Les époux [X] ont confié à la SA Entreprise Louis Gaume la construction de leur maison en juillet 2001. En mai 2003, une étude de conformité a été réalisée, et une réception avec réserves a eu lieu en février 2004. Face à des réserves non levées, les époux ont obtenu la désignation d’un expert en mai 2007, dont le rapport a été déposé en septembre 2008. Ils ont ensuite saisi le tribunal de grande instance de Bordeaux en 2014 pour un défaut d’isolation thermique et d’autres désordres. En mai 2017, le tribunal a ordonné une nouvelle expertise, dont le rapport a été rendu en novembre 2018. En avril 2021, le tribunal a déclaré la SA Entreprise Louis Gaume responsable des désordres et a condamné celle-ci à verser des indemnités aux époux [X]. La société a interjeté appel en mai 2021, demandant la réformation du jugement. Les époux ont également formulé un appel incident. Les assureurs impliqués ont également présenté leurs demandes et arguments. L’ordonnance de clôture a été rendue en juin 2024, et le jugement a été infirmé en partie, avec des condamnations financières révisées en faveur des époux [X].
|
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
2ème CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 12 SEPTEMBRE 2024
N° RG 21/02670 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MDE7
S.A. ENTREPRISE LOUIS GAUME
c/
[V] [X]
[U] [T] épouse [X]
Compagnie d’assurance SMABTP
Compagnie d’assurance SMABTP
S.A. MAAF ASSURANCES
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 13 avril 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX (chambre : 7, RG : 14/00946) suivant déclaration d’appel du 07 mai 2021
APPELANTE :
S.A. ENTREPRISE LOUIS GAUME
immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le n° 309541118 dont le siège social est sis [Adresse 9] – Ldt[Localité 2]r- [Localité 3] , agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Marie-josé MALO de la SELARL DUCOS-ADER / OLHAGARAY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
[V] [X]
né le 22 Juin 1952 à [Localité 10]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 1] – [Localité 2]
[U] [T] épouse [X]
née le 14 Août 1951 à [Localité 12]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 4] – [Localité 5]
Représentés par Me Jean philippe LE BAIL de la SCP D’AVOCATS JEAN-PHILIPPE LE BAIL, avocat au barreau de BORDEAUX
Compagnie d’assurances SMABTP
SOCIETE MUTUELLE D’ASSURANCE DU BATIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS (société d’assurance mutuelle à cotisations variables) prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 8] [Localité 6]
recherchée en qualité d’assureur de l’ENTREPRISE LOUIS GAUME
Représentée par Me Claire PELTIER, avocat au barreau de BORDEAUX
et assistée de Me Jean-Baptiste GASSIOT substituant Me Delphine BARTHELEMY-MAXWELL, avocat au barreau de BORDEAUX
Compagnie d’assurance SMABTP
Société d’assurance mutuelles à cotisation variable immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 775 684 764, dont le siège social est situé [Adresse 8] – [Localité 6], prise en la personne de ses représentants légaux
domiciliés audit siège
ès-qualité d’assureur de la société SOCABOIS
Représentée par Me Jean-jacques BERTIN, avocat au barreau de BORDEAUX
S.A. MAAF ASSURANCES
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 11] – [Localité 7]
Représentée par Me Perrine ESCANDE de la SCP BAYLE – JOLY, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été examinée le 24 juin 2024 en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Jacques BOUDY, Président
Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller
Madame Christine DEFOY, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Mélody VIGNOLLE-DELTI
Greffier lors du prononcé : Mme Audrey COLLIN
Le rapport oral de l’affaire a été fait à l’audience avant les plaidoiries.
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE
Les époux [X] ont, selon contrat du 11 juillet 2001, confié à la SA Entreprise Louis Gaume la construction d’une maison individuelle avec fourniture de plans, [Adresse 1] au [Localité 2].
M. [J], exerçant sous l’enseigne BET [J], a réalisé le 27 mai 2003 une étude de conformité du bâtiment à la réglementation thermique RT 2000.
Une réception avec réserves est intervenue le 1er février 2004.
