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Une preuve obtenue de façon illicite peut, par exception être recevable lorsqu’elle est indispensable et porte une atteinte strictement proportionnée au but poursuivi.
Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve, tel que l’enregistrement ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. En l’espèce, la pièce en cause porte sur la transcription écrite de l’enregistrement audio d’une conversation entre le salarié et deux supérieurs hiérarchiques dans la surface de vente d’un hypermarché. Le salarié a enregistré à l’insu de ces deux personnes cette conversation, ce qui constitue un procédé déloyal. Cependant, cet enregistrement est produit pour établir l’existence du harcèlement moral invoqué par le salarié. Contrairement à ce que soutient l’employeur, le salarié n’a pas fait échec à ses investigations sur les faits de harcèlement qu’il a dénoncés par écrit mais a refusé de signer une convocation remise contre émargement à un entretien, ne lisant pas le français. L’employeur n’a pas reconvoqué le salarié, comme celui-ci le demandait, par lettre adressée à son domicile. Cette pièce constitue donc un élément de preuve indispensable portant une atteinte strictement proportionnée au but poursuivi. |
Résumé de l’affaire : M. [F] [W] a été employé par la société Montedis, exploitant un hypermarché E. Leclerc, depuis le 31 août 2016. Il a reçu un avertissement le 7 avril 2017 et une mise à pied disciplinaire le 16 octobre 2017. Contestant ces sanctions, il a saisi le conseil de prud’hommes le 27 octobre 2017. Le 23 novembre 2017, Montedis a licencié M. [W] pour faute grave. En avril 2018, M. [W] a demandé la requalification de son licenciement en licenciement abusif et a signalé un harcèlement moral. Le conseil de prud’hommes a jugé le licenciement justifié et a débouté M. [W] de ses demandes le 27 mai 2021. M. [W] a interjeté appel, et le jugement a été confirmé le 22 juin 2021.
Dans ses conclusions de mars 2024, M. [W] a demandé l’infirmation des jugements précédents, la reconnaissance de l’absence de faute grave, la constatation de harcèlement moral, et des indemnités financières. Montedis a contesté ces demandes, demandant la confirmation des jugements et le déboutement de M. [W]. La cour a ordonné la jonction des deux instances, a déclaré recevables certaines pièces et a confirmé partiellement les jugements antérieurs. Elle a annulé la mise à pied disciplinaire, condamné Montedis à verser des rappels de salaire et des dommages et intérêts pour harcèlement moral, et a ordonné la remise de bulletins de salaire conformes. Montedis a été condamnée aux dépens, et sa demande de frais irrépétibles a été rejetée. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 7
ARRÊT DU 12 SEPTEMBRE 2024
(n° , 17 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/05725 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD5WI
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 mai 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MEAUX – RG n° F 18/00311
APPELANT
Monsieur [F] [W]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Catherine LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
S.A.S. MONTEDIS
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 mai 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie SALORD, présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre
Madame Marie SALORD, présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Alisson POISSON
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Marie SALORD, présidente de chambre et par Madame Gisèle MBOLLO, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [F] [W] a été embauché par la société Montedis, qui exploite un hypermarché sous l’enseigne E. Leclerc et emploie plus de 10 salariés, suivant contrat de travail à durée indéterminée du 31 août 2016, en qualité d’employé commercial. La convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire s’appliquait à la relation de travail.
Le 7 avril 2017, M. [W] a fait l’objet d’un avertissement et le 16 octobre 2017 d’une mise à pied disciplinaire.
M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Meaux le 27 octobre pour voir annuler ces sanctions disciplinaires.
Le 3 novembre 2017, M. [W] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 15 novembre 2017. Cette convocation était assortie d’une mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 23 novembre 2017, la société Montedis a notifié à M. [W] son licenciement pour faute grave.
Sollicitant la requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement abusif et la reconnaissance du harcèlement moral dont il estime avoir été victime, M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Meaux le 9 avril 2018.
Par jugement du 27 mai 2021, le conseil de prud’hommes, dans sa formation paritaire, a :
– dit que le licenciement pour faute grave est justifié,
– débouté M. [W] de l’intégralité de ses demandes,
– débouté la société Montedis de sa demande reconventionnelle,
– mis les dépens à la charge de M. [W].
Par déclaration notifiée par le RPVA le 27 juin 2021, M. [W] a interjeté appel de cette décision.
Par jugement du 22 juin 2021, le conseil de prud’hommes, dans sa formation paritaire, a confirmé la mise à pied du 16 octobre 2017 et l’avertissement du 7 avril 2017, débouté le salarié de toutes ses demandes, débouté la société Montedis de sa demande au titre des frais irrépétibles et condamné le salarié aux dépens.
