Mule bancaire : la responsabilité de la banque

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Mule bancaire : la responsabilité de la banque

Le 20 juillet 2017, M. [Z] [I] a ouvert un compte-courant pour son fils, M. [H] [I], auprès de la SA CIC Sud Ouest. Le 7 octobre 2019, M. [H] [I] a été agressé et hospitalisé jusqu’au 18 octobre. À partir du 11 octobre, le compte a affiché un solde débiteur de 6 188,08 € au 21 février 2020. À sa sortie d’hôpital, M. [I] a découvert un dépôt de chèque volé de 6 200 € et a déposé une plainte le 19 octobre. La banque a tenté de le mettre en demeure de régulariser sa situation sans succès. M. [I] a sollicité la prise en compte de sa situation, mais la banque a demandé une injonction de payer. Le 30 mars 2021, le tribunal a partiellement donné raison à la banque, ordonnant à M. [I] de payer 6 197,22 €. M. [I] a formé opposition le 25 octobre 2021. Le 19 avril 2022, le tribunal a déclaré recevable l’opposition, débouté la banque de ses demandes et condamné celle-ci à verser 1 500 € à M. [I]. La banque a fait appel le 13 mai 2022. Dans ses dernières conclusions, la banque demande à la cour de lui donner raison, tandis que M. [I] demande la confirmation du jugement initial. La cour a finalement confirmé le jugement en toutes ses dispositions, condamnant la banque aux dépens d’appel et à verser 2 500 € à M. [H] [I].

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 septembre 2024
Cour d’appel de Montpellier
RG
22/02590
ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

4e chambre civile

ARRET DU 12 SEPTEMBRE 2024

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 22/02590 – N° Portalis DBVK-V-B7G-PNKK

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 19 avril 2022

tribunal judiciaire de Montpellier – N° RG 11-21-1053

APPELANTE :

Sa Cic Sud Ouest

Société anonyme immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le n°456 204 809 dont le siège social est [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée sur l’audience par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LX MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIME :

Monsieur [H] [I]

né le 11 Février 2001 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représenté sur l’audience par Me Charlène GRANIER substituant Me Georges INQUIMBERT de la SCP CHRISTOL I./INQUIMBERT G., avocat au barreau de MONTPELLIER

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Juin 2024,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M.Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre

Mme Marie-José FRANCO, Conseillère

M. Philippe BRUEY, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Henriane MILOT

ARRET :

– contradictoire ;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Henriane MILOT, Greffier.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

1) Le 20 juillet 2017, M. [Z] [I] a ouvert, en qualité

d’administrateur légal de son fils, M. [H] [I], un compte-courant dit contrat personnel parcours [XXXXXXXXXX06] auprès de la SA CIC Sud ouest (ci-après la banque).

2) Le 7 octobre 2019, M. [H] [I] a été victime d’une

agression avec arme blanche et vol de ses effets personnels, ayant conduit à son hospitalisation jusqu’au 18 octobre 2019.

3) A compter du 11 octobre 2019, ce compte-courant a fait

l’objet d’un solde débiteur, à hauteur de 6 188,08 € au 21 février 2020.

4) A sa sortie d’hôpital, M. [I] indique avoir pris

connaissance d’un dépôt de chèque sur son compte de 6 200 €, qui s’est avéré être volé. Partant, le 19 octobre 2019, M. [I] a déposé une plainte pour ces faits après en avoir informé la banque.

5) Le 31 décembre 2019, par courrier, la banque a vainement

mis en demeure M. [I] de régulariser sa situation et l’a informé qu’à défaut de régularisation, il serait susceptible d’une inscription au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) géré par la banque de France.

Le 16 janvier 2020, un nouveau courrier lui a été adressé, puis le 24 février 2020 par la SAS Filaction, mandataire de la banque, sans succès.

6) Par courriers des 31 janvier et 28 février 2020, via son service de protection JURIDICA, M. [I] a sollicité de la banque, la prise en considération de sa situation, en vain.

7) C’est dans ce contexte que par l’intermédiaire de son mandataire, la SAS Filaction, la banque a sollicité une injonction de payer.

Par ordonnance du 30 mars 2021, le tribunal judiciaire de Montpellier a partiellement fait droit à la requête de la banque enjoignant à M. [I] de lui payer la somme de 6 197,22 €.

