vente du véhicule : 16 975,00 euros,
le tout avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2020.
Elle critique la réduction de l’indemnité de résiliation opérée par le premier juge, indiquant que cette indemnité n’est pas révisable au titre de l’article 1231-5 du code civil, et qu’en outre, les loyers dus doivent être retenus TTC et non HT.
M. [V] réplique que le montant des loyers impayés doit être arrêté au 26 août 2019, date de la restitution acceptée du véhicule, soit à la somme de 904,64 euros correspondant aux échéances des mois de mai et juin 2019. Il sollicite la réduction de moitié de l’indemnité de résiliation sur le fondement de l’article 1231-5 du code civil, indiquant que le véhicule a été vendu aux enchères à un prix inférieur à la valeur du marché et au mépris du droit d’information du locataire prévu par l’article 2 des conditions générales de l’offre de location. Il indique, enfin, que le prix de vente à déduire de l’indemnité doit être arrêté TTC et non HT, soit la somme de 20 370 euros (hors frais de vente qu’il n’a pas à subir).
Sur ce, aux termes de l’article L. 312-40 du code de la consommation, en cas de défaillance dans l’exécution par l’emprunteur d’un contrat de location assorti d’une promesse de vente ou d’un contrat de location-vente, le prêteur est en droit d’exiger, outre la restitution du bien et le paiement des loyers échus et non réglés, une indemnité qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat et sans préjudice de l’application de l’article 1231-5 du code civil, est fixée suivant un barème déterminé par décret.
L’article D. 312-18 du code de la consommation précise que cette indemnité de résiliation est égale à la différence entre, d’une part, la valeur résiduelle hors taxes du bien stipulée au contrat, augmentée de la valeur actualisée, à la date de la résiliation du contrat, de la somme hors taxes des loyers non encore échus et, d’autre part, la valeur vénale hors taxes du bien restitué.
La valeur actualisée des loyers non encore échus est calculée selon la méthode des intérêts composés en prenant comme taux annuel de référence le taux moyen de rendement des obligations émises au cours du semestre civil précédant la date de conclusion du contrat majoré de la moitié.
S’agissant de la valeur vénale du bien restitué, l’article 2 des conditions générales de l’offre de location avec option d’achat, reprenant l’article D. 312-18 précité, stipule qu’il s’agit de la valeur obtenue par le bailleur s’il vend le bien. « Toutefois, lorsque le bailleur a l’intention de vendre le bien, il doit vous aviser que vous disposez d’un délai de trente jours à compter de la résiliation du contrat pour présenter un acquéreur faisant une offre écrite d’achat. Si le bailleur accepte l’offre, la valeur vénale du bien est le prix convenu entre l’acquéreur et lui. Si le bailleur n’accepte pas cette offre et s’il vend ultérieurement à un prix inférieur, la valeur à déduire devra être celle de l’offre refusée par lui. »
Enfin, il résulte de l’article L. 312-40 du code de la consommation précité et de l’article 1231-5 du code civil que l’indemnité de résiliation peut être révisée à la baisse par le juge si son montant est manifestement excessif, ce qui s’apprécie en comparant le montant de la peine conventionnellement fixé et celui du préjudice effectivement subi, la somme allouée ne devant pas être inférieure au montant du dommage.
Le premier juge a exactement relevé que le procès-verbal de restitution amiable du véhicule du 26 août 2019 ne valait pas renonciation par le crédit-bailleur au recouvrement des sommes dues en vertu du contrat de location avec option d’achat, et que M. [V] ne justifiait pas avoir réglé les cinq échéances réclamées jusqu’à la date de déchéance du terme le 15 novembre 2019, soit la somme de 2 261,60 euros due au titre des loyers échus impayés.
Le premier juge a ensuite indiqué, sans être critiqué sur ce point, que la valeur actualisée de la somme hors taxes des soixante dix-huit loyers non encore échus, soit 28 045,60 euros, était inférieure à celle sollicitée, soit 27 548,43 euros, qui doit donc être retenue pour le calcul de l’indemnité de résiliation.