M. [W] a interjeté appel de ce jugement par déclaration notifiée par le RPVA le 20 juillet 2021.
I- Les demandes relatives à l’instance enregistrée au répertoire général sous le numéro 21/05725
Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 26 mars 2024, M. [W] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’in limine litis il avait déclaré irrecevables les conclusions transmises le 23 mai 2019 et statuer à nouveau en les déclarant recevables,
– subsidiairement de juger, si par extraordinaire la cour ne déclarait pas recevables les conclusions du 23 mai 2019 précitées, que la demande de M. [W], relative à la nullité de son licenciement sur le fondement de l’article 565 du CPC est recevable,
– infirmer le jugement précité en ce qu’in limine litis il avait déclaré irrecevables les demandes de M. [W] relatives au harcèlement moral et statuer à nouveau tant en les déclarant recevables qu’en jugeant le fond,
– infirmer le jugement précité en ce qu’in limine litis il avait rejeté l’enregistrement audio du salarié et statuer à nouveau en l’acceptant ainsi que les conclusions y faisant référence,
– constater :
l’absence de faute grave,
la réalité du harcèlement moral,
la rupture brutale et vexatoire,
– à titre principal, la rupture abusive entraînant la requalification du licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– à titre subsidiaire, la rupture abusive entraînant la nullité du licenciement,
– infirmer le jugement qui juge le licenciement pour faute grave justifié et statuer à nouveau en le déclarant :
à titre principal : sans cause réelle et sérieuse,
à titre subsidiaire : nul,
en conséquence ,
– infirmer le jugement qui l’a débouté de l’intégralité de ses demandes financières et de remise de documents et statuer à nouveau en condamnant la SAS Montedis à lui verser les sommes suivantes :
à titre principal (licenciement sans cause réelle et sérieuse) :
12.733,12 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
9.549,84 euros à titre de DI pour licenciement vexatoire et brutal,
10.000 à titre de DI pour harcèlement moral,
1.592 euros au titre du préavis de 1 mois,
159 euros au titre des congés payés sur préavis,
636,65 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,
3.500 euros au titre de l’article 700 du CPC,
les entiers dépens,
à titre subsidiaire (licenciement nul) :
12.733,12 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
9.549,84 euros à titre de DI pour licenciement vexatoire et brutal,
10.000 à titre de DI pour harcèlement moral,
1.592 euros au titre du préavis de 1 mois,
159 euros au titre des congés payés sur préavis,
3.500 euros au titre de l’article 700 du CPC,
les entiers dépens,
– condamner, tant à titre principal que subsidiaire, la société Montedis à lui remettre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard au terme d’une période de 15 jours à compter de la date de notification de l’arrêt à venir, les documents suivants : attestation pôle emploi, certificat de travail, certificat pour la caisse de congés payés, tous les bulletins de salaires rectifiés,
– intérêts au taux légal.
Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 25 mars 2024, la société Montedis demande à la cour de :
– déclarer recevable mais mal fondé l’appel formulé par M. [W],
– déclarer irrecevables les demandes de M. [W] relatives au harcèlement moral,
– déclarer la pièce n°5 (anciennement numérotée 33) irrecevable,
– déclarer irrecevables les conclusions faisant état de la pièce n°5 (anciennement numérotée 33)
– constater l’absence de manquement de la société Montedis,
– en conséquence confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [W] de l’intégralité de ses prétentions,
subsidiairement et dans l’hypothèse où la cour ne retiendrait pas même une cause réelle et sérieuse de licenciement,
– débouter M. [W] de sa demande de nullité du licenciement,
– ramener à de plus juste proportion la demande de dommages et intérêts dans les limites de l’article L.1235-3 du code du travail, soit deux mois de salaire,
en tout état de cause,
– débouter M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,
– débouter M. [W] de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [W] à lui payer la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,
– juger que ceux d’appel seront recouvrés par Me Hinoux, SELARL Lexavoue Paris Versailles conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
II- Les demandes relatives à l’instance enregistrée au répertoire général sous le numéro 21/6658
Dans ses dernières conclusions transmises le 26 mars 2024, M. [W] demande à la cour de :
– prononcer la jonction des procédures 21/05725 et 21/06658,
– déclarer la pièce 4 et les conclusions y faisant référence recevables,
– infirmer le jugement précité en ce qu’il a :
confirmé la mise à pied du 16 octobre 2017 et l’avertissement du 7 avril 2017,
débouté le salarié de toutes ses autres demandes,
condamné le salarié aux dépens comprenant les honoraires et les frais éventuels d’exécution par voie d’huissier,
Et de statuer à nouveau en :
– annulant l’avertissement du 7 avril 2017,
– annulant la mise à pied disciplinaire du 16 octobre 2017,
– condamnant la société Montedis à lui verser les sommes suivantes :
* 239,31 euros au titre du salaire de septembre 2017 non réglé,
* 146,40 euros au titre de la mise à pied du 17 octobre 2017 injustifiée,
* 1.500 euros au titre de l’article 700 du CPC,
* relatives à l’application de l’intérêt légal,
– condamnant la société Montedis à lui remettre les bulletins de salaire rectifiés de septembre à novembre 2017, selon l’arrêt à venir, à remettre sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document à l’expiration d’un délai de 15 jours à compter de la notification de cet arrêt.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 25 mars 2024, l’employeur demande à la cour de :
– déclarer recevable mais mal fondé l’appel,
– prononcer la jonction des procédures 21/05725 et 21/06658,
– déclarer la pièce n°5 (anciennement numérotée 33) irrecevable,
– déclarer irrecevables les conclusions faisant état de la pièce n°5 (anciennement numérotée 33),
– confirmer le jugement en ce qu’il a jugé bien-fondé l’avertissement notifié le 7 avril 2017 et la mise à pied notifiée le 16 octobre 2017, en conséquence débouter M. [W] de ses demandes formées au titre de l’annulation des sanctions,
En tout état de cause,
– débouter M. [W] de sa demande de rappel de salaires et de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
– débouter M. [W] de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [W] à lui payer la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civil ainsi qu’aux entiers dépens,
– juger que ceux d’appel seront recouvrés par Maître Audrey Hinoux, SELARL LEXAVOUE PARIS VERSAILLES conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.
