Prêt professionnel : Évaluation des obligations de mise en garde

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Prêt professionnel : Évaluation des obligations de mise en garde

Le 2 juillet 2016, la SA Banque CIC Nord ouest a accordé un prêt professionnel de 101 000 € à la société Tchello, représentée par M. [S], ainsi qu’un compte courant. M. [S] et M. [K], associés de la société, se sont portés cautions solidaires pour un montant de 18 180 € chacun. Suite à la liquidation judiciaire de Tchello le 17 novembre 2021, la banque a poursuivi les cautions. Le 10 janvier 2023, le tribunal de commerce de Compiègne a jugé la banque recevable dans ses demandes et a condamné M. [S] et M. [K] à payer 18 180 € chacun, avec des modalités de paiement. M. [K] a interjeté appel le 23 mars 2023, contestant la décision en invoquant un manquement au devoir de mise en garde et la disproportion de son engagement. La banque a demandé la confirmation du jugement et a contesté les nouvelles demandes de M. [K]. Ce dernier a soutenu que sa situation financière n’avait pas été correctement évaluée et que la banque ne l’avait pas averti des risques. La banque a rétorqué que l’engagement de M. [K] était proportionné à ses biens et revenus. M. [K] a également demandé la nullité de son engagement de caution pour des raisons de formalisme, mais la banque a contesté cette demande. Le tribunal a confirmé le jugement initial, rejetant les demandes de M. [K] et l’a condamné aux dépens d’appel.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10 septembre 2024
Cour d’appel d’Amiens
RG
23/01479
ARRET

[K]

C/

S.A. CIC NORD OUEST

copie exécutoire

le 10 septembre 2024

à

Me Ruffat

Me Lefevre

FLR

COUR D’APPEL D’AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU 10 SEPTEMBRE 2024

N° RG 23/01479 – N° Portalis DBV4-V-B7H-IXBY

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE COMPIEGNE DU 10 JANVIER 2023 (référence dossier N° RG 2021F00056)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [M] [K]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Jocelyne RUFFAT, avocat au barreau de COMPIEGNE

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/000260 du 16/03/2023 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AMIENS)

ET :

INTIMEE

S.A. CIC NORD OUEST agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Christelle LEFEVRE, avocat au barreau de COMPIEGNE

DEBATS :

A l’audience publique du 21 Mai 2024 devant Mme Françoise LEROY-RICHARD, entendue en son rapport, magistrat rapporteur siégeant seule, sans opposition des avocats, en vertu de l’article 805 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 10 Septembre 2024.

GREFFIER : Madame Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Françoise LEROY-RICHARD en a rendu compte à la Cour composée de :

Mme Odile GREVIN présidente de chambre,

Mme Françoise LEROY-RICHARD, conseillère,

et Mme Valérie DUBAELE, conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 10 Septembre 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente a signé la minute avec Mme Diénéba KONÉ, Greffier.

*

* *

DECISION

Le 2 juillet 2016 la SA Banque CIC Nord ouest a consenti à la société Tchello représenté par M. [S] un prêt professionnel d’un montant de 101 000 € pour financer l’acquisition de matériel et de travaux remboursable selon diverses modalités.

Elle a également consenti le même jour l’ouverture d’un compte courant au bénéfice de la société Tchello.

M. [S] et M [K] (associés de la société) se sont portés cautions solidaires de cette société chacun dans la limite de 18 180 €.

Compte tenu de la liquidation judiciaire de la société Tchello du 17 novembre 2021 et après avoir déclaré des créances, la SA Banque CIC Nord ouest a engagé des poursuites contre les cautions.

Par jugement du 10 janvier 2023 le tribunal de commerce de Compiègne a :

– dit la Banque CIC Nord ouest recevable et bien fondée en ses demandes à l’encontre de M. [D] [S] et de M. [M] [K] ;

– condamné M. [D] [S] à payer la somme de 18 180 € à la Banque CIC Nord ouest avec intérêts au taux de 1,53 % à compter du 23 octobre 2020 ;

– dit que M. [D] [S] pourra s’acquitter de sa dette par 24 versements mensuels égaux le premier intervenant dans le mois de la signification du présent jugement ;

– condamné M. [M] [K] à payer la somme de 18 180 € à la Banque CIC Nord ouest avec intérêts au taux de 1,53 % à compter du 23 octobre 2020 ;

– dit n’y avoir lieu à statuer à l’encontre de la société Tchello et son liquidateur judiciaire ;

– débouté M. [M] [K] et [D] [S] de leurs demandes ;

– condamné M. [D] [S] et M. [M] [K] aux dépens à parts égales et à payer chacun 1 500 € à la Banque CIC Nord ouest sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 23 mars 2023 M. [M] [K] a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions remises par voie électronique le 22 juin 2023, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés M. [M] [K] demande à la cour d’infirmer le jugement dont appel et de :

– débouter la Banque CIC Nord ouest de ses demandes pour engagement manifestement disproportionné et manquement au devoir de mise en garde ;

– dire et juger, subsidiairement, nul l’engagement de caution de M. [K] ;

– dire plus subsidiairement qu’il convient de reporter pour une période de 24 mois le paiement de la somme de 18 180 € à compter de l’arrêt à intervenir ;

– condamner la Banque CIC Nord ouest à payer à M. [K] la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par conclusions remises par voie électronique le 21 août 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés la SA CIC Nord ouest demande à la cour de :

-confirmer le jugement dont appel ;

– déclarer irrecevables les demandes nouvelles de M. [K] fondées sur le manquement au devoir de mise en garde et aux fins d’obtention de délais de paiement ;

– condamner M. [M] [K] à payer à la SA Banque CIC Nord ouest la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens comprenant le coût de l’inscription d’hypothèque provisoire prise le 2 février 2023 et celui de celle prise de façon définitive, dont distraction au profit de maître Lefèvre.