Se plaignant de l’absence de levée de certaines réserves ayant généré un litige sur les sommes encore dues au constructeur, les époux [X] ont obtenu, par ordonnance de référé du 14 mai 2007, la désignation de M. [S] en qualité d’expert. Celui-ci a déposé son rapport le 25 septembre 2008.
Les époux [X] ont, à la suite du dépôt de ce rapport d’expertise, saisi le tribunal de grande instance de Bordeaux d’une action indemnitaire. Par arrêt irrévocable du 28 juin 2012, la cour d’appel de Bordeaux a statué sur les différentes demandes des parties.
Par acte d’huissier du 6 janvier 2014, les époux [X] ont à nouveau saisi le tribunal de grande instance de Bordeaux d’une action indemnitaire dirigée contre la SA Entreprise Louis Gaume et son assureur, la SMABTP, invoquant à cet effet un défaut d’isolation thermique, la présence d’humidité anormale sur les murs sous escalier et le pourrissement des poteaux de soutien de la charpente.
Par acte d’huissier du 5 mars 2014, la SA Entreprise Louis Gaume a appelé à sa garantie M. [F] [J].
Ces deux procédures ont été jointes par ordonnance du juge de la mise en état du 4 avril 2014.
Par jugement du 16 mai 2017, le tribunal a constaté le désistement de M. et Mme [X] relatif à la réparation des désordres 2 (humidité anormale sur les murs sous l’escalier) et 3 (pourrissement des poteaux de soutien de la charpente) et a fait droit à la demande d’expertise avant-dire droit formée par les demandeurs et l’a confiée à M. [O].
L’expert judiciaire a déposé son rapport définitif le 21 novembre 2018.
Par acte d’huissier du 5 novembre 2019, MAAF Assurances, assureur de la société Socabois, a appelé en intervention forcée aux fins de garantie la SMABTP, dernier assureur de Socabois.
Par jugement en date du 13 avril 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
– déclaré la société Entreprise Louis Gaume responsable du désordre d’isolation thermique sur le fondement de l’article 1147 ancien du Code civil ;
– condamné la SA Entreprise Louis Gaume à verser à M. et Mme [X] les sommes suivantes :
– 70 762,34 € TTC, outre indexation sur l’indice BT01 du coût de la construction à compter du dépôt du rapport d’expertise et jusqu’au présent jugement, au titre des travaux réparatoires ;
– 206,91 € correspondant au thermostat de sécurité sur le départ plancher chauffant;
– 2 605,70 € au titre de la surconsommation de gaz incluant les hivers 2018/19 et 2019/20 ;
– 5 000 € en réparation du préjudice de jouissance ;
– constaté que les époux [X] se désistent de leur demande relative à l’isolation des coffres de volets roulants ;
– constaté qu’aucune demande ni recours en garantie ne sont formés contre le BET [J] ;
– déclaré l’action récursoire de la société Entreprise Louis Gaume dirigée contre la MAAF en qualité d’assureur de la société Socabois recevable comme n’étant pas prescrite ;
– débouté la SA Entreprise Louis Gaume de ses recours en garantie dirigés contre son assureur la SMABTP et la MAAF en qualité d’assureur de la société Socabois ;
– condamné la SA Entreprise Louis Gaume à verser à M. et Mme [X] la somme de 6 000 € au titre des frais irrépétibles, et rejeté plus amples demandes à ce titre ;
– condamné la SA Entreprise Louis Gaume aux dépens en ce compris les frais d’expertise ;
– ordonné l’exécution provisoire de la décision.
Par déclaration électronique en date du 7 mai 2021, la société Entreprise Louis Gaume a interjeté appel de la décision.
