Évaluation des conditions d’expertise en matière de désordres de construction et de garantie décennale

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Évaluation des conditions d’expertise en matière de désordres de construction et de garantie décennale

Monsieur [M] [H] a obtenu un permis de construire le 20 mai 2010 pour une maison à [Localité 4]. Il a confié le lot terrassement et gros-oeuvre à la SARL Cobat pour 42 450,48 euros TTC et le lot charpente et couverture à la SARL Monteiro Charpente pour 44 094,38 euros TTC. M. [H] a emménagé en septembre 2011 sans procès-verbal de réception des travaux. Un protocole d’accord du 8 juillet 2011 a été signé pour la reprise de désordres par la SARL Monteiro Charpente, en échange du paiement du solde. En avril 2013, M. [H] a déclaré un sinistre pour des infiltrations en toiture, suivi d’une expertise en octobre 2015. Un affaissement du dallage a conduit à une nouvelle expertise en mars 2016. Le 20 juillet 2016, le juge des référés a ordonné une expertise judiciaire, dont le rapport a été déposé en novembre 2017. M. [H] a ensuite mandaté la SAS Bureau Alpes Contrôles pour vérifier la conformité parasismique, avec un rapport en juillet 2022. En juin 2023, M. [H] a assigné la SARL Cobat et l’assureur de la SARL Monteiro Charpente pour une nouvelle expertise, mais le juge a débouté sa demande le 20 septembre 2023, considérant que son action était vouée à l’échec en raison de l’expiration du délai de garantie décennale. M. [H] a fait appel le 18 octobre 2023, et l’affaire a été fixée pour plaidoirie le 19 juin 2024. La SA Abeille IARD et Santé a demandé la confirmation de l’ordonnance et a soutenu que les demandes de M. [H] étaient irrecevables. La cour a confirmé l’ordonnance et condamné M. [H] aux dépens d’appel.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

25 septembre 2024
Cour d’appel de Pau
RG
23/02788
CF/SH

Numéro 24/02887

COUR D’APPEL DE PAU

1ère Chambre

ARRÊT DU 25/09/2024

Dossier : N° RG 23/02788 – N° Portalis DBVV-V-B7H-IVI4

Nature affaire :

Autres demandes relatives à un contrat de réalisation de travaux de construction

Affaire :

[M] [H]

C/

SARL MONTEIRO CHARPENTE

SARL COBAT

S.A. ABEILLE IARD & SANTE

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 25 Septembre 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 19 Juin 2024, devant :

Madame FAURE, magistrate chargée du rapport,

assistée de Madame HAUGUEL, greffière présente à l’appel des causes,

Madame FAURE, en application des articles 805 et 907 du code de procédure civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame FAURE, Présidente

Madame de FRAMOND, Conseillère

Madame BLANCHARD, Conseillère

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l’affaire opposant :

APPELANT :

Monsieur [M] [H]

né le 09 Avril 1974 à [Localité 9]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté et assisté de Maître LHOMY de la SELARL KARINE LHOMY, avocat au barreau de PAU

INTIMÉES :

S.A. ABEILLE IARD & SANTE ès-qualités d’assureur de la SARL MONTEIRO CHARPENTE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentée et assistée de Maître MOUTON de la SELARL GARMENDIA MOUTON CHASSERIAUD, avocat au barreau de BAYONNE

SARL MONTEIRO CHARPENTE

[Adresse 7]

[Localité 5]

Assignée

SARL COBAT

[Adresse 3]

[Localité 6]

Assignée

sur appel de la décision

en date du 20 SEPTEMBRE 2023

rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PAU

RG numéro : 23/00191

EXPOSE DU LITIGE

Suivant permis de construire du 20 mai 2010, Monsieur [M] [H] a entrepris la construction d’une maison d’habitation située à [Localité 4] (64).

La SARL Cobat s’est vu confier le lot terrassement, fondations, gros-oeuvre, pour un montant de 42 450,48 euros TTC.

Suivant devis du 12 octobre 2010, la SARL Monteiro Charpente s’est vu confier le lot charpente et couverture, pour un montant total de 44 094,38 euros TTC.

