Conflit sur les ouvertures dominicales : enjeux de concurrence et respect de la réglementation

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Conflit sur les ouvertures dominicales : enjeux de concurrence et respect de la réglementation
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La société Décathlon France, concurrente d’Intersport, a mis en demeure la société Prosport XI concernant des ouvertures dominicales non conformes à la réglementation. Prosport n’ayant pas répondu, Décathlon a saisi le tribunal de commerce pour interdire ces ouvertures. Le tribunal a interdit à Prosport d’ouvrir son magasin le dimanche sans autorisation, mais a rejeté la demande de Décathlon pour une mesure d’instruction. Décathlon a fait appel, demandant la révision de cette décision. Prosport a également formulé des demandes en réponse. La cour a confirmé l’interdiction d’ouverture dominicale, ordonné à Prosport de fournir des informations sur ses ouvertures, et rejeté d’autres demandes des deux parties.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 septembre 2024
Cour d’appel de Douai
RG n°
24/00129
République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 12/09/2024

****

N° de MINUTE :

N° RG 24/00129 – N° Portalis DBVT-V-B7I-VJFN

Ordonnance (N° 2023002209) rendue le 09 Janvier 2024 par le président du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer

APPELANTE

SAS Decathlon France, agissant poursuites et diligences en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social, [Adresse 1].

représentée par Me Patrick Kazmierczak, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Bruno Houssier, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant

INTIMÉE

SAS Prosport XI prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social, [Adresse 2]

représentée par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée par Mes Jean-Christophe Grall et Nadège Pollak, avocats au barreau de Paris, avocats plaidant

DÉBATS à l’audience publique du 07 mai 2024 tenue par Stéphanie Barbot magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Stéphanie Barbot, présidente de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Anne Soreau, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 12 septembre 2024 (délibéré avancé, initialement prévu le 26 septembre 2024, date indiquée à l’issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 2 avril 2024

****

FAITS ET PROCÉDURE

La société Décathlon France (la société Décathlon), concepteur, fabricant et distributeur d’articles de sport, a notamment pour concurrent le réseau des magasins à l’enseigne Intersport, détenus par des sociétés distinctes, regroupées en une société coopérative de commerçants dénommée Intersport France.

La société Decathlon exploite plusieurs magasins en France métropolitaine, parmi lesquels un magasin situé à [Localité 4], dans la [Adresse 7], laquelle est localisée à la fois sur cette commune et la commune voisine d'[Localité 3].

La société Prosport XI (la société Prosport) exploite quant à elle le magasin à l’enseigne Intersport à [Localité 3], au sein de la même ZAC.

Par une lettre du 22 mai 2023, lui reprochant le non-respect de la réglementation en matière d’ouvertures dominicales au cours des dernières années, la société Décathlon a mise en demeure la société Prosport de lui faire parvenir tout éventuel document officiel attestant de ce que ces ouvertures seraient licites, sous peine de saisine du juge des référés aux fins, notamment, d’interdiction d’effectuer de nouvelles ouvertures dominicales en dehors de celles autorisées.

La société Prosport n’a pas donné suite à cette lettre.

Le 30 mai 2023, la société Décathlon a saisi le président du tribunal de commerce de Boulogne-sur-mer, statuant en référé, sur le fondement du trouble manifestement illicite, afin de voir interdire à la société Prosport de procéder à des ouvertures dominicales, sous astreinte, et de voir ordonner une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Par une ordonnance de référé du 9 janvier 2024, ce juge :

– a fait interdiction à la société Prosport, sous astreinte de 30 000 euros par infraction relevée, de procéder à l’ouverture de son magasin le dimanche, à chaque fois qu’une telle ouverture n’aura pas été autorisée en amont par arrêté municipal du maire compétent ou tout autre dérogation légale ou réglementaire préalable ;

– s’est réservé la liquidation de l’astreinte ;

– a rejeté la demande de mesure d’instruction formée par la société Décathlon ;

– a rejeté les autres demandes des parties ;

– et a condamné la société Prosport au paiement d’une indemnité de procédure de 2 000 euros, ainsi qu’aux dépens.

Le 11 janvier 2024, la société Decathlon a relevé un appel limité de cette ordonnance, critiquant uniquement ses chefs rejetant sa demande de mesure d’instruction fondée sur l’article 145 du code de procédure civile et sa demande de désignation d’un commissaire de justice ayant mission de contrôler l’exécution de cette mesure et de dresser constat.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par ses conclusions récapitulatives n° 2 notifiées par la voie électronique le 27 mars 2024, la société Décathlon demande à la cour de :

Vu les articles 145, 489 et 491 du code de procédure civile,

– infirmer partiellement l’ordonnance entreprise, en ce qu’elle a :

‘ rejeté sa demande de mesures d’instruction en application de l’article 145 du code de procédure civile ;

‘ rejeté sa demande de désignation d’un commissaire de justice avec pour mission de contrôler l’exécution de la mesure d’instruction, de collecter et de réunir l’ensemble des informations, documents et éléments qui lui seront remis spontanément par la société Prosport, et de dresser constat du tout, aux frais avancés par elle ;

Statuant à nouveau,

– ordonner une mesure d’instruction en application de l’article 145 du code de procédure civile ;

– ordonner à la société Prosport de lui communiquer, en ce qui concerne le magasin Intersport exploité dans la [Adresse 7] à [Localité 3] ;

‘ la liste précise de tous les dimanches durant lesquels ce magasin a ouvert ses portes au public durant les années 2020 à 2023 ;

‘ le chiffre d’affaires réalisé par ce magasin lors de chaque dimanche des années 2020 à 2023 où il a été ouvert au public en dehors des dimanches autorisés par le maire de la commune ;

– assortir cette mesure d’instruction d’une astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé le délai calendaire de 10 jours à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, cette astreinte courant, par jour de retard et par manquement, c’est-à-dire à chaque fois que la société Prosport n’aura pas apporté les éléments justificatifs relatifs à l’une quelconque des dates d’ouvertures qu’elle a effectuées de mai 2018 à 2023 en dehors de toute autorisation légale ou réglementaire ;

– commettre tel commissaire de justice de son choix territorialement compétent, avec pour mission de contrôler l’exécution de l’ordonnance à intervenir en ce qui concerne la mesure d’instruction, de collecter et de réunir l’ensemble des informations, documents et éléments qui lui seront remis spontanément par la société Prosport ;

– ordonner au commissaire de justice instrumentaire de dresser constat du tout, en y annexant l’ensemble des documents et informations transmis, et de le lui remettre à elle, société Décathlon, dans un délai d’un mois après la signification de l’ordonnance à intervenir ;

– dire qu’elle fera l’avance des frais d’intervention du commissaire de justice ;

En tout état de cause :

– rejeter l’appel incident et les demandes de la société Prosport ;

– condamner la société Prosport à lui payer la somme de 4 000 euros à titre d’indemnité procédurale, ainsi qu’aux dépens de l’appel, en ce inclus le remboursement des frais du commissaire de justice instrumentaire qui seront avancés par elle.