Les instructions ont été déclarées closes le 24 avril 2024.
Sur la jonction
L’intérêt d’une bonne administration de la justice commande la jonction entre les deux instances enregistrées sous les numéros RG 21/05725 et RG 21/06658 sous le numéro RG 21/05725.
Sur la demande tendant à déclarer irrecevable la pièce 5 de M. [W]
L’employeur demande de déclarer irrecevable la pièce 5 produite dans l’instance RG 21/05725 (pièce 4 dans l’instance RG 21/06658) par le salarié du fait de sa déloyauté, s’agissant d’un enregistrement effectué à l’insu de la personne auquel il est opposé, dans une surface de vente, qui n’est pas un lieu public mais un lieu privé ouvert au public. L’employeur fait valoir que cette pièce n’est pas indispensable à l’exercice du droit de la preuve alors que le salarié a fait échec à toute procédure interne afin qu’il s’explique sur la nature des faits lui permettant de considérer qu’il était harcelé.
Le salarié fait valoir que cette pièce est recevable. Il affirme qu’il ne s’agit pas d’une conversation privée mais de propos qu’il a enregistrés dans un cadre professionnel et dans un lieu public et qu’il s’agissait du seul moyen qu’il avait de rapporter la preuve des interpellations agressives dont il faisait l’objet par ses responsables.
Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve, tel que l’enregistrement ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
La pièce en cause porte sur la transcription écrite de l’enregistrement audio d’une conversation entre le salarié et, selon lui, deux supérieurs hiérarchiques dans la surface de vente de l’hypermarché.
Il n’est pas contesté que M. [W] a enregistré à l’insu de ces deux personnes cette conversation, ce qui constitue un procédé déloyal.
Cependant, cet enregistrement est produit pour établir l’existence du harcèlement moral invoqué par le salarié. Contrairement à ce que soutient l’employeur, le salarié n’a pas fait échec à ses investigations sur les faits de harcèlement qu’il a dénoncés par écrit mais a refusé de signer une convocation remise contre émargement à un entretien, ne lisant pas le français. L’employeur n’a pas reconvoqué le salarié, comme celui-ci le demandait, par lettre adressée à son domicile.
Cette pièce constitue donc un élément de preuve indispensable portant une atteinte strictement proportionnée au but poursuivi.
En conséquence, la pièce 5 dans l’instance RG 21/05725 et la pièce 4 dans l’instance RG 21/06658 seront déclarées recevables, ainsi que les conclusions s’y rapportant.
Sur les sanctions disciplinaires
Le salarié sollicite l’annulation des deux sanctions disciplinaires dont il a fait l’objet. Il affirme qu’elles sont intervenues dans un contexte de harcèlement moral et sont infondées.
L’employeur demande de confirmer le jugement qui a rejeté ces demandes.
L’article L.1333-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit au juge les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
L’article L.1333-2 du code du travail précise que le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
– Sur l’avertissement du 7 avril 2017
Par lettre du 7 avril 2017, remise en main propre au salarié à cette date, l’employeur lui a notifié un avertissement au motif qu’il ne s’est pas présenté à son poste de travail le mercredi 22 mars, sans aucune prévenance et qu’à son retour, alors que le chef de département lui a demandé de justifier de son absence, le salarié a indiqué ne disposer d’aucun justificatif.
Le salarié soutient qu’il a adressé par courrier simple à l’employeur son arrêt de travail pour maladie et que le lendemain de l’avertissement, il a fait parvenir à nouveau son arrêt maladie par lettre recommandée avec accusé de réception.
L’employeur affirme que ce n’est qu’après la lettre d’avertissement, soit le 8 avril, que le salarié lui a transmis son arrêt de travail.
L’article 7.3.1 a) de la convention collective prévoit que ‘Les absences provoquées par maladie ou accident de trajet ne constituent pas une cause de rupture du contrat de travail, mais une simple suspension, à condition qu’elles soient :
-notifiées aussitôt que possible à l’employeur, et confirmées par lettre postée dans les 3 jours calendaires, sauf cas de force majeure ;
– justifiées par un certificat médical ou, à défaut, sur présentation de la feuille de maladie signée par le médecin.
L’employeur ne peut opposer au salarié cette disposition de la convention collective, qui ne vise qu’à définir les absences qui constituent une rupture du contrat et celles qui constituent une suspension.
Il résulte en revanche de l’article du contrat de travail intitulé ‘absence’, qu’en cas d’absence, le salarié doit prévenir ou faire prévenir l’entreprise dans les plus brefs délais. Si le salarié affirme qu’il a envoyé à l’employeur par courrier simple son arrêt de travail pour maladie, il n’en justifie pas. Il ne produit qu’une lettre recommandée du 8 avril 2017, à laquelle est jointe un duplicata de son arrêt de travail pour maladie du 22 mars 2017, dans laquelle il conteste la sanction disciplinaire au motif qu’il a posté immédiatement son arrêt maladie.
En tout état de cause, il appartenait au salarié, en vertu de son contrat de travail dont le contenu n’avait pas à lui être rappelé, de prévenir ou faire prévenir l’employeur de son absence, ce dont il ne rapporte pas la preuve.
Il s’ensuit que faute d’avoir prévenu ou fait prévenir son employeur de son absence, le salarié a commis un manquement à son contrat de travail et l’avertissement constitue une sanction appropriée.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il n’a pas annulé cette sanction disciplinaire.
