La société Li Jiang, dirigée par M. et Mme [R], a contracté un prêt de 225.000 euros auprès de la Banque populaire Loire et Lyonnais, avec M. et Mme [R] comme cautions solidaires. En raison de difficultés financières, la société a été placée en redressement judiciaire en 2015, puis en liquidation judiciaire en 2018. La banque a déclaré une créance de 150.495,47 euros. En 2021, le tribunal de commerce a condamné M. et Mme [R] à rembourser chacun 46.192,66 euros, tout en leur accordant un report de paiement de deux ans. M. et Mme [R] ont interjeté appel, demandant l’annulation de leur cautionnement et contestant la disproportion de leur engagement. La Banque populaire a également fait appel pour contester le report de paiement. La cour a confirmé le jugement initial, mais a modifié le montant dû par M. et Mme [R] à 34.927,60 euros chacun, tout en les condamnant aux dépens d’appel et à verser 1.500 euros à la banque.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Décision du Tribunal de Commerce de VILLEFRANCHE-TARARE du 01 avril 2021
2020j00040
[R]
[C] épouse [R]
C/
S.A. BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRET DU 12 Septembre 2024
APPELANTS :
M. [D] [R]
né le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 5]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Mme [Y] [C] épouse [R]
née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 8] (CHINE)
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentés par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, toque : 1106
INTIMEE :
S.A. BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES à capital variable inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le numéro B 605 520 071, venant aux droits de la Banque Populaire Loire & Lyonnais, représentée par ses dirigeants sociaux en exercice domiciliés es qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Me Sandrine GEVREY, avocat au barreau de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 23 Mars 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 Juin 2024
Date de mise à disposition : 12 Septembre 2024
Audience tenue par Aurore JULLIEN, présidente, et Viviane LE GALL, conseillère, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière
A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport,
Composition de la Cour lors du délibéré :
– Patricia GONZALEZ, présidente
– Aurore JULLIEN, conseillère
– Viviane LE GALL, conseillère
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Li Jiang avait pour présidente Mme [Y] [C] épouse [R] et pour directeur général son époux M. [D] [R].
Le 23 mai 2013, la Banque populaire Loire et Lyonnais, aux droits de laquelle vient aujourd’hui la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes (la banque) a consenti à la société Li Jiang un prêt de 225.000 euros remboursable en 84 mensualités au taux annuel de 3.25 %.
Par actes sous seing privé du 3 mai 2013, M. et Mme [R] se sont chacun portés cautions solidaires de ce prêt, pour une durée de 108 mois, et ce à hauteur de 26,67 % de l’encours restant dû, dans la limite de la somme maximale de 60.008 euros.
Le 26 novembre 2015, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Li Jiang.
Le 22 décembre 2015, la banque a déclaré ses créances, dont la créance restant due au titre du prêt pour un montant de 150.495,47 euros, la banque ayant en outre demandé l’admission des intérêts continuant à courir. Le juge-commissaire a admis cette créance au passif de la société Li Jiang.
Le 24 novembre 2016, le tribunal de commerce de Lyon a arrêté un plan de redressement pour la société Li Jiang. Le 13 février 2018, cette dernière a été placée en liquidation judiciaire.
Par jugement du 2 octobre 2019, le tribunal de commerce de Lyon a prononcé la clôture des opérations de liquidation pour insuffisance d’actif.
Le 4 août 2020, la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes a assigné M. et Mme [R], en qualité de cautions solidaires de la société Li Jiang, devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare.
Par jugement contradictoire du 1er avril 2021, le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare a :
– rejeté toute autre demande,
– condamné M. [R] à payer à la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de quarante-six mille cent quatre-vingt-douze euros et soixante-six centimes (46.192,66 euros) arrêtée au 17 juillet 2020, outre intérêts postérieurs au taux de 3.25 % l’an,
– condamné Mme [R] à payer à la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de quarante-six mille cent quatre-vingt-douze euros et soixante-six centimes (46.192,66 euros) arrêtée au 17 juillet 2020, outre intérêts postérieurs au taux de 3.25 % l’an,
– accordé aux époux [R] un report de paiement de la créance de la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes de deux années,
– débouté les époux [R] de toutes leurs autres demandes,
– condamné solidairement M. et Mme [R] à payer à la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes :
‘ une indemnité de mille cinq cents euros (1.500 euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ les entiers dépens de l’instance liquidés en ce qui concerne le présent jugement à la somme de 84,48 euros toutes taxes comprises,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement.
