Obligations de l’assureur en matière de garantie et d’expertise dans le cadre de désordres structurels d’un ouvrage

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Obligations de l’assureur en matière de garantie et d’expertise dans le cadre de désordres structurels d’un ouvrage

Par contrat de construction du 1er août 2018, M. [Y] [P] et Mme [G] [L] ont confié à la SAS CV Habitat la construction de leur maison. La SAS a sous-traité les travaux à l’EURL Yenice Bâtiment, assurée par la SA BPCE Iard. Les consorts [P] et [L] ont souscrit une assurance dommages-ouvrage auprès de la SA QBE Insurance Europe Limited, également assureur responsabilité décennale de la SAS CV Habitat. Le chantier a été ouvert le 25 février 2019 et réceptionné sans réserve le 19 juin 2019.

Le 24 septembre 2020, les consorts ont déclaré un sinistre à la SA QBE Insurance Europe en raison de fissures apparues, mais la compagnie a refusé sa garantie. Le juge des référés a ordonné une expertise le 10 septembre 2021, et une provision complémentaire a été demandée par l’expert. Le 1er février 2022, un complément de provision a été ordonné. Les consorts ont ensuite demandé que cette provision soit à la charge de la SA QBE, mais leur demande a été rejetée.

Le 14 février 2023, M. [P] et Mme [L] ont saisi le juge des référés pour obtenir une provision ad litem de 8000 € et 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le 26 mai 2023, le juge a condamné la SA QBE à verser 8000 € mais a débouté les consorts de leur demande d’article 700. La SA QBE a interjeté appel le 7 juin 2023, demandant la réforme de l’ordonnance et le déboutement des consorts.

Dans leurs écritures du 29 mai 2024, les consorts ont demandé la confirmation de l’ordonnance et un montant supplémentaire au titre de l’article 700. La procédure a été clôturée le 3 juin 2024. La cour a confirmé l’ordonnance, condamné la SA QBE aux dépens d’appel et à verser 3000 € aux consorts en application de l’article 700.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10 septembre 2024
Cour d’appel de Toulouse
RG
23/02040
10/09/2024

ARRÊT N°356/2024

N° RG 23/02040 – N° Portalis DBVI-V-B7H-PP3P

EV/IA

Décision déférée du 26 Mai 2023

Président du TJ d’ALBI

( 23/00041)

Mme MALLET

S.A. QBE EUROPE

C/

[Y] [P]

[G] [L]

CONFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

3ème chambre

***

ARRÊT DU DIX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE

***

APPELANTE

S.A. QBE EUROPE

prise en son établissement en France n°00012,sis [Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Claire GIMENEZ de l’AARPI AURACLE AVOCATS, avocat postulant au barreau D’ALBI et par Me Olivier LECA, avocat plaidant au barreau de PARIS

INTIMÉS

Monsieur [Y] [P]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Angéline BINEL de la SCP SCP ALBAREDE ET ASSOCIES, avocat au barreau de CASTRES

Madame [G] [L]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Angéline BINEL de la SCP SCP ALBAREDE ET ASSOCIES, avocat au barreau de CASTRES

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant E.VET, conseiller, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. DEFIX, président, délégué par ordonnance modificative du 15 avril 2024

E. VET, conseiller

P. BALISTA, conseiller

Greffière, lors des débats : I. ANGER

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par M. DEFIX, président, et par I. ANGER, greffière de chambre

Par contrat de construction de maison individuelle du 1er août 2018, M. [Y] [P] et Mme [G] [L] ont confié à la SAS CV Habitat la construction de leur maison d’habitation au [Adresse 1] à [Localité 6].

La SAS CV Habitat a sous-traité à l’EURL Yenice Bâtiment, assurée auprès de la SA BPCE Iard, les travaux de gros ‘uvre et fondations.

Les consorts [P] et [L] ont souscrit auprès de SA QBE Insurance Europe Limited une assurance dommages-ouvrage, cette compagnie étant également l’assureur responsabilité décennale de la SAS CV Habitat.

Le chantier a été déclaré ouvert le 25 février 2019 et réceptionné sans réserve le 19 juin 2019.