8) Le 25 octobre 2021, sous la plume de son avocat, M. [I] a formé opposition.

9) Par jugement contradictoire en date du 19 avril 2022, le juge des contentieux de la protection près le tribunal judiciaire de Montpellier a : 

Déclaré recevable l’opposition formée par M. [I] à l’encontre de l’ordonnance portant injonction de payer à la SA CIC Sud ouest du tribunal judiciaire de Montpellier le 30 mars 2021 ;

Débouté la SA CIC Sud ouest de l’intégralité de ses demandes;

Condamné la SA CIC Sud ouest à verser à M. [I] la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la SA CIC Sud ouest aux entiers dépens de l’instance ;

Rappelé que l’exécution provisoire est de droit et dit n’y avoir lieu à l’écarter.

10) Le 13 mai 2022, la SA CIC Sud ouest a relevé appel de ce jugement.

PRÉTENTIONS

11) Par dernières conclusions remises par voie électronique le 7 mai 2024, la SA CIC Sud ouest demande à la cour de la déclarer recevable et bien fondée en son appel, de débouter M. [I] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusion, d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de :

Condamner M. [I] à payer à la banque la somme de 6 197,22 € au titre du solde débiteur du compte courant n°[XXXXXXXXXX01], outre les intérêts au taux légal dus à compter du 31 décembre 2019 ;

Condamner M. [I] à payer à la banque la somme de 2 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

12) Par dernières conclusions remises par voie électronique le 6 mai 2024, M. [I] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et en conséquence, de :

Débouter la banque CIC de toutes demandes plus amples ou contraires ;

Débouter la banque CIC de sa demande de paiement de 6 197,22 € outre les intérêts au taux légal ;

Condamner la banque CIC à verser à M. [I] la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;

13) Vu l’ordonnance du clôture du 13 mai 2024.

Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

14) selon l’article L. 133-16 du code monétaire et financier, ‘Dès qu’il reçoit un instrument de paiement, l’utilisateur de services de paiement prend toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses données de sécurité personnalisées.’

Selon l’article L. 133-17 du même code, ‘I. ‘ Lorsqu’il a connaissance de la perte, du vol, du détournement ou de toute utilisation non autorisée de son instrument de paiement ou des données qui lui sont liées, l’utilisateur de services de paiement en informe sans tarder, aux fins de blocage de l’instrument, son prestataire ou l’entité désignée par celui-ci.’

Selon l’article L. 133-19 du même code,

‘II. ‘ La responsabilité du payeur n’est pas engagée si l’opération de paiement non autorisée a été effectuée en détournant, à l’insu du payeur, l’instrument de paiement ou les données qui lui sont liées.

(…)

III. ‘ Sauf agissement frauduleux de sa part, le payeur ne supporte aucune conséquence financière si le prestataire de services de paiement ne fournit pas de moyens appropriés permettant l’information aux fins de blocage de l’instrument de paiement prévue à l’article L. 133-17.’

Enfin, selon l’article L. 133-23 du même code, ‘Lorsqu’un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée, ou affirme que l’opération de paiement n’a pas été exécutée correctement, il incombe à son prestataire de services de paiement de prouver que l’opération en question a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu’elle n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre.

L’utilisation de l’instrument de paiement telle qu’enregistrée par le prestataire de services de paiement ne suffit pas nécessairement en tant que telle à prouver que l’opération a été autorisée par le payeur ou que celui-ci n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations lui incombant en la matière. Le prestataire de services de paiement, y compris, le cas échéant, le prestataire de services de paiement fournissant un service d’initiation de paiement, fournit des éléments afin de prouver la fraude ou la négligence grave commise par l’utilisateur de services de paiement.’

15) La banque s’est vue déboutée de son action en paiement du solde débiteur du compte bancaire ouvert dans ses livres et critique le premier juge en ce qu’il aurait fait une application erronée des dispositions précitées à la présente espèce. Elle soutient la participation active de M. [I] à la fraude, à tout le moins la négligence grave de celui-ci qui a omis de faire opposition à sa carte bancaire et n’a pas pris toutes les mesures propres à assurer la confidentialité de son code.