Par ses conclusions n° 2 notifiées par la voie électronique le 28 mars 2024, la société Prosport demande à la cour de :

Vu les articles 145, 484, 488 et 873, alinéa 1er, du code de procédure civile,

Vu l’article 1240 du code civil,

Vu les articles L.153-1 et R. 153-1 et suivants du code de commerce,

Vu les articles L. 3132-20 et suivants et R. 3132-20-1 du code du travail,

– recevoir l’ensemble de ses demandes ;

‘ Sur la demande de mesure d’instruction formée par la société Décathlon  :

– confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a débouté la société Décathlon de sa demande de mesure d’instruction,

Mais, en cas d’infirmation de l’ordonnance sur ce point :

– limiter la mesure d’instruction au motif argué par la société Décathlon et à ce qui est légalement admissible au sens de l’article 145 du code de procédure civile ;

– ordonner une mesure d’instruction en application de l’article 145 du code de procédure civile à son profit ;

– ordonner à la société Décathlon de lui communiquer en ce qui concerne le magasin Décathlon exploité à « [Localité 6] » :

‘ la liste précise de tous les dimanches durant lesquels ce magasin a ouvert ses portes au public de 2020 à 2023 ;

‘ le chiffre d’affaires réalisé par ce magasin lors de chaque dimanche de 2020 à 2023 où il a été ouvert au public, en dehors de toute autorisation légale ou réglementaire ;

– assortir cette mesure d’instruction d’une astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai calendaire de 30 jours à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir, cette astreinte courant, par jour de retard et par manquement ;

– se réserver la liquidation de l’astreinte ainsi prononcée ;

‘ À titre d’appel incident, sur la demande de mesure d’interdiction formée par la société Décathlon :

– infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a fait droit à la mesure d’interdiction, sollicitée par la société Décathlon à son encontre, de procéder à une ouverture dominicale de son magasin exploité sous enseigne Intersport situé à « [Localité 3] » en dehors des arrêtés municipaux de cette commune ou de toute autre dérogation légale ou réglementaire ;

Statuant à nouveau :

– rejeter la demande de la société Décathlon tendant à ce que soit ordonnée une mesure d’interdiction d’ouverture dominicale concernant le magasin Intersport situé à «[Localité 3] » ;

‘ À titre subsidiaire, en cas de prononcé d’une mesure d’interdiction à son encontre : dire que toute interdiction ne pourra être que provisoire et la limiter à un délai de trois mois à compter du prononcé de la décision à intervenir et dire qu’à défaut de saisine du juge du fond par la société Décathlon à son encontre dans ce délai, la mesure d’interdiction sera levée de plein droit ;

‘ En tout état de cause :

– infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle n’a pas fait droit à sa demande d’indemnité de procédure ;

– condamner la société Décathlon à lui payer la somme de 3 000 euros à titre d’indemnité de procédure ;

– rejeter l’ensemble des demandes de la société Décathlon ;

– condamner la société Décathlon aux dépens, dont distraction au profit de Maître Laforce.

MOTIFS

1°- Sur la demande d’interdiction d’ouvertures dominicales fondée sur l’existence d’un trouble manifestement illicite

La société Prosport fait valoir que la mesure d’interdiction d’ouverture dominicale ordonnée par le premier juge doit être infirmée, pour les raisons suivantes : l’ordonnance entreprise n’a prévu aucune limitation de durée à cette mesure et elle est muette sur la caractérisation d’un trouble manifestement illicite, au sens de l’article 873, alinéa 1, du code de commerce. Or, les conditions de ce texte ne sont pas remplies en ce que :

1°- l’illicéité n’est pas caractérisée. Faute de violation de la réglementation, les ouvertures dominicales du magasin Intersport en cause, entre 2018 et 2023, et celles à venir, ne présentent pas les caractéristiques d’un trouble manifestement illicite. En effet :

– il résulte des articles L. 3132-25-1 et R. 3132-20-1 que la dérogation géographique tenant à l’existence d’une zone commerciale est accordée de plein droit dès lors que les conditions posées par ces textes sont réunies, sans qu’une autorisation administrative soit requise, sous la seule condition que les établissements situés dans cette zone soit couverts par un accord collectif. Les magasins situés dans ces zones commerciales ne sont donc pas tenus par les « dimanches du maire » ;

– en l’espèce, le magasin concerné se situe bien dans une zone commerciale dont l’importance lui permet de bénéficier de cette dérogation, sans avoir besoin d’arrêté préfectoral ;

– de plus, ses salariés à elle, société Prosport, bénéficient de l’accord collectif du 6 novembre 2017 relatif aux contreparties au travail dominical, ce qui lui permet de faire travailler ses salariés volontaires sur d’autres dimanches que les « dimanches du maire » ;

– les ouvertures dominicales de son magasin sont donc licites, car conformes aux prescriptions du code du travail ;

– en tout état de cause, pendant la crise sanitaire liée au Covid 19, le gouvernement a lui-même incité les commerces à déroger, de manière exceptionnelle, à la réglementation en matière d’ouverture dominicale. Il ne saurait donc lui être reproché à elle, société Prosport, de s’être conformée à cette impulsion. La demande de la société Décathlon concernant les « années Covid 19 », de 2020 à 2022, doit donc être rejetée ;

– le gouvernement a également autorisé les commerçants à ouvrir le dimanche 9 juillet 2023, à la suite des violences urbaines ;

2°- l’existence d’un trouble manifestement illicite n’est pas caractérisée. En effet :

– le trouble manifestement illicite doit viser des agissements constitutifs d’une violation évidente et non équivoque de la règle de droit. En l’espèce, l’existence de décisions divergentes démontre qu’il existe une difficulté réelle sur l’interprétation des textes applicables en matière d’ouvertures dominicales. La violation alléguée ne relevant donc pas de l’évidence requise en matière de référé, le juge des référés aurait dû décliner sa compétence. Bien plus, l’absence de trouble manifestement caractérisé résulte de ce que la société Décathlon ne s’applique pas la même règle et ouvre aussi son magasin en dehors des dimanches du maire. En procédant à l’analyse de la réglementation en cause, le premier juge a manifestement excédé « ses compétences » ;

– les juges doivent apprécier la mesure propre à mettre fin au trouble existant, sans que cette mesure puisse aller au-delà de la cessation du trouble ni porter atteinte aux libertés fondamentales, telles que la liberté du commerce et d’entreprendre. Le juge des référés ne peut donc ordonner une mesure imprécise pour l’avenir, sans limitation de durée – la mesure devant rester provisoire, sous peine de dépasser les limites de sa compétence, « en privant les magasins Intersport de la possibilité de bénéficier de la dérogation géographique offerte par le code de travail sans prendre le risque d’une astreinte considérable, bien supérieure au chiffre d’affaires qu’ils pourraient réaliser » (p. 22, §1). Il s’agit là d’une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce ;

– de surcroît, un trouble toléré depuis des années exclut toute possibilité de référé. Le trouble manifestement illicite visé par l’article 873 doit présenter un caractère pressant. En l’espèce, les quelques ouvertures dominicales reprochées remontent à l’année 2020 et perdurent depuis plusieurs années, sans que Décathlon ait jamais dénoncé quoi que ce soit. Si ces ouvertures lui avaient causé un trouble, elle aurait agi bien plus rapidement et le fait qu’elle n’en ait rien fait la prive du droit d’agir en référé ;

3°- toute mesure d’interdiction est nécessairement provisoire. En effet :

– toute ordonnance de référé qui impose une interdiction doit impérativement prévoir un terme à cette mesure et être prise sous réserve de saisine du juge du fond dans un délai donné, à compter de l’ordonnance ;

– en l’espèce, en prononçant une mesure d’interdiction illimitée, le premier juge a violé les articles 484 et 488 du code de procédure civile ;

– ainsi, en tout état de cause, si la cour confirmait l’ordonnance, elle devrait nécessairement assortir la mesure d’une limite temporelle (3 mois à compter du prononcé de « l’ordonnance » à intervenir), en précisant qu’à défaut de saisine du juge du fond par Décathlon dans ce délai, la mesure serait levée de plein droit.

