Caducité des mesures conservatoires : Importance du respect des délais procéduraux

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Caducité des mesures conservatoires : Importance du respect des délais procéduraux

Le 28 mars 2022, M. [U] [H] a déposé deux chèques à la Blom Bank S.A.L. pour créditer son compte à la HSBC (France), mais la banque a refusé de les honorer malgré une provision suffisante. En réponse, M. [H] a effectué des saisies conservatoires contre la Blom Bank pour un montant de 5 398 000 euros, autorisées par un juge le 23 novembre 2022. La Blom Bank a contesté ces saisies en assignant M. [H] devant le tribunal judiciaire de Paris. Le 29 août 2023, le juge a ordonné la mainlevée des saisies, condamnant M. [H] à payer 2 500 euros à la Blom Bank et rejetant sa demande de remboursement. M. [H] a interjeté appel, soutenant que les juridictions françaises étaient compétentes et que son engagement envers la Blom Bank était invalide. La Blom Bank a demandé la confirmation du jugement et a contesté la proportionnalité des saisies. La cour a finalement confirmé le jugement du 29 août 2023, déboutant les parties de leurs demandes au titre des frais et condamnant M. [H] aux dépens d’appel.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
23/15025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 10

ARRÊT DU 12 SEPTEMBRE 2024

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général

N° RG 23/15025 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIHCO

Décision déférée à la cour

Jugement du 29 août 2023-Juge de l’exécution de Paris-RG n° 23/80679

APPELANT

Monsieur [U] [B] [H]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Francine HAVET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1250

Ayant pour avocat plaidant Me Sarah LUGAN, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

SOCIÉTÉ BLOM BANK SAL

société de droit libanais

agissant poursuites et diligences de tous représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3] – LIBAN

Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Ayant pour avocat plaidant Me Laurent MARTINET, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 20 Juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Bénédicte PRUVOST, présidente de chambre

Madame Catherine LEFORT, conseillère

Madame Valérie DISTINGUIN, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Valérie DISTINGUIN, conseiller dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

GREFFIER, lors des débats : M. Grégoire GROSPELLIER

ARRÊT

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Bénédicte PRUVOST, présidente de chambre et par Grégoire GROSPELLIER, greffier, présent lors de la mise à disposition.

Le 28 mars 2022, M. [U] [H] a remis à l’encaissement deux chèques tirés sur la Blom Bank S.A.L de droit libanais, afin qu’ils soient portés au crédit de son compte ouvert dans les livres de la banque HSBC (France), agence Paris Auber.

La Blom Bank S.A.L. a refusé d’honorer les deux chèques alors que la provision était suffisante.

Le 29 novembre 2022, M. [U] [H] a fait pratiquer des saisies conservatoires de créances de droits d’associé et de biens placés dans un coffre-fort à l’encontre de la société Blom Bank Sal, entre les mains de la banque Banorient, pour la somme de 5 398 000 euros, en vertu d’une ordonnance d’autorisation du juge de l’exécution de Paris du 23 novembre 2022.

Les saisies ont été dénoncées le 6 décembre 2022.

Par acte d’huissier du 20 avril 2023, la société Blom Bank Sal a fait assigner M. [U] [H] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d’obtenir la mainlevée des saisies conservatoires.

Par jugement du 29 août 2023, le juge de l’exécution a :

ordonné la mainlevée totale des saisies conservatoires,

condamné M. [H] à payer à la société Blom Bank Sal la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

rejeté la demande de M. [H] formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [H] aux dépens.

Pour statuer ainsi, le juge de l’exécution a relevé que M. [H], lors de l’ouverture de son compte auprès de la Blom Bank, s’était engagé à ne pas demander à celle-ci d’effectuer des virements en-dehors du territoire libanais et à ne mouvementer le compte que par virements et chèques à destination du Liban. Le juge en a déduit que même si M. [H] invoquait la nullité d’un tel acte, cet engagement existait, remarquant qu’il n’en avait pas fait état lors de sa demande d’autorisation de pratiquer des mesures conservatoires. L’annulation de cet engagement étant très incertain au regard de la juridiction compétente, du droit applicable et des preuves contrées par les éléments sérieux de la société Blom, le juge de l’exécution a estimé que M. [H] ne pouvait prétendre à une créance de restitution des fonds de sorte que l’offre de paiement avec consignation au Liban des fonds se justifiait et suffisait à écarter toute menace sur le recouvrement.