16 ) il est constant en l’espèce que :

selon la banque, les opérations litigieuses sont les suivantes :

– une remise de chèques d’un montant de 6200€ effectuée le 7 octobre ;

– des paiements par carte bancaire effectués le 7 octobre pour 1,99€ puis le 8 octobre pour 100€, 40€, 500€, 539,96€, 15€, 115€

– des retraits d’espèces en distributeurs automatiques effectués le 8 octobre pour 2000€ et le 9 octobre pour 100€ et 1500€.

17) s’agissant de la participation de M. [I] à la fraude, la circonstance que la remise de chèques a été réalisée à l’agence près de laquelle a eu lieu la rixe à laquelle il a participé et au cours de laquelle il sera blessé est inopérante dès lors que la banque ne produit ni le bordereau de remise ni le chèque endossé permettant de caractériser que M. [I] en est le remettant. Si sa signature y figurait, elle n’aurait pas manqué de le faire.

M. [I] a été victime le 7 octobre 2019 en soirée d’une agression par arme blanche provoquant une plaie abdominale nécessitant une hospitalisation immédiate en service de réanimation où il est resté jusqu’au 10 octobre puis en chirurgie d’où il est sorti le 18 octobre. Lorsque les gendarmes l’interrogent le 9 octobre à 17h20, ils relèvent qu’ils ont affaire à un jeune homme fatigué et alité, montrant des signes d’endormissement et peinant parfois à parler.

18) Il en résulte suffisamment qu’il n’était pas en état psychique ni physique de procéder lui même aux opérations des 8 et 9 octobre. Pas plus n’est il démontré qu’il a procédé à la demande d’augmentation des retraits et des paiements formulée via l’application CIC FILBANQUE le 8 octobre, étant observé qu’il a déclaré avoir été dépossédé de ses identifiants bancaires qu’il conservait dans sa sacoche disparue lors de l’agression.

19) S’il a déclaré qu’il avait perdu sa carte bancaire depuis longtemps, une telle déclaration ne peut être qualifiée de mensongère dès lors que dans sa plainte du 19 octobre, il a pu préciser qu’il l’a pensait égarée à son domicile. Les mouvements du compte intéressé démontrent que M. [I] n’avait plus effectué d’opérations de débit depuis le 20 février 2019. Les opérations du 3 octobre 2019 sont dénoncées comme frauduleuses par son assureur protection juridique et toute l’habileté de la banque est de soutenir que les deux paiements par carte bancaire réalisés le 3 octobre 2019 sont imputables à M. [I]. Il en va de même s’agissant des multiples connexions réalisées à compter du 3 octobre aucun élément probant n’établissant comme l’affirme la banque sur la base d’un extrait informatique qui ne le précise pas expressément que M. [I] est passé à l’agence le 3 octobre aux fins de modifier son mot de passe de connexion.

Quant au stéréotype selon lequel M. [I], jeune, sans emploi et sans ressources, multirécidiviste (de quoi) selon un article de presse, présente le profil de la mule bancaire il n’a pas sa place dans la démonstration rigoureuse de sa participation à la fraude telle qu’attendue de la banque.

20) Comme énoncé par l’article L. 133-26 précité et comme justement rappelé par le premier juge, L’utilisation de l’instrument de paiement telle qu’enregistrée par le prestataire de services de paiement ne suffit pas nécessairement en tant que telle à prouver que l’opération a été autorisée par le payeur ou que celui-ci n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations lui incombant en la matière.

21) A aucun moment la banque ne démontre que la validation des opérations passées via l’application CIC Filbanque nécessitait une validation par téléphone dans le cadre d’une authentification renforcée.

22) S’agissant de la négligence grave dont la banque fait grief, il a été vu ci-dessus que M. [I] qui croyait avoir égaré sa carte à son domicile, estimant en sous entendu la retrouver un jour, n’a pas commis de manquement grave en n’en déclarant pas la perte alors qu’il n’en avait pas l’utilité depuis le mois de février 2019, mois où il a dépensé les quelques sous reçus pour son anniversaire.

Transporter dans sa sacoche ses identifiants bancaires peut constituer une négligence mais qui ne présente pas le caractère de gravité exigé par le texte précité.

23) la décision de première instance sera dès lors confirmée en toutes ses dispositions et la banque, partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

statuant contradictoirement

Confirme le jugement en toutes ses dispositions

Y ajoutant,

Condamne la Banque CIC Sud Ouest aux dépens d’appel.

Condamne la Banque CIC Sud Ouest à payer à M. [H] [I] la somme de 2500€ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


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