Revers de fortune : une réévaluation des demandes et des responsabilités financières.

·

·

Revers de fortune : une réévaluation des demandes et des responsabilités financières.

M. [F] [V] a engagé une action en responsabilité contre la SA CIC-Lyonnaise de Banque, bien qu’il soit sous curatelle simple depuis juillet 2022, ce qui soulève des questions sur sa capacité à agir. La banque conteste cette capacité, mais la cour estime que la nullité de l’action n’est pas applicable car le curateur de M. [V] a intervenu dans la procédure. Concernant la responsabilité de la banque, il est établi que celle-ci n’a pas manqué à son devoir de vigilance lors de virements effectués par M. [V], qui a été victime d’une fraude. Les virements étaient réguliers et le compte contenait des fonds suffisants. En conséquence, la cour infirme le jugement initial et condamne M. [V] aux dépens, tout en laissant chaque partie responsable de ses propres frais de défense.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

25 septembre 2024
Cour d’appel de Riom
RG
23/01440
COUR D’APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°

DU : 25 Septembre 2024

N° RG 23/01440 – N° Portalis DBVU-V-B7H-GB3H

ADV

Arrêt rendu le vingt cinq Septembre deux mille vingt quatre

Sur APPEL d’une décision rendue le 05 septembre 2023 par le Tribunal judiciaire du Puy-en-Velay (RG n° 22/00893)

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

Madame Anne Céline BERGER, Conseiller

En présence de : Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors de l’appel des causes et Mme Christine VIAL, Greffier, lors du prononcé

ENTRE :

La société CIC LYONNAISE DE BANQUE

SA immatriculée au RCS de Lyon sous le n° 954 507 976

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentant : Me Isabelle MABRUT de la SELARL KAEPPELIN-MABRUT, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE

APPELANTE

ET :

M. [F] [V]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Soizic GICQUERE de la SELARL OGIER GICQUERE, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE

INTIMÉ

M. [O] [V]

[Adresse 4]

[Localité 2]

agissant ès-qualités de curateur de Monsieur [F] [V]

Représentant : Me Soizic GICQUERE de la SELARL OGIER GICQUERE, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE

INTERVENANT VOLONTAIRE

DÉBATS :

Après avoir entendu en application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, à l’audience publique du 12 Juin 2024, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame THEUIL-DIF et Madame BERGER, magistrats chargés du rapport, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré.

ARRET :

Prononcé publiquement le 25 Septembre 2024 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

M. [F] [V], âgé de 85 ans est titulaire d’un compte courant ouvert auprès de la banque CIC Lyonnaise de banque. Entre le 12 janvier 2022 et le 21 janvier 2022, il a procédé à plusieurs virements bancaires au profit de tiers pour un montant total de 54.408 euros. Ces virements ont été effectués au guichet de son agence bancaire.

Le 22 janvier 2022, M. [V] a déposé plainte pour des faits d’escroquerie, au motif que ces virements avaient été effectués à la suite d’un mail frauduleux.

Le 10 novembre 2022, M. [V] a fait assigner la société CIC Lyonnaise de banque devant le tribunal judiciaire du Puy-en-Velay, afin d’être indemnisé de son préjudice.

Par jugement du 5 septembre 2023, le tribunal judiciaire du Puy-en-Velay a :

– condamné la SA CIC Lyonnaise de banque à payer à M. [V] les sommes de :

– 24.375 euros au titre de son préjudice financier ;

– 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté M. [V] du surplus de ses demandes ;

– débouté la SA CIC Lyonnaise de banque de ses demandes ;

– condamné la SA CIC Lyonnaise de banque aux entiers dépens de l’instance ;

– autorisé la SELARL Gras Ogier Gicquere-Sobieraj à recouvrer, directement auprès de la partie condamnée, les dépens dont elle aurait fait l’avance sans en avoir reçu provision suffisante ;

– maintenu l’exécution provisoire de droit de la présente décision.

Le tribunal a considéré que :

– le principe de non-ingérence de la banque n’exclut pas le devoir de vigilance auquel celle-ci est tenue ;

– que la faute de la banque était établie dès lors que celle-ci n’avait pas alerté M. [V] quant au caractère inhabituel des virements ; que les quatre virements d’un montant conséquent avaient été réalisés sur trois jours consécutifs et constituaient donc une anomalie que la banque était tenue de relever ;

– le préjudice subi par M. [V] résultait de la perte de chance de ne pas avoir réalisé les quatre virements des 12 et 21 janvier 2022.