La société Décathlon réplique notamment que :

1°- Le fait pour un commerçant d’ouvrir le dimanche en dehors de toute autorisation légale constitue un trouble manifestement illicite, et un acte de concurrence déloyale. En l’espèce :

– il est démontré, par les pièces versées aux débats, que la société Prosport ne respecte pas les arrêtés municipaux en matière d’ouverture dominicale pour le magasin Intersport d'[Localité 3] entre 2020 et 2023, ce qui constitue un acte de concurrence déloyale ;

– elle, société Décathlon, est donc fondée à agir pour faire cesser ce trouble manifestement illicite et obtenir ultérieurement une indemnisation, en application de l’article 1240 du code civil – raison pour laquelle est demandée l’organisation d’une mesure d’instruction ;

– le juge des référés est donc compétent pour faire cesser ce trouble sous astreinte, sans limite de temps. Le prononcé d’une astreinte est nécessaire, d’autant plus que la société Prosport a caché ses méfaits après avoir été informée de l’introduction d’autres instances en référé concernant d’autres sociétés Intersport ne respectant pas non plus les dates d’ouvertures dominicales autorisées ;

2°- La demande tendant à faire cesser le trouble manifestement illicite est légitime, dès lors qu’il n’existe, à [Localité 3], aucune dérogation sur un « fondement géographique » qui permettrait à l’intimée de s’exonérer du respect des « dimanches du maire ». Ainsi :

– le non-respect des arrêtés municipaux du maire de la commune constitue une violation flagrante de la règle de droit, qu’il appartient au juge des référés commerciaux de faire cesser. Le non-respect des dates d’ouvertures dominicales autorisées par le maire de la commune concernée n’a jamais été contesté. De plus, la société Prosport n’a formé aucun recours contre ces arrêtés, qui lui étaient dès lors applicables ;

– la société Prosport, à qui il incombe d’en justifier, n’a pas démontré qu’il existerait un arrêté préfectoral ayant classé le centre commercial en cause en tant que « zone commerciale », au sens des articles L. 3132-25-1 et L. 3132-25-2 du code du travail. Au contraire, il est prouvé qu’il n’existait, dans la commune considérée, aucune « zone commerciale » classée par un arrêté préfectoral. La société Prosport ne peut donc justifier ses ouvertures dominicales illicites en arguant de ce que son magasin Intersport ferait partie d’une « zone commerciale » bénéficiant d’une dérogation permanente sur le plan du droit du travail ;

– la société Prosport propose une lecture dévoyée de l’article L.3132-25-1 du code du travail. En effet, la règle imposant un arrêté préfectoral pour ouvrir le dimanche en dehors des « dimanches du maire » est inscrite littéralement dans l’article L. 3132-25-2. Il n’existe pas de dérogation de plein droit sur un fondement géographique dans le code du travail ; il faut obligatoirement qu’il y ait eu un classement en zone commerciale (ZC) par la préfecture, ce qui requiert un arrêté préfectoral ;

– le juge des référés n’a pas à limiter dans le temps l’interdiction dont il s’agit.

3°- Les autres arguments soulevés par l’intimée pour prétendre qu’il existe une difficulté sérieuse ne sont pas fondés.

Réponse de la cour :

En droit, il résulte de l’article 873, alinéa 1, du code de procédure civile que le président du tribunal de commerce peut toujours, même en cas de contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

L’application de ce texte n’est pas subordonnée à la condition d’urgence (v. par ex. : Civ. 3e, 13 mai 1998, n° 96-19545).

Le trouble manifestement illicite découle de toute perturbation résultant d’un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

Dès lors, si l’existence d’une contestation sérieuse sur le fond du droit n’interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un trouble manifestement illicite, l’absence d’évidence de la règle de droit prétendument violée peut justifier que le juge refuse de prendre ces mesures, l’illicéité du trouble devant, en effet, être évidente.

Les mesures que le juge peut prescrire sur le fondement du texte précité ne doivent tendre qu’à la cessation du trouble manifestement illicite justifiant son intervention. En effet, le juge des référés n’étant pas le juge du principal, ainsi que le rappelle l’article 484 du code de procédure civile, la mesure qu’il prononce doit conserver la nature d’une mesure provisoire, tendant uniquement à la préservation des droits d’une partie. Toute autre mesure excède les pouvoirs du juge des référés.

Sous cette restriction, le juge des référés apprécie souverainement les mesures propres à faire cesser le trouble manifestement illicite.

Selon une jurisprudence ancienne et constante, le fait pour un employeur d’ouvrir son établissement le dimanche sans autorisation de droit ou préfectorale constitue un trouble manifestement illicite (v. par ex. : Soc. 13 juin 2007, n° 06-18.336, publié ; Soc. 16 juin 2010, n° 09-11214, publié ; Soc. 22 janv. 2014, n° 12-27478). En effet, constitue un acte de concurrence déloyale, par rupture d’égalité entre concurrents, le fait, pour un commerçant, de ne pas respecter la réglementation applicable à son activité afin de bénéficier indûment de l’avantage concurrentiel qui découle de l’inobservation de cette réglementation.

Il appartient à celui qui, pour écarter l’existence d’un trouble manifestement illicite, se prévaut du bénéfice d’une dérogation de droit au repos dominical d’en justifier (Soc. 16 juin 2010, précité).

En l’espèce, il est établi que les sociétés Décathlon et Prosport sont des sociétés concurrentes exploitant, chacune, un magasin distinct au sein de la même ZAC s’étendant sur les deux communes voisines de [Localité 4] et [Localité 3].

Il résulte des pièces versées aux débats, et notamment des constats d’huissier relevant les annonces publicitaires effectuées sur le réseau Facebook et des arrêtés municipaux pris par le maire d'[Localité 3], que, abstraction faite des ouvertures dominicales autorisées en vertu de dérogations exceptionnelles, notamment pendant la période de la crise sanitaire liée au Covid-19, la société Décathlon rapporte la preuve de ce que, depuis l’année 2020 et jusqu’en 2023, le magasin à l’enseigne Intersport exploité par la société Prosport a ouvert ses portes à des dates correspondant à des dimanches ne figurant pas dans la liste, limitative, des dimanches où le maire de la commune a autorisé l’emploi de salariés.