Par courrier du 24 septembre 2020, les consorts [P] et [L], ayant constaté l’apparition de fissures en façade ont déclaré leur sinistre auprès de la SA QBE Insurance Europe Limited qui a refusé sa garantie par lettre recommandée du 29 octobre 2020.

Par ordonnance du 10 septembre 2021, le juge des référés d’Albi, a ordonné une expertise et dit que les opérations seront communes et opposables à l’EURL Yenice bâtiment et à la SA BPCE.

À la suite de la première réunion d’expertise du 15 mars 2022, l’expert adressait aux parties une note indiquant souhaiter faire réaliser des sondages des sols et solliciter le versement d’une provision complémentaire de 7486,39 €.

Par ordonnance du 1er février 2022, le magistrat chargé du contrôle des expertises a ordonné le versement d’un complément de provision d’un montant de 7486,39 €.

Par courrier du 5 mai 2022, les consorts [P] et [L] ont saisi le magistrat chargé du contrôle des expertises d’une demande visant à faire mettre le versement de la provision complémentaire à la charge de la SA QBE Insurance Europe en qualité d’assureur dommages-ouvrage.

Le 13 octobre 2022, la SA QBE Insurance Europe s’opposait à cette demande qui était rejetée par le magistrat en charge du contrôle des expertises selon courrier du 14 décembre 2022.

Par exploit du 14 février 2023, M. [P] et Mme [L] ont saisi le juge des référés d’Albi pour obtenir la condamnation de la SA QBE Insurance Europe Limited à leur verser une provision ad litem de 8000 € outre 1500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance contradictoire du 26 mai 2023, le juge des référés d’Albi a :

– condamné la Cie QBE Insurance Europe Limited à payer à M. [Y] [P] et Mme [G] [L] la somme provisionnelle de 8 000 € à titre de provision ad litem,

– débouté M. [Y] [P] et Mme [G] [L] de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société QBE Insurance Europe Limited aux dépens.

Par déclaration du 7 juin 2023, la SA QBE Europe a relevé appel de cette ordonnance, dans des conditions de forme et de délai non discutées.

Dans ses dernières écritures du 21 juillet 2023, la SA QBE Insurance Europe Limited demande à la cour de :

– réformer en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judicaire d’Albi en date du 23 mai 2023,

– juger à nouveau pour débouter les consorts [P] de leur demande de provision ad litem,

– condamner in solidum M. [Y] [P] et Mme [G] [L] au paiement de la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner in solidum M. [Y] [P] et Mme [G] [L] au paiement des entiers dépens.

Dans leurs dernières écritures du 29 mai 2024, M. [P] et Mme [L] demandent à la cour de :

– confirmer l’ordonnance de référé du 26 mai 2023,

En conséquence :

– condamner la compagnie QBE Insurance Europe Limited à payer à M. [Y] [P] et Mme [G] [L] la somme provisionnelle de 8 000 € à titre de provision ad litem,

Pour le surplus,

– condamner QBE Insurance Europe Limited au paiement de la somme de 4 000 € sur le fondement de l’article 700 code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 3 juin 2024.

La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fera expressément référence au jugement entrepris ainsi qu’aux dernières conclusions déposées.

MOTIFS

La SA QBE Insurance Europe Limited fait valoir que :

‘ la preuve du caractère décennal du dommage susceptible d’entraîner sa garantie n’est pas établie en ce que les fissurations ne compromettent ni la solidité ni la destination de l’ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil et que l’origine du dommage ne se trouve pas dans les travaux de construction assurés,

‘ l’expert a évoqué l’hypothèse d’un dommage structurel au tout début de sa mission et par la suite a considéré que des investigations géotechniques étaient indispensables avant toute conclusion,

‘ l’expert judiciaire n’a pas pris soin de vérifier la bonne réalisation par les maîtres d’ouvrage de la partie des travaux qu’ils s’étaient réservés alors qu’ils sont susceptibles d’avoir une incidence sur le dommage puisqu’ils concernent le drainage périphérique et les travaux d’assainissement (évacuation d’eaux pluviales) qui n’ont jamais été réalisés rendant le bien inhabitable, que dès lors il ne peut lui être reproché de ne pas avoir poursuivi les investigations en phase amiable,