Dans ses dernières conclusions en date du 22 décembre 2021, la société Entreprise Louis Gaume demande à la cour de :
– la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;
– réformer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 13 avril 2021 en ce qu’il a :
– déclaré la société Entreprise Louis Gaume responsable du désordre d’isolation thermique sur le fondement de l’article 1147 ancien du Code civil ;
– condamné la SA Entreprise Louis Gaume à verser à M. et Mme [X] les sommes suivantes :
– 70 762,34 € TTC, outre indexation sur l’indice BT01 du coût de la construction à compter du dépôt du rapport d’expertise et jusqu’au présent jugement, au titre des travaux réparatoires ;
– 206,91 € correspondant au thermostat de sécurité sur le départ plancher chauffant;
– 2 605,70 € au titre de la surconsommation de gaz incluant les hivers 2018/19 et 2019/20 ;
– 5 000 € en réparation du préjudice de jouissance ;
– débouté la SA Entreprise Louis Gaume de ses recours en garantie dirigés contre son assureur la SMABTP et la MAAF en qualité d’assureur de la société Socabois ;
– condamné la SA Entreprise Louis Gaume à verser à M. et Mme [X] la somme de 6 000 € au titre des frais irrépétibles, et rejette plus amples demandes à ce titre ;
– condamné la SA Entreprise Louis Gaume aux dépens en ce compris les frais d’expertise ;
– déclarer Monsieur et Madame [X] mal fondés en leurs demandes, et les en débouter ;
– déclarer Monsieur et Madame [X] mal fondés en leur appel incident, et les en débouter ;
Subsidiairement,
– les débouter de leurs demandes au titre du préjudice esthétique consécutif (toiture T4);
– condamner la SMABTP à la garantir de toute condamnation qui serait mise à sa charge au bénéfice de Monsieur et Madame [X], tant au titre de la garantie décennale que de la RCP ;
– condamner la MAAF, assureur de la société Socabois, à la relever indemne de toutes condamnations mises à sa charge ;
– débouter la SMABTP et la MAAF de l’ensemble de leurs demandes plus amples et contraires formées à son encontre ;
– condamner in solidum Monsieur et Madame [X], la MAAF et la SMABTP à lui payer une somme de 5 000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– les condamner in solidum aux entiers dépens incluant ceux de première instance.
Dans leurs dernières conclusions du 27 octobre 2021, Monsieur [V] [X] et Madame [U] [X] demandent à la cour de :
– débouter la SA Entreprise Louis Gaume de son appel à l’encontre du jugement rendu par le TJ de Bordeaux le 13 avril 2021 ;
– accueillant leur appel incident, condamner in solidum la SA Entreprise Louis Gaume et la SMABTP, sur le fondement de l’article 1792 du Code civil et subsidiairement sur le fondement de l’article 1147 ancien du même code à leur payer les sommes de :
– 70 762,34 € outre indexation sur l’indice BT01 du coût de la construction à compter du 31.05.2018 et jusqu’à la date de l’arrêt à intervenir, au titre des travaux réparatoires;
– 2.931,40 € à titre de dommages et intérêts pour l’indemnisation de la surconsommation de gaz ;
– 22 600 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance subi ;
– 206,91 € en réparation de l’absence du thermostat de sécurité du plancher chauffant ;
– condamner in solidum l’entreprise Louis Gaume et la SMABTP à leur payer la somme de 25 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, compris frais d’expertise judiciaire.
Dans ses dernières conclusions du 21 janvier 2022, la société Maaf Assurances demande à la cour de :
À titre principal,
– juger que la société Socabois s’est conformée à la demande de l’Entreprise Louis Gaume concernant la pose d’un isolant mince ;
– juger qu’elle justifie d’une cause exonératoire de responsabilité du sous-traitant ;
– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 13 avril 2021 en ce que la société Entreprise Louis Gaume a été déboutée de son recours à son encontre ;
– débouter la société Entreprise Louis Gaume de son appel ;
– condamner la société Entreprise Louis Gaume à lui payer une indemnité de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens;
À titre subsidiaire,
– juger que la garantie responsabilité civile professionnelle n’a pas vocation à permettre la reprise des ouvrages de l’assurée ;
– juger que le préjudice immatériel doit être pris en charge par le dernier assureur de la société Socabois, la SMABTP ;
– juger que la garantie au titre du préjudice immatériel ne couvre que le préjudice de nature pécuniaire ;
– débouter la société Entreprise Louis Gaume de l’ensemble des demandes formulées à son encontre ;