Par déclaration du 15 septembre 2023, enregistrée le même jour, la SA CIC Lyonnaise de banque a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions déposées et notifiées le 8 décembre 2023 et le 15 décembre 2023, la SAS CIC Lyonnaise de banque demande à la cour :

– d’infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire du Puy-en-Velay le 5 septembre 2023 en ce qu’il :

– l’a condamnée à payer à M. [V] les sommes de 24 375 euros au titre de son préjudice financier et de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– l’a déboutée de ses demandes ;

– l’a condamnée aux entiers dépens de l’instance ;

– a autorisé la SELARL Gras Ogier Gicquere-Sobieraj à recouvrer, directement auprès de la partie condamnée, les dépens dont elle aurait fait l’avance sans en avoir reçu provision suffisante.

Statuant à nouveau :

– de rejeter l’ensemble des demandes de M. [V], notamment en responsabilité, en paiement de dommages et intérêts, au titre de l’article 700 et des dépens ;

– de condamner M. [V] lui à payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– de condamner M. [V] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Au soutien de ses demandes, l’appelante fait valoir qu’elle n’avait pas à vérifier l’exactitude des identifiants uniques et que ce dernier pouvait effectuer des virements à des tiers. Elle considère également que la banque n’a pas à rechercher la régularité ou la potentielle dangerosité des opérations pour le client.

Elle rappelle qu’elle a un devoir de non-ingérence et qu’elle n’est pas tenue de surveiller les mouvements du compte de son client. Elle ajoute que les virements ont été effectués à des personnes dénommées de sorte que l’anomalie dénoncée ne pouvait être apparente.

M. [O] [V] est intervenu volontairement à la procédure en qualité de curateur de M. [F] [V].

Par conclusions déposées et notifiées le 24 janvier 2024, M. [V] assisté de son curateur demande à la cour :

– de confirmer le jugement en ce qu’il a retenu la responsabilité de la société CIC Lyonnaise de banque ;

– de réformer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société CIC Lyonnaise de banque à lui payer la somme de 24 375 euros ;

Statuant à nouveau :

– condamner la société CIC Lyonnaise de banque à lui payer les sommes de 54 000 euros en réparation du préjudice financier ; 5 000 euros en réparation du préjudice moral et 3000 euros au visa de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la même aux dépens en admettant la SELARL Ogier Gicquere au bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, il rappelle en premier lieu que le défaut de capacité peut être couvert en application de l’article 121 du code de procédure civile.

Il fait valoir qu’en dépit du principe de non-ingérence du banquier, la responsabilité de celui-ci subsiste s’il accepte d’enregistrer une opération dont l ‘illicéité ressort d’une anomalie apparente.

Il ajoute que l’IBAN saisi pour le virement du Trésor Public pouvait permettre d’identifier l’établissement bancaire destinataire. Il appartenait donc à la banque CIC Lyonnaise de banque de sensibiliser ses clients quant aux établissements bancaires « suspects ».

Enfin, il fait valoir que ses dépenses ont toujours été les mêmes depuis l’ouverture de son compte et que ces différents virements de sommes conséquentes n’ont pas alerté le conseiller bancaire alors que le premier virement anormal était de nature à alerter un banquier normalement vigilant.

Il sera renvoyé pour l’exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2024.

Motivation :

I-Sur la capacité de M. [F] [V] à ester en justice :

Aux termes de ses conclusions complétives, la SA CIC-Lyonnaise de Banque fait observer que M. [F] [V] a engagé seul une action en responsabilité par assignation du 10 novembre 2022 alors qu’il était placé sous curatelle simple depuis le 12 juillet 2022. Elle sollicite donc le rejet de sa demande pour défaut de capacité à agir.

Sur ce :

Aux termes de l’article 468 alinéa 3 du code civil, l’assistance du curateur est requise pour introduire une instance en justice ou y défendre.

Le défaut de capacité à agir constitue une irrégularité de fond au sens de l’article 117 du code de procédure civile.

Aux termes de l’article 119 du code de procédure civile, les exceptions de nullités fondées sur l’inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure peuvent être soulevées en tout état de cause.

Toutefois, et suivant les dispositions de l’article 121 du même code, dans les cas où elle est susceptible d’être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.

En l’espèce, la CIC Lyonnaise de Banque soulève pour la première fois l’incapacité de M. [V], sans en tirer les conclusions juridiques et de demande de nullité ou d »irrecevabilité dans le dispositif de ses conclusions dont seul la cour est saisie.

Par ailleurs, le curateur de M. [V] est intervenu volontairement à la procédure ; la nullité encourue est donc couverte.

Au regard de ces deux éléments il n’y a pas lieu de statuer sur ce point dont la cour n’a pas été valablement saisie.

II- Sur la responsabilité de la CA CIC-Lyonnaise de Banque :

En application des dispositions de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur d’une obligation contractuelle qui du fait de l’inexécution de son engagement, cause un préjudice au créancier, s’oblige à le réparer. Il revient au créancier qui réclame l’exécution de rapporter la preuve du manquement contractuel et du dommage en résultant.

