Le litige concerne la construction d’un parc éolien par la société Energie Renouvelable du Languedoc, initialement autorisée par un permis de construire délivré en 2004, qui a été annulé par un tribunal administratif en 2006. Après plusieurs décisions judiciaires, le Conseil d’État a finalement annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille, permettant à la société de construire le parc éolien en 2013. Cependant, des propriétaires voisins, dont la SCA de [Localité 6] et M. [W], ont contesté cette construction, arguant de préjudices liés à un trouble anormal du voisinage. Ils ont assigné la société en justice, mais leurs demandes en dommages et intérêts ont été rejetées par le tribunal de grande instance de Montpellier en janvier 2020. Ils ont interjeté appel, demandant la reconnaissance de fautes de la société et des réparations financières. La société a également contesté le jugement, invoquant la prescription. La cour d’appel a finalement infirmé le jugement de première instance, déclarant les demandes des plaignants irrecevables pour cause de prescription et condamnant les plaignants à verser des frais à la société.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 12 SEPTEMBRE 2024
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 20/01088 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OQ2L
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 08 JANVIER 2020
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE MONTPELLIER
N° RG 18/03504
APPELANTS :
Monsieur [K] [W]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 3]
et
SOCIETE CIVILE AGRICOLE DE [Localité 6],
SCA agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 3]
et
SCI DOMAINE [Localité 6],
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentés par Me Karine JAULIN-BARTOLINI de la SCP PECH DE LACLAUSE-JAULIN-EL HAZMI, avocat au barreau de NARBONNE substitué sur l’audience par Me Georges INQUIMBERT, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
SARL ENERGIE RENOUVELABLE DU LANGUEDOC, représentée en la personne de son gérant, domicilié ès qualités audit siège social
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Christine AUCHE HEDOU de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE – AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué sur l’audience par Me Guillaume RICHARD, avocat au barreau de PARIS
Ordonnance de clôture du 23 Avril 2024
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 mai 2024,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Gilles SAINATI, président de chambre chargé du rapport et Mme Emmanuelle WATTRAINT, conseillère.
Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Gilles SAINATI, président de chambre
M. Thierry CARLIER, conseiller
Mme Emmanuelle WATTRAINT, conseillère.
Greffier lors des débats : Mme Sabine MICHEL
ARRET :
– contradictoire ;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Sabine MICHEL, Greffière.
* *
EXPOSÉ DU LITIGE
Les faits à l’origine du litige (la construction d’un parc éolien conformément à un permis de construire par la suite annulé) ont fait l’objet d’une autre procédure avec d’autres demandeurs ayant donné lieu, notamment à :
– Un arrêt publié par la 3e chambre civile de la Cour de cassation le 11 janvier 2023 (n° 21-19.778).
– Un arrêt rendu par la cour d’appel de renvoi : CA Nîmes, 7 décembre 2023 (n° 23/00353)
Les appelants ont intégré dans leurs dernières conclusions les motifs de la Cour d’appel de Nîmes, enregistrées par le greffe le 19 avril 2024 soit quatre jours avant la clôture de l’instruction.
Le litige
Par un arrêté du 20 octobre 2004, le préfet de l’Hérault a délivré à la société Energie Renouvelable du Languedoc un permis de construire pour la création d’un parc éolien comprenant sept aérogénérateurs à » [Localité 4] « , sur le territoire de la commune de [Localité 7].
Saisi par l’association pour la protection des paysages et ressources de l’Escandorgue et du Lodèvois, le tribunal administratif de Montpellier a, par jugement du 23 mars 2006, annulé ce permis de construire.
Par un arrêt du 27 novembre 2008, la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement.
Par une décision du 16 juillet 2010, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt du 27 novembre 2008 et renvoyé l’affaire devant la Cour administrative d’appel de Marseille.
Par un arrêt du 30 mai 2011, la Cour administrative d’appel de Marseille a rejeté la requête de la société Energie Renouvelable du Languedoc considérant qu’elle n’était pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement du 23 mars 2006, le tribunal administratif de Montpellier avait annulé le permis de construire délivré le 20 octobre 2004 par le préfet de l’Hérault.
