Engagement de caution : Évaluation de la disproportion manifeste et conséquences patrimoniales

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Engagement de caution : Évaluation de la disproportion manifeste et conséquences patrimoniales

Le 8 septembre 2011, le Crédit agricole a accordé un prêt de 80 000 € à la SARL Mang’addict, avec Mme [D] [N] et Mme [R] [S] comme cautions solidaires jusqu’à 20 000 €. La SARL a été placée en liquidation judiciaire le 2 novembre 2015, et le Crédit agricole a déclaré une créance de 36 987 €. Après une mise en demeure infructueuse de Mme [N] en juin 2018, le Crédit agricole l’a assignée en paiement en mai 2019. Le tribunal de Montpellier a débouté le Crédit agricole le 3 mars 2022, condamnant celui-ci à verser 1 000 € à Mme [N]. Le 14 avril 2022, le Crédit agricole a fait appel. Dans ses conclusions, il a demandé l’infirmation du jugement et le paiement de 20 000 € par Mme [N]. Mme [N] a demandé la confirmation du jugement et a soutenu que son engagement était disproportionné. Le 13 mai 2024, la cour a confirmé le jugement initial, condamnant le Crédit agricole aux dépens et à verser 2 500 € à Mme [N] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 septembre 2024
Cour d’appel de Montpellier
RG
22/02027
ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

4e chambre civile

ARRET DU 12 SEPTEMBRE 2024

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 22/02027 – N° Portalis DBVK-V-B7G-PMHV

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 03 mars 2022

Tribunal judiciaire de Montpellier – N° RG 19/02887

APPELANTE :

Société Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc

Société coopérative à capital variables, régie par les articles L512-20 à L512-54 du Code Monétaire et Financier, dont le n°SIREN est 492 826 417 et immatriculée au R.C.S. de MONTPELLIER, dont le siège est [Adresse 5], agissant par son représentant légal en exercice ès-qualité, domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée sur l’audience par Me Pascal ADDE de la SCP ADDE – SOUBRA AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

Madame [D] [N]

née le [Date naissance 1] 1986 à [Localité 6] (94)

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée sur l’audience par Me Marie D’HERVE substituant Me Jean baptiste ROYER de la SELARL ROYER AVOCAT, avocats au barreau de MONTPELLIER

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Juin 2024,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M.Philippe BRUEY, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre

Mme Marie-José FRANCO, Conseillère

M. Philippe BRUEY, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Henriane MILOT

ARRET :

– contradictoire ;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Henriane MILOT, Greffier.

*

* *

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Le 8 septembre 2011, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc (ci-après le Crédit agricole) a consenti à la SARL Mang’addict, un prêt d’un montant de 80 000 €, au taux de 3,50 % remboursable en 84 mensualités aux fins d’acquisition d’un fonds de commerce de livres, produits dérivés, DVD, jeux, exploité à Montpellier.

Par acte séparé du 26 août 2011, Mme [D] [N] et Mme [R] [S] se sont portées cautions solidaires de cet engagement dans la limite de 20 000 €, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, les pénalités de retard et pour la durée de 108 mois.

Par jugement du 2 novembre 2015, la SARL Mang’addict a été placée en liquidation judiciaire. Par courrier du 19 novembre 2015, le Crédit agricole a déclaré sa créance au passif de la procédure collective de cette société. Le 31 octobre 2016, sa créance a été admise pour un montant de 36 987 €.

Le 14 juin 2018, par lettre recommandée réceptionnée le 16 juin, le Crédit agricole a vainement mis en demeure Mme [N] de payer la somme due dans la limite de son engagement, soit 20000€.

C’est dans ce contexte que par acte du 28 mai 2019, le Crédit agricole a assigné en paiement Mme [N] devant le tribunal de grande instance de Montpellier.

Par jugement contradictoire du 3 mars 2022, le tribunal judiciaire de Montpellier a :

– Débouté la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc de l’ensemble de ses demandes ;

– Dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire ;

– Rejeté les demandes plus amples ou contraires ;

– Condamné la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc à payer à Mme [N] la somme de 1 000 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc aux dépens.

Le 14 avril 2022, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc a relevé appel de ce jugement.

Par uniques conclusions remises par voie électronique le 6 juillet 2022, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc demande à la cour, sur le fondement des articles 1103, 2288 et s. du code civil, L 341-4 du code de la consommation dans sa rédaction applicable au litige, de :

Infirmer le jugement des chefs critiqués,

Statuant à nouveau,

Débouter Mme [N] de ses moyens de défense, demandes et prétentions ;

Condamner Mme [N] à lui payer la somme principale de 20 000 €, outre intérêts au taux de 3,5 % depuis le 14 juin 2018 ;

Condamner Mme [N] aux dépens et à lui payer la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par uniques conclusions remises par voie électronique le 12 juillet 2022, Mme [D] [N] demande à la cour de :

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Et en tout état de cause, à titre principal,

Juger que l’engagement de Mme [N] est manifestement disproportionné ;

Juger, en conséquence, que le Crédit agricole ne peut s’en prévaloir ;

Débouter, en conséquence, le Crédit agricole de l’ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

Juger que le Crédit agricole ne rapporte pas la preuve du respect de son obligation d’information annuelle de la caution ;

Ordonner, en conséquence, la déchéance totale des intérêts;

En tout état de cause,

Débouter le Crédit agricole de l’ensemble de ses demandes;

Condamner le Crédit agricole aux dépens et à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu l’ordonnance du clôture du 13 mai 2024.

Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

A titre liminaire, l’acte de caution étant du 26 août 2011, il y a lieu de préciser qu’il sera fait application des dispositions du code civil dans leur version antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve de l’obligation.

Sur le caractère manifestement disproportionné de l’acte de caution

Aux termes de l’article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L.343-4, du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Le caractère manifestement disproportionné du cautionnement qu’il incombe à la caution de rapporter, s’apprécie au regard de l’ensemble des engagements souscrits par cette dernière d’une part, de ses biens et revenus d’autre part, sans tenir compte des revenus escomptés de l’opération garantie, mais en fonction de tous les éléments du patrimoine et pas seulement de ses revenus.

Il appartient à la caution, qui l’invoque, de démontrer l’existence de la disproportion manifeste de son engagement, au moment de la conclusion de celui-ci.

La banque n’a pas l’obligation d’exiger une fiche de renseignement patrimoniale. Tenue de s’enquérir de la situation patrimoniale de la caution, la banque est en droit de se fier aux informations que celle-ci lui fournit en l’absence d’anomalie apparente et elle n’a pas à vérifier l’exactitude de ces déclarations.

Dans ce cas, la caution ne sera alors pas admise à établir, devant le juge, que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu’elle avait déclarée à la banque.

En revanche, en présence d’anomalie apparente, ou lorsque la caution n’a déclaré aucun élément sur sa situation patrimoniale à la banque lors de son engagement, notamment parce que cette dernière ne lui a rien demandé, la caution est libre de démontrer, devant le juge, quelle était sa situation financière réelle lors de son engagement. Elle peut aussi opposer à la banque les éléments non déclarés dont celle-ci avait connaissance.

Ces principes rappelés, il convient de constater que :

– l’engagement de caution solidaire de Mme [N] est du 26 août 2011 ;

– la banque ne produit aucune fiche de renseignement de sorte que Mme [D] [N] est à même de prétendre établir la disproportion manifeste qu’elle soutient ;

– Madame [N] produit son avis d’imposition 2012 sur les revenus de l’année 2011 faisant apparaître des revenus annuels de 8755 euros composés de salaires et autres revenus salariaux (montant de l’impôt : 0 €) ;

– Elle justifie, par ailleurs, avoir perçu l’allocation chômage d’un montant de 32,44 euros journaliers entre le 3 juillet 2010 et le 9 juillet 2011, puis une allocation chômage d’un montant journalier brut de 28,38 € à compter du 17 août 2011.

C’est à juste titre que le premier juge a relevé que son engagement de caution du 26 août 2011 était manifestement disproportionné à ses faibles revenus.

La Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc reproche au premier juge de ne pas avoir tenu compte du patrimoine de Mme [N], alors qu’elle était propriétaire de 50 % du capital de la SARL Mang’Addict qui était propriétaire d’un fonds de commerce acquis 70 000 euros. Selon elle, la valeur nette des parts détenues par Mme [N], au moment où elle s’est engagée en qualité de caution, était donc de 35 000 euros.

Toutefois, il résulte de l’acte de vente du fonds de commerce du 8 septembre 2011 qu’un prêt de 80 000 euros a été souscrit pour le financement de cette opération, ce qui signifie que la valeur des parts de Mme [N] est, en réalité, négative (70 000 euros – 80 000 euros / 2).

C’est donc à tort que la banque prétend que les biens et revenus de Mme [N] sont plus de deux fois supérieurs à l’étendue de son engagement.

Au vu des éléments fournis au sujet de la situation de Mme [N] lors de la souscription de son engagement de caution le 26 août 2011, la cour estime que le tribunal a légitiment constaté que ce dernier était manifestement disproportionné aux biens et revenus de l’intéressée, puisqu’il portait sur une somme de 20 000 euros, alors que Mme [N] ne percevait que des revenus de moins de 1000 euros par mois.

Le caractère disproportionné de l’engagement de caution étant démontré ab initio, il y a lieu de vérifier si le patrimoine de la caution lui permet, au moment où celle-ci est appelée, à savoir au jour de son assignation, à faire face à son obligation.

Mme [N] produit son avis d’imposition 2019 sur les revenus de l’année 2018 qui fait apparaître un revenu annuel net composé de salaires d’un montant de 16 245 euros (montant de l’impôt : 0 €).

Au regard de ces éléments, il n’est donc pas établi qu’au jour de l’assignation du 28 mai 2019, Madame [D] [N] pouvait faire face à son engagement de caution avec son patrimoine.

En conséquence, il convient de rejeter la demande en paiement de la banque et de confirmer le jugement.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

Partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc aux dépens d’appel,

Condamne la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc à payer à Mme [D] [N] une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel,

LE GREFFIER LE PRESIDENT


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