Responsabilité contractuelle et application de la retenue de garantie dans les marchés de travaux

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Responsabilité contractuelle et application de la retenue de garantie dans les marchés de travaux

La société Commercimmo a confié à la société Jean-Pierre [C] la maîtrise d’œuvre pour des travaux de construction et de réhabilitation à [Adresse 4]. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 31 décembre 2013. La société Commercimmo a constaté que la société Apsotech, chargée des travaux, n’avait pas levé toutes les réserves et avait été mise en liquidation judiciaire. Une autre entreprise a levé les réserves aux frais de Commercimmo, qui a alors réclamé un trop-perçu de 74 141 euros HT et l’absence de retenue de garantie. Commercimmo a accusé la société [C] de manquement dans sa mission de vérification des comptes. Un expert a été désigné pour évaluer la situation. Le tribunal de commerce de Paris a condamné solidairement la société [C] et la MAF à verser 72 183,85 euros à Commercimmo, mais cette décision a été infirmée par la cour d’appel de Paris, qui a débouté Commercimmo de ses demandes. La Cour de cassation a ensuite annulé partiellement cet arrêt, renvoyant l’affaire devant la cour d’appel. La société [C] et la MAF ont demandé l’infirmation du jugement initial, tandis que Commercimmo a maintenu ses demandes. La cour a finalement confirmé la condamnation de la société [C] et de la MAF à payer 40 613,77 euros à Commercimmo au titre de la retenue de garantie, tout en statuant sur les dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

25 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
22/00397
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 5

ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2024

(n° /2024, 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/00397 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CE5V2

Décision déférée à la Cour : jugement du 21 septembre 2018 – tribunal de commerce de PARIS – RG n° 2017008876

Arrêt du 3 juillet 2020 – cour d’appel de Paris – RG 18/23309

Arrêt du 20 octobre 2021 – Cour de cassation – Arrêt n° 739 F-D

APPELANTES

S.A.R.L. JEAN PIERRE [C] ARCHITECTE DPLG, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Anne-Marie MAUPAS OUDINOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0653

MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS société d’assurance mutuelle à cotisations variables, agissant en la personne de son directeur général domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Anne-Marie MAUPAS OUDINOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0653

INTIMEE

S.A.R.L. COMMERCIMMO prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Antoine ATTIAS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2306

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sylvie DELACOURT, présidente de chambre, et Mme Viviane SZLAMOVICZ, conseillère chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sylvie DELACOURT, présidente de chambre

Mme Viviane SZLAMOVICZ, conseillère

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère

Greffière, lors des débats : Mme Céline RICHARD

ARRET :

– contradictoire.

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Sylvie DELACOURT, présidente de chambre et par Manon CARON, greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société Commercimmo a confié à la société Jean-Pierre [C] (la société [C]), assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF) la maîtrise d »uvre de travaux de construction d’un ensemble immobilier à usage d’habitation et de commerces ainsi que la réhabilitation de bâtiments sur cour sis [Adresse 4] à [Localité 8].

Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 31 décembre 2013.

Soutenant que la société Apsotech, chargée de travaux de construction, en dépit des mises en demeures qui lui avaient été adressées, n’avait pu lever toutes les réserves, puis avait été mise en liquidation judiciaire, de sorte que les réserves avaient été levées par une tierce entreprise (Totale Renovation) aux frais du maître d’ouvrage, après vérification de la comptabilité du chantier, la société Commercimmo a prétendu à l’existence un trop versé de 74 141 euros HT en sa faveur et à l’absence de retenue de garantie.

La société Commercimmo a reproché à la société [C], chargée de la vérification des comptes, d’avoir failli dans l’accomplissement de ce chef de mission.

Sur sa demande, par ordonnance de référé du 28 janvier 2015, le président du tribunal de grande instance de Paris a désigné M. [R] avec la mission de :

– Donner son avis sur la mission de suivi financier du maître d »uvre.

– Indiquer s’il résulte de la comptabilité du marché et des situations proposées en paiement au maître d’ouvrage, l’existence d’un trop versé à l’entreprise principale, Apsotech.