Ainsi, au vu des pièces communiquées, en dehors des « dimanches du maire » et des autorisations préfectorales exceptionnelles consenties pendant la période de la crise sanitaire (pièces n° 47 à 49 de l’appelante) et à une reprise le 9 juillet 2023 (pièce n° 28 de l’intimée), le nombre de dimanches pendant lequel le magasin en question a ouvert, s’établit comme suit :

* en 2020 : 3 dimanches ;

* en 2021 : 3 dimanches ;

* en 2022 : 9 dimanches ;

* en 2023 : 7 dimanches.

La société Prosport ne conteste pas cet état de fait, mais objecte qu’elle bénéficie d’une dérogation de plein droit au principe du repos dominical, dès lors que son magasin se situe dans une zone commerciale, au sens de l’article L. 3132-25-1 du code du travail.

L’enjeu du litige consiste donc à déterminer si l’ouverture dominicale d’un commerce en dehors des « dimanches du maire » méconnaît une règle de droit prohibant, avec l’évidence requise en matière de référé, de telles ouvertures.

En principe, il résulte de l’article L. 3132-3 de ce code que le repos hebdomadaire, qui est un droit conféré à tout salarié, doit être donné le dimanche. Toutefois, le législateur a créé plusieurs dérogations à ce principe, parmi lesquelles :

– les dérogations accordées par le maire, qui peut décider une suppression du repos dominical dans la limite de 12 dimanches par an (article L. 3132-26 du code du travail) ;

– et celles que les auteurs appellent « les dérogations sur un fondement géographique », issues de la loi dite Macron du 6 août 2015.

Ces dernières dérogations correspondent à des zones géographiques dans lesquelles il peut être dérogé au repos dominical. La loi détermine ainsi trois types de périmètres géographiques bénéficiant de cette dérogation, au nombre desquels figurent les « zones touristiques et commerciales. »

Les textes relatifs aux zones commerciales sont les suivants :

Article L. 3132-25-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 :

Les établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services et qui sont situés dans les zones commerciales caractérisées par une offre commerciale et une demande potentielle particulièrement importantes, le cas échéant en tenant compte de la proximité immédiate d’une zone frontalière, peuvent donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel, dans les conditions prévues aux articles L. 3132-25-3 et L. 3132-25-4.

Un décret en Conseil d’Etat détermine les modalités d’application du présent article.

Article L. 3132-25-2 de ce code, dans la rédaction issue de la même loi :

I. La demande de délimitation ou de modification des zones définies aux articles L. 3132-25 et L. 3132-25-1 est faite par le maire ou, après consultation des maires concernés, par le président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, lorsque celui-ci existe et que le périmètre de la zone concernée excède le territoire d’une seule commune.

La demande de délimitation ou de modification de ces zones est transmise au représentant de l’Etat dans la région. Elle est motivée et comporte une étude d’impact justifiant notamment l’opportunité de la création ou de la modification de la zone.

II. Les zones mentionnées au I sont délimitées ou modifiées par le représentant de l’Etat dans la région après avis :

1° Du conseil municipal des communes dont le territoire est concerné ;

2° Des organisations professionnelles d’employeurs et des organisations syndicales de salariés intéressées ;

3° De l’organe délibérant des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont sont membres les communes dont le territoire est concerné ;

4° Du comité départemental du tourisme, pour les zones touristiques mentionnées à l’article L. 3132-25 ;

5° De la chambre de commerce et d’industrie et de la chambre de métiers et de l’artisanat, pour les zones commerciales mentionnées à l’article L. 3132-25-1.

L’avis de ces organismes est réputé donné à l’issue d’un délai de deux mois à compter de leur saisine en cas de demande de délimitation d’une zone et d’un mois en cas de demande de modification d’une zone existante.

III. Le représentant de l’Etat dans la région statue dans un délai de six mois sur la demande de délimitation dont il est saisi. Il statue dans un délai de trois mois sur une demande de modification d’une zone.

Article R. 3132-20-1 du même code :

I. – Pour être qualifiée de zone commerciale au sens de l’article L. 3132-25-1, la zone faisant l’objet d’une demande de délimitation ou de modification remplit les critères suivants :

1° Constituer un ensemble commercial au sens de l’article L. 752-3 du code de commerce d’une surface de vente totale supérieure à 20 000 m² ;

2° Avoir un nombre annuel de clients supérieur à 2 millions ;

3° Etre dotée des infrastructures adaptées et accessible par les moyens de transport individuels et collectifs.

II. – Lorsque la zone est située à moins de 30 kilomètres d’une offre concurrente située sur le territoire d’un Etat limitrophe, les valeurs applicables au titre des critères de surface de vente et de nombre annuel de clients énoncés respectivement au 1° et au 2° du I sont de 2 000 m2 et de 200 000 clients.

Il résulte de ces textes, avec l’évidence requise en matière de référé, que les établissements situés dans une zone commerciale ont certes de plein droit le droit de faire travailler leurs salariés les dimanches, mais cette possibilité est subordonnée à plusieurs conditions préalables, dont la délimitation et la création de cette zone par un arrêté préfectoral, ce qui implique de suivre la procédure précisément détaillée par l’article L. 3132-25-2.

C’est donc à tort, au prix d’une dénaturation de dispositions législatives claires et précises, que la société Prosport prétend qu’il suffit qu’une zone commerciale remplisse les critères édictés à l’article R. 3132-20-1 pour que les commerces qui s’y trouvent bénéficient automatiquement de la dérogation au repos dominical prévue par l’article L. 3132-25-1, puisqu’il est, au contraire, impératif qu’un arrêté préfectoral ait préalablement délimité cette zone pour que cette dérogation puisse s’appliquer.

Au cas présent, la société Prosport, sur laquelle repose la charge de la preuve, ne justifie pas de ce qu’un arrêté préfectoral aurait classé en « zone commerciale », au sens de l’article L. 3231-25-1, la zone dans laquelle est situé son établissement d'[Localité 3], et ce à compter de l’année 2020, époque à partir de laquelle ont été constatées les premières ouvertures dominicales litigieuses – c’est-à-dire celles intervenues en dehors des « dimanches du maire ».

Au contraire, la société Décathlon verse aux débats :

– un courriel du 17 mars 2022 émanant de la section centrale du travail de la Direction départementale de l’emploi, du travail et de la solidarité (DDETS) du Pas-de-Calais, où est localisé le magasin à l’enseigne Intersport ici en cause, indiquant qu’il n’existe aucune zone commerciale dans le Pas-de-Calais ayant fait l’objet d’un arrêté ;

– un courriel du 4 août 2023, envoyé par le responsable de la section centrale du travail de la préfecture du Pas-de-Calais, indiquant qu’à sa connaissance, il n’existe aucun arrêté préfectoral actant une zone commerciale au sens de l’article L. 3132-25-1 du code du travail ;

– et une lettre du directeur du travail de la DDETS de la préfecture du Pas-de-Calais, établie le 29 novembre 2023, précisant que, si le préfet de région a sollicité chaque préfet de département pour étudier la possibilité de définir des zones commerciales dans ce département, en application de l’article L. 3132-25, aucun arrêté n’a, à ce jour, été pris dans le département à ce sujet.

Il résulte de ce qui précède que, depuis mai 2020, la société Prosport a ouvert son magasin certains dimanches non inclus dans la liste des ouvertures dominicales autorisées par le maire de la commune concernée, et ce alors que ce magasin, non situé dans une zone commerciale classée au sens de l’article L. 3132-25-1 du code du travail, ne peut revendiquer le bénéfice de la dérogation géographique prévue par ce texte.