– Sur la mise à pied disciplinaire du 16 octobre 2017
M. [W] sollicite l’annulation de cette sanction qu’il estime infondée. L’employeur demande de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté cette demande.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 octobre 2017, l’employeur a notifié à M. [W] une mise à pied disciplinaire de trois jours (7,8 et 9 novembre) fondée sur plusieurs motifs.
En premier lieu, il est reproché au salarié de persister à adopter envers sa hiérarchie une attitude volontairement provocatrice et après avoir, le 18 septembre, soutenu être victime de harcèlement de la part du chef de secteur PGC, s’être rendu dans le rayon épicerie, supervisé par ce dernier, pour dire bonjour à l’ensemble de l’équipe et n’avoir pas obéi au responsable qui lui demandait de regagner son affectation au rayon frais puisqu’il était toujours 15 mn plus tard au rayon épicerie. L’employeur conclut qu’il ne peut être toléré qu’il perturbe ses collègues dans l’exercice de leur mission.
L’employeur produit une attestation de M. [V] [I], chef de secteur épicerie, liquide, parfumerie et entretien, qui affirme que suite à son changement du secteur épicerie au secteur frais, le salarié ‘continuait à passer son temps à venir dans le secteur épicerie alors qu’il était censé travailler au frais, il venait sans cesse dire bonjour à ses collègues, leur parler et les empêchait d’être concentré dans leur travail’. Selon l’attestation de M. [N] [S], adjoint au chef de rayon épicerie, après son changement de fonction au rayon surgelé, le salarié venait tout le temps au rayon épicerie pendant son temps de travail, faisait le tour des rayons pour dire bonjour à tout le monde, pour parler et prenait tout son temps pour ne rien faire. Il résulte de l’attestation de M. [O] [Z], employé commercial au rayon épicerie, que le salarié ‘après son affectation au rayon frais, au lieu de travailler il passe son temps à nous dire bonjour au rayon épicerie’.
Compte tenu de leur imprécision sur le temps réel passé par le salarié au rayon épicerie, ces attestations ne démontrent pas que le 18 septembre 2017, M. [W] a passé 15 mn au rayon épicerie sans obéir au responsable qui lui demandait de retourner à son poste. Ce grief n’est donc pas démontré.
En second lieu, l’employeur affirme dans la lettre que M. [W] persiste à mâcher du chewing gum sur la surface de vente en présence de la clientèle avec pour seule réponse, qualifiée d’insolente, aux remarques que cette mastication diminue ses douleurs aux oreilles alors qu’il doit adopter une attitude courtoise envers les clients.
Dans ses écritures, M. [W] reconnaît mastiquer du chewing gum pour apaiser les douleurs de sa mâchoire.
L’employeur ne produit pas de règlement intérieur qui interdirait cette mastication aux employés commerciaux et ne justifie pas avoir mis en demeure le salarié de ne plus mastiquer de chewing gum. Dans ce contexte, cette mastication n’est pas fautive.
En troisième lieu, il est reproché au salarié de ne jamais prévenir de ses absences au motif qu’il ne connaîtrait pas le numéro de téléphone du magasin.
Comme le relève le salarié, l’employeur n’indique pas de quelles absences il s’agit, ce qui ne permet pas d’identifier un manquement précis, et ne produit aucun justificatif au soutien de ce grief qui n’est pas caractérisé.
En quatrième lieu, l’employeur indique que l’attitude de M. [W] et les réponses apportées lors de l’entretien du 2 octobre dernier caractérisent une insubordination délibérée peu compatible avec le harcèlement moral qu’il invoque sans fondement.
En l’absence de compte rendu de l’entretien ayant précédé la mise à pied, ce grief n’est pas démontré.
En dernier lieu, l’employeur relève la volonté délibérée du salarié de se soustraire aux tâches qui relèvent de ses fonctions, à savoir que le 23 septembre, il a répondu que la palette de surgelés avait été traitée alors qu’il avait rentré la palette en chambre froide sans l’avoir gérée, ce qui a contraint le directeur à ‘dépoter’ les cartons.
Selon l’attestation de M. [Y] [M], directeur commercial de la société Montedis, il a constaté que le 23 septembre 2017, M. [W] ‘faisait tout son possible pour ne pas faire correctement son travail tout en se moquant du monde’. Il affirme qu’il avait passé plus d’une heure sur une palette de produits surgelés en ‘trimballant’ les colis de la palette vers le rayon puis vers la palette, qu’il avait remis la palette quasi intacte en réserve et que, après contrôle de quelques ruptures en rayon, le directeur avait du ressortir la palette pour mettre lui-même les colis en rayon.
Cependant, cette attestation ne démontre pas ce qui est reproché au salarié, à savoir d’avoir indiqué qu’il avait traité la palette, alors que ce n’était pas le cas.
Les griefs invoqués ne sont donc pas démontrés et la mise à pied disciplinaire, infondée, sera annulée. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la demande de rappels de salaire
Compte tenu de l’annulation de la mise à pied disciplinaire, il sera fait droit à la demande du salarié portant sur la somme de 146,40 euros bruts au titre du rappel de salaire correspondant aux trois jours de mise à pied.
M. [W] sollicite également à titre de rappel de salaire la somme de 239,31 euros représentant 24,50 heures effectuées en septembre 2017. Selon lui, il a été rémunéré pour ce mois à hauteur de 25,75 heures alors qu’il avait effectué 50,25 heures.
L’employeur s’oppose à cette demande au motif que le salarié prend en compte la journée du 31 août et que les jours non travaillés au titre de son arrêt de travail pour maladie du 28 au 30 août 2017 ont été retirés du salaire du mois de septembre.