M. et Mme [R] ont interjeté appel par déclaration du 29 avril 2021.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 13 décembre 2021, M. et Mme [R] demandent à la cour, au visa des anciens articles L.341-2 et L.341-4 du code de la consommation, de l’article L.313-22 du code monétaire et financier, des articles 1415, 2292 et 1345-5 du code civil, et de l’article 514 du code de procédure civile, de :
– les déclarer bien fondés en leur appel à l’encontre du jugement rendu le 1er avril 2021 par le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare en ce qu’il a :
‘ rejeté toute autre demande de M. et Mme. [R],
‘ condamné M. [R] à payer à la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de quarante six mille cent quatre vingt douze euros et soixante six centimes (46.192,66 euros) arrêtée au 17 juillet 2020, outre intérêts postérieurs au taux de 3,25 euros l’an,
‘ condamné Mme [R] à payer à la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de quarante six mille cent quatre vingt douze euros et soixante six centimes (46.192,66 euros) arrêtée au 17 juillet 2020, outre intérêts postérieurs au taux de 3,25 euros l’an,
‘ accordé aux époux [R] un report de paiement de la créance de la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes de deux années,
‘ débouté les époux [R] de toutes leurs autres demandes,
‘ condamné solidairement M. et Mme [R] à payer à la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes :
‘ une indemnité de mille cinq cents euros (1.500 euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ les entiers dépens de l’instance liquidés en ce qui concerne le présent jugement à la somme de 84,48 euros toutes taxes comprises,
– l’infirmer de ces chefs et statuant à nouveau,
à titre principal,
– prononcer la nullité de l’acte de cautionnement souscrit par Mme [R] au titre du non-respect du formalisme exigé par l’article L. 341-2 ancien du code de la consommation, Mme [R] n’étant pas le scripteur de la mention manuscrite, avec toutes les conséquences de droit,
– débouter la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes de toutes ses demandes à l’encontre Mme [R],
Subsidiairement concernant Mme [R] et en tout état de cause concernant M. [R] :
– dire et juger que l’engagement de caution de M. [R] est manifestement disproportionné à ses biens et revenus,
– dire et juger que l’engagement de caution de Mme [R] est manifestement disproportionné à ses biens et revenus,
en conséquence,
– débouter la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes de l’intégralité de ses demandes,
à titre plus subsidiaire,
– constater le non-respect par la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes de son obligation d’information annuelle tant à l’égard de M. [R] que de Mme [R],
– prononcer la déchéance du droit à intérêts de la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes à compter du 31 décembre 2014,
à titre infiniment subsidiaire,
– confirmer le jugement en ce qu’il a accordé aux époux [R] un report de paiement de la créance de la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes de deux ans,
En tout état de cause,
– débouter la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes de son appel incident ainsi que de l’intégralité de ses demandes,
– condamner la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes au paiement de la somme de 3.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner en tous les dépens,
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 14 septembre 2021, la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes demande à la cour, de :
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Villefranche-Tarare du 1er avril 2021 en ce qu’il a :
‘ condamné l’un et l’autre des époux [R] à payer à la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 46.192,66 euros arrêtée au 17 juillet 2020, outre intérêts postérieurs au taux de 3.25 % l’an,
‘ débouté les époux [R] de toutes leurs autres demandes,
‘ condamné solidairement les mêmes à payer à la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance,
– réformer le même jugement en ce qu’il a accordé aux époux [R] un report de paiement de la créance de la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes de deux années et statuant à nouveau,
– débouter les époux [R] de leur demande de délai,
– condamner en toute hypothèse solidairement les époux [R] à payer à la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes une indemnité judiciaire de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,
– condamner solidairement les mêmes aux entiers dépens d’appel.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 23 mars 2022, les débats étant fixés au 13 juin 2024.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
Sur la nullité du cautionnement consenti par Mme [R]
Mme [R] fait valoir qu’elle n’a pas rédigé la mention manuscrite prévue par l’article L. 341-2 ancien du code de la consommation, car elle ne lit et n’écrit pas le français ; que c’est son époux qui a rédigé la mention ; qu’elle est illettrée et n’a pas pu avoir conscience de la portée de son engagement et aurait dû bénéficier de l’établissement d’un acte authentique ; que le cautionnement est donc nul.