Par une décision du 7 novembre 2012, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi de la société Energie Renouvelable Languedoc.
Par un arrêté du 24 avril 2013, le Préfet de l’Hérault a délivré à la société Energie Renouvelable du Languedoc un nouveau permis de construire pour la création d’un parc éolien comprenant sept aérogénérateurs à » [Localité 4] « , sur le territoire de la commune de [Localité 7].
La SCA de [Localité 6], la SCI du domaine de [Localité 6] et l’association pour la protection des paysages et des ressources de l’Escandorgue et du Lodèvois ont saisi le tribunal administratif de Montpellier d’une demande en annulation de cet arrêté.
Par jugement du 31 décembre 2014, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.
Par un arrêt du 26 janvier 2017 devenu définitif, la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé le jugement du tribunal administratif du 31 décembre 2014 et l’arrêté du 24 avril 2013.
Le Conseil d’Etat n’a pas admis le pourvoi interjeté par la société Energie Renouvelable du Languedoc.
La société Energie Renouvelable du Languedoc a procédé aux travaux de construction du parc éolien conformément au permis de construire du 24 avril 2013. La date de leur achèvement est discutée.
La Société civile agricole de [Localité 6] (la SCA) est propriétaire de 348 hectares à proximité de » [Localité 4] » sur le territoire de la commune de [Localité 7].
Une partie de ces terrains est donnée à bail à la société civile immobilière du Domaine de [Localité 6] (la SCI) et à Monsieur [K] [W], lequel exploite sur une partie du terrain un camp de naturisme.
Procédure
Par acte d’huissier du 11 juillet 2018, la SCI, la SCA et M. [W] ont assigné la société Energie Renouvelable du Languedoc devant le tribunal de grande instance de Montpellier en indemnisation de leurs préjudices résultant de la construction du parc éolien.
Par jugement du 8 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Montpellier a :
– Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par Energie Renouvelable Languedoc ;
– Débouté la SCI du domaine de [Localité 6], la SCA de [Localité 6] et M. [W] de leur demandes en dommages et intérêts ;
– Condamné in solidum la SCI du domaine de [Localité 6], la SCA de [Localité 6] et M. [W] à verser à Energie Renouvelable du Languedoc la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Débouté la SCI du domaine de [Localité 6], la SCA de [Localité 6] et M. [W] de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné in solidum la SCI du domaine de [Localité 6], la SCA de [Localité 6] et M. [W] aux dépens.
Par déclaration d’appel enregistrée par le greffe le 21 février 2020, la SCI du domaine de [Localité 6], la SCA de [Localité 6] et M. [W] ont régulièrement interjeté appel de ce jugement en ce qu’il les a débouté de leurs demandes en dommages et intérêts, aux dépens et aux frais irrépétibles.
Dans leurs dernières conclusions, enregistrées par le greffe le 24 août 2020, la SCI du domaine de [Localité 6], la SCA de [Localité 6] et M. [W] demandent à la cour d’appel de :
– Réformer le jugement du tribunal judiciaire de Montpellier du 8 janvier 2020 en ce qu’il a rejeté leurs actions en responsabilité pour trouble anormal du voisinage ;
Statuant à nouveau :
– Dire et juger que la société Energie Renouvelable du Languedoc a commis des fautes révélées par le non-respect des dispositions du règlement de la zone N du PLU de la commune de [Localité 7] ayant entraîné un préjudice révélé par une gêne visuelle et un préjudice découlant de la violation du principe constitutionnel de précaution au détriment de la SCA de [Localité 6] et M. [W] ;
– Dire et juger que la SCA de [Localité 6] et M. [W] subissent un trouble anormal de voisinage révélé par une pollution visuelle, lesquels doivent s’apprécier in concreto.