– Indiquer et chiffrer, le cas échéant, les répercussions subies par le maître d’ouvrage de l’absence de mise en place de retenue de garantie et de caution bancaire auprès de l’entreprise principale.

– Fournir, plus généralement, tous éléments permettant à la juridiction ultérieurement saisie de statuer

L’expert a déposé son rapport le 26 novembre 2015.

La société Commercimmo a assigné en indemnisation la société [C] et la MAF.

Par jugement du 21 septembre 2018, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :

Condamne solidairement la société [C] et la MAF à payer à la société Commercimmo 72 183,85 euros TTC ;

Déboute la société Jean-Pierre [C] de sa demande reconventionnelle ;

Condamne solidairement la société [C] et la MAF à payer à la société Commercimmo 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’instance en ce compris les frais d’expertise ;

Ordonne l’exécution provisoire.

La société [C] et la MAF ont interjeté appel de la décision le 30 octobre 2018.

Par arrêt du 3 juillet 2020 (RG 18/23309), la cour d’appel de Paris a statué en ces termes :

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau ;

Déboute la société Commercimmo de l’ensemble de ses demandes en paiement,

Condamne la société Commercimmo à verser à 13 422 euros outre la TVA en vigueur au jour du jugement assortis des intérêts au taux légal à la société Jean-Pierre [C] ;

Condamne la société Commercimmo à verser à la société Jean-Pierre [C] et la MAF prises ensemble la somme de 3000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Commercimmo aux dépens de première instance et d’appel.

La société Commercimmo s’est pourvue en cassation.

Par arrêt du 20 octobre 2021, la Cour de cassation a statué en ces termes :

Casse et annule, mais seulement en ce qu’il rejette la demande en paiement formée au titre de la retenue de garantie, l’arrêt rendu le 3 juillet 2020, entre les parties, par la cour d’appel de la cour d’appel de Paris ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Jean-Pierre [C] architecte DPLG et la MAF aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.

Par déclaration de saisine en date du 16 décembre 2021, la société [C] et la MAF ont saisi la cour d’appel de Paris, intimant la société Commercimmo.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 14 février 2022, la société Jean Pierre [C] architecte DPLG et la MAF demandent à la cour de :

Dire la société Jean-Pierre [C] et la MAF recevables et fondées en leurs demandes

Infirmer le jugement rendu le 21 septembre 2018 en ce qu’il a condamné la société [C] et la MAF à régler à la société Commercimmo la somme en principal de 33 958 euros HT (40 613,77euros TTC) au titre du coût de la levée des réserves

Statuant à nouveau,

Débouter la société Commercimmo de sa demande tendant à voir condamner la société Jean-Pierre [C] et la MAF à la somme de 33 958 euros HT (40 613,77 euros TTC) au titre du coût de la levée des réserves,

Condamner la société Commercimmo à régler à la société [C] et la MAF, chacun, la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance, d’appel, de cassation et de renvoi avec le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.

Selon l’article 1037-1 alinéa 5 du code de procédure civile, les parties qui ne respectent pas ces délais sont réputées s’en tenir aux moyens et prétentions qu’elles avaient soumis à la cour d’appel dont l’arrêt a été cassé.

La société Commercimmo, régulièrement constituée, n’a pas conclu mais dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 13 mai 2019, la société Commercimmo demandait à la cour dont l’arrêt a été cassé de :

Confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le maître d »uvre n’ayant pas effectué les retenues de garanties, les appelantes sont redevables du coût des levées de réserves à hauteur de 40 613,77 euros ;

Condamner solidairement la société [C] et la MAF à payer à la société Commercimmo la somme de 12 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Condamner solidairement la société [C] et la MAF à payer la société Commercimmo les entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 28 mai 2024 et l’affaire a été appelée à l’audience du 25 juin 2024, à l’issue de laquelle elle a été mise en délibéré.

MOTIVATION

Moyens des parties

La société [C] et la MAF exposent que la cour d’appel n’est saisie suite à la cassation de l’arrêt uniquement de la demande de la société Commercimmo au titre de la retenue de garantie, soit du paiement de la somme de 33 858 euros HT correspondant au coût de la levée des réserves.