Il résulte de la fiche de présence mensuelle produite par le salarié (pièce 8 de la procédure enregistrée sous le RG 21/6658 ) que du 1er septembre au 30 septembre 2017, il a effectué 45,25 heures puisque les 5 heures effectuées le 31 août n’ont pas à être comptabilisées pour le mois de septembre.
Or, selon sa fiche de paye, il a été rémunéré pour 25,75 heures. Si l’employeur a justement déduit 21 heures, correspondant à l’arrêt de travail du 28 au 30 août, 4,75 heures n’ont pas été rémunérées, soit 46,36 euros brut.
Au total, le rappel de salaire s’élève donc à 192,76 euros bruts.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a rejeté ces demandes.
Sur la demande principale au titre du licenciement
Le salarié demande à titre principal de juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’employeur sollicite la confirmation du jugement qui a dit le licenciement pour faute grave justifié.
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit être suffisamment motivée et viser des faits et griefs matériellement vérifiables, sous peine de rendre le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
La faute grave qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il appartient à l’employeur qui l’invoque, de rapporter la preuve de l’existence d’une faute grave.
Selon l’article L. 1235-1 du code du travail, si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement du 23 novembre 2017 est ainsi rédigée :
‘Nous revenons vers vous suite à l’entretien du 15 novembre écoulé auquel vous vous êtes présenté seul et au cours duquel, malgré la gravité des faits qui vous sont reprochés, vous ne nous avez fourni aucune explication de nature à en modifier notre appréciation.
Ainsi, le 3 novembre dernier, lors d’un contrôle réalisé en votre présence par la responsable qualité, Madame [X] [J] [R], cette dernière a constaté la présence de 41 produits périmés pour un montant de 232,21 euros.
Face à l’ampleur du nombre de produits trouvés dans votre rayon, un inventaire en a été dressé en présence de vous-même et de Madame [U] [D] [C], déléguée du personnel.
Alors que Madame [J] [R] ne faisait que remplir ses attributions, vous vous en êtes pris à elle, la poussant violemment pour lui arracher la feuille de relevé des périmés et la chiffonner. Puis, vous avez esquissé du revers de la main le geste de lui trancher la tête. Mesdames [J] [R] et [D] [C] étaient toutes deux en état de choc et seule l’intervention du vigile a mis un terme à vos menaces physiques.
L’ensemble de ces faits est parfaitement inacceptable.
Nous n’admettons en aucun cas que vous puissiez user de la violence pour menacer et intimider l’un des salariés de l’entreprise.
Est tout aussi inacceptable le nombre de produits périmés retrouvés dans votre rayon.
Vous n’ignorez pas que notre activité implique de nombreuses obligations tant du point de vue de l’hygiène alimentaire, que du respect des procédures de travail, afin de garantir la mise en vente de produits de qualité et sans risque sanitaire à l’égard de notre clientèle.
Il vous appartient de veiller à la rotation des marchandises et produits stockés ainsi qu’à leur retrait des linéaires afin qu’aucun article périmé ne soit proposé à la vente. De par vos fonctions, vous êtes donc responsable du respect des dates de péremption.
Vos manquements sont gravement préjudiciables à l’entreprise en termes d’image et nous exposent, en outre, à un risque de condamnation pénale en cas de contrôle de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Compte tenu de l’ensemble de ces faits, nous nous voyons contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave lequel est effectif immédiatement, à la date d’envoi de la présente, sans préavis ni indemnité de rupture, et vous cesserez, à cette date, de faire partie des effectifs de notre société.’
– Sur le grief tiré de la présence de produits périmés en rayon
Il est reproché au salarié de ne pas avoir retiré du rayon surgelé 41 produits périmés qui étaient en rayon le 3 novembre 2017.
M. [W] soutient que l’employeur ne démontre pas que ce manquement lui est imputable dans la mesure où trois salariés étaient affectés pour chaque demi-journée au rayon frais et surgelés. Il fait valoir que compte tenu de ses arrêts de travail pour maladie, il n’a travaillé entre le 1er août et le 2 novembre 2017 que quatorze jours.
L’employeur prétend que M. [W] était le seul salarié à travailler au rayon surgelé.
Il résulte du bon de casse produit par l’employeur qu’au terme du contrôle qualité au rayon surgelé, il a été constaté les dates limites de consommation suivantes :
– août 2017 pour 23 packs de glaces à la vanille,
– octobre 2017 pour une bûche au chocolat,
– le 1er septembre 2017 pour 6 paquets de tubes d’encornets,
– le 31 août 2017 pour deux pizzas,
– le 13 octobre 2017 pour 8 gâteaux.
L’employeur produit une attestation de [A] [G] [T], hôte de caisse depuis novembre 2013, qui indique qu’il y a toujours eu une seule personne à la fois au rayon surgelé et de [Y] [M], chef du département frais puis directeur commercial et directeur, selon laquelle M. [W] était le seul employé à travailler au rayon surgelé.
En dépit de ces attestations, M. [W] ne pouvait être le seul salarié affecté au rayon surgelé compte tenu de sa durée de travail hebdomadaire de 35 heures. Pourtant, l’employeur ne donne aucun élément sur l’organisation de l’équipe et notamment ses responsables.