– Condamner la société Energie Renouvelable du Languedoc au titre de la réparation des préjudices à :
o La somme de 150 000 euros à la SCA de [Localité 6], sauf à parfaire par expertise ;
o La somme de 200 000 euros à M. [W], sauf à parfaire par expertise ;
– Dire et juger que ces sommes produiront intérêt légal un mois à compter de la signification du jugement à intervenir ;
– Condamner la société Energie Renouvelable du Languedoc à payer à la SCA de [Localité 6] et M. [W] la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Dans ses dernières conclusions, enregistrées par le greffe le 19 avril 2024, la société Energie Renouvelable du Languedoc demande à la cour d’appel :
A titre principal de :
– Infirmer le jugement rendu le 8 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Montpellier en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Energie Renouvelable du Languedoc ;
Statuant à nouveau de :
– Prendre acte que la SCI du Domaine de [Localité 6] ne forme aucune demande à son encontre ;
– Déclarer la SCI du domaine de [Localité 6], la SCA de [Localité 6] et M. [W] irrecevables en leur demandes ;
A titre subsidiaire :
– Confirmer le jugement rendu le 8 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Montpellier en ce qu’il a débouté la SCI du domaine de [Localité 6], la SCA de [Localité 6] et M. [W] de leurs demandes ;
En tout état de cause :
– Condamner in solidum la SCI du domaine de [Localité 6], la SCA de [Localité 6] et M. [W] à la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 ainsi que tous les dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024.
A titre liminaire : l’absence de demande de la SCI du domaine de [Localité 6]
La société Energie renouvelable du Languedoc (intimée) demande à ce que la cour prenne acte de l’absence de demandes de la SCI à son encontre en cause d’appel.
La SCI du domaine de [Localité 6], la SCA de [Localité 6] et M. [W] (appelants) ne formulent pas d’observations sur ce point et ne développent aucune demande de la part de la SCI, il convient d’en prendre acte.
Sur la prescription
La prescription en cause est celle de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme qui prévoit, dans sa version applicable au litige, que » Lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire (‘) 2° Le constructeur ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire à des dommages et intérêts que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir ou si son illégalité a été constatée par la juridiction administrative. L’action en responsabilité civile doit être engagée au plus tard deux ans après achèvement des travaux « .
Le tribunal considère que le champ d’application du texte, limité au cas où une construction a été édifiée » conformément à un permis de construire » n’est pas lié à un problème de conformité de la construction au permis de construire obtenu, mais seulement à l’hypothèse dans laquelle un permis de construire a été délivré.
Il analyse qu’un immeuble doit être considéré comme achevé à partir du moment où les travaux de construction ont été complétement exécutés sur tous les points du permis de construire et qu’il est en état d’être affecté à l’usage auquel il est destiné. Cet état s’apprécie concrètement, il peut être établit par tous moyens sans pouvoir toutefois être confondu avec la déclaration d’achèvement des travaux.
Il en infère donc que la déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux établie par la société Energie Renouvelable du Languedoc le 23 février 2016, de laquelle il ressort que les travaux sont achevés depuis le 9 février 2016 ne peut suffire, à défaut de tout autre élément, à rapporter la preuve de l’achèvement des travaux alors qu’un procès-verbal de gendarmerie indique par ailleurs qu’au 25 mai 2016, les travaux se poursuivaient. Il a ainsi rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription.
La SCA de [Localité 6] et M. [W] demandent confirmation du jugement et reprennent sa motivation.
La SARL Energie Renouvelable du Languedoc (intimée ; appelante par appel incident) demande l’infirmation du jugement en développant deux moyens :
1) Au moyen de la réception tacite à l’issue du délai de 3 mois suivant le dépôt de la déclaration d’achèvement :
– Elle a déposé une déclaration d’achèvement et de conformité des travaux le 26 février 2016.
– A compter de cette date, l’administration disposait d’un délai de trois mois pour contester la conformité des travaux au permis de construire.
– L’administration n’ayant pas formé de recours dans ce délai, la conformité est tacitement reconnue par l’administration depuis le 26 mai 2016, date qui constitue le point de départ du délai biennal de prescription de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme.