– condamner la société Entreprise Louis Gaume à lui payer une indemnité de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions du 24 janvier 2022, la Société Mutuelle d’Assurances du Bâtiment et des Travaux Publics (SMABTP), ès qualité d’assureur de la société Socabois, demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu le 7 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu’il n’a prononcé aucune condamnation à son encontre, ès qualité d’assureur de la société Socabois ;
– condamner la société Entreprise Louis Gaume ou tout succombant à lui verser, ès qualité d’assureur de la société Socabois, la somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions en date du 26 janvier 2022, la Société Mutuelle d’Assurances du Bâtiment et des Travaux Publics (SMABTP), ès qualité d’assureur de la société Entreprise Louis Gaume, demande à la cour de :
À titre principal,
– confirmer le jugement rendu le 7 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu’il a rejeté toute demande dirigée contre elle ;
– condamner la société Louis Gaume à lui régler, ès qualité d’assureur de la société Louis Gaume, 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens ;
À titre subsidiaire,
– réformer le jugement en ce qu’il a alloué à Monsieur [V] [X] et Madame [U] [X] 70 762,34 € TTC au titre des travaux réparatoires, 2 605,70 € au titre de la surconsommation électrique et 5 000 € en réparation de leur préjudice de jouissance;
– limiter le montant des condamnations prononcées au profit de Monsieur [V] [X] et Madame [U] [X] au titre du coût des travaux réparatoires à 64 308,31 € ;
– limiter le montant des condamnations prononcées au profit de Monsieur [V] [X] et Madame [U] [X] au titre de la surconsommation de gaz à 1 574,30 € TTC;
– débouter Monsieur [V] [X] et Madame [U] [X] de leur demande d’indemnisation d’un préjudice de jouissance et, subsidiairement, limiter la somme allouée à ce titre à 2 000 € ;
– condamner la société MAAF Assurances, ès qualité d’assureur de la société Socabois, à la garantir et la relever intégralement indemne, ès qualité d’assureur de la société Louis Gaume, de toute condamnation susceptible d’être prononcée à son encontre ;
En tout état de cause,
– rejeter toute autre demande plus ample ou contraire dirigée à son encontre ;
– condamner toute partie succombante à lui payer, ès qualité d’assureur de la société Louis Gaume, la somme de 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 10 juin 2024.
Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.
I- Sur les désordres
Il n’est pas inutile de rappeler que tous les projets de construction ayant fait l’objet d’une demande de permis de construire déposée postérieurement au 1er juin 2001 devaient respecter les caractéristiques thermiques énoncées aux ART.R.111-20 et suivants du code la construction et de l’habitation désignées sous le terme « RT.2000 ».
Il n’est pas contesté que cette norme s’appliquait à l’immeuble construit pour le compte des époux [X].
Or l’expert judiciaire a considéré que cet immeuble est non conforme à celle-ci en raison de la valeur du ‘coefficient U’ du plafond sous rampants qui s’élève à 1,485 alors qu’il ne devrait pas dépasser une valeur de 0,47.
Selon lui, la cause de ce défaut de conformité est à rechercher dans la mise en oeuvre sur rampants d’une isolation IMTR en lieu et place de la laine de verre d’une épaisseur de 20 cm initialement prévue.
La puissance de la chaudière est adaptée aux besoins actuels de la maison mais les radiateurs sont insuffisants pour couvrir les besoins des pièces sous rampants, le calcul confirmant l’inconfort ressenti par les demandeurs.
Cette insuffisance disparaît en cas d’isolation sous rampants conforme à ce qui était prévu par l’étude du BET [J].
La société Louis Gaume reproche à l’expert judiciaire d’avoir effectué ses calculs sur la base de menuiseries ne comportant pas de rupteurs de ponts thermiques alors qu’il est démontré que les menuiseries mises en oeuvre étaient bien pourvus de ces dispositifs.
Elle fait également valoir que la laine de verre n’est pas plus isolante que l’IMTR lorsqu’on se replace dans les conditions dans lesquelles ce matériau était mise en place à l’époque considérée, c’est-à-dire sans joint ni membrane ni écran sous toiture et ajoute que l’utilisation de cet IMTR (isolant mince thermo-réflecteur), beaucoup plus mince que la laine de verre, résultait du refus ferme opposé par les maîtres de l’ouvrage de voir occulter les chevrons de la toiture.