Elles font valoir que la retenue de garantie est une simple faculté et non une obligation légale et que la société Commercimmo a accepté de ne pas l’appliquer ainsi qu’il résulte des 30 situations de travaux sur lesquels elle ne figure pas.

Elles soulignent qu’il peut être dérogé à l’article 1 de la loi n°71-584 du 16 juillet 1971 qui prévoit que les paiements des acomptes peuvent être amputés de 5% correspondant à la retenue de garantie et qu’en l’espèce c’est en accord avec la société Commercimo que la retenue de garantie n’a pas été appliquée.

La société Commercimmo soutient que le maître d’ouvrage a clairement manifesté sa volonté dans le cadre de la passation des marchés de travaux conclus avec la société Apsotech de bénéficier de la retenue de garantie fixée aux articles 3 des marchés de travaux des divers lots et que le maître d »uvre ne peut se prévaloir d’une renonciation tacite du maître d’ouvrage au bénéfice de ces clauses.

Elle précise que le maître d’ouvrage avait confié une mission technique et financière complète à l’architecte afin qu’il puisse éviter les dérapages financiers, maîtriser les délais d’exécution et bien évidemment appliquer la retenue de garantie stipulée à l’article 3 des marchés de travaux et qu’en vertu des dispositions de l’article 3.3.6 de son contrat, il se devait de procéder à la vérification des situations selon bordereau, et les conditions de cette vérification et des paiements selon les stipulations de l’article 3 des marchés.

Elle ajoute que le maître d’ouvrage ne pouvait contrairement à ce que dit le maître d »uvre réaliser que la retenue de garantie n’était pas appliquée, en l’absence de lisibilité des états de situation et tableaux excel réalisés par le maître d’oeuvre comme l’a retenu l’expert.

Réponse de la cour

Selon l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Selon l’article 1147 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution.

La retenue de garantie, prévue par l’article 1er de la loi n°71-584 du 16 juillet 1971 est destinée aux travaux de réparation des réserves faites à la réception par le maître de l’ouvrage. Selon la loi, elle ne peut être supérieure à 5 % du montant des situations de travaux vérifiées par le maître d »uvre à mesure de leur présentation et de leur paiement.

La retenue de garantie est facultative car selon la loi  » les paiements des acomptes (…) peuvent être amputés d’une retenue (…) « , mais, dès lors qu’elle est mise en ‘uvre, les parties ne peuvent pas déroger aux dispositions légales (article 3 de la loi).

Au cas d’espèce, les marchés de travaux conclus entre la société Comercimmo et la société Apsotech mentionnent cette retenue de garantie de 5%.

Les premiers juges ont donc justement retenu que la mission de la société [C] qui comprenait l’établissement des comptes du chantier et la validation des situations de travaux présentés au maître d’ouvrage pour paiement obligeait l’architecte à présenter au maître de l’ouvrage des factures dont était déduite la retenue de garantie de 5 %.

C’est à juste titre qu’ils ont observé que la société [C] n’apportait pas la preuve de l’accord verbal allégué par la société Commercimmo qui constituerait un accord des parties modifiant les stipulations contractuelles initiales.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu’il a constaté que la société [C] avait commis une faute causant un préjudice à la société Commercimmo équivalent au coût des levées de réserve, fixé par l’expert à 40 613,77 euros.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a condamné la société [C] et la MAF, qui ne conteste pas sa garantie, à payer à la société Commercimmo la somme de 40 613,77 euros au titre des levées de réserve.

Sur les frais du procès

Le sens de l’arrêt conduit à confirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En cause d’appel, chacune des parties succombant partiellement en ses demandes, elles conserveront chacune la charge de leurs propres dépens et frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en ce qu’il :

Condamne solidairement la société [C] et la mutuelle des architectes français à payer à la société Commercimmo la somme de 40 613,77 euros au titre de la retenue de garantie ;

Condamne in solidum la société [C] et la mutuelle des architectes français aux dépens et à payer à la société Commercimmo la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Y ajoutant,

Dit que chacune des parties conservera à sa charge des propres dépens d’appel ;

Rejette les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La présidente,


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