‘ les maîtres d’ouvrage n’ont pas réalisé les préconisations techniques de l’expert amiable fondées sur le contrat de construction et le plan de prévention du risque issu du règlement de la direction départementale de l’équipement du Tarn dont l’expert judiciaire puis le juge des référés ont indiqué à tort qu’il ne s’agissait que d’une recommandation,

‘ l’analyse de l’expert quant à l’existence d’un tassement différentiel dû à une inadaptation des fondations du terrain existant est critiquable et que le débat technique n’en est qu’à ses débuts,

‘ en tant qu’assureur dommages-ouvrage elle a rempli ses obligations en matière d’expertise amiable diligentée à ses frais et que désormais l’expertise doit se dérouler conformément à la mission sollicitée par les intimés et à leurs frais avancés.

Les consorts [P]-[L] opposent qu’il serait injuste au regard de leur situation financière de leur faire supporter le coût de l’étude géotechnique alors que l’assureur dommages-ouvrage doit avancer les fonds nécessaires à la réparation des dommages dans un délai bref et est tenu d’instruire le dossier en phase amiable de manière sérieuse et efficace ce qui n’a pas été le cas en l’espèce puisque l’appelante n’a pas engagé les études géotechniques indispensables pour déterminer la cause des désordres et ainsi prendre position sur les garanties alors que l’ouvrage est affecté de désordres structurels.

SUR CE

Il résulte des dispositions de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile que dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier.

La possibilité pour le juge des référés d’ordonner une provision est subordonnée à l’absence de contestation sérieuse tant sur le principe de l’obligation, que sur l’ampleur de la mesure ; la provision ainsi accordée ne peut pas dépasser le montant non sérieusement contestable de l’obligation.

Il appartient au demandeur à la provision d’établir l’existence de la créance qu’il invoque et au défendeur de prouver que cette créance est sérieusement contestable.

De plus, par principe les frais d’expertise restent à la charge de celui qui la réclame.

La provision ad litem s’entend des frais à valoir sur les frais de procès et peut être sollicitée par une partie à l’encontre de la partie advserse.

S’il est admis la possibilité pour le juge des référés de mettre à la charge de l’une des parties le versement d’une telle provision, sans qu’il soit nécessaire que soit rapportée la preuve de l’impécuniosité de la partie qui en demande l’attribution, il doit cependant être constaté l’existence d’une obligation non sérieusement contestable de la partie débitrice de la provision à l’égard de la partie bénéficiaire. En tout état de cause, ils justifient de la réalité de leurs difficultés financières.

Conformément aux dispositions de l’article L 242-1 du code des assurances, l’assureur dommages-ouvrage garantit le paiement des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs sur le fondement de l’article 1792 du Code civil. L’assureur doit,dans un délai maximum de 60 jours à compter de la réception de la déclaration de sinistre notifier à l’assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties offertes par le contrat

Aux termes des dispositions de l’annexe II à l’article A 243-1 du code des assurances, en cas de sinistre, les dommages sont constatés, décrits et évalués par un expert désigné par l’assureur.

La mission d’expertise est limitée à la recherche et au rassemblement des données strictement indispensables à la non-aggravation et à la réparation rapide des dommages garantis.

Toute décision négative de l’assureur, ayant pour effet de rejeter la demande d’indemnisation, doit être expressément motivée.

En l’espèce, la SA QBE Insurance Europe a, conformément à l’expertise qu’elle a diligentée, opposé un refus de garantie au motif que les fissurations ne compromettaient ni la solidité ni la destination de l’ouvrage et que le dommage ne trouvait pas son origine dans les travaux de construction assurés.

Les parties s’accordent sur le fait que selon ordonnance du 10 décembre 2021 non produite, le juge des référés a ordonné une expertise, désigné M. [D] [U] pour y procéder et mis son coût à la change des demandeurs à l’expertise, les consorts [P] et [L].