Mais sur le premier point, il suffit de rappeler que l’expert a estimé que la présence ou non de dispositifs de rupture des ponts thermiques sur les menuiseries était sans conséquence sur l’absence de conformité à la ‘RT 2000″.
Sur le second point, à supposer que les performances de la laine de verre ne soient pas meilleures que celles du dispositif dénommé IMTR effectivement mis en place, il suffit de constater que les calculs effectués démontrent qu’avec ce dernier la norme imposée au constructeur n’a pas été respectée.
À titre superfétatoire, les éléments produits par la société Louis Gaume pour démontrer que les performances de l’IMTR sont aussi bonnes, voire meilleures que celles de la laine de verre, sont issus d’une procédure suivie devant la cour d’appel de Versailles et sont insuffisants à eux seuls pour mettre en cause l’affirmation de l’expert selon laquelle l’IMTR est moins efficace que la laine de verre.
Quant à l’affirmation selon laquelle les époux [X] s’opposaient à la mise en place d’un isolant trop épais dissimulant les chevrons, à la supposer exacte, elle ne dispensait pas l’entreprise chargée de travaux de respecter la norme impérative ‘RT 2000″.
II- Sur la qualification des désordres et la garantie due par la SMABTP
Alors que le tribunal a considéré qu’il ne s’agissait pas de désordres relevant de la garantie décennale, la société Louis Gaume et les époux [X] soutiennent au contraire qu’il en est résulté une impropriété de l’immeuble à sa destination d’une part en raison de l’absence de conformité à une norme impérative, d’autre part, en raison même des conséquences de l’isolation insuffisante qui se traduit par une surconsommation de gaz et un inconfort persistant.
Cependant, c’est à juste titre que le tribunal a noté que cet ‘inconfort’ noté par l’expert, expression suggérant déjà en elle-même des inconvénients limités, n’est nullement caractérisé par des mesures précises de température tandis que s’il a pu mesurer en effet une surconsommation de gaz de 50 % , cela ne s’est traduit en pratique que par un surcoût de 2280 € TTC seulement en dix ans.
Il apparaît en effet que seules certaines pièces se sont trouvées affectées par cette difficulté, c’est-à-dire les pièces de l’étage, composées pour l’essentiel de 4 chambres ne nécessitant donc pas un chauffage très élevé.
Par ailleurs, en soi, un défaut de conformité à une norme ne saurait constituer ipso facto un facteur entraînant impropriété de l’immeuble à sa destination.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu’il a écarté la qualification de désordre décennal et en ce qu’il donc écarté la garantie de la Smabtp au titre du contrat qui la lie à la société Louis Gaume pour couvrir sa responsabilité décennale.
Ces parties étaient liées par ailleurs par un contrat d’assurance responsabilité civile professionnelle que la société Louis Gaume entend voir s’appliquer à son profit.
Elle invoque en effet le contrat d’Assurance Multirisque des Constructeurs de Maisons Individuelles qui prévoit, dans son titre III, Convention Spéciale de Responsabilité Civile Exploitation et Professionnelle, en son article 4.1 « Responsabilité civile travaux» que la SMABTP garantit le sociétaire contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile qu’il peut encourir du fait de ses activités professionnelles, et notamment :
En raison des dommages corporels, matériels et immatériels causés aux tiers du
fait :
maîtrise d »uvre opérationnelle
– de la direction et de la surveillance des travaux…
De même, rappelle-t’elle, ce contrat comporte un article 4.3 intitulé ‘Responsabilité civile erreur professionnelle’ ainsi rédigé : (la SMABTP garantit le sociétaire contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile qu’il peut encourir du fait de ses activités professionnelles, et notamment 🙂
en raison des dommages immatériels causés aux tiers résultant de fautes, erreurs de fait ou de droit, fausses interprétations de textes légaux ou réglementaires, oublis, inexactitude ou négligences, inobservations de formalités ou de délais imposés par les lois et règlements en vigueur.