Le banquier a l’obligation d’exécuter un virement que son client lui ordonne, pourvu que l’ordre soit régulier et que le compte contienne une somme disponible suffisante. Toutefois, le principe de non-ingérence trouve une limite dans le devoir de vigilance incombant au banquier, encore appelé obligation générale de prudence. Le banquier teneur de compte, parce qu’il est tenu de ne pas s’immiscer dans les affaires de son client, n’a pas, en principe, à effectuer de recherches ou à réclamer de justifications pour s’assurer que les opérations qui lui sont demandées par son client sont régulières, non dangereuses pour lui et qu’elles ne sont pas susceptibles de nuire à un tiers, sauf son obligation spéciale de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Si le devoir de non-immixtion trouve sa limite dans le devoir de surveillance du banquier, celui-ci est limité à la détection des seules anomalies apparentes, qu’elles soient matérielles, lorsqu’elles affectent les mentions figurant sur les documents ou effets communiqués au banquier, ou intellectuelles, lorsqu’elles portent sur la nature des opérations effectuées par le client et le fonctionnement du compte. Sauf indices évidents, propres à faire douter de la régularité des opérations effectuées par son client, la banque n’a pas à procéder à des investigations sur l’origine et l’importance des fonds qu’il verse sur son compte.

En l’espèce, il est fait grief à la banque d’avoir ignoré le fait que M. [V] s’est présenté à 3 reprises en 7 jours pour effectuer des virements importants, auprès du même préposé, sans investigations complémentaires sur des IBAN qui auraient dû l’alerter sur l’existence d’une anomalie apparente, tel un virement au Trésor Public effectué au bénéfice d’une carte prépayée, un virement sur un compte ouvert auprès d’une banque en ligne , ou encore des virements dont les montants cumulés ont eu pour conséquence de vider intégralement les comptes de M. [V].

Il résulte des pièces communiquées que M. [V] a reçu le 14 janvier 2022 un mail signé du directeur général de la gendarmerie nationale le mettant en cause au titre d’infractions à la législation protégeant les mineurs et lui offrant le choix entre une procédure judiciaire (dénonciation auprès du procureur de la République de Versailles) ou un « règlement amiable » moyennant le versement d’une « amende pénale fixe ».

M. [V] a répondu à ce message en indiquant « je choisi la seconde solution, malgré que je n’ai pas regardé de sites sur les enfant, veuillez me faire parvenir les modalités de paiement. »

Il a reçu en retour un mail lui communiquant les coordonnées bancaires nécessaires au paiement, dont le caractère frauduleux était manifeste en ce qu’il désignait un « trésorier » en la personne de Mme [D] [C].

M. [V], qui ne bénéficiait d’aucune mesure de protection, s’est rendu au guichet pour effectuer les opérations suivantes :

-le 14.01.22 : virement de 5 658 euros au Trésor Public

-le 18 janvier 2022 : virement de 9 375 euros à [P] [A]

-le 18 janvier 2022 : virement de 9 375 euros à [G] [W]

-le 21 janvier 2022 : virement de 15 000 euros à [U] [Y]

-le 21 janvier 2022 : virement de 15 000 euros à [Z] [X]

Les quatre derniers virements ont été effectués auprès de personnes dénommées et ont été effectués au guichet de la banque.

En application des dispositions de l’article L133-6 du code monétaire et financier, une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution.

Tel est le cas dans le présent litige.

Il n’entrait pas dans les devoirs du préposé de la banque d’interroger M. [V] pour savoir qui étaient ces personnes et pour le questionner sur le bienfondé des opérations qu’il entendait effectuer.

Le compte disposait d’un solde autorisant les virements sollicités et l’ordre donné au guichet était régulier.

En outre ces virements ont tous été effectués auprès de banques françaises et le fait que l’une de ces banques soit une banque en ligne n’était pas de nature à faire suspecter a priori une fraude.

Il n’existe ainsi pas d’anomalie apparente permettant de considérer que la banque a failli à son devoir de vigilance. Le dommage causé à M. [V] procède de la fraude dont il a été victime et de l’imprudence dont il a fait preuve en considérant comme légitimes des réclamations exponentielles de paiement à des particuliers pour des infractions qu’il a toujours eu conscience de ne pas avoir commises.

Il s’ensuit que le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.

III-Sur les autres demandes :

M. [V] succombant en ses demandes sera condamné aux dépens.

L’équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais de défense.

Par ces motifs :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement critiqué en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau ;

Déboute M. [F] [V] assisté de son curateur, M. [O] [V] de toute ses demandes ;

Y ajoutant,

Déboute la SA CIC Banque Populaire de la demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [F] [V] aux dépens de première instance et d’appel .

Le greffier, La présidente,


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x