L’expert a sollicité qu’il soit procédé à un diagnostic géotechnique justifiant le versement d’une provision complémentaire fixée à 7486,39 € selon ordonnance du 1er avril 2022.

Les consorts [P]-[L] soulignent les manquements de l’appelante qui, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, aurait dû faire réaliser cette étude dans le cadre de la procédure amiable.

Dans sa note aux parties du 15 mars 2022, l’expert judiciaire indique avoir constaté des fissurations linéaires horizontales longeant la périphérie de l’immeuble dans son soubassement et relevé une pathologie de fissuration caractéristique d’un tassement différentiel dû à une inadaptation des fondations au terrain existant. Considérant qu’il n’était pas possible d’apprécier les causes du sinistre il a sollicité les investigations géotechniques devant renseigner sur la compatibilité des fondations exécutées avec le sol en place.

Conformément à l’ordonnance déférée, l’assureur a versé la provision sollicitée qui a permis la poursuite des investigations.

Le cabinet de géotechnique a déposé son rapport concluant que :

‘ les fondations se trouvent dans un sol d’assise argileux, sensible aux variations hydriques nécessitant de suivre des préconisations particulières (profondeur d’encastrement minimal, protection périmétrique’) compte tenu des différents épisodes climatiques sévères, la commune ayant été déclarée en état de catastrophe naturelle sécheresse à 11 reprises entre 1989 et 2022,

‘ la construction ne dispose ni de trottoir ni de surface étanche le long des façades, les eaux pluviales de toiture sont collectées par des chenaux et les descentes EP qui semblent correctement raccordées, il n’y a pas de végétation de hautes tiges autour de l’habitation.

Selon note aux parties du 17 mai 2024, l’expert considère que la reprise des fondations dans leur globalité est incontournable et permettrait de s’affranchir des effets de la sensibilité des sols superficiels sensibles aux phénomènes de retrait-gonflement.

À ce stade, le fait que le dommage compromette la solidité de l’ouvrage n’est plus sérieusement contestable, contrairement à ce qu’avait conclu l’expert amiable pour justifier le rejet de la demande de prise en charge des désordres.

De plus, si l’appelante fait valoir que les maîtres d’ouvrage se sont réservés des travaux dont la réalisation n’était pas conforme aux préconisations du plan de prévention des risques naturels prévisibles, elle ne produit aucune pièce ou analyse permettant de supposer que les travaux réservés sont à l’origine des dommages constatés. Dès lors, et à défaut de pièces nouvelles contestant ces derniers éléments intervenus en cause de procédure d’appel, il convient de conclure que seule l’étude géotechnique a permis de conclure que les désordres affectant l’immeuble sont structurelles.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que seul un diagnostic géothermique a permis de conclure avec certitude sur la nature et la cause des désordres. La commune sur laquelle se trouve l’immeuble a fait l’objet de 11 arrêtés de catastrophe naturelle pour sécheresse et/ou réhydratation des sols entre 1989 et 2022 et se trouve donc dans une zone d’aléa « modéré ». L’expert commis par l’assureur ne pouvait ignorer cette situation de fait rendant ce diagnostic géotechnique indispensable. L’absence de réalisation de ce diagnostic est dès lors constitutif d’un manquement dans le cadre de l’instruction du sinistre alors que l’assureur a l’obligation de procéder à une instruction complète du dossier rendant non sérieusement contestable son obligation d’en prendre en charge le coût.

En conséquence, la décision déférée doit être confirmée en ce qu’elle a mis à la charge de l’assureur la consignation supplémentaire nécessaire à la réalisation de l’étude géotechnique.

La SA QBE Insurance Europe qui succombe gardera la charge des dépens et M. [Y] [P] et Mme [G] [L] sont en droit de réclamer le paiement d’une somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La cour,

Statuant dans les limites de sa saisine :

Confirme l’ordonnance déférée,

Condamne la SA QBE Insurance Europe Limited aux dépens d’appel,

Condamne la SA QBE Insurance Europe Limited à verser à M. [Y] [P] et Mme [G] [L] la somme de 3000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

I.ANGER M.DEFIX


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