La violation évidente de la réglementation applicable en matière de repos dominical étant ainsi caractérisée, l’est aussi l’existence d’un trouble manifestement illicite, qu’il appartient à la cour, statuant en matière de référé, de faire cesser.

Pour mettre fin à ce trouble, la société Décathlon demande la confirmation de l’ordonnance entreprise qui, en substance, fait interdiction à la société Prosport de procéder à l’ouverture de son magasin le dimanche à chaque fois qu’une telle ouverture n’aura pas été préalablement autorisée par un arrêté municipal ou par toute autre dérogation légale ou réglementaire, et ce sous peine d’une astreinte de 30 000 euros par infraction constatée.

L’objet de cette mesure d’interdiction tend ainsi exclusivement à assurer le respect de la loi par la société Prosport, de manière à ce qu’il soit mis fin à la rupture d’égalité avec son concurrent, la société Décathlon.

Dès lors, c’est à tort que la société Prosport prétend que cette interdiction porterait une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce « en privant les magasins Intersport de la possibilité de bénéficier de la dérogation géographique offerte par le code de travail sans prendre le risque d’une astreinte considérable, bien supérieure au chiffre d’affaires qu’ils pourraient réaliser » (p. 22, §1, de ses conclusions).

Par ailleurs, sont inopérants les moyens par lesquels la société Prosport s’oppose à la mesure d’interdiction ordonnée par le premier juge en faisant valoir :

– que la société Decathlon ne se conforme pas elle-même à la réglementation en matière d’ouverture dominicale, en particulier pour son magasin situé dans la commune ici en cause. A supposer même que cette affirmation soit avérée, elle n’en rendrait pas pour autant licite la violation de cette réglementation par la société Prosport ;

– que le trouble, toléré depuis des années, exclut toute possibilité de référé, une telle affirmation étant inexacte en l’absence de renonciation d’une partie à son droit d’agir ;

– et que le trouble doit être « actuel et pressant », cependant que ces conditions ne sont pas requises par l’article 873, alinéa 1.

Enfin, c’est tout aussi vainement que la société Prosport conteste la mesure d’interdiction au motif qu’elle ne revêt pas un caractère « provisoire », faute d’être limitée dans le temps.

En effet, outre qu’un tel raisonnement procède d’une assimilation erronée entre ce qui est qualifié de « provisoire », au sens de la matière des référés, et ce qui est « temporaire », en tout état de cause, non seulement l’article 873, alinéa 1, n’exige pas que la mesure ordonnée pour remédier à un trouble manifestement illicite revête un caractère temporaire, mais surtout, le remède à un tel trouble ne peut être limité dans le temps, sauf à méconnaître la nature et l’objectif de ce type de référé.

Ainsi, en l’occurrence, dès lors qu’il s’agit de faire respecter une loi qui s’impose à tous et sans limitation de durée, l’interdiction demandée par la société Décathlon pour remédier au trouble manifestement illicite, ci-dessus constaté, ne peut être limitée dans le temps.

Cette analyse est corroborée par un arrêt de la Cour de cassation qui a jugé, précisément dans l’hypothèse d’une violation de la règle du repos dominical constitutive d’un trouble manifestement illicite, que ne commet aucun excès de pouvoir la cour d’appel qui s’abstient de préciser la date à laquelle prendrait fin l’interdiction ordonnée, cette date étant nécessairement celle de l’obtention d’une dérogation (Soc. 13 juin 2007, n° 06-18336).

Il résulte de tout ce qui précède que la mesure d’interdiction demandée par la société Décathlon, sans limitation de durée, est fondée.

Enfin, pour les mêmes motifs, tenant au fait que cette mesure ne tend qu’au respect de la loi par tous les opérateurs, dont la société Prosport, il n’y a pas lieu de prévoir que cette interdiction sera levée de plein droit à défaut de saisine du juge du fond par la société Décathlon dans un délai de trois mois.

En conclusion, la mesure d’interdiction et ses modalités, telles que fixées dans le dispositif de l’ordonnance entreprise, seront confirmées.

En revanche, cette ordonnance sera infirmée en ce que le premier juge s’est réservé la liquidation de l’astreinte, aucune raison particulière ne justifiant qu’il soit dérogé à la compétence de principe du juge de l’exécution en la matière.

2°- Sur la demande de mesure d’instruction in futurum formée par la société Décathlon

La société Décatlon fait valoir que c’est à tort que le premier juge a refusé d’ordonner cette mesure d’instruction, pour les raisons suivantes :

1°- sa demande est légitime et recevable, puisque sont réunies toutes les conditions de mise en oeuvre de l’article 145 du code de procédure civile. En effet :

– la mesure d’instruction est sollicitée « avant tout procès » ;

– elle, société Décathlon, justifie d’un « motif légitime », qui est de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige à venir en concurrence déloyale résultant de la violation de la réglementation en matière d’ouvertures dominicales ;

– l’étendue de la communication sollicitée est « légalement admissible » au sens de l’article 145 du code de procédure civile. Cette mesure est précisément circonscrite à ce qui est nécessaire pour garantir son efficacité. Pour les années visées, il est établi un commencement de preuve de multiples ouvertures dominicales non autorisées par le magasin Intersport en cause. Les informations demandées sont essentielles pour le juge du fond appelé à statuer sur sa demande d’indemnisation, ne sont pas en sa possession et ne peuvent être obtenues autrement que par le biais d’une mesure d’instruction ;

2°- les motifs pour lesquels le premier juge a refusé la demande de mesure d’instruction ne sont pas fondés au regard de l’article 145 du code de procédure civile. En effet :

– elle ne dispose pas « d’ores et déjà » de la preuve des ouvertures illicites. Sa demande consiste à réclamer des pièces qui seront nécessaires, devant le juge du fond, pour justifier de l’importance du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale ; cela ne peut être démontré qu’au travers du chiffre d’affaires réalisé sur chacune des dates exactes d’ouverture. Les éléments dont elle dispose actuellement sont insuffisants pour avoir une vue précise et complète de toutes les dates d’ouvertures illicites, qui ne sont pas en sa possession. Elle est donc « recevable » à demander la liste exacte de tous les dimanches d’ouverture pratiqués par la société Prosport depuis 2020 ;

– elle n’a pas demandé à ce stade la communication de « documents comptables » couverts par le secret des affaires, contrairement à ce qu’a retenu le premier juge ;

– le secret des affaires n’est pas un obstacle à l’organisation de la mesure d’instruction, selon la jurisprudence de la Cour de cassation ;

– refuser la mesure d’instruction au motif qu’il n’est pas prouvé qu’elle, société Décathlon, saisira ensuite le juge du fond, n’est pas « recevable ». En retenant un tel motif, le premier juge a ajouté à l’article 145 du code de procédure civile une condition qu’il ne prévoit pas. Si la mesure d’instruction n’est pas ordonnée, elle, société appelante, ne pourra pas utilement préparer son dossier de demande d’indemnisation pour saisir le juge du fond. Le raisonnement du premier juge revient à compliquer, voire empêcher cette saisine ultérieure, alors que le demandeur a le devoir de rapporter les preuves au soutien de ses prétentions.