M. [H] a emménagé dans sa maison courant septembre 2011 et aucun procès-verbal de réception des travaux n’a été établi.

Suivant protocole d’accord du 8 juillet 2011, la SARL Monteiro Charpente s’est engagée à reprendre plusieurs désordres affectant l’ouvrage, moyennant le paiement du solde du marché par M. [H].

Du fait de la survenance d’infiltrations en toiture, M. [H] a déclaré un sinistre à son assurance le 2 avril 2013, et une expertise amiable a été diligentée, ayant abouti au dépôt d’un rapport d’expertise le 19 octobre 2015.

Suite à un affaissement du dallage, une nouvelle réunion d’expertise s’est tenue avec la SARL Cobat le 24 mars 2016.

Par ordonnance du 20 juillet 2016, le juge des référés du tribunal judiciaire de Pau a fait droit à la demande de M. [H] à l’égard de la SARL Monteiro Charpente, la SARL Cobat et la société Aviva Assurances en qualité d’assureur de la SARL Cobat et ordonné l’organisation d’une mesure d’expertise judiciaire, confiée à M. [Y].

L’expert a déposé son rapport le 29 novembre 2017.

En lecture de ce rapport, M. [H] a mandaté la SAS Bureau Alpes Contrôles aux fins de déterminer la conformité parasismique de la construction, laquelle a établi un rapport le 27 juillet 2022.

Par actes de commissaire de justice des 12 et 13 juin 2023, M. [H] a fait assigner la SARL Cobat et la SA Abeille IARD et Santé, assureur de la SARL Monteiro Charpente, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Pau aux fins que soit ordonnée l’organisation d’une nouvelle mesure d’expertise judiciaire, estimant que la première expertise judiciaire avait occulté la problématique du respect des risques parasismiques.

Par ordonnance contradictoire du 20 septembre 2023 (RG n°23/00191), le juge des référés a :

– débouté M. [H] de ses demandes,

– condamné M. [H] aux dépens.

Le juge a retenu, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, que le motif légitime de voir ordonner une mesure d’expertise n’est pas caractérisé dès lors que l’action au fond de M. [H] est vouée à l’échec, son assignation des 12 et 13 juin 2023 intervenant après l’expiration du délai de garantie décennale, qui est intervenue en septembre 2021 concernant le nouveau désordre dénoncé, tenant au non respect des règles parasismiques.

Par déclaration du 18 octobre 2023 (RG n°23/02788), M. [H] a relevé appel, critiquant l’ordonnance en toutes ses dispositions.

Suivant avis de fixation adressé par le greffe de la cour, l’affaire a été fixée selon les modalités prévues aux articles 905 et suivants du code de procédure civile.

Par ordonnance du 22 novembre 2023, la présidente de la première chambre civile a déclaré caduque la déclaration d’appel de M. [H] à l’encontre de la SARL Cobat et de la SARL Monteiro Charpente, l’instance se poursuivant à l’égard des autres parties.

Aux termes de ses dernières conclusions du 7 novembre 2023, M. [M] [H], appelant, entend voir la cour :

– réformer l’ordonnance en toutes ses dispositions,

– ordonner une expertise avec pour mission de :

– se rendre sur les lieux et les décrire,

– prendre connaissance des documents contractuels,

– décrire les désordres dénoncés, avec études de sol par forage géotechnique normatif, vérification des règles parasismiques et constructives avec normes applicables, vérification liaison maçonnerie et charpente,

– en déterminer la cause et l’origine,

– décrire les travaux de reprise nécessaires et en déterminer le coût et la durée,

– donner tous éléments permettant d’apprécier les responsabilités encourues et le préjudice subi par M. [H],

– réserver les dépens.

Au soutien de ses prétentions, il fait valoir, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, que les désordres relevés par l’expert judiciaire sont évolutifs, avec une nouvelle manifestation en termes de normes parasismiques, apparue du fait de l’aggravation des infiltrations dans le garage et de l’affaissement du dallage, qui ont entraîné l’apparition de fissures en maçonnerie.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 novembre 2023, la SA Abeille IARD et Santé, assureur de la SARL Monteiro Charpente, intimée, demande à la cour de :

– constater que le délai de forclusion de dix ans pour agir sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs, ou le délai de dix ans pour agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun est expiré et que toute action à l’encontre des défendeurs est vouée à l’échec,

– juger que M. [H] ne dispose pas d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile pour solliciter une expertise judiciaire,

– confirmer l’ordonnance et débouter M. [H] de l’intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire,

– lui donner acte de ses plus expresses réserves et protestations d’usage, sans reconnaissance aucune de responsabilité ou de garantie,

– laisser les frais d’expertise à la charge du demandeur.