Or, force est de constater que la Smabtp ne conteste pas que les dommages litigieux entrent bien dans le champ de sa garantie au titre soit de la maîtrise d’oeuvre opérationnelle soit de l’erreur professionnelle et se borne à invoquer une clause d’exclusion ainsi rédigée :
‘Sont exclus des garanties accordées (…) : la réparation des dommages affectant les opérations de construction du sociétaire
– avant la réception,
– après la réception si ces dommages mettent en jeu la responsabilité du constructeur sur le fondement des articles 1792 et suivants et 2270 du Code civil;
demeurent toutefois garanties, à compter de la réception et jusqu’à expiration de l’année de garantie de parfait achèvement, les conséquences pécuniaires de la responsabilité du sociétaire à l’égard des autres entrepreneur participant à l’opération de construction en raison des dommages matériels causés par les travaux qu’il a exécutés à ceux des autres corps d’état, si ces dommages ne sont pas de la nature de ceux visés aux articles 1792, 1792-2 et 3 du code civil traitant de la responsabilité décennale et de la garantie de parfait achèvement’.
Il en résulte en réalité clairement que cette exclusion ne vise que les dommages relevant des garanties de plein droit prévues par le code civil et que par conséquent, la responsabilité contractuelle du sociétaire doit être garantie.
Il ne saurait à cet égard être tiré argument ni de l’exception à l’exclusion de garantie concernant les dommages aux travaux des autres corps d’état dont la Smabtp prétend tirer une interprétation a contrario ni de la clause d’exclusion de l’article 6.2 relative aux dépenses engagées pour la réalisation ou la finition des opérations de construction du sociétaire ou l’obtention des résultats techniques expressément prévus au contrat.
Par conséquent, le jugement qui a écarté la garantie de la Smabtp sans s’en expliquer aucunement sera infirmé sur ce point.
III- Sur la responsabilité contractuelle de la société Entreprise Louis Gaume et celle de la société Socabois
La faute de la société Louis Gaume n’est pas sérieusement contestée et résulte, notamment du défaut de respect du devis convenu avec les époux [X] qui prévoyait une isolation en laine de verre sur 146 m2 et une isolation par ‘Tri Iso Super 9″, c’est-à-dire avec un ITMR, sur 78 m2 seulement.
Sa responsabilité contractuelle est donc engagée sur le fondement de l’article 1147 du code civil alors applicable.
Ce marché avait donné lieu à un contrat de sous-traitance avec la société Socabois assurée auprès de la société Maaf Assurances.
Face à la société Louis Gaume qui entend invoquer la garantie de la société Socabois, la société Maaf ne soulève plus la prescription de l’action en garantie.
Il est constant que le sous-traitant est tenu à l’égard de l’entrepreneur principal d’une obligation de résultat qui emporte présomption de faute dont il ne peut s’exonérer que par la preuve d’une cause étrangère.
Mais cette obligation de résultat ne s’applique que dans les limites des prévisions contractuelles des parties.
En effet, le tribunal a considéré que celles-ci étaient imprécises car si le devis initial convenu entre le maître de l’ouvrage et la société Louis Gaume prévoyait bien la pose partielle de laine de verre sans toutefois en préciser la localisation, le devis adressé par la société Socabois à la société Louis Gaume ne comportait aucune précision à ce sujet et par ailleurs, cette dernière n’a pas contesté et a payé les situations qui lui ont été adressées et qui mentionnaient bien un matériau différent de celui prévu à l’origine.
Au demeurant la société Louis Gaume ne le conteste pas lorsqu’elle soutient qu’il ne s’agit pas, en effet , ‘de savoir si la société Socabois a respecté ou non les termes de son marché, mais de déterminer si, en sa qualité de professionnel chargé du lot couverture et isolation en toiture, elle n’a pas manqué à son obligation de conseil dont
elle est tenue envers l’entrepreneur principal’.
En l’espèce, elle estime donc que cette société, lorsqu’il a été prévu, à la demande des maîtres de l’ouvrage, de procéder au remplacement de la laine de verre par un film isolant sur l’intégralité de la toiture, et non sur une partie, comme prévu initialement, aurait dû informer l’entreprise Louis Gaume que le film isolant n’ayant pas les mêmes caractéristiques thermiques que la laine de verre, il était impossible pour l’immeuble de remplir les conditions posées à la RT 2000, applicable à l’époque.
Mais précisément, comme il a été vu plus haut, il n’est pas établi que le contrat liant les deux sociétés ait prévu à l’origine la pose de laine de verre et qu’un changement soit intervenu après coup.
