La société CAISSE d’EPARGNE PROVENCE ALPES CORSE a accordé un prêt personnel de 15.000 euros à Madame [Y] [O] en janvier 2018, remboursable en 60 mensualités. En décembre 2019, la société a mis en demeure Madame [O] pour des échéances impayées et a prononcé la déchéance du terme en août 2020. Après une assignation en septembre 2020, le tribunal a rendu un jugement en mai 2022, déboutant Madame [O] de ses demandes et la condamnant à rembourser une somme de 12.191,52 euros. Madame [O] a fait appel, contestant la validité de la déchéance et la solvabilité vérifiée par la banque. En janvier 2024, la cour a confirmé la déchéance du terme mais a rouvert les débats sur la question des intérêts. En mai 2024, Madame [O] a demandé l’infirmation du jugement et la déchéance totale des intérêts, tandis que la CAISSE D’EPARGNE a demandé la confirmation du jugement. La cour a finalement infirmé le jugement concernant le montant dû, prononcé la déchéance totale des intérêts, et condamné Madame [O] à verser 11.085,91 euros à la banque.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Chambre 1-7
ARRÊT AU FOND
DU 12 SEPTEMBRE 2024
N° 2024/ 319
Rôle N° RG 22/08999 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJTWP
[Y] [O]
C/
S.A. CAISSE D’EPARGNE PROVENCE ALPES CORSE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Pascal ANTIQ
Me Daniel LAMBERT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge des contentieux de la protection de DIGNE-LES-BAINS en date du 13 Mai 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 20/00200.
APPELANTE
Madame [Y] [O]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/5633 du 15/07/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
née le 17 Mai 1978 à [Localité 1] (ROUMANIE), demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Pascal ANTIQ de la SCP MAGNAN – ANTIQ, avocat au barreau d’ALPES DE HAUTE-PROVENCE
INTIMÉE
S.A. CAISSE D’EPARGNE PROVENCE ALPES CORSE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège social, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Daniel LAMBERT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Laure ATIAS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Carole MENDOZA, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Carole DAUX-HARAND, Présidente de chambre
Madame Carole MENDOZA, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Natacha BARBE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Septembre 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Septembre 2024
Signé par Madame Carole DAUX-HARAND, Présidente de chambre et Mme Natacha BARBE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon offre préalable acceptée le 04 janvier 2018, la société CAISSE d’EPARGNE PROVENCE ALPES CORSE (PAC) a consenti à Madame [Y] [O] un prêt personnel d’un montant de 15.000 euros, remboursable en 60 mensualités de 269,46 euros hors assurance, au taux d’intérêt nominal de 2,99 %.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 02 décembre 2019, la société CAISSE D’EPARGNE PAC a mis en demeure Madame [O] d’avoir à lui verser les échéances impayées.
Le prêteur a prononcé la déchéance du terme par lettre recommandée du 10 août 2020.
Par acte d’huissier du 09 septembre 2020, la société CAISSE D’EPARGNE PAC a fait assigner Madame [O] aux fins de la voir condamner au solde du prêt.
Par jugement contradictoire du 13 mai 2022, le juge des contentieux de la protection de Digne-les-Bains a :
– débouté Mme [O] [Y] de sa demande d’invalidation de la déchéance du terme du contrat de prêt,
– dit que la CAISSE D’EPARGNE Provence-Alpes-Corse a bien vérifié la solvabilité de Mme [O] [Y],
– débouté Mme [O] [Y] de sa demande de condamnation de la CAISSE D’EPARGNE Provence-Alpes-Corse à lui payer la somme de 12 971,11 euros,
– condamné [Y] [O] à payer à la CAISSE D’EPARGNE Provence-Alpes Corse :
* la somme de 12 191,52 euros au titre des mensualités impayées et du capital restant dû avec intérêts au taux conventionnel à compter de l’assignation et jusqu’à parfait paiement
– débouté Mme [O] [Y] de sa demande de délai de paiement
– débouté la CAISSE D’EPARGNE de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
– condamné Mme [O] [Y] au paiement des dépens dans les conditions prévues par l’aide juridictionnelle.
Il a rejeté la demande de délai de paiement.
Par déclaration du 22 juin 2022, Madame [O] a relevé appel de cette décision en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande d’invalidation de la déchéance du terme, en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande tendant à voir condamner la société CAISSE D’EPARGNE PAC à lui verser la somme de 12.971,11 euros, en ce qu’elle l’a condamnée au versement de la somme de 12.971,11 euros à la société CAISSE D’EPARGNE PAC, en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande de délai de paiement et en ce qu’elle l’a condamnée aux dépens.
