Le 3 août 2016, la S.A.R.L Tramontane a vendu un fonds de commerce à la S.A.R.L TS Transport Logistique Conseil pour 350’000 euros. La Banque Courtois a accordé un prêt de 315’000 euros à TS Transport Logistique Conseil, avec M. [H] comme caution solidaire pour 102’375 euros. En novembre 2018, M. [H] et son épouse ont changé leur régime matrimonial pour la séparation de biens. Le 11 octobre 2019, TS Transport Logistique Conseil a été placée en liquidation judiciaire. La Banque Courtois a déclaré une créance de 208’690,94 euros. Après une mise en demeure infructueuse, la banque a saisi les comptes de M. [H] et l’a assigné en paiement. Le 13 avril 2022, le tribunal a condamné M. [H] à payer 40’797,98 euros, avec des modalités de remboursement. M. [H] a fait appel de ce jugement le 24 avril 2023, demandant la nullité du cautionnement et des dommages-intérêts. La Société Générale, héritière de la Banque Courtois, a demandé la confirmation du jugement. Le 4 juin 2024, la cour a confirmé le jugement initial et condamné M. [H] aux dépens d’appel.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 10 SEPTEMBRE 2024
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 23/02185 – N° Portalis DBVK-V-B7H-PZUI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 13 AVRIL 2022
TRIBUNAL DE COMMERCE DE CARCASSONNE
N° RG 2020002553
APPELANT :
Monsieur [P] [H]
né le [Date naissance 2] 1980 à [Localité 9] (31)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Marie Camille PEPRATX NEGRE de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représenté par Me Pascaline LESCOURET, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant
INTIMEE :
S.A. SOCIETE GENERALE venant aux droits et obligations de la société BANQUE COURTOIS en suite de la fusion-absorption intervenue en date du 1er janvier 2023, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Nicolas BEDEL DE BUZAREINGUES de la SCP BEDEL DE BUZAREINGUES, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 04 Juin 2024
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 JUIN 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO
ARRET :
– Contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.
Le 3 août 2016, la S.A.R.L Tramontane a cédé à la S.A.R.L TS Transport Logistique Conseil un fonds de commerce de transport public routier de marchandises et location de véhicules avec chauffeur exploité [Adresse 6] à [Localité 8] au prix de 350’000 euros.
Par acte sous seing privé du même jour, la S.A. Banque Courtois a accordé un prêt professionnel à la société TS Transport Logistique Conseil pour l’acquisition dudit fonds d’un montant de 315’000 euros remboursable avec intérêts au taux de 1,95% en 84 mensualités de 4’125,05 euros assurance comprises.
M. [P] [H], gérant de la société TS Transport Logistique Conseil, s’est porté par le même acte caution solidaire des engagements de la société envers la Banque Courtois à concurrence de la somme de 102’375 euros correspondant à 25% de l’encours en principal, intérêts, commissions, frais et accessoires y compris l’indemnité due en cas d’exigibilité anticipée.
Son épouse, avec laquelle il était marié sous le régime de la communauté, a donné son consentement au cautionnement de M. [H], les époux ayant changé leur régime matrimonial à l’effet d’adopter le régime de la séparation de biens par acte authentique du 28 novembre 2018.
Par jugement en date du 11 octobre 2019, le tribunal de commerce de Castres a prononcé la liquidation judiciaire de la société TS Transport Logistique Conseil.
Le 22 octobre 2019, la Banque Courtois a déclaré sa créance auprès du liquidateur pour les sommes de 21’419,11 euros au titre du solde débiteur et 187 271,83 euros au titre du prêt de 315 000 euros.
Le 24 juin 2020, la Banque Courtois a mis vainement en demeure M. [H] de lui régler la somme de 46’187,96 euros, correspondant à 25% des sommes dues par la société TS Transport Logistique Conseil.
Le 9 septembre 2020, la Banque Courtois a signifié au Crédit Agricole une saisie conservatoire sur les différents comptes de M. [H] pour la somme de 6’019,98 euros.
Par exploit d’huissier du 7 octobre 2020, la Banque Courtois a fait assigner M. [H] en paiement.
Par jugement contradictoire du 13 avril 2022, le tribunal de commerce de Carcassonne a’:
– condamné M. [H] à payer à la Banque Courtois la somme de 40’797,98 euros’;
– dit que, pour régler cette somme, M. [H] remboursera la somme de 146,52 euros par mois pendant 24 mois soit un total de 3.516,48 euros’;
– dit que, parallèlement, M. [H] disposera d’un délai de six mois pour rembourser le solde de sa dette s’élevant à un montant de 37’281,50 euros’;
– dit que si dans le cadre de la procédure devant le tribunal judiciaire, M. [H] recouvrait la somme de 6’019,98 euros correspondant à la saisie conservatoire qu’il a dénoncée, cette somme serait ajoutée à la créance de 40’797,98 euros, M. [H] devant s’acquitter des 6’019,98 euros auprès de Banque Courtois’;
– dit que si M. [H] venait à ne pas honorer ces nouveaux engagements, la créance restante due deviendrait immédiatement exigible’;
– débouté M. [H] de l’ensemble de ses demandes’;
– condamné M. [H] à payer à la Société Générale la somme de 1’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance dont frais de greffe liquidés à la somme de 73,22euros’;
– et rappelé l’exécution provisoire du jugement.