Par ailleurs, il résulte de ses bulletins de salaire que le salarié n’a occupé son poste au rayon surgelés entre le 1er août et le 2 novembre 2017 que 14 jours, à savoir le 17 juillet, le 14 août, le 1er septembre, le 5 septembre, le 8 septembre, les 18 et 19 septembre, les 22 et 23 septembre, les 10 et 11 octobre, 17 octobre, 28 octobre et 2 novembre. Il s’ensuit que le salarié ne peut être tenu responsable de la présence de produits périmés dans le rayon surgelé au regard des dates limites constatées.
De plus, les faits imputés au salarié relèveraient d’une insuffisance professionnelle, qui correspond à une mauvaise exécution des tâches ou à des erreurs commises dans cette exécution, et ne constitue pas une faute mais un motif personnel non disciplinaire de licenciement en l’absence de démonstration que les faits procèdent d’une abstention volontaire ou d’une mauvaise volonté délibérée du salarié.
Dés lors, ce grief n’est pas fondé.
– Sur le grief tiré des menaces physiques et violences à l’encontre de Mme [R]
M. [W] conteste avoir poussé Mme [R] et avoir imité le geste avec le pouce de l’étrangler. Il souligne qu’en dépit de ses demandes, sous la forme de trois lettres recommandées avec accusé de réception adressées à son employeur entre le 13 novembre et le 27 novembre 2017, celui-ci ne lui a pas communiqué les images extraites de la vidéosurveillance.
Il résulte de l’attestation de Mme [X] [R], responsable qualité, que le 3 novembre 2017 lorsqu’elle a demandé à M. [W] de signer le bon de casse concernant les produits périmés après son contrôle, il lui a demandé une copie et qu’elle lui a répondu qu’elle verrait avec la direction. Le salarié a voulu prendre une photo du bon de casse qu’il avait signé, ce qu’elle a refusé dans l’attente de l’autorisation de la direction. Elle a repris le papier et il est devenu furieux et agressif et a cherché à récupérer le papier. Sa collègue a récupéré la feuille mais comme le salarié est venu vers elle, elle lui a redonné. Il a essayé de manière assez violente de récupérer la feuille des mains. Elle a sollicité l’aide d’un vigile et le salarié lui a arraché la feuille et l’a froissée. Elle indique que durant l’altercation, il l’a menacée en ‘effectuant un signe au niveau de son cou. Son signe voulait dire qu’il voulait me couper la tête’. Dans son attestation, Mme [U] [D] [C], déléguée du personnel, confirme que le salarié a essayé d’arracher la feuille des mains de Mme [R] et l’a attrapée par le bras pour lui arracher. L’agent de sécurité a essayé de le calmer mais il parlait fort devant les clients et elles se sont éloignées. A ce moment, il a regardé sa collègue en disant ‘Mme’ et ‘il fait le geste de lui couper la tête’. Dans son attestation, l’agent de sécurité, [H] [P], indique qu’il a vu le salarié arracher une feuille des mains de Mme [R] et la froisser et qu’il s’est interposé, qu’il a essayé de le calmer mais qu’il est devenu agressif.
En dépit de l’absence de production des images de la vidéosurveillance par l’employeur, ces attestations, précises, circonstanciées et concordantes, établissent que le salarié a arraché une feuille des mains de Mme [R] qui refusait qu’il la prenne en photo et a fait un geste au niveau de son cou, qui s’analyse comme une menace de couper la tête.
Ce seul comportement présente un degré de gravité tel qu’il rendait impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement repose sur une faute grave.
Sur la demande au titre du harcèlement moral
– Sur la recevabilité de la demande
Se fondant sur l’article 122 du code de procédure civile, la société Montedis demande de confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré la demande au titre du harcèlement moral irrecevable au motif que le salarié avait déjà saisi la juridiction prud’homale d’un litige portant sur le même objet. Il invoque ainsi, sans la nommer, l’autorité de la chose jugée.
Le salarié fait valoir qu’il n’a formé dans le premier litige aucune demande au titre du harcèlement moral.
En vertu de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, telle la chose jugée.
Contrairement à ce que prétend la société intimée, dans l’instance introduite le 27 octobre 2017, portant sur l’annulation des sanctions disciplinaires, il résulte du jugement que le salarié n’a formé aucune demande portant sur le harcèlement moral qu’il a uniquement mentionné dans le corps de ses écritures en faisant état du contexte des sanctions disciplinaires.
Il s’ensuit que la demande au titre du harcèlement moral formée dans l’instance introduite le 9 avril 2018 est recevable et le jugement sera infirmé, en ce qu’il a, dans sa motivation, déclaré la demande irrecevable.
– Sur l’existence du harcèlement moral
M. [W] soutient avoir subi un harcèlement moral dont il sollicite l’indemnisation.
L’employeur considère que le salarié n’a fait l’objet d’aucun harcèlement moral.
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique, mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L.1154-1 de ce même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait permettant de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe alors à l’employeur au vu de ces éléments de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
S’agissant de la dégradation de son état de santé, le salarié ne produit aucune pièce mais il est établi qu’il a été en arrêt de travail pour maladie au cours de l’année 2017 une journée en mai, 11 jours en juin, 16 jours en juillet, 14 jours en août, 20 jours en septembre, 26 jours en octobre et le 1er novembre.
– En premier lieu, le salarié invoque les sanctions disciplinaires dont il a fait l’objet et qui sont établies.
– En second lieu, il soutient qu’il a été transféré au rayon frais/surgelé dans le but de le piéger sur les dates limites.
Il est établi que le salarié a été affecté à compter du 17 juillet 2017 au rayon frais/surgelé.