Par déclaration du 4 septembre 2023, M. [H] a interjeté appel du jugement.

Par conclusions n°2 signifiées le 16 mai 2024, M. [H] demande à la cour de :

infirmer le jugement rendu par le 29 août 2023 en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

autoriser une saisie conservatoire sur tous les biens, titres, parts sociales ou actions, avoirs ou créances appartenant à la société Blom Bank Sal,

autoriser une saisie conservatoire entre les mains de la banque Banorient France, sur toutes les valeurs mobilières que celle-ci a ou aura, détient ou détiendra pour le compte du débiteur, la Blom Bank Sal,

ordonner l’autorisation de pratiquer des saisies conservatoires mobilières dans les termes qui avaient été arrêtés dans l’ordonnance du juge de l’exécution près le tribunal judiciaire de Paris du 23 novembre 2022,

débouter la Blom Bank Sal de toutes ses demandes, fins et prétentions formulées à son encontre,

condamner la Blom Bank Sal à lui payer la somme de 5.000 euros, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner la Blom Bank Sal aux entiers dépens d’appel qui seront recouvrés pour ceux la concernant par Me Francine Havet, avocate au barreau de Paris, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de son appel, M. [H] fait valoir que :

les juridictions françaises sont compétentes et le droit français est applicable au litige conformément à l’application des règlements Bruxelles I bis et Rome I,

il peut donc revendiquer le bénéfice des protections accordées au consommateur par la loi française,

il a fait délivrer une assignation au fond dans le délai d’un mois prescrit par l’article R.511-7 du code des procédures civiles d’exécution de sorte que les saisies pratiquées n’encourent pas la caducité,

la créance de restitution qu’il revendique découle de l’application au contrat de l’article 1937 du code civil relative aux comptes de dépôt monétaire obligeant le banquier à restituer les sommes lorsque le déposant les lui réclame,

l’engagement qu’il a signé que lui oppose la Blom Bank n’est pas valable car il n’a pas compris son contenu ; il ignorait que cet engagement limitait ses droits, notamment le droit de demander un virement international ; il maîtrise mal la langue arabe,

la banque a donc recouru à des man’uvres dolosives pour obtenir sa signature,

à défaut de retenir le dol, son consentement a été vicié par l’erreur,

en outre, un tel engagement, en ce qu’il est définitif et irrévocable, est prohibé en application de l’article 1240 du code civil,

l’engagement peut être aussi considéré comme abusif au sens de l’article R 212-1 du code de la consommation et lui est inopposable,

les circulaires émises par la Banque du Liban n’ont pas pour effet d’interdire à la Blom Bank S.A.L. de procéder aux virements internationaux et ne la libèrent pas de ses obligations à son égard,

l’offre réelle et consignation opérée par la banque n’est pas valable au regard du droit français et ne la libère pas non plus de son obligation de restitution des fonds,

la situation du secteur bancaire au Liban représente une menace réelle pour le recouvrement de la créance.

Par conclusions signifiées le 05 juin 2024, la société Blom Bank Sal demande à la cour de :

A titre principal,

confirmer le jugement en date du 29 août 2023,

A titre subsidiaire,

constater que les saisies conservatoires pratiquées par M. [H] le 29 novembre 2022 sont manifestement disproportionnées au regard du montant de la créance poursuivie,

En conséquence,

ordonner le cantonnement de la saisie conservatoire de droits d’associé pratiquée par M. [H] le 29 novembre 2022 à 100 000 actions de Banorient et la mainlevée pour le surplus,

ordonner la mainlevée totale des saisies conservatoires de créances et de biens placés dans un coffre-fort pratiquées par M. [H] entre les mains de la Banque Banorient France par acte du 29 novembre 2022,

En tout état de cause,

débouter M. [H] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

condamner M. [H] à lui payer une somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens, en ce compris le coût du présent acte et des saisies ainsi que de leur mainlevée à intervenir.