– refuser la mesure d’instruction au motif qu’elle, société Décathlon, pourrait ensuite la demander au juge du fond, n’est pas non plus recevable ;

– elle ne dispose pas « d’ores et déjà » de preuves « suffisantes » de son préjudice, qu’elle n’est pas en mesure de chiffrer, puisqu’elle ignore la liste exacte des dimanches d’ouvertures illicites du magasin Intersport en cause et le chiffre d’affaires réalisé illicitement à cette occasion par son concurrent local. En toute hypothèse, l’appréciation du caractère « suffisant » de la teneur des preuves revient au juge du fond, et non au juge des référés saisi d’une demande de mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145.

La société Prosport s’oppose à cette demande de mesure d’instruction, en faisant valoir ces éléments :

1°- La société Décathlon ne justifie d’aucun motif légitime et est animée par une volonté de nuire. En effet :

– une mesure d’instruction ne peut pas être prononcée lorsque le demandeur a déjà en sa possession des éléments suffisamment documentés. Tel est précisément le cas en l’espèce ;

– le motif de la société Décathlon est illégitime, puisqu’elle a multiplié les mesures d’instruction contre des adhérents du réseau Intersport sans introduire d’action au fond ensuite. L’appelante fait preuve d’un acharnement procédural afin de déstabiliser son principal concurrent, en s’évertuant à obtenir des informations stratégiques par le biais de mesures qui, in fine, ne sont jamais suivies d’action au fond, à l’exception d’une seule. De plus, si l’appelante avait eu un véritable motif légitime, elle aurait pu agir sans attendre, compte tenu de l’ancienneté des premières ouvertures dominicales illicites alléguées ;

– la société Décathlon, et notamment son magasin de [Localité 5], ouvre elle-même en dehors des dimanches autorisés par le maire. Violant la réglementation et commettant elle-même des actes de concurrence déloyale, l’appelante ne peut donc se prévaloir d’une prétendue distorsion de concurrence pour demander la production forcée de pièces ;

– la société Décathlon a fini par reconnaître que d’autres dérogations que les dimanches du maire étaient applicables, en l’occurrence des dérogations accordées du fait de la crise liée au Covid-19, en 2020 et 2021. Cela anéantit la thèse de l’appelante ;

– la société Décathlon ne démontre pas la vraisemblance d’un trouble ou d’un préjudice résultant des ouvertures dominicales illicites alléguées ;

2°- La mesure sollicitée n’a pas un caractère suffisamment limité. En effet :

– en droit, les mesures d’instruction ne peuvent constituer de véritables mesures d’investigation. Elles ne doivent pas porter atteinte de manière disproportionnée au secret des affaires. Une atteinte disproportionnée à ce secret constitue donc un obstacle à une mesure d’instruction in futurum ;

– en l’espèce, la production forcée demandée par la société Déacathlon a pour objectif de libérer celle-ci de son obligation de prouver les faits qu’elle allègue, en violation de l’article 9 du code de procédure civile ;

– cette demande n’est pas « délimitée » à ce qui est strictement nécessaire à la solution du litige et excède les prévisions de l’article 145, et ce d’autant plus que l’appelante a déjà obtenu les informations demandées via le réseau social Facebook ;

– en outre, si la demande était accueillie, la société Décathlon aurait entre les mains des informations commerciales sensibles concernant son concurrent, ainsi que sur « le marché de l’ouverture dominicale », qui relèvent incontestablement du secret des affaires, ce qui serait disproportionné au regard de l’objectif poursuivi ;

– le redressement judiciaire statuant en application de l’article 145 ne peut ordonner que la production d’éléments de preuve concourant à l’établissement de faits juridiques, ce dont ne relève pas l’évaluation d’un préjudice.

Réponse de la cour :

En droit, l’article 145 du code de procédure civile dispose que :

S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont peut dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Il résulte de ce texte qu’à condition qu’aucune instance au fond n’ait déjà été introduite, le demandeur doit démontrer l’existence d’un motif légitime d’obtenir du juge l’octroi de mesures qui doivent être légalement admissibles.

La condition tenant à l’existence d’un motif légitime, qui doit être caractérisée par les juges du fond, relève de leur appréciation souveraine (v. par ex. : 2e Civ., 10 juill. 1991, n° 90-14.306, publié ; 2e Civ., 10 déc. 2020, n° 19-22.619 ; 2e Civ., 24 mars 2022, n° 21-12.631).

Le régime de la mesure d’instruction dite in futurum résulte de la jurisprudence, qui a notamment fixé les règles suivantes :

– la mesure demandée doit être en lien avec un litige potentiel entre les parties (v. par ex. : 2e Civ., 27 juin 2019, n° 18-17.936 ; Com., 16 oct. 2019, n° 18-11.635 ; 2e Civ., 10 déc. 2020, n° 19-22.619). Elle doit être justifiée par la recherche ou la conservation d’une preuve susceptible d’être utilisée dans ce litige ;

– le juge ne peut rejeter la mesure demandée que si celle-ci n’est manifestement pas pertinente. En effet, le motif légitime de voir ordonner une mesure d’instruction existe dès lors que celle-ci n’est pas « manifestement insusceptible d’être utile lors d’un litige relevant de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire » (1re Civ., 1 oct. 2014, n° 13-22.853, publié), ou que l’action au fond envisagée n’apparaît « pas manifestement vouée à l’échec » (v. par ex. : Com. 4 fév. 2014, n° 12-27.398 ; 2e Civ., 30 janv. 2020, n° 18-24.757), ou encore que les prétentions envisagées une soient pas « manifestement irrecevables ou mal fondées » (1re Civ. 22 janv. 2020, n° 18-25.213).

Quant aux mesures susceptibles d’être ordonnées en application de l’article 145 précité, elles doivent être utiles et améliorer la situation probatoire du requérant, dans la perspective du litige potentiel. Autrement dit, le résultat de la mesure d’instruction demandée doit être susceptible d’influer sur le contenu et le fondement de ce litige (v. par ex. : 2e Civ., 10 déc. 2020, n° 19-22.619, publié).

Ces mesures peuvent consister en une mesure d’expertise ou un constat par un commissaire de justice, ou encore en la communication forcée, par le défendeur ou un tiers, de pièces nécessaires à la solution du litige en germe (v. par ex. : Com. 11 avr. 1995, n° 92-20.985, publié ; 2e Civ., 15 déc. 2015, n° 03-20.081).

La procédure prévue par l’article 145 du code de procédure civile n’est pas limitée à la conservation des preuves et peut aussi tendre à leur établissement (2e Civ., 6 nov. 2008, n° 07-17398, publié).

En outre, il résulte également de ce texte que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (V. l’arrêt de principe 2e Civ., 25 mars 2021, n° 20-14309, publié, et aussi : Com. 28 juin 2023, n° 21-11752, publié). Le juge ne peut donc rejeter une mesure en se déterminant par des motifs d’ordre général, sans caractériser ni la nature de l’atteinte ni la disproportion de la mesure au regard des intérêts antinomiques en présence (2e Civ., 25 mars 2021, n° 19-20156).