S’agissant de la valeur vénale du véhicule à déduire de l’indemnité de résiliation, M. [V] produit un décompte de vente en date du 21 octobre 2019 mentionnant un prix de vente hors taxes de 16 885 euros, inférieur à la somme de 16 975 euros, revendiquée par le crédit bailleur, cette dernière somme devant donc être retenue.
Au vu de ces éléments, l’indemnité de résiliation s’élève à la somme de 10 573,43 euros (27 548,43 – 16 975).
Il n’y a pas lieu de réduire cette pénalité contractuelle qui répare justement le préjudice subi par le crédit-bailleur.
Les intérêts de retard au taux légal dus à compter de la sommation de payer pour un montant de 161,58 euros ne sont pas contestés.
En définitive, la somme de 12 996,61 euros est due, avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2020 sur la somme de 12 835,03 euros.
Le jugement est infirmé.
2. Sur les demandes de dommages-intérêts de M. [V]
M. [V] soutient que la société Financo a méconnu les stipulations contractuelles prévoyant une faculté pour le locataire de présenter au bailleur un acquéreur dans le délai de trente jours à compter de la résiliation du contrat, ce qui lui a fait perdre une chance de vendre le véhicule à un prix plus avantageux. Il sollicite, en outre, la réparation d’un préjudice moral pour les tracas liés au comportement abusif de la société Financo.
La société Financo réplique que M. [V] ne rapporte pas la preuve de la valeur réelle du bien, de l’opportunité qu’il avait de présenter un acquéreur acceptant de payer un prix supérieur au montant retenu à l’adjudication. Elle conteste également l’existence d’un préjudice moral et du lien de causalité entre le manquement contractuel allégué et le préjudice invoqué.
Sur ce, aux termes de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
La perte de chance se définit comme la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable.
Ce préjudice ne peut correspondre à la totalité des conséquences financières dommageables de l’opération. La perte de chance doit être évaluée proportionnellement à la probabilité que l’événement favorable survienne.
La faute de la société Financo est établie. Elle a méconnu les stipulations contractuelles prévoyant une faculté pour le locataire de présenter au bailleur un acquéreur dans le délai de trente jours à compter de la résiliation du contrat.
Le préjudice subi par M. [V] est établi puisqu’il a perdu une chance de vendre amiablement le véhicule au prix du marché évalué par une attestation de cote Argus en date du 24 octobre 2019 à un montant de 27 585 euros et donc de payer une indemnité de résiliation moins élevée.
La cour estime que M. [V], mieux informé de la faculté de vendre amiablement le bien, aurait pu faire usage de cette faculté et trouver un acquéreur à un prix de vente plus avantageux que celui retenu à l’adjudication, soit 16 975 euros, étant précisé que le bien était, lors de sa restitution, en très bon état.
Il convient, par conséquent, de fixer cette perte de chance à 35 % et de condamner la société Financo à lui payer la somme de 9 654,75 euros en indemnisation de son préjudice matériel, la demande au titre du préjudice moral étant rejetée faute de justification d’un tel préjudice.
Le jugement est infirmé.
3. Sur les comptes entre les parties
En définitive, M. [V] doit à la société Financo la somme de 12 996,61 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2020 sur la somme de 12 835,03 euros. La société Financo lui doit 9 654,75 euros. Il convient d’ordonner la compensation entre leurs créances respectives.
4. Sur les frais du procès
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles seront infirmées.
Compte tenu de la solution donnée au litige, chaque partie gardera la charge de ses propres dépens de première instance et d’appel et les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe, après débats publics, en dernier ressort,
Infirme le jugement en ses dispositions critiquées, sauf en celles ayant rejeté la demande de M. [V] en indemnisation de son préjudice moral et l’ayant condamné au titre des dépens et frais irrépétibles,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Condamne M. [O] [V] à payer à la société Financo la somme de 12 996,61 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2020 sur la somme de 12 835,03 euros,
Condamne la société Financo à payer à M. [O] [V] la somme de 9 654,75 euros en indemnisation de son préjudice matériel,
Ordonne la compensation des dettes respectives des parties,
Y ajoutant :
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens de première instance et d’appel,
Les déboute de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE