Mme [A] [D] épouse [K] et M. [S] [K] ont engagé M. [W] [C], entrepreneur en menuiserie-charpente, pour la construction de leur maison et garage. Suite à des désordres constatés, ils ont demandé une expertise judiciaire et ont assigné M. [C] en justice pour obtenir réparation. La cour d’appel de Caen a condamné M. [C] à verser des sommes importantes aux époux [K] et a ordonné la compensation des créances. En 2017, M. [C] a été placé en liquidation judiciaire, et les époux [K] ont déclaré leurs créances. La liquidation a été clôturée en 2022 pour insuffisance d’actifs. Après le décès de M. [C], Mme [K] a tenté de recouvrer ses créances sur des biens immobiliers de M. [C], mais sa demande a été rejetée par le tribunal. Elle a fait appel de cette décision. La cour d’appel a finalement autorisé Mme [K] à recouvrer son droit de poursuite individuelle pour une partie de ses créances, tout en la condamnant aux dépens d’appel.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
NLG
ORIGINE : DECISION en date du 11 Octobre 2023 du Tribunal de Commerce de CHERBOURG
RG n° 2023002109
COUR D’APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 12 SEPTEMBRE 2024
APPELANTE :
Madame [A] [D] épouse [K]
née le [Date naissance 3] 1970 à [Localité 8]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée et assistée par Me Thomas BAUDRY, avocat au barreau de CHERBOURG
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
M. GOUARIN, Conseiller,
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l’affaire a été régulièrement communiquée.
DÉBATS : A l’audience du 23 mai 2024 prise en chambre du conseil
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
ARRÊT prononcé non publiquement par mise à disposition au greffe le 12 septembre 2024 et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier
Ayant constaté l’existence de nombreux désordres touchant essentiellement la maison d’habitation, les époux [K] ont diligenté une expertise judiciaire dont le rapport a été déposé le 11 octobre 2011 puis, ont assigné M. [C] devant le tribunal de grande instance de Cherbourg aux fins de réparation des préjudices subis.
Par arrêt du 5 juillet 2016, la cour d’appel de Caen a notamment :
– condamné M. [C] à verser à M. et Mme [K] la somme de 203.168,66 euros, ladite somme indexée sur les variations de l’index national bâtiment ‘tous corps d’état’ au titre des travaux de reprise ;
– condamné M. [C] à verser à M. et Mme [K] la somme de 30.600 euros au titre des préjudices annexes ( coût du relogement et préjudice de jouissance) ;
– condamné M. et Mme [K] à verser à M. [C] la somme de 6.345,41 euros ;
– ordonné la compensation des créances ;
– rappelé que les intérêts au taux légal sont dus de plein droit sur les sommes allouées par le premier juge et à compter du présent arrêt pour le surplus ;
– condamné M. [C] à verser à M. et Mme [K] la somme de 3.500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile (…).
Par jugement du 12 juin 2017, le tribunal de commerce de Cherbourg a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de M. [C] et désigné la SELARL Bruno Cambon en qualité de mandataire liquidateur.
Le 1er août 2017, M. et Mme [K] ont déclaré leurs créances pour une somme totale de 245.114,36 euros à titre chirographaire entre les mains du mandataire liquidateur, somme admise à la procédure collective le 20 mars 2018.
Par jugement du 5 septembre 2022, le tribunal de commerce de Cherbourg a clôturé pour insuffisance d’actifs la procédure de liquidation judiciaire de M. [W] [C].
M. [W] [C] est décédé le [Date décès 2] 2022, laissant pour lui succéder son épouse Mme [T] [N] veuve [C], et ses deux filles Mmes [G] [C] et [P] [C].
Apprenant que M. [C] était propriétaire de deux biens immobiliers, le premier situé à [Localité 7] (résidence secondaire) et le second à [Localité 5] (résidence principale), lesquels avaient fait l’objet de déclarations notariées d’insaisissabilité opposables à la liquidation judiciaire, mais qui n’étaient pas opposables aux époux [K], dont les créances étaient nées antérieurement, Mme [K] a saisi le président du tribunal de commerce de Cherbourg pour être autorisée à recouvrer son droit de poursuite individuelle.
Par ordonnance du 11 octobre 2023, le président du tribunal de commerce de Cherbourg a rejeté la requête de Mme [K] et l’a condamnée aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration du 24 octobre 2023 adressée au greffe du tribunal de commerce de Cherbourg, Mme [A] [D] a fait appel de cette ordonnance.
Le 15 novembre 2023, le président du tribunal de commerce de Cherbourg a indiqué ne pas modifier ni rétracter son ordonnance et a ordonné la transmission de la déclaration d’appel au greffe de la cour d’appel de Caen.
Par dernières conclusions déposées le 24 avril 2024, Mme [K] demande à la cour de :
– Infirmer l’ordonnance déférée,
Statuant à nouveau,
– L’autoriser à recouvrer son droit de poursuite individuelle à l’encontre de la succession de M. [W] [C], dont la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actifs a été clôturée par jugement du tribunal de commerce en date du 5 septembre 2022, sur le fondement des titres exécutoires dont elle dispose (jugement du tribunal de grande instance de Cherbourg du 19 janvier 2015 et arrêt de la cour d’appel de Caen du 5 juillet 2016), pour obtenir le règlement des créances qu’elle avait déclarées et qui portent sur des droits attachés à sa personne,
– Statuer ce que de droit quant aux dépens.
Par conclusions du 5 avril 2024, le ministère public s’en rapporte.
Il est renvoyé aux dernières conclusions de l’appelante pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens.
Selon l’article L643-11 du code de commerce dans sa version applicable au litige, le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l’exercice individuel de leurs actions contre le débiteur. Il est fait exception à cette règle :(…)
2° Lorsque la créance trouve son origine dans une infraction pour laquelle la culpabilité du débiteur a été établie ou lorsqu’elle porte sur des droits attachés à la personne du créancier.
L’article L643-11 V. précise que les créanciers qui recouvrent leur droit de poursuite individuelle et dont les créances ont été admises ne peuvent exercer ce droit sans avoir obtenu un titre exécutoire ou, lorsqu’ils disposent déjà d’un tel titre, sans avoir fait constater qu’ils remplissent les conditions prévues au présent article. Le président du tribunal, saisi à cette fin, statue par ordonnance.
Selon l’article R643-20 du code de commerce, le créancier dont la créance a été admise et qui recouvre son droit de poursuite individuelle conformément à l’article L. 643-11 peut obtenir, par ordonnance du président du tribunal rendue sur requête, le titre prévu au V du même article. La caution ou le co-obligé mentionné au II du même article peut, dans les mêmes conditions, obtenir un titre exécutoire sur justification du paiement effectué. La procédure de l’injonction de payer prévue aux articles 1405 et suivants du code de procédure civile n’est pas applicable.
Lorsque la créance a été admise lors de la procédure, le président du tribunal qui a ouvert celle-ci est compétent. Lorsque la créance n’a pas été vérifiée, la compétence du tribunal est déterminée selon les règles du droit commun.
L’ordonnance vise l’admission définitive du créancier et le jugement de clôture pour insuffisance d’actif. Elle contient l’injonction de payer et est revêtue par le greffier de la formule exécutoire.
Dans le cas prévu aux I, II et III de l’article L. 643-11, l’ordonnance est rendue, le débiteur entendu ou appelé.
Le président du tribunal de commerce de Cherbourg a rejeté la requête présentée par Mme [K] aux motifs que cette dernière ne rapportait pas la preuve que les créances dont elle faisait état étaient des créances portant sur des droits attachés à la personne du créancier, que la succession de M. [C] était dépourvue de la personnalité juridique, qu’il ne pouvait être autorisé une reprise des poursuites contre une entité dépourvue de la personnalité juridique rendant la requête présentée dépourvue d’objet, et que l’article L643-20 du code de commerce disposait que l’ordonnance devait être rendue le débiteur entendu ou appelé.
L’article L643-11 du code de commerce permet au créancier de recouvrer l’exercice individuel de ses actions contre le débiteur lorsque sa créance porte sur des droits attachés à la personne.
Les droits attachés à la personne visent les actions dont l’exercice est subordonné à des considérations personnelles d’ordre moral ou familial.
Sont ainsi visées notamment les créances alimentaires ou les dommages et intérêts accordés en réparation d’un préjudice corporel ou moral.
En l’espèce, les sommes allouées au titre du préjudice lié au coût du relogement et le préjudice de jouissance sont bien des créances portant sur des droits attachés à la personne.
Il n’en est toutefois pas de même pour la créance concernant les sommes allouées pour la remise en état d’un immeuble affecté de désordres fût-il un immeuble d’habitation devant être occupé par la famille, ni des créances annexes constituées par les frais d’expertise ou de procès.
Il sera relevé que Mme [K] détient un titre exécutoire et que les dispositions de l’article R643-20 du code de commerce qui vise les créanciers devant obtenir un titre ne sont donc pas applicables.
Mme [K] justifie que sa créance a été admise à la liquidation judiciaire de M. [C] sans contestation et que la clôture de la liquidation pour insuffisance d’actifs a été prononcée par jugement du 5 septembre 2022 du tribunal de commerce de Cherbourg-en-Cotentin.
Enfin, tout créancier peut agir contre les héritiers de son débiteur qui ont accepté la succession et le fait que la succession n’ait pas de personnalité morale est un motif inopérant.
Au vu de ces élements, l’ordonnance entreprise sera infirmée et Mme [K] sera autorisée à recouvrer son droit de poursuite individuelle pour obtenir le règlement de la créance de 30.600 euros fixée par l’arrêt de la cour d’appel de Caen du 5 juillet 2016.
L’ordonnance entreprise sera confirmée sur la condamnation aux dépens et Mme [K] supportera la charge des dépens d’appel.
La cour statuant non publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe ;
Infirme l’ordonnance entreprise sauf sur la condamnation aux dépens ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Autorise Mme [A] [D] épouse [K] à recouvrer son droit de poursuite individuelle pour obtenir le règlement de la créance de 30.600 euros fixée par l’arrêt de la cour d’appel de Caen du 5 juillet 2016 ;
Dit que Mme [A] [D] épouse [K] supportera la charge des dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
N. LE GALL F. EMILY