En application de l’article 145, les mesures générales d’investigation sont prohibées (v. not. : 2e Civ., 7 janv. n° 97-10.831, publié ; Civ. 2e, 31 janv. 2019, n° 17-31535, publié).

Toutefois, des mesures de grande ampleur, menant à la saisie d’une grande quantité de documents, ne constituent pas nécessairement une mesure générale d’investigation, pour autant que la mesure soit circonscrite aux faits litigieux et proportionnée à l’objectif poursuivi (2e Civ., 24 mars 2022, n° 20-22955).

Par ailleurs, en matière de concurrence déloyale, il résulte d’une jurisprudence établie :

– que constitue un acte de concurrence déloyale le non-respect d’une réglementation dans l’exercice d’une activité commerciale, qui induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur (v. par ex. : Com. 19 juin 2001, n° 99-15411, publié ; Com. 17 mars 2021, n° 19-10414 ; Com. 27 nov. 2023, n° 21-21995, publié) ;

– et, qu’il s’infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral (v. par ex. : Com. 3 mars 2021, n° 18-24373 ; Com. 13 oct. 2021, n° 19-23597 ; Com. 7 sept. 2022, n° 21-14028).

En l’espèce, et en premier lieu, la règle selon laquelle aucune mesure ne peut être accordée pour suppléer la carence d’une partie dans l’administration de la preuve, édictée par l’article 146 code de procédure civile, ne s’applique pas lorsque le juge est saisi d’une demande fondée sur l’article 145 précité (v. par ex. : 2e Civ., 10 juill. 2008, n° 07-15.369, publié ; 2e Civ., 10 mars 2011, n° 10-11.732, publié ; 2e Civ., 11 avr. 2013, n° 11-19419).

Les moyens soutenus de la société Prosport tenant à ce que la mesure demandée ne doive pas servir à pallier la carence de la société Décathlon dans l’administration de la preuve (pp. 27 et 44 de ses conclusions) et à ce que la demande de l’appelante tend à l’exonérer de son obligation de prouver les faits qu’elle allègue (p. 42), ne sont donc pas opérants.

En second lieu, il est constant qu’à la date de saisine du premier juge, aucune instance au fond n’avait déjà été introduite par la société Décathlon contre la société Prosport.

En troisième lieu, tel qu’exposé ci-dessus (§ 1°), la société Décathlon démontre, par des faits précis et objectifs, que la société Prosport a pour habitude, depuis plusieurs années consécutives, d’ouvrir son magasin certains dimanches en dehors de toute autorisation du maire et sans justifier de ce qu’elle pouvait bénéficier de la dérogation géographique par elle alléguée.

La rupture d’égalité entre les sociétés qui se conforment à la réglementation applicable en matière de repos dominical et celles qui, à l’instar de la société Intersport, s’en affranchissent volontairement, est susceptible de caractériser des faits de concurrence déloyale.

Il s’ensuit qu’est démontrée l’existence d’un litige plausible, bien qu’éventuel et futur, entre les sociétés Décathlon et Prosport sur le fondement de ces faits, et ce, peu important la circonstance, inopérante :

– que la société Décathlon n’ait, jusqu’à présent, engagé aucune instance au fond contre l’une ou l’autre des sociétés du réseau Intersport à l’égard desquelles elle formé une demande sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, ou encore qu’à une reprise,

– ou que la société Décathlon ait elle-même ouvert certains de ses magasins, en particulier celui situé à [Localité 4] en dehors « des dimanches du maire. »

La société Prosport n’est pas non plus fondée à dénier la légitimité du motif allégué par la société Décathlon en raison de l’absence d’un préjudice vraisemblable, dans la mesure où il s’infère nécessairement un préjudice de faits de concurrence déloyale.

En quatrième lieu, s’agissant de l’utilité et de la légitimité des mesures demandées par la société Décathlon, elles doivent s’apprécier au regard de ce litige potentiel.

L’appelante demande qu’il soit ordonné à la société Prosport de lui communiquer :

1°- la liste précise de tous les dimanches durant lesquels le magasin Intersport d'[Localité 3] a ouvert ses portes au public entre 2020 et 2023 ;

2°- le chiffre d’affaires réalisé par ce magasin, pendant cette période, lors de chaque dimanche d’ouverture non autorisée par le maire de la commune.

La liste des dimanches d’ouverture non autorisée présente une utilité certaine dans la perspective du litige potentiel à intervenir sur le fond entre les parties, en ce qu’elle permet à la société Décathlon d’apprécier, avant d’engager toute action en responsabilité contre la société Prosport, l’importance exacte des manquements imputés à cette dernière. La communication forcée de cette liste est donc nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la société Décathlon.

Ainsi, la société Prosport n’est pas fondée à refuser de communiquer cette liste aux motifs que la société Décathlon disposerait déjà de « suffisamment d’éléments » pour introduire une action au fond contre elle.

De plus, un préjudice s’inférant nécessairement d’un acte de concurrence déloyale, la société Prosport ne peut pas non plus refuser de communiquer cette liste en objectant que la société Décathlon n’apporte aucun indice d’un préjudice hypothétique.

En outre, n’est pas opérant, pour faire obstacle à cette demande de communication forcée, le moyen par lequel la société Prosport soutient que la société Décathlon elle-même procéderait à des ouvertures dominicales en dehors des douze « dimanches du maire. »

Par ailleurs, bien qu’elle affirme que le « marché de l’ouverture dominicale » relève du secret des affaires (v. ses conclusions, p. 42, pénultième §), la société Prosport ne le démontre pas. En particulier, il n’est pas établi en quoi ce marché pourrait revêtir un caractère confidentiel ou stratégique, dans la mesure où, par hypothèse, il s’adresse au public et n’a donc aucun caractère secret – à telle enseigne que non seulement la société Prosport a fait de la publicité sur un réseau social concernant les ouvertures dominicales de son magasin, mais, en outre, elle indique elle-même, dans ses écritures, que « les ouvertures dominicales n'[ont] pas été dissimulées au public et donc à Décathlon » (p. 32, § 1).

Dans ces conditions, aucune atteinte au secret des affaires ne résultant de la communication de la liste des dimanches ouverts sans autorisation, c’est à tort que la société Prosport prétend que cette demande serait « disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi », qui est de permettre à la société Décathlon de prouver, dans toute leur ampleur, sur la période comprise entre 2020 et 2023, les faits de concurrence déloyale litigieux.

Enfin, l’intention de nuire de Décathlon, dénoncée par la société Prosport, et qui se manifesterait par l’exercice de la présente instance comme de celles intentées par l’appelante contre d’autres sociétés du réseau Intersport, n’est nullement caractérisée. Elle l’est d’autant moins que toute partie a le droit d’exercer une action en justice destinée à préserver ses droits en vue d’un futur litige potentiel.

La demande de communication de cette liste de dimanches d’ouvertures illicites, sur la période précitée, sera donc accueillie, sous astreinte, dans les conditions précisées au dispositif du présent arrêt.

En revanche, n’apparaît pas utile la demande de communication du chiffre d’affaires réalisés par le magasin Intersport d'[Localité 3] lors des dimanches d’ouverture illicite, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, il n’existe aucun risque de dépérissement des éléments de preuve dont la conservation pourrait commander la solution du litige potentiel à venir, s’agissant d’éléments figurant dans des documents comptables, par hypothèse pérennes.