Par déclaration du 24 avril 2023, M. [H] a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 24 mai 2024, il demande à la cour, au visa des articles 1130 et suivants, 1217 et suivants et 1343-5 du code civil, des articles L. 332-1 et L. 332-2 du code de la consommation et de l’article L. 313-22 du code monétaire et financier de :
– réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions’;
à titre principal
– priver la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois en tant que créancier professionnel de son droit de se prévaloir du cautionnement conclu par M. [P] [H] dont l’engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus et dont le patrimoine, au moment où il a été appelé, ne lui permettait pas de faire face à son obligation’;
– prononcer la nullité du cautionnement pour vice du consentement’;
– débouter la Société Générale de son action en paiement et lui ordonner de restituer à M. [P] [H] la somme de 6’019,98 euros issue de la saisie-attribution’;
à titre subsidiaire
– condamner la Société Générale à payer à M. [P] [H] la somme de 30’000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance découlant de ses manquements à son obligation de mise en garde de la caution et ordonner la compensation entre les créances réciproques’;
– reporter le paiement de la dette et accorder à M. [P] [H] les plus larges délais de paiement au regard de sa bonne foi et de l’amélioration prévisible de sa situation financière’;
en tout état de cause
– et condamner la Société Générale à payer à M. [P] [H] la somme de 2’500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.
Par conclusions du 3 juin 2024, la Société Générale demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants et 2288 et suivants du code civil, de’:
– confirmer le jugement attaqué’et le jugement rectificatif du 25 mai 2022′;
– débouter M. [P] [H] de l’ensemble de ses demandes’;
– et condamner M. [P] [H] à payer à la Société Générale la somme de 1’500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Il est renvoyé, pour l’exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est datée du 4 juin 2024.
Sur le caractère manifestement disproportionné de l’engagement de caution de M. [H]
Selon l’article L. 341-4 du code de la consommation dans sa version applicable au litige, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
La disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution suppose que cette dernière se trouve, lorsqu’elle s’engage, dans l’impossibilité manifeste de faire face à son obligation avec ses biens et revenus.
La charge de la preuve du caractère disproportionné de l’engagement appartient à la caution qui l’invoque. Le créancier est quant à lui en droit de se fier aux informations qui lui ont été fournies dans la fiche de renseignements, sans avoir en l’absence d’anomalies apparentes l’affectant, à en vérifier l’exactitude et la caution n’est pas admise à établir, devant le juge, que sa situation était, en réalité, moins favorable que celle qu’elle avait déclarée à la banque.
Lorsqu’elle n’a pas rempli de fiche de renseignements relative à ses revenus et à son patrimoine, la caution est admise à établir qu’au moment de son engagement, celui-ci était manifestement disproportionné à ses biens et à ses revenus.
M. [H] n’a pas rempli de fiche de renseignements au moment de la souscription de son engagement de caution.
Il produit son avis d’impôt 2016 portant sur les revenus 2015, mentionnant un revenu de 54’566 euros pour lui et de 2 651 euros pour son épouse, soit un total de 57’217 euros.
Il produit également son avis d’impôt 2017 portant sur les revenus de 2016 mentionnant des revenus de 50’188 euros pour lui, et de 38’017 euros pour son épouse, soit un total de 88’205 euros.
M. [H] est propriétaire en propre, pour l’avoir acquis le 11 août 2005 avant le mariage, d’un appartement T2 sis à [Localité 7] dans l’Eure financé au moyen d’un prêt immobilier d’un montant de 127’553 euros couvrant la totalité du prix d’achat.
À la date du cautionnement, le capital restant dû au titre du prêt était d’environ 73’000 euros.
Sur la base d’une seule évaluation de la vente d’un appartement T2 sis dans la même commune, M. [H] évalue son bien immobilier à 55’000 euros, précisant que la résidence dans lequel se trouve cet appartement est affectée de graves vices de construction qui ont fait l’objet d’un procès clos en 2023.
La banque, pour sa part, produit des attestations de vente faisant apparaître un prix moyen de 70’000 euros.
En conséquence, eu égard à l’ensemble de ces éléments et notamment au crédit immobilier en cours à la date de l’engagement de caution et de la valeur du bien immobilier, il convient de considérer que ce dernier était manifestement disproportionné et le jugement sera confirmé sur ce point.