En réplique aux moyens des appelants, elle oppose que :

l’absence d’introduction d’une instance au fond dans le mois suivant l’exécution des saisies conservatoires rend celles-ci caduques conformément à l’article R.511-7 du code des procédures civiles d’exécution,

les chèques et les ordres de virements ont été émis en violation des engagements pris par M. [H] et leur paiement s’oppose aux restrictions règlementaires concernant les transferts de fonds vers l’étranger en conséquence de la crise financière au Liban,

les arguments de M. [H] pour tenter d’annuler son engagement pour dol ou erreur sont dénués de fondement juridique,

outre que les dispositions sur les clauses abusives ne sont pas applicables au litige, les conditions ne sont en tout état de cause pas réunies,

à la suite de la clôture du compte bancaire de M. [H], elle s’est valablement acquittée de son obligation de restitution en consignant auprès de Me [M], notaire libanais, le solde du compte bancaire via la formalité d’offre réelle et consignation en date du 8 avril 2022,

en réalité, M. [H] tente par tous moyens d’échanger les fonds non transférables hors du Liban qu’il a déposés auprès d’elle par des fonds transférables à l’étranger,

la consignation de la somme réclamée empêche d’établir que le recouvrement de la créance serait menacé.

MOTIFS :

Selon l’article R.511-7 du code des procédures civiles d’exécution, si ce n’est dans le cas où la mesure conservatoire a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier, dans le mois qui suit l’exécution de la mesure, à peine de caducité, introduit une procédure ou accomplit les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire.

L’article 754 du code de procédure civile dispose :

« La juridiction est saisie, à la diligence de l’une ou l’autre partie, par la remise au greffe d’une copie de l’assignation.

Sous réserve que la date de l’audience soit communiquée plus de quinze jours à l’avance, la remise doit être effectuée au moins quinze jours avant cette date.

La remise doit avoir lieu dans ce délai sous peine de caducité de l’assignation constatée d’office par ordonnance du juge, ou, à défaut, à la requête d’une partie. »

La Cour de cassation, par un avis n°10-00.02 du 4 mai 2010, a précisé que lorsqu’une demande est présentée par assignation, la date d’introduction de l’instance, doit s’entendre de la date de cette assignation, à condition qu’elle soit remise au greffe.

La remise de l’assignation au secrétariat-greffe de la juridiction postérieurement à l’audience n’a donc aucun effet, l’assignation non placée étant ainsi frappée de caducité.

Il est constant au cas présent que les mesures conservatoires contestées ont été pratiquées le 29 novembre 2022 sans titre exécutoire de sorte que M. [H] disposait d’un délai d’un mois, soit jusqu’au 29 décembre 2022, pour introduire une procédure au fond.

Il est versé aux débats les assignations à comparaître à l’audience du 5 septembre 2023 devant le tribunal judiciaire de Paris, que M. [H] a fait délivrer à la société Blom Bank Sal et à sa filiale Banorient France, le 22 décembre 2022, soit dans le mois suivant les saisies du 29 novembre 2022.

Il ressort des messages RPVA que le placement au greffe du tribunal judiciaire de Paris de ces assignations n’est intervenu que le 18 septembre 2023, soit 13 jours après la date d’audience.

Si le placement des assignations dans le délai d’un mois n’était pas nécessaire, en revanche, pour qu’elles ne soient pas par la suite frappées de caducité, elles devaient avoir été placées avant la date d’audience.

Force est de constater que tel n’a pas été le cas en l’espèce.

Il s’en déduit que le tribunal judiciaire de Paris n’a pas été saisi et que les assignations délivrées à la Blom Bank Sal et à sa filiale Banorient France, le 22 décembre 2022 sont devenues caduques.

La procédure au fond n’ayant pas été valablement engagée, les conditions posées par l’article R.511-7 du code des procédures civiles d’exécution ne sont pas réunies de sorte que les mesures conservatoires sont caduques et leur mainlevée doit être ordonnée.

Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé par substitution de motifs.

Sur les demandes accessoires :

Au vu de l’issue du litige, il convient de confirmer les condamnations accessoires de M. [H], qui succombe en ses prétentions et de le condamner aux entiers dépens d’appel, outre les frais de mainlevée des saisies conservatoires pratiquées le 29 novembre 2022.

L’équité ne justifie pas qu’il soit fait application à hauteur d’appel de l’article 700 du code de procédure civile.

Les parties seront donc déboutées de leurs demandes respectives formées de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 août 2023 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris,

Y AJOUTANT,

DEBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [U] [H] aux dépens d’appel, outre les frais de mainlevée des saisies conservatoires pratiquées le 29 novembre 2022.

Le greffier, Le président,


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