– En troisième lieu, M. [W] fait valoir qu’il a fait l’objet d’un complot sur les dates limites de consommation et qu’il n’est pas responsable de la présence de 41 produits périmés en rayon.
Ce fait est établi, le grief retenu à ce titre dans le licenciement n’ayant pas été jugé justifié.
– En quatrième lieu, le salarié invoque son absence de formation pour travailler au rayon surgelé.
Selon l’article L. 6321-1 du code du travail, l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail.
Il résulte des lettres adressées par le salarié à l’employeur que celui-ci a demandé à deux reprises une formation spécifique pour le rayon surgelé.
L’employeur produit des attestations de salariés (pièces 40, 41 et 42) qui indiquent qu’en tant qu’employés commercial, ils sont formés au contrôle des dates limites de consommation et au retrait des périmés.
Cependant, il ne justifie pas que M. [W] a bénéficié de cette formation.
Le fait est donc établi.
– En cinquième lieu, le salarié fait valoir qu’il travaillait avec du matériel défectueux (gants, chaussures, transpalettes).
Par lettre du 19 août 2017, le salarié a demandé à l’employeur des gants et chaussures pour travailler au rayon frais. L’employeur lui a répondu le 28 août que ses gants lui avaient été remis le 14 août par la responsable qualité et qu’il disposait de chaussures de sécurité. Il ajoutait que ‘son attitude tendant à affirmer des propos mensongers frise l’abus’. Le salarié a répondu par lettre du 4 septembre que les gants ne sont pas destinés au rayon frais et que les chaussures, qui avaient été déjà été utilisées, étaient usées et infectées. Il a, à nouveau, sollicité des équipements de travail par lettre du 12 octobre 2017 et indiqué qu’entre 7 et 8 transpalettes manuelles étaient en panne.
L’employeur justifie de la commande de 12 transpalettes, dont la facture date du 15 novembre 2017. Il se déduit de ce bon de commande que le matériel a été défectueux ainsi qu’indiqué par le salarié, puis remplacé.
Il résulte du bon de remise de matériel du 2 novembre 2017 que le salarié a reçu à cette date une paire de gants neufs en échange de l’ancienne paire de gants, ce qui démontre que la paire qu’il avait n’était pas adaptée. De plus, l’employeur ne justifie pas de la qualité des chaussures qui avaient été remises au salarié.
Les faits sont donc établis.
– En sixième lieu, M. [W] évoque des humiliations et des propos agressifs.
Il produit la retranscription d’une conversation (pièces 4 et 5 sus évoquées) à laquelle est jointe un enregistrement sur clé USB. Si l’employeur ne conteste pas la retranscription, il fait valoir qu’aucun élément ne permet d’authentifier que l’interlocuteur du salarié est M. [I].
Pourtant, un des interlocuteurs du salarié fait référence aux accusations de harcèlement du salarié dans ses lettres adressées à l’employeur, ce qui établit qu’il s’agit de M. [I].
Dans cette conversation, M. [I] reproche au salarié d’avoir adressé des lettres à l’employeur pour se plaindre de son comportement à son égard. Il dit à M. [W] ‘on va aller, on va pousser. On va voir réellement qui je suis moi’ ainsi que ‘j’ai ton nom, ton prénom et ton adresse. Alors continue. Tu vas voir où va se terminer. Je n’harcèle personne. Je te demande de travailler. Si tu n’es pas content change de métier.’ M. [I] lui indique en outre à trois reprises qu’il va porter plainte contre lui et lui dit ‘enterrez-vous’.
Ces propos sont agressifs. Le fait est donc établi.
– En septième lieu, M. [W] fait valoir que les conditions de travail ont entraîné une lombalgie en raison de transpalettes cassées.
Dans sa lettre du 8 avril 2017, adressée à son employeur pour contester l’avertissement, il se plaint notamment de l’exploitation dont il fait l’objet sans considération pour sa colonne vertébrale. Cependant, il ne produit aucun élément médical et l’existence d’une lombalgie n’est pas établie.
– En huitième lieu, le salarié invoque des cadences injustifiées de travail.
Ces cadences ne reposent que sur les seules déclarations du salarié qui sont insuffisantes à démontrer leur réalité. Ce fait n’est donc pas établi.
– En neuvième lieu, M. [W] soutient qu’il lui a été demandé par M. [I] de signer en octobre 2017, sur son lieu de travail, une attestation préétablie contre un autre salarié et que
suite à son refus de signer, il a été davantage harcelé.
Le salarié ne produit aucun élément pour justifier de ce qu’il allègue. Le fait n’est donc pas établi.
– En dernier lieu, il fait valoir qu’il a subi des pressions pour lui faire signer sur son lieu de travail des documents alors qu’il refusait, ne sachant pas lire le français.
L’employeur produit une convocation écrite du 12 mai 2017 à un entretien le lendemain pour prendre connaissance de la teneur et l’ampleur du harcèlement de M. [I] remise en main propre contre décharge.
Il résulte de l’attestation de [L] [E], représentante du personnel et membre du CHSCT qu’elle était présente lorsque le salarié a été reçu par le responsable des ressources humaines pour lui remettre la convocation qu’il a refusé de signer. Il a aussi refusé de se rendre à son entretien.
Il n’est pas justifié qu’il a été expliqué au salarié les raisons de sa convocation et l’employeur ne l’a pas convoqué par écrit à un autre entretien.
Le fait est donc établi.