Au soutien de ses demandes, elle fait valoir, au visa de l’article 145 du code de procédure civile :

– qu’il n’existe aucun motif légitime de voir ordonner une expertise judiciaire en ce que les demandes à son encontre sont manifestement irrecevables, étant présentées tardivement, dès lors que M. [H] a réceptionné tacitement les travaux en septembre 2011, de sorte que tant l’action en garantie décennale des constructeurs que l’action en responsabilité contractuelle de droit commun se sont prescrites en septembre 2021, sauf pour les désordres initialement dénoncés par M. [H], soit les infiltrations en toiture et l’affaissement du dallage,

– que le nouveau désordre de non respect des normes parasismiques dénoncé par M. [H] après l’expiration du délai décennal est sans lien avec les désordres précédemment dénoncés et ne constitue pas une aggravation de ces désordres.

L’affaire a été retenue à l’audience du 19 juin 2024 pour y être plaidée.

MOTIFS

L’article 145 du code de procédure civile dispose que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

En matière de construction, la demande d’une expertise doit s’apprécier notamment par rapport à la date de réception des travaux et de l’expiration du délai d’épreuve en découlant de dix ans en vertu de l’article 1792-4-1 du code civil.

Pour expliquer sa demande au delà de l’expiration du délai d’épreuve à la date de septembre 2021, M. [H] fait état d’un désordre évolutif.

Il produit à cet effet une note privée établie à sa demande par la société Bureau Alpes Contrôle pour laquelle il n’est apporté aucune garantie de sérieux et de fiabilité quant à son analyse.

Par ailleurs, la mission requise était la réalisation d’une vérification technique documentaire portant sur la conformité aux règles parasismiques de la liaison entre une maison d’habitation et un garage attenant. Il est constant que son avis n’a été formulé que sur la base de documents qui sont le dossier permis de construire, le dossier plan et le dossier photos. Il n’est donc pas établi que cette société se soit déplacée sur le lieu de la maison de M. [H], objet du litige.

Sa seule conclusion de déclarer que le bâtiment ne respecte pas les conditions d’applications des règles PS MI 89 92 et aurait dû être conçu conformément aux règles PS 92, c’est-à-dire avec des plans d’exécution et notes de calcul spécifique établies par un bureau d’études béton ne peut caractériser un désordre évolutif. En effet, ce constat ne remplit pas les trois conditions à savoir :

les désordres initiaux doivent avoir été dénoncés dans le délai de la garantie ;

les désordres initiaux doivent revêtir la gravité de l’article 1792 du Code Civil avant l’expiration du délai de 10 ans ;

les nouveaux désordres doivent être l’aggravation, la suite ou la conséquence des désordres initiaux et non pas des désordres nouveaux sans lien de causalité avec les précédents.

En effet, il n’est rapporté aucun lien de causalité entre le défaut des règles parasismiques et les désordres relevés dans la première expertise judiciaire affectant le dallage de la maison et les infiltrations en provenance du toit, et en outre, il n’est rapporté aucun élément sur l’aggravation des désordres puisque la note de la société Alpes Contrôle n’a fait aucune constatation sur les lieux. Enfin, ce défaut des règles s’il est avéré existait dès le début de la construction de la maison.

En conséquence, en l’absence de désordre évolutif manifestement caractérisé et compte tenu de l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale, toute action serait vouée à l’échec, privant ainsi M. [H] d’un motif légitime à voir ordonner une nouvelle expertise.

En conséquence, l’ordonnance sera confirmée dans toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

Confirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

y ajoutant :

Condamne M. [M] [H] aux dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme HAUGUEL, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

Sylvie HAUGUEL Caroline FAURE


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