Ensuite et surtout, le chiffre d’affaires réalisé par le magasin de la société Prosport n’est pas un élément permettant d’évaluer les préjudices financiers dont la société Décathlon pourrait demander réparation, devant le juge du fond, en conséquence d’actes de concurrence déloyale. En effet, ces préjudices, constituant soit un gain manqué ou une perte de chance, soit des pertes subies au titre de la désorganisation de l’entreprise, ne sont pas évalués sur la base du chiffre d’affaires de l’auteur des actes déloyaux.

La communication du chiffre d’affaires demandée par la société Décathlon n’étant donc pas susceptible d’influer sur le contenu et le fondement de ce litige, elle n’est pas de nature à améliorer la situation probatoire de l’appelante dans la perspective d’un futur litige contre la société Prosport.

Cette demande de communication-là sera donc rejetée.

Compte tenu de la seule communication forcée ordonnée par la cour, il n’y a pas lieu d’accueillir les demandes de la société Décathlon tendant à ce qu’un commissaire de justice soit désigné pour contrôler l’exécution du présent arrêt en ce qui concerne la mesure d’instruction ainsi ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, et pour dresser un constat du tout, aux frais avancés de l’appelante.

En conclusion, il y a donc lieu d’infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’il a rejeté en totalité la demande formée par la société Décathlon sur le fondement de ce texte.

3°- Sur la demande subsidiaire de production forcée de pièces formée par la société Prosport

La société Prosport fait valoir que :

– s’il est fait droit à la demande de la société Décathlon, il convient de faire droit à sa demande tendant à ce que soit ordonnée à l’appelante la même mesure que celle qui lui serait ordonnée « par mesure d’équité et en raison des comportements déloyaux mis en oeuvre par Décathlon, qui constituent des motifs légitimes au regard de l’article 145 du code de procédure civile » ;

– en effet, ces éléments lui permettront de se défendre utilement et de manière équitable dans le cadre d’une procédure au fond, notamment en ayant connaissance du chiffre d’affaires que la société Décathlon effectue sur un dimanche d’ouverture de son magasin ;

– la société Décathlon doit donc se voir ordonner de produire, sous astreinte, la liste précise de tous les dimanches durant lesquels le magasin Décathlon de [Localité 4] a ouvert ses portes au public entre 2020 et 2023, et le chiffre d’affaires réalisé par ce magasin sur la même période, lors des dimanches d’ouverture effectuée en dehors de toute autorisation légale ou réglementaire.

La société Décathlon s’oppose à cette demande, en soutenant que :

– l’équité ne peut fonder une mesure demandée sur la base de l’article 145 du code de procédure civile, en l’absence de motif légitime contre elle, appelante ;

– les deux ouvertures du magasin lors des deux dimanches visés par l’intimée ne sont pas illicites, ayant été autorisées par le maire de [Localité 4] où se situe ce magasin ;

– il est faux de soutenir qu’elle multiplierait les procédures contre les adhérents du réseau Intersport car elle perdrait des parts de marché au niveau national. Ses actions se fondent sur le constat que ces adhérents ne respectent pas la réglementation relative aux ouvertures dominicales.

Réponse de la cour :

Tel qu’il a été rappelé précédemment, toute demande fondée sur l’article 145 du code de procédure civile doit reposer sur un motif légitime de conserver ou d’établir, avant tout procès, la preuve de faits dont peut dépendre la solution d’un litige.

En l’occurrence, la société Prosport ne justifie nullement d’un motif légitime d’obtenir la liste des dimanches auxquels la société Décathlon a ouvert son magasin situé à [Localité 4] et le chiffre d’affaires réalisé par ce magasin entre 2020 et 2023.

En effet, au vu de ses conclusions, elle présente sa demande comme constituant, en quelque sorte, la « réciproque automatique » de celle formée par la société Décathlon, que la cour a partiellement accueillie ci-dessus, cependant qu’une telle réciprocité n’est juridiquement pas fondée.

En tout état de cause, au vu des arrêtés municipaux produits par la société Décathlon, il est démontré que les deux ouvertures dominicales de son magasin de [Localité 4] effectuées les 9 septembre 2018 et 8 septembre 2019, dont la société Prosport soutient qu’elles seraient illicites, font en réalité partie de la liste des « dimanches du maire » de [Localité 4] pour les années 2018 et 2019. Ces ouvertures étaient donc licites, et la société Prosport ne soutient ni n’établit, au moyen des pièces versées aux débats, que la société Décathlon se serait livrée, illicitement, à d’autres ouvertures dominicales de ce magasin.

Dès lors, il n’est nullement établi qu’un litige potentiel fondé sur des ouvertures dominicales illicitement pratiquées par la société Décathlon pourrait opposer les parties.

Cette demande subsidiaire de la société Prosport sera donc rejetée, par voie de confirmation de l’ordonnance entreprise.

4°- Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Succombant pour l’essentiel, la société Prosport sera condamnée aux dépens et au paiement d’une indemnité procédurale.

Les chefs de l’ordonnance entreprise relatifs aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile seront, dès lors, confirmés.

PAR CES MOTIFS

La cour,

– Confirme l’ordonnance entreprise, sauf en ce qu’elle a :

‘ réservé au premier juge la liquidation de l’astreinte assortissant la mesure d’interdiction, pour la société Prosport XI, d’ouvrir son magasin les dimanches en dehors de toute autorisation légale ou réglementaire ;

‘ et rejeté la demande de la société Décathlon fondée sur l’article 145 du code de procédure civile ;

Statuant de nouveau des chefs infirmés,

– Dit n’y avoir lieu à se réserver la liquidation de l’astreinte assortissant la mesure d’interdiction ordonnée ;

– Ordonne à la société Prosport XI de communiquer à la société Décathlon France, en ce qui concerne son magasin Intersport exploité au centre commercial Auchan situé dans la [Adresse 7] à [Localité 3], la liste précise de tous les dimanches durant lesquels ce magasin a ouvert ses portes au public au cours des années 2020 à 2023 incluse ;

– Dit que la société Prosport devra effectuer cette communication au plus tard dans un délai de deux mois suivant la signification du présent arrêt, sous peine, passé ce délai, d’une astreinte de 1 000 euros par jour de retard, cette astreinte courant durant un délai de quatre mois ;

– Rejette le surplus de la demande de communication forcée de pièces formée par la société Décathlon France sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ;

– Rejette les demandes de la société Décathlon tendant à la désignation d’un commissaire de justice ayant mission de contrôler l’exécution de la mesure et de dresser constat du tout, à ses frais avancés ;

Y ajoutant,

– Rejette la demande subsidiaire de la société Prosport XI tendant à ce que la mesure d’interdiction prononcée contre elle soit limitée dans le temps et levée de plein droit à défaut de saisine du juge du fond par la société Décathlon après l’expiration d’un certain délai ;

– Condamne la société Prosport XI aux dépens d’appel ;

– Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Prosport XI et la condamne à payer à la société Décathlon France la somme de 3 000 euros ;

Le greffier

Marlène Tocco

La présidente

Stéphanie Barbot


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