La société CAISSE D’EPARGNE PAC a constitué avocat.
Par conclusions notifiées par RPVA le 30 août 2023, Madame [O] demande à la cour :
– d’infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions
Et statuant de nouveau :
Au principal :
– de constater que la Caisse d’Epargne Alpes Corse ne justifie pas lui avoir adressé une mise en demeure préalable à la déchéance du terme,
– de dire que la déchéance du terme n’est pas valablement intervenue,
– de débouter la société Caisse d’Epargne Alpes Corse de ses demandes,
*subsidiairement,
– de juger que la Caisse d’Epargne engage sa responsabilité à son égard pour ne pas avoir satisfait à son devoir de vérification de la solvabilité de l’emprunteur et à son devoir de mise en garde,
– de condamner la Caisse d’Epargne à lui payer la somme de 12.971 ,11 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
– d’ordonner la compensation entre les sommes que se doivent les parties.
*A titre infiniment subsidiaire,
– de lui octroyer les plus larges délais de paiement pour s’acquitter des condamnations mises à sa charge en application de l’article 1343-5 du code civil.
*En tout état de cause :
– de condamner la Caisse d’Epargne Alpes Corse à lui payer la somme de 2.000 € en vertu de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d’appel.
Par conclusions notifiées par RPVA le 06 décembre 2022 auxquelles il convient de se reporter, la société CAISSE D’EPARGNE PAC demande à la cour :
– de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
– de condamner Madame [O] à lui verser la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– de débouter Madame [O] de ses demandes,
– de condamner Madame [O] aux dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 02 novembre 2023.
Par arrêt mixte du 11 janvier 2024, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a :
– confirmé le jugement en ce qu’il a déclaré que la société CAISSE D’EPARGNE PROVENCE ALPES CORSE a valablement prononcé la déchéance du terme du prêt et en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par Madame [Y] [O],
– ordonné la réouverture des débats,
– invité les parties à s’expliquer sur une éventuelle déchéance du droit aux intérêts de la société CAISSE D’EPARGNE PROVENCE ALPES CORSE,
– sursis à statuer sur le surplus des demandes et sur les dépens.
Par conclusions notifiées par RPVA le 27 mai 2024 auxquelles il convient de se reporter, Mme [O] demande à la cour :
– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a condamnée à payer à la Caisse d’Epargne Provence-Alpes-Corse la somme de12 191,52 € au titre des mensualités impayées et du capital restant dû avec intérêts au taux conventionnel à compter de l’assignation et jusqu’à parfait paiement et en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de délais de paiement.
Et statuant de nouveau, en cas de condamnation :
– de prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts,
– de lui octroyer plus larges délais de paiement pour s’acquitter des condamnations mises a sa charge en application de l’article 1343-5 du code civil.
En tout état de cause :
– de débouter la Caisse d’Epargne Alpes Corse de ses demandes plus amples ou contraires,
– de rejeter la demande de la Caisse d’Epargne Alpes Corse formée au titre de l’article 700
du code de procédure civile,
– de condamner la Caisse d’Epargne Alpes Corse à lui payer la somme de 2.000 € en vertu de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d’appel.
Elle soutient que le prêteur n’a pas suffisamment évalué sa solvabilité. Elle sollicite en conséquence la déchéance totale du droit aux intérêts contractuels de la société CAISSE D’EPARGNE PROVENCE ALPES CORSE.
Elle sollicite des délais de paiement en faisant état de sa situation financière.
Par conclusions notifiées par RPVA le 11 mars 2024 auxquelles il convient de se reporter, la SA CAISSE D’EPARGNE PROVENCE ALPES CORSE demande à la cour :
– de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
A titre subsidiaire
si la déchéance du droit aux intérêts était prononcée :
– de condamner Mme [Y] [O] à lui payer une somme qui ne saurait être inférieure à 11.085,91 €, outre intérêts au taux légal a compter du 18 décembre 2019.
En tout état de cause
– de débouter Mme [Y] [O] de ses demandes,
– de condamner Mme [Y] [O]à lui payer la somme de 1.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner Mme [Y] [O] aux dépens.
Elle expose avoir procédé à une vérification sérieuse de la solvabilité de l’emprunteur mais note ne pouvoir, six ans après la conclusion du prêt, produire les justificatifs des pièces qu’elle avait sollicitées. Elle sollicite la confirmation du jugement déféré et subsidiairement, sollicite a minima le montant des sommes dues, après déduction des intérêts, rappelant que la déchéance du droit aux intérêts peut n’être que partielle.