SUR CE :

L’appelant demande que la SA Banque CIC Nord ouest soit déboutée de sa demande en paiement dirigée contre lui en qualité de caution de la société Tchello au motif qu’elle a manqué à son devoir de mise en garde dont elle était débitrice à son endroit en sa qualité de caution personne physique non avertie et pour lui avoir fait souscrire un engagement manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Il explique que sa situation financière a été mal appréciée, que s’il était propriétaire d’un immeuble d’une valeur de 200 000 €, il continuait à rembourser le prêt destiné à son acquisition, qu’il était sans emploi et percevait 900 € par mois et avait un enfant à charge.

Il ajoute que la banque ne l’a pas mis en garde sur le risque d’endettement encouru du fait de cet engagement.

La SA Banque CIC Nord ouest prétend à l’irrecevabilité de ces prétentions au motif qu’elles sont nouvelles en cause d’appel.

A supposer qu’elles soient recevables elle fait valoir que l’appelant ne tire pas les conséquences du moyen qu’il oppose mais également qu’il ne fait pas la démonstration que la banque aurait eu des informations ignorées par lui portant sur ses revenus, son patrimoine ou sa faculté de remboursement qu’elle lui aurait volontairement cachées.

Par ailleurs elle fait valoir que l’engagement de M. [K] était proportionné à ses biens et revenus lors de la souscription mais également qu’au jour où il a été appelé sa situation patrimoniale lui permettait de faire face à la demande en paiement.

Outre le fait que M. [K] a opposé en première instance à la banque la disproportion manifeste de son engagement de caution, il est recevable à se prévaloir devant la cour d’appel, du manquement au devoir de mise en garde en application de l’article 565 du code de procédure civile, dans la mesure où ce moyen tend aux mêmes fins que le précédent aux termes des demandes de M [K] qui tendent au débouté de la demande en paiement formée à son encontre.

En l’espèce M. [K] s’est porté caution au mois de juillet 2016, de la société Tchello à hauteur de 18 180 € et a déclaré dans la fiche patrimoniale être célibataire sans emploi, avoir un enfant à charge, percevoir le RSA à hauteur de 900 € par mois et faire face à un loyer auprès de l’Opac à hauteur de 240 € par mois.

Il a également déclaré être propriétaire d’un immeuble d’une valeur de 200 000 € depuis 1998 sur lequel il n’y avait aucun passif.

Il prétend sans en rapporter la preuve qu’il remboursait encore un prêt sur cet immeuble lors de son engagement.

En se portant caution en 2016 de la société Tchello à hauteur de 18 180 € alors qu’il était propriétaire d’un immeuble de 200 000 € M. [K] ne démontre pas que son engagement de caution était manifestement disproportionné à ses biens. Il importe peu qu’il eu été bénéficiaire des minima sociaux lors de la souscription dès lors que la masse active de son patrimoine était largement supérieure à la masse passive constituée de l’engagement litigieux.

Tenant compte des éléments patrimoniaux sus décrits la banque n’était par ailleurs pas tenue à un devoir de mise en garde à défaut de risque d’endettement caractérisé.

Subsidiairement l’appelant prétend à la nullité de l’engagement de caution au motif que son formalisme ne serait pas conforme aux dispositions de l’article L.331-2 du code de la consommation et plus particulièrement au titre de la formule portant à la renonciation au bénéfice de discussion et sur l’absence de date.

Il fait remarquer qu’il a mentionné renoncer au bénéfice de discussion prévu à l’article 229 et non 2298 du code civil.

La banque s’oppose à cette demande de nullité au motif que cette irrégularité n’a pas eu d’incidence sur le consentement de M. [K] et que la date était celle du prêt.

Aux termes de l’article L.331-2 du code de la consommation dans sa version applicable à l’espèce compte tenu de la date de l’engagement, lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante :

 » En renonçant au bénéfice de discussion défini à l’article 2298 du code civil et en m’obligeant solidairement avec X je m’engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu’il poursuive préalablement X « .

De ces éléments il est établi que lorsque M. [K] a recopié à la demande de la banque la mention manuscrite litigieuse à la lettre à l’exception du numéro de l’article, qu’il s’agit d’une erreur matérielle sans incidence sur son consentement.

Il est par ailleurs établi que la date de l’engagement est celle du contrat de prêt.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de nullité présentée.

A titre infiniment subsidiaire M. [K] demande de voir reporter pour une période de 24 mois le paiement de la somme de 18 180 € à compter de l’arrêt à intervenir au motif qu’il se trouve dans une situation financière difficile à raison de sa détention.

Cette demande est recevable au sens de l’article 566 du code de procédure civile comme accessoire aux prétentions en défense opposées à la demande en paiement.

En revanche M. [K] qui ne donne aucune information sur son temps de détention et sur des éléments permettant d’établir que sa situation financière sera meilleure dans deux ans prive la cour de la possibilité de faire application de l’article 1343-5 du code civil qui prévoit la possibilité de reporter le remboursement d’une dette.

En conséquence cette demande est rejetée.

M. [K] qui succombe supporte les dépens d’appel comprenant les frais d’inscription des sûretés nécessaire pour garantir la créance de la banque.

L’équité commande de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au texte ;

Déclare recevable la prétention tirée du manquement au devoir de mise en garde et celle tendant au report de paiement ;

Confirme le jugement ;

Y ajoutant ;

Dit mal fondée la demande tirée du manquement au devoir de mise en garde ;

Déboute M. [M] [K] de sa demande de report de paiement ;

Condamne M. [M] [K] aux dépens d’appel comprenant les frais d’inscription d’hypothèque et dit n’y avoir lieu à appliquer l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, La Présidente,


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