Le créancier qui entend se prévaloir d’un cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, peut néanmoins établir qu’au moment où il l’appelle, soit au jour où la caution est assignée, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son engagement.
M. [H] et son épouse ont modifié leur régime matrimonial par acte authentique du 28 novembre 2018 optant pour le régime de la séparation de biens.
À la date de l’assignation, soit le 7 octobre 2020, M. [H] était toujours propriétaire de son bien immobilier propre sis dans l’Eure, qu’il a lui-même évalué en 2018 à la somme de 60’000 euros dans une fiche de renseignements portant sur un autre engagement de caution d’un montant de 26’000 euros. Le capital restant dû au titre du prêt était de 39’748,70 euros, soit une valeur nette de 20’252 euros.
Il était également propriétaire de son domicile conjugal acquis en indivision avec son épouse en janvier 2019 pour un prix de 190’000 euros, financé par un prêt de 180’000 euros, avec un montant restant dû au mois d’octobre 2020 de 170’000 euros, soit une valeur nette pour M. [H] de 10’000 euros.
M. [H] produit son avis d’impôt 2021 portant sur les revenus de l’année 2020 faisant apparaître un revenu pour lui de 20’419 euros et des revenus fonciers nets de 7 883 euros correspondant nécessairement à la location de son bien propre, soit un total de 28’302 euros.
Il disposait d’une somme de 6’500 euros environ sur ses comptes bancaires qui a fait l’objet d’une saisie conservatoire de la part de la banque le 11 septembre 2020.
La banque Société Générale justifie également que M. [H] a constitué le 20 décembre 2019 une nouvelle S.A.R.L dénommée Hapy Transport, à laquelle il a apporté une somme de 5 001 euros au titre de son capital social et dont il est le gérant, et à propos de laquelle il reste taisant.
Par ailleurs, il avait souscrit au bénéfice de la société TS Transport Logistique Conseil un autre engagement de caution en 2018 pour une somme de 26’000 euros auprès de la Société Générale. Il justifie également d’une dette auprès de la MSA d’un montant de 2 119 euros.
La banque a appelé la caution en paiement d’une somme de 46’187,96 euros.
Dès lors, au regard de l’ensemble de ces éléments, de ses revenus et de son patrimoine mobilier et immobilier, et de l’ensemble de ses charges, crédits en cours et engagement de caution, M. [H] pouvait faire face à son engagement au jour où il a été appelé, de sorte que le jugement sera également confirmé.
Sur la validité du cautionnement de M. [H]
L’acte de cautionnement de M. [H] ne fait nullement mention de la garantie BPI, étant en outre constaté comme l’ont fait de manière pertinente les premiers juges que le contrat de prêt précise en son article 12 que la garantie de la BPI ne bénéficie qu’à la banque et qu’elle ne peut en aucun cas être invoquée par les tiers et notamment par l’emprunteur et ses garants pour contester tout ou partie de leur dette.
M. [H] ne saurait dès lors valablement soutenir que son consentement à l’acte de caution aurait été volontairement obtenu par la banque, principalement sur la base d’un courriel récapitulant l’accord de la banque au prêt sollicité par la société de M. [H], adressé à ce dernier en qualité de gérant de la société et non pas en sa qualité de caution.
Le moyen sera rejeté.
Sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde
La caution non avertie bénéficie du devoir de mise en garde obligeant le banquier à l’alerter des risques d’endettement encourus par elle à raison de ses capacités financières mais également des risques d’endettement encourus par le crédité lui-même lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur.
En présence d’une caution avertie, la banque n’est tenue à ce devoir de mise en garde qu’à la condition qu’elle ait détenue des informations sur les revenus de cette caution, son patrimoine et ses capacités de remboursement raisonnablement prévisibles en l’état du succès escompté de l’opération financée ou de la société cautionnée, que la caution aurait elle-même ignorées.
Le caractère averti d’une caution ne peut être déduit des seules fonctions de dirigeant et associé de la société débitrice principale. Cette qualité s’apprécie non seulement au regard de son âge et de son expérience des affaires, mais aussi de la complexité de l’opération envisagée et de son implication personnelle dans l’affaire.
La preuve du caractère averti incombe à la banque.
En l’espèce, les premiers juges ont constaté à bon droit qu’il résultait notamment de son curriculum vitae que M. [H] avait occupé pendant plus de 14 années des postes de direction au sein de sociétés internationales spécialisées dans la logistique, et qu’il était en charge, quand bien même en sa seule qualité de salarié, de la responsabilité de budgets de plusieurs millions d’euros et possédait donc une expérience de gestion significative faisant de lui une caution parfaitement avertie, de sorte que la banque n’était pas tenue à une obligation de mise en garde.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Condamne M. [H] aux dépens d’appel, ainsi qu’à payer à la banque Société Générale venant aux droits et obligations de la société Banque Courtois, la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
le greffier, la présidente,