L’article L 312-16 du code de la consommation énonce qu’avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur vérifie la solvabilité de l’emprunteur à partir d’un nombre suffisant d’informations, y compris des informations fournies par ce dernier à la demande du prêteur. Le prêteur consulte le fichier prévu à l’article L. 751-1, dans les conditions prévues par l’arrêté mentionné à l’article L. 751-6, sauf dans le cas d’une opération mentionnée au 1 de l’article L. 511-6 ou au 1 du I de l’article L. 511-7 du code monétaire et financier.
L’article L 341-2 du même code dispose que le prêteur qui n’a pas respecté les obligations fixées aux articles L. 312-14 et L. 312-16 est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.
Selon la CJUE ( 5 mars 2020, aff. C-679/18), une juridiction nationale est tenue d’examiner d’office l’existence d’une violation de l’obligation précontractuelle du prêteur d’évaluer la solvabilité du consommateur et de tirer les conséquences qui découlent en droit national d’une violation de cette obligation.
Le prêteur ne peut se contenter des éléments déclarés par l’emprunteur au titre des ressources et charges. Il doit en vérifier la réalité en sollicitant tout document utile.
Le prêteur, auquel il incombe de démontrer qu’il a respecté son obligation de vérification de la solvabilité de l’emprunteur, ne justifie pas s’y être astreint. Il justifie uniquement avoir consulté le FICP s’être appuyé sur la fiche de dialogue, qui n’est elle-même accompagnée d’aucun élément justificatif.
Il sera ainsi sanctionné par la déchéance totale de son droit aux intérêts contractuels.
Dès lors, Mme [O] sera condamnée au versement du capital emprunté minoré des sommes qu’elle a versées, soit 11.085, 91 euros.
Selon l’article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.
Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte.
Aux termes de l’article L 313-3 du code monétaire et financier, en cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l’intérêt légal est majoré de cinq points à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision.
La Cour de cassation juge que la déchéance du droit aux intérêts conventionnels ne dispense pas l’emprunteur du paiement des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure.
Afin de garantir l’effectivité des règles de protection des consommateurs prévues par la directive 2008/48/CE, il incombe au juge de réduire d’office, dans une proportion constituant une sanction effective et dissuasive du manquement du prêteur à son obligation légale d’information, le taux résultant de l’application des deux derniers textes précités, lorsque celui-ci est supérieur ou équivalent au taux conventionnel. En conséquence, il convient de condamner Mme [O] à verser la somme de 11.085, 91 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2019 (date de la mise en demeure), mais d’écarter l’application de l’article L 313-3 du code monétaire et financier.
Sur la demande de délais de paiement
Selon l’article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Mme [O] a versé entre le mois de février et le mois de juin 2020 la somme de 100 euros, après que le prêteur a mis l’affaire en contentieux. Elle ne justifie d’aucun règlement depuis cette date. Elle ne démontre pas qu’elle serait en mesure de respecter un échéancier.
Il convient en conséquence de rejeter sa demande tendant à obtenir des délais de paiement. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur les dépens et sur les frais irrépétibles
Mme [O] est essentiellement succombante. Elle sera condamné aux dépens de première instance et d’appel en application de l’article 696 du code de procédure civile.
Pour des raisons tirées de l’équité, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le jugement déféré qui a condamné Mme [O] aux dépens et a rejeté la demande de la société CAISSE D’EPARGNE PROVENCE ALPES CORSE au titre des frais irrépétibles sera confirmé.
La cour, statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe
Vu l’arrêt mixte du 11 janvier 2024,
INFIRME le jugement déféré en ce qu’il a condamné Mme [Y] [O] à payer à la CAISSE D’EPARGNE Provence-Alpes Corse la somme de 12 191,52 euros au titre des mensualités impayées et du capital restant dû avec intérêts au taux conventionnel à compter de l’assignation et jusqu’à parfait paiement,
CONFIRME pour le surplus,
STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT,
PRONONCE la déchéance totale du droit aux intérêts contractuels de la société CAISSE D’EPARGNE Provence-Alpes Corse,
CONDAMNE Mme [Y] [O] à verser à la société CAISSE D’EPARGNE Provence-Alpes Corse la somme de 11.085,91 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2019,
ÉCARTE l’application de l’article L 313-3 du code monétaire et financier,
REJETTE les demandes des parties formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [Y] [O] aux dépens de la présente instance.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,