Par conséquent, le jugement sera également confirmé en ce qu’il a écarté le recours en garantie dirigé contre la société Maaf en sa qualité d’assureur de la société Socabois.
IV- Sur les dommages et intérêts
L’expert a chiffré la mise en ‘uvre d’une isolation thermique en laine de verre épaisseur 20 mm pour les plafonds sous rampants des parties habitation de l’immeuble, à la somme de 64.308,31 € afin de mettre un terme aux désordres d’isolation thermique sur les trois toitures directement concernées.
Les époux [X] sollicitent l’allocation de cette somme, mais incluent également un quatrième pan de toiture dans leurs revendications, pour 6.454,03 €.
En effet, l’expert a précisé dans son rapport, que la mise en ‘uvre de la nouvelle isolation imposait ‘une rehausse’ des couvertures, et ce dans la mesure où les époux [X] souhaitent que cette isolation soit posée par l’extérieur, afin de ne pas cacher les chevrons apparents depuis l’intérieur de l’immeuble.
Ceux-ci font valoir que la ‘rehausse’ de l’auvent T3, d’environ 20 cm, aura pour conséquence « de rompre l’harmonie du bâtiment puisque cet auvent sera surélevé par rapport au pan de l’auvent T4, d’où il résultera un préjudice esthétique ».
La société Louis Gaume et la Smabtp considèrent que les travaux de rehaussement de l’auvent qui n’a pas à être isolé et qui ne se justifierait que pour des raisons de pure esthétique ne peuvent être mise à leur charge.
Il est effectivement exact que comme le soutient la première, la réalité de ce préjudice esthétique n’est pas établie dans la mesure où la surface de l’auvent est minime et la couverture comporte plusieurs pentes qui ne créent pas une unicité et une harmonie de toiture qui seraient susceptibles d’être affectées par le rehaussement de certains pans.
Pour ce qui concerne l’indemnisation de la surconsommation liée au chauffage, c’est à juste titre que les époux [X] sollicitent l’actualisation de leur préjudice en ajoutant celui subi au cours des hivers 2020-2021 et 2021-2022 ce qui le porte à 2 931,40 €.
Les époux [X] réclament la somme de 22 600 € en réparation de leur préjudice de jouissance sur la base de 1000 € par an pendant 12 hivers porté ensuite à 1300 € par an et pour tenir compte de la gêne liée aux travaux de réparation qui seront nécessaires.
Le tribunal avait chiffré l’ensemble de ce préjudice à 5000 € mais il y a lieu de d’en porter l’évaluation à 12 000 €.
V- Sur les demandes accessoires
Il apparaît équitable d’accorder aux époux [X], qui ont exposé des frais importants dans le cadre de cette longue procédure, la somme de 12 000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Les demandes formée sur ce fondement par les sociétés Smabtp et Maaf, en qualité d’assureurs successifs de la société Socabois, seront rejetées.
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 13 avril 2021 en ce qu’il a débouté la société entreprise Louis Gaume de son recours contre la SMABTP et en ce qu’il a fixé le préjudice subi à 70 762,34 € TTC au titre des travaux réparatoires, à 2 605,70 € au titre de la surconsommation de gaz et à 5000 € au titre du préjudice de jouissance.
Statuant à nouveau,
condamne in solidum la SA Entreprise Louis Gaume et son assureur, la société SMABTP, à verser à M. et Mme [X] les sommes suivantes :
-64.308,31€ TTC, outre indexation sur l’indice BT01 du coût de la construction à compter du dépôt du rapport d’expertise et jusqu’au présent jugement, au titre des travaux réparatoires ;
– 2 931,40 € au titre de la surconsommation de gaz incluant les hivers 2020-2021 et 2021-2022 ;
– 12 000 € en réparation de leur préjudice de jouissance
Confirme le jugement pour le surplus
condamne in solidum la SA Entreprise Louis Gaume et son assureur, la société SMABTP, à payer aux époux [X] la somme de 12 000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel y compris les frais d’expertise judiciaire.
Dit que la Smabtp devra relever indemne la SA Entreprise Louis Gaume de toutes les condamnations prononcées contre elle.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,