La banque réplique que :
– M. et Mme [R] se sont mariés à [Localité 7] en 2001, de sorte que lors de la signature du cautionnement, Mme [R] était en France depuis au moins douze ans ; cette dernière ne démontre pas qu’elle ne comprendrait pas le français ;
– les époux se sont tous deux rendus dans les locaux de la banque pour signer les contrats de cautionnement, de sorte que, si la mention du contrat de madame a été rédigée par monsieur, alors celui-ci n’a pu le faire que mandaté par son épouse présente, qui a ensuite apposé sa signature ; il en résulte que le cautionnement n’est pas nul.
Sur ce,
Selon l’article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-310 du 14 février 2016, applicable au litige, toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci: « En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de… couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de…, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même ».
Mme [R] ne conteste pas sa signature apposée au bas de la mention manuscrite reprenant exactement les termes de l’article L. 341-2 précité. Elle soutient qu’elle ne lisait et n’écrivait pas le français, mais ne conteste pas s’être rendue dans les locaux de la banque avec son époux qui a rédigé la mention pour elle.
Il en résulte que M. [R], ainsi mandaté par son épouse pour rédiger la mention en sa présence, a valablement pu rédiger cette mention manuscrite. Comme le fait observer la banque, Mme [R], mariée en France depuis 2001, ne démontre pas qu’elle ne comprenait pas le français douze ans plus tard, lors de la signature du cautionnement, alors même qu’il résulte du prêt souscrit par la société Li Jiang, débiteur principal, que Mme [R] était dirigeante de cette société.
En conséquence, ces circonstance établissent que la conscience et l’information de Mme [R] sur son engagement de caution ont été autant assurées que si elle avait rédigé la mention elle-même.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu’il rejette la nullité de l’engagement de caution de Mme [R].
Sur le caractère disproportionné des cautionnements
M. et Mme [R] font valoir que :
– ils sont mariés sous le régime de la séparation de biens ;
– au jour de la souscription de leurs engagements de caution, M. [R] percevait un revenu annuel de 33.297 euros soit deux foix et demi inférieurs au montant maximum de son cautionnement, et Mme [R] percevait un revenu annuel de 14.030 euros soit quatre fois inférieur à son engagement de caution ;
– ils étaient propriétaires indivis d’un bien immobilier, lequel était toutefois hypothéqué en garantie du prêt personnel consenti à M. [R] et n’était donc plus disponible pour garantir les engagements de caution pris postérieurement ;
– à ce jour, ils ne sont pas en mesure de faire face au paiement de leurs cautionnements dès lors qu’ils n’ont plus de revenus depuis la liquidation judiciaire de la société ; l’unique revenu de M. [R] consiste en une pension de retraite, laquelle permet de financer une pension alimentaire due à son ex-épouse et les études supérieures de leur fille ; le couple a déposé un dossier de surendettement.
La banque réplique que :
– les époux sont propriétaires indivis d’un bien immobilier que M. [R] avait évalué à 300.000 euros dans la fiche de renseignement qu’il a signé le 24 janvier 2013 et qui vaut donc davantage en 2020 ; même en soustrayant le montant du capital restant dû au titre des deux prêts souscrits, l’actif immobilier net représente, en 2020, la somme de 203.911,76 euros soit 101.955,88 euros pour chacun des époux, montant très supérieur à leur dette de caution qu’ils sont donc à même d’honorer ;
– au surplus, d’après les informations figurant sur la fiche de renseignement, M. [R] disposait d’un revenu mensuel disponible de 2.114 euros, Mme [R] disposait également de revenus, et le couple faisait état d’un bien immobilier évalué à 300.000 euros, de sorte qu’il n’y avait pas de disproportion manifeste à l’époque de l’engagement des cautions.
Sur ce,
Selon l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-310 du 14 mars 2016, applicable au litige, ‘un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.’
La proportionnalité de l’engagement d’une caution s’apprécie soit au moment de sa conclusion, soit, en cas de disproportion initiale, lorsque la caution est appelée. La disproportion suppose que la caution soit, à la date où elle souscrit, dans l’impossibilité manifeste de faire face à un tel engagement avec ses biens et revenus. La capacité de la caution à faire face à son obligation au moment où elle est appelée s’apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d’autres engagements de caution et quand bien même le juge a déclaré ces cautionnements antérieurs disproportionnés.
La disproportion manifeste de l’engagement de la caution s’apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction, de sorte que, lorsque la caution est mariée sous le régime de la communauté légale, doivent être pris en considération tant les biens propres et les revenus de la caution que les biens communs, incluant les revenus de son conjoint.