Il résulte donc de ce qui précède que sont matériellement établis :
– une mise à pied injustifiée,
– le transfert du salarié au rayon frais/surgelé,
– un grief au titre du licenciement non justifié fondé sur le maintien en rayon de produits dépassant les dates limites de consommation,
– l’absence de formation pour travailler au rayon surgelé,
– un matériel de travail défectueux,
– des propos agressifs,
– une remise en main propre d’un document alors que le salarié ne lit pas le français.
Ainsi, M. [W] présente des éléments de fait de nature à laisser présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe alors à l’employeur au vu de ces éléments de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le seul fait sur lequel l’employeur donne des justifications dans ses écritures porte sur le transfert du salarié au rayon frais/surgelé qu’il explique compte tenu des lettres de M. [W] dénonçant le harcèlement de M. [I], chef de son ancien rayon. Le salarié prétend que M. [I] était encore son supérieur hiérarchique dans son nouveau rayon mais n’en justifie pas. Le changement de rayon est donc justifié par une cause objective.
L’employeur ne justifie pas que les six autres faits retenus reposent sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement qui est dès lors établi au regard du caractère répété des faits.
Compte tenu des éléments produits, il sera alloué au salarié la somme de 2.000 euros en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral.
Sur la demande subsidiaire au titre du licenciement
A titre subsidiaire, le salarié demande à la cour de prononcer la nullité du licenciement en raison du harcèlement qu’il a subi.
– Sur la recevabilité de la demande
La société fait valoir que cette demande nouvelle en cause d’appel est irrecevable.
Il résulte du jugement que le conseil de prud’hommes a écarté les pièces et conclusions communiquées par le salarié vendredi 24 mai 2019 alors que la clôture était prévue le 28 mai suivant. Le salarié conteste cette décision au motif que le principe du contradictoire a été respecté.
Les pièces versées au débat établissent que les écritures du salarié qui avait conclu en dernier lieu le 18 décembre 2018 contenait une demande nouvelle fondée sur la nullité du licenciement et c’est à bon droit que, compte tenu du calendrier de procédure, le conseil de prud’hommes les a écartées des débats, l’employeur ne pouvant répondre dans le délai.
La demande au titre de la nullité du licenciement est donc nouvelle en cause d’appel.
Aux termes des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Or, la demande pour nullité du licenciement est la conséquence de la demande fondée sur le harcèlement et tend aux mêmes fins que celle visant à déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Elle doit donc être déclarée recevable.
– Sur le bien fondé de la demande
L’article L.1152-2 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral. L’article L.1152-3 du même code prévoit que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de la disposition précédente est nulle.
Le licenciement d’un salarié victime de harcèlement moral est nul dès lors qu’il présente un lien avec des faits de harcèlement : soit que le licenciement trouve directement son origine dans ces faits ou leur dénonciation, soit que le licenciement soit dû la dégradation de l’état de santé du salarié rendant impossible son maintien dans l’entreprise.
En l’espèce, le licenciement est justifié par l’attitude violente, agressive et menaçante de M. [W] à l’égard d’une salariée le 3 novembre 2017.
Dès lors, le licenciement n’a pas de lien avec les faits de harcèlement et n’encourt pas la nullité.
Le salarié sera donc débouté de l’ensemble de ses demandes de ce chef, y compris celle fondée sur le licenciement vexatoire et brutal.
Sur les demandes accessoires
En vertu des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les prononce. Il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts.
Il convient aussi de faire droit à la demande du salarié tendant à la remise des bulletins de salaire de septembre et d’octobre 2017 conformes au présent arrêt, sans qu’il y ait lieu d’ordonner une astreinte.
Partie perdante, la société sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à payer au salarié 1.000 euros au titre des frais irrépétibles pour ces procédures.
La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
ORDONNE la jonction des deux instances enregistrées sous les numéros RG 21/05725 et 21/06658 sous le numéro RG 21/05725,
DÉCLARE recevables la pièce 5 produite par M. [F] [W] dans la procédure inscrite sous le RG 21/05725 et la pièce 4 similaire produite dans la procédure inscrite sous le RG 21/06658 et les conclusions en faisant état,
CONFIRME les jugements sauf en ce que :
– la demande au titre du harcèlement moral a été déclarée irrecevable,
– la demande de l’annulation de la mise à pied a été rejetée,
– les demandes au titre de rappel de salaire ont été rejetées,
– M. [F] [W] a été condamné aux dépens et ses demandes au titre des frais irrépétibles ont été rejetées,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DÉCLARE recevable la demande de M. [F] [W] au titre du harcèlement moral,
DÉCLARE recevable la demande de M. [F] [W] au titre de la nullité du licenciement,
ANNULE la mise à pied disciplinaire du 16 octobre 2017,
CONDAMNE la société Montedis à payer à M. [F] [W] les sommes suivantes :
– 192,76 euros bruts à titre de rappels de salaire,
– 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
– 1.000 euros au titre des frais irrépétibles pour la procédure de première instance et en cause d’appel,
DIT que la créance salariale produira intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes et la créance indemnitaire à compter de la décision qui la prononce,
ORDONNE la capitalisation des intérêts,
ORDONNE à la société Montedis de remettre à M. [F] [W] les bulletins de salaire de septembre et d’octobre 2017 conformes au présent arrêt,
REJETTE la demande d’astreinte,
CONDAMNE la société Montedis aux dépens de première instance et d’appel,
DÉBOUTE la société Montedis de sa demande au titre des frais irrépétibles.
La Greffière La Présidente