– Le délai d’action expirait le 26 mai 2018 ; l’acte introductif d’instance datant du 11 juillet 2018, l’action est prescrite.
Aussi, la réalisation de travaux en mai 2016 ne modifie pas, en tout état de cause cette analyse, la prescription étant acquise en mai 2018.
2) un moyen du point de départ du délai de prescription à compter de la déclaration d’achèvement des travaux:
– Un arrêt récent a » rappelé » qu’une demande indemnitaire se prescrit par deux ans à compter de la déclaration d’achèvement des travaux.
– La déclaration d’achèvement des travaux date du 26 février 2016 ; l’action intentée par l’assignation du 11 juillet 2018 est dès lors prescrite.
– Si le courrier du Directeur départemental des territoires et de la mer au Préfet de l’Hérault du 8 juillet 2016 indiquant que » l’implantation des 7 éoliennes a été réalisée » et pris en considération, la prescription serait acquise au 8 juillet 2016, l’action intentée par assignation du 11 juillet 2018 serait ainsi également prescrite.
Afin d’apprécier la prescription, il convient d’envisager in concreto la notion d’achèvement des travaux, point de départ du délai de prescription de deux ans à compter de cet achèvement :
– Le premier élément est le dépôt de la déclaration d’achèvement et de conformité des travaux le 26 février 2016. Si ce document est essentiellement potestatif néanmoins il fait courir un délai de recours de trois mois à l’administration pour le contester (L. 480-13 du code de l’urbanisme.). En l’espèce le silence de l’administration rend ce document générateur de droits à compter du 26 mai 2016. Cet élément est corroboré par le PV de constat d’infraction établi par la DDTM qui constate des travaux au 4 février 2016 qui permet de constater qu’en février 2016 les travaux étaient en cours.
– Un deuxième élément est le PV de gendarmerie du 28 mai 2016, constitué par l’audition de M. [B] [M] qui déclare avoir vu des travaux de raccordement des éoliennes le 26 mai 2016. Deux photographies sans date certaine accompagnent ce PV de gendarmerie qui n’indique pas avoir joint ces photographies au moment de l’audition ni avoir vérifié la date certaine des affirmations de M. [B]. Il s’agit d’un simple indice qui permet de savoir que les éoliennes étaient implantées et le raccordement au réseau en cours.
– Un troisième élément est le courrier du Directeur départemental des territoires et de la mer au Préfet de l’Hérault du 8 juillet 2016 indiquant que » l’implantation des 7 éoliennes a été réalisée » en faisant allusion à la déclaration d’achèvement des travaux et de conformité et discutant de la conformité estime les travaux conformes.
Il ressort donc, in concreto et tous ces éléments contribuent à ce constat : l’achèvement des travaux se situe entre le 26 février 2016 et le 8 juillet 2016. Dès lors il est établi de manière certaine qu’à la date du 8 juillet 2016 l’achèvement des travaux est intervenue y compris le constat de leur conformité. En application du délai de deux ans, la prescription est acquise à compter du 8 juillet 2018.
Il n’est pas contesté que l’acte introductif d’instance date du 11 juillet 2018, l’action est donc prescrite.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
La SCA de [Localité 6] et M. [W], appelants et succombants seront condamnés à payer à la SARL Energie Renouvelable du Languedoc à la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
La cour,
Infirme le jugement du Tribunal Judiciaire de Montpellier du 8 janvier 2020;
Y ajoutant
Constate que la SCI du Domaine de [Localité 6] ne formule aucune demande à l’encontre de la société Energie Renouvelable du Languedoc;
Déclare irrecevable comme prescrite l’action de la SCI Domaine de [Localité 6], la SCA de [Localité 6] et Monsieur [K] [W] .
Condamne la SCA de [Localité 6] et M. [K] [W], à payer à la SARL Energie Renouvelable du Languedoc la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SCA de [Localité 6] et M. [K] [W] aux entiers dépens.
Le greffier, Le président,