Il appartient à la caution qui l’invoque, de démontrer l’existence de la disproportion manifeste de son engagement au moment de la conclusion de celui-ci et, si le cautionnement est disproportionné lors de sa souscription, il appartient alors au créancier d’établir qu’au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son engagement.
Enfin, la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d’anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu’elle a déclarée au créancier. L’absence de fiche de renseignements établie par la banque au jour du cautionnement n’est aucunement sanctionnée par la nullité du cautionnement, dès lors qu’aucun texte ne le prévoit ; il appartient seulement à la caution d’établir qu’à la date de sa souscription, l’engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
En l’espèce, M. et Mme [R] établissent que par jugement d’homologation du 12 mars 2012, soit antérieurement aux cautionnements litigieux, ils ont modifié leur régime matrimonial pour adopter le régime de la séparation de biens.
La banque produit une fiche de renseignements relative à M. [R] seul, établie le 24 janvier 2013 soit peu avant les cautionnements du 3 mai 2013. Aux termes de ce document, M. [R] a déclaré être propriétaire depuis 2005 d’une maison d’habitation estimée à la somme de 300.000 euros garantie par une hypothèque et grevée d’un prêt immobilier également déclaré, présentant un capital restant dû de 187.453 euros et venant à échéance en janvier 2032. M. [R] a indiqué être à la retraite et percevoir des revenus de 4.500 euros par mois et avoir pour charges, un crédit de 31,85 euros par mois pour l’achat d’un piano venant à échéance en novembre 2019, une pension alimentaire de 828 euros par mois, outre les charges courantes en ce compris le remboursement mensuel du prêt immobilier, soit un total mensuel disponible de 2.114,64 euros.
M. et Mme [R] produisent leur avis d’imposition sur les revenus de l’année 2012, lequel fait apparaître un revenu au titre des pensions de retraite pour M. [R], de 33.297 euros. Ce montant est inférieur à celui qu’il a déclaré dans la fiche de renseignements, de 4.500 euros par mois soit 54.000 euros par an. Toutefois, en l’absence d’anomalie apparente sur les informations déclarées, M. [R] ne peut se prévaloir d’une situation en réalité moins favorable que celle déclarée à la banque, de sorte qu’il convient de retenir les montants qu’il a mentionnés dans la fiche de renseignements.
Cet avis d’imposition mentionne, pour Mme [R], un revenu annuel de 14.030 euros qui doit être pris en compte pour ce montant, étant rappelé que Mme [R] n’a pas rempli de fiche de renseignements.
Les époux indiquent être propriétaires indivis, chacun pour moitié, du bien immobilier mentionné dans la fiche de renseignement de M. [R]. Le fait que le bien soit grevé d’une hypothèque n’a pas à être pris en compte dès lors que l’évaluation du bien est faite après déduction du capital restant dû sur le prêt immobilier. Il convient donc de considérer qu’au jour de la souscription des cautionnements, chaque époux était propriétaire indivis du bien immobilier d’une valeur totale de 112.547 euros (300.000 – 187.453), soit 56.273 euros chacun.
Or, les cautionnements ont été consentis pour un montant maximum de 60.008 euros, de sorte qu’au vu du patrimoine de chaque caution, ces engagements n’étaient pas disproportionnés.
L’absence de disproportion au jour de la signature des cautionnements rend inutile l’examen de la disproportion au jour où les cautions ont été appelées par la banque.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu’il rejette le moyen tiré de la disproportion des cautionnements.
Sur l’obligation d’information annuelle de la caution
M. et Mme [R] font valoir que la banque ne justifie pas avoir satisfait, à compter de 2016, à son obligation d’information annuelle imposée par l’article L 313-22 du code monétaire et financier ; que la banque ne peut justifier de l’envoi de cette information par la seule invocation d’une clause du contrat qui impose à la caution de signaler à la banque si elle n’a pas reçu l’information, une telle clause devant être réputée non-écrite ; que la banque doit être déchue de son droit à intérêts à compter de décembre 2014.
La banque réplique qu’elle produit les lettres d’information des années 2014 et 2015 ; que les contrats de cautionnement prévoyaient, en leur article 4, que la caution s’engageait à prévenir la banque en cas d’absence de réception de la lettre annuelle d’information, ce qu’ils n’ont pas fait.
Sur ce,
Selon l’article L. 313-22 du code monétaire et financier, applicable au litige :
‘Les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l’engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.
La réalisation de cette obligation légale ne peut en aucun cas être facturée à la personne qui bénéficie de l’information.
Le défaut d’accomplissement de la formalité prévue à l’alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l’établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l’établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.’
Il résulte de ce texte qu’il appartient aux établissements de crédit et aux sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, de justifier de l’accomplissement des formalités légalement prévues et que la seule production de la copie de lettres d’information ne suffit pas à justifier de leur envoi.
En l’espèce, la banque produit les lettres simples, en date du 4 février 2014 et du 12 février 2015, informant chacune des cautions de la situation du débiteur principal au 31 décembre de l’année précédente.
Toutefois, la banque ne démontre pas leur envoi aux cautions.
Elle se prévaut des engagements de caution du 3 mai 2013, lesquels prévoient, à l’article 4, que la caution s’oblige à faire connaître à la banque avant le 20 mars de chaque année, l’absence de réception de l’information prévue par la loi.
Une telle disposition contractuelle a pour effet de créer à la charge de la caution une obligation de veiller à l’accomplissement, par l’établissement de crédit, de son obligation légale d’information. Or, elle ne saurait aucunement décharger l’établissement de crédit de son obligation de prouver l’envoi des lettres d’information, dès lors que c’est bien à l’établissement de crédit, débiteur de l’obligation d’information, de rapporter la preuve qu’il a rempli cette obligation. Cette disposition est ainsi contra legem.
En conséquence, la banque ne peut solliciter les intérêts échus de sa créance, pour la période du 1er janvier 2014 au 22 décembre 2015, date de la déclaration de créance qu’elle a effectuée auprès du mandataire judiciaire, au titre du prêt.
Au vu du tableau d’amortissement, il convient donc de déduire la somme de 11.265,06 euros du montant réclamé aux cautions, correspondant aux intérêts de l’année 2014 et à ceux de l’année 2015 à l’exclusion de décembre 2015.
Dès lors, il convient d’infirmer le jugement sur le seul montant des sommes dues à la banque, et de condamner M. [R] d’une part, et Mme [R] d’autre part, à payer chacun à la banque la somme de 34.927,60 euros, outre intérêts postérieurs au 17 juillet 2020 au taux conventionnel de 3,25 %.
Sur la demande de délais de paiement
La banque fait valoir que le moratoire qui leur a été accordé par les premiers juges aurait pu se concevoir s’il avait été motivé par un projet de vente du bien immobilier, mais M. et Mme [R] n’apportent aucun élément de nature à étayer leur demande de délai et ne sont pas de bonne foi.
M. et Mme [R] font valoir que, compte tenu de leurs revenus et au regard du comportement de la banque qui les a assignés sans mise en demeure préalable, ils sont bien fondés à solliciter le report du paiement de la créance à deux années et, à défaut, son échelonnement sur vingt-quatre mensualités.
Sur ce,
Au vu de la situation de M. et Mme [R] qui justifient d’une procédure de surendettement, il convient de confirmer ce chef du jugement en ce qu’il leur a accordé un report de deux ans.
Il importe de préciser que la confirmation n’a pas pour effet de reporter le point de départ de ce délai de grâce à la date du présent arrêt.
Le report de deux ans ayant été prononcé avec exécution provisoire du jugement, il en résulte que M. et Mme [R] ont d’ores et déjà bénéficié de ce délai, dès lors que le jugement critiqué a été rendu le 1er avril 2021, soit il y a plus de deux ans.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
M. et Mme [R] succombant à l’instance, ils seront condamnés aux dépens d’appel.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, M. et Mme [R] son condamnés à payer à la banque la somme de 1.500 euros.
La cour, statuant contradictoirement,
Confirme le jugement déféré, sauf sur le quantum des condamnations à paiement, au titre des cautionnements ;
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,
Condamne M. [R] d’une part, et Mme [R] d’autre part, à payer chacun à la société Banque populaire Auvergne-Rhône-Alpes la somme de trente-quatre mille neuf cents vingt-sept euros et soixante centimes (34.927,60 euros), outre intérêts postérieurs au 17 juillet 2020 au taux conventionnel de 3,25 % ;
Condamne M. et Mme [R] aux dépens d’appel ;
Condamne M. et Mme [R] à payer à la société Banque populaire Auvergne-Rhône-Alpes la somme de mille cinq cents euros (1.500 euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE