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En l’absence de contractualisation, le nom du groupe est l’objet de droits indivis sur la dénomination collective de l’ensemble du groupe de musiciens.
Le dépôt de la marque du nom du groupe par un membre (sans l’accord des autres membres) est entaché de nullité au motif qu’il porte atteinte à leurs droits indivis sur la dénomination collective de l’ensemble du groupe de musiciens, d’une part, et qu’il a été fait de mauvaise foi, d’autre part. Le dépôt, réalisé de mauvaise foi, et donc nul. La nullité de la marque est donc prononcée. Pour rappel, aux termes de l’article 815-9 du Code civil ” chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l’effet des actes régulièrement passés au cours de l’indivision. A défaut d’accord entre les intéressés, l’exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal. / L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité “. Par ailleurs, il est admis que l’appellation d’un groupe de musiciens, propriété indivise de ceux-ci, appartient, après scission du groupe, à celle des formations qui a assuré, à compter de cette scission, la permanence du projet artistique, moral et politique du groupe qui lui servait de support, de sorte que les autres membres, qui n’assurent pas la continuité du projet, perdent le droit d’user de cette appellation si ce n’est pour se prévaloir de la qualité d’ancien membre du groupe (Civ. 1ère, 11 juin 2009, pourvoi n° 08-12.063, Bull. 2009, I, n° 126 ou encore Civ.1ère, 25 janvier 2000, pourvoi n° 95-16.267, Bull. 2000, I, n° 22). À défaut d’accord entre les indivisaires, il est donc constaté que le groupe maintenu assure la permanence du projet artistique d’origine et sa continuité. En conséquence, seuls ceux qui restent dans le groupe peuvent utiliser la dénomination de celui-ci pour leur projet artistique, à charge pour les autres membres du groupe, qui peuvent toujours se prévaloir de leur qualité d’ancien membre de celui-ci, de solliciter un nouveau règlement de ses droits indivis en cas de rupture ultérieure de la permanence artistique de ce projet. Aux termes de l’article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ” si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice. / A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l’action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement “. Il résulte de ce texte, interprété à la lumière des articles pertinents de la directive (UE) 2015/2436 du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques que, pour établir qu’une marque a été déposée en fraude de ses droits, le tiers doit démontrer, d’une part, que le déposant avait connaissance de l’utilisation par lui d’un signe identique ou similaire au signe déposé en tant que marque, d’autre part, que ce dernier avait l’intention soit de porter atteinte à ses intérêts d’une manière non conforme aux usages honnêtes, soit d’obtenir un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque. L’article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle qui n’est que l’application du principe général du droit selon lequel la fraude corrompt tout, ne fait pas obstacle à ce que la victime de la fraude se borne à obtenir la nullité du dépôt frauduleux. L’action en revendication prévue par l’article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ne suppose pas la justification d’une utilisation publique antérieure du signe litigieux par la partie plaignante, mais la preuve de l’existence d’intérêts sciemment méconnus par le déposant. Un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité. |
Résumé de l’affaire : Le groupe TULAVIOK, formé en 1984, a connu des changements de membres et a cessé ses activités en 1989. En 2019, le groupe a repris ses concerts, mais des tensions sont apparues entre les membres concernant l’utilisation du nom TULAVIOK. Madame [D] [I]-[C] a déposé une marque pour TULAVIOK, ce qui a conduit à des conflits juridiques avec Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S], qui souhaitaient continuer à utiliser le nom. Les deux parties ont formulé des demandes contradictoires devant le tribunal, chacune accusant l’autre de violations de droits. Le tribunal a finalement prononcé la nullité de la marque déposée par Madame [D] [I]-[C] pour mauvaise foi, a reconnu le droit exclusif d’utilisation du nom TULAVIOK à Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S], et a ordonné le transfert des identifiants des comptes de réseaux sociaux au profit de ces derniers. Des réparations financières ont également été accordées à Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S] pour préjudices subis.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
[1] Le :
Expédition exécutoire délivrée à : Me MARTINI-BERTHON #L280
Copie certifiée conforme délivrée à : Me CANIVET #D10
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3ème chambre
1ère section
N° RG 22/03742
N° Portalis 352J-W-B7G-CWMNW
N° MINUTE :
Assignation du :
16 mars 2022
JUGEMENT
rendu le 12 septembre 2024
DEMANDEURS
Monsieur [B] [W]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Madame [Y] [S]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentés par Maître Philippe MARTINI-BERTHON de la SELARL MARCHAIS & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #L0280 & Maître Léa JACQUEMIN de l’AARPI LEGASPHERE AVOCATS, avocat au barreau de DIJON, avocat plaidant
DÉFENDEURS
Madame [D] [I]-[C]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Monsieur [K] [E]
[Adresse 6]”
[Adresse 6]
[Localité 2]
représentés par Maître Geoffroy CANIVET du Cabinet 186 AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #D0010 & Maître Vittorio DE LUCA de la SELARL VERSO AVOCATS, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant
Décision du 12 septembre 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 22/03742
N° Portalis 352J-W-B7G-CWMNW
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,
assistés de Madame Lorine MILLE, Greffière lors des débats et de Madame Laurie ONDELE, Greffière lors de la mise à disposition.
A l’audience du 04 mars 2024 tenue en audience publique avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu le 13 juin 2024.
Le délibéré a été prorogé au 12 septembre 2024.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
1. Le groupe TULAVIOK est un groupe de punk rock français, originaire du sud de la France, créé en 1984.
2. Monsieur [B] [W], se présente comme musicien batteur et auteur-compositeur des œuvres musicales du groupe musical français TULAVIOK et membre du groupe.
3. Madame [Y] [S] se présente comme choriste et membre du groupe.
4. Madame [D] [I]-[C] se présente comme bassiste et membre du groupe.
5. Monsieur [K] [E] se présente comme le fils et l’ayant droit de feu Monsieur [G] [E] chanteur, musicien guitariste et auteur-compositeur et membre du groupe.
6. Le premier concert du groupe TULAVIOK a lieu à [Localité 8], le 21 décembre 1984. Des modifications ont lieu au sein de la composition du groupe. Puis en juillet 1989, les membres du groupe TULAVIOK prennent la décision d’arrêter la scène.
7. Parallèlement à la création du groupe TULAVIOK, Monsieur [G] [E] et Monsieur [B] [W] ont créé le label BOLLOCK’S PRODUKTION, label en charge de la production des premiers albums du groupe. Les deux premiers albums étant distribués par la société NEW ROSE.
8. En 1991, Monsieur [G] [E] et Monsieur [B] [W] décident également d’adhérer à la SACEM en qualité d’auteurs-compositeurs. Ils déposeront ainsi plusieurs morceaux dont le titre TULAVIOK, identique au nom du groupe.
9. En 2009, le site Internet TULAVIOK.COM est créé. Il reprend de manière explicite l’historique et la discographie du groupe. Une adhésion à discogs.com, site internet et base de données collaborative d’enregistrements musicaux a également lieu et une page Wikipédia TULAVIOK est créée.
10. Par la suite, des rééditions des albums originaux du groupe TULAVIOK sont faites à travers le Label DIRTY PUNK en 2009 et en 2019 sous format vinyles et CDs. Les royalties de ces rééditions ont été partagées entre :
Monsieur [G] [E] (décédé en 2012 – et depuis son décès son fils [K] [E])
Monsieur [B] [W]
Madame [D] [I]-[C]
Madame [Y] [S].
11. En 2019, le groupe TULAVIOK est remonté sur scène.
12. Madame [I]-[C] a déposé la marque française TULAVIOK le 7 décembre 2019. Le dépôt de marque porte le numéro 4605732 et vise les classes 9, 16, 35, et 41.
13. Le 18 décembre 2019, Madame [D] [I]-[C] a décidé de ne plus se produire avec les autres membres du groupe.
14. Mme [I]-[C] et M. [E] souhaitant mettre fin au groupe TULAVIOK, M. [W] et Mme [S] ont décidé de continuer de se produire sous la dénomination Loulou Laviok Punkestra assortie de la mention ” Tulaviok is alive “, et, arguant de l’usage frauduleux du nom collectif Tulaviok, demandé à Mme [I]-[C] et à M.[E] de procéder au retrait de la marque Tulaviok et de cesser toute entrave à l’activité du groupe.
15. Après mises en demeure, Mme [I]-[C] a indiqué qu’elle ne voyait aucune difficulté à procéder au retrait de la marque, si M. [W] cessait toute exploitation de la dénomination Tulaviok.
16. Aucun accord entre les parties n’a à ce jour abouti.
17. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 juin 2023, Monsieur [W] et Madame [S] demandent au tribunal, aux visas des articles 815-9 et 1240 du Code Civil, de la loi n°92-957 du 1er juillet 1992, des articles L 111-1, L 111-2, L 113-1, L112-2, L112-4 L122-1 et L122-4 du Code de la Propriété intellectuelle et de l’ancien article L711-4 du Code de la propriété intellectuelle, de :
18. ” Les dire et juger recevables et fondés en leurs demandes.
Les y accueillant :
– Débouter Madame [D] [I]-[C] et Monsieur [K] [E] de l’ensemble de leurs demandes.
– Constater qu’il existe un désaccord entre les coindivisaires sur l’usage de la dénomination TULAVIOK.
– Dire et juger qu’ils assurent la continuité du projet artistique du groupe TULAVIOK.
Par conséquent :
– Dire et juger que Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S] ont le droit exclusif d’utiliser la dénomination TULAVIOK y compris avec de nouveaux membres qui s’y intégreraient.
– Dire et juger que Madame [D] [I]-[C] a porté atteinte aux droits indivis de Monsieur [B] [W] et de Madame [Y] [S] sur la dénomination TULAVIOK en déposant à son seul profit la marque française TULAVIOK n° 19 4 605 732 et en faisant usage de ce cette marque dans le seul but de nuire aux droits des autres coindivisaires.
Par conséquent :
– Interdire à Madame [D] [I]-[C] d’utiliser la dénomination TULAVIOK, à quelque titre que ce soit, sauf le droit de se prévaloir de sa qualité d’ancien membre du groupe.
– Dire et juger que le dépôt de la marque TULAVIOK n°19 4 605 732 du 7/12/2019 constitue un dépôt de mauvaise foi.
Par conséquent :
– Prononcer la nullité de la marque TULAVIOK n°19 4 605 732 déposée le 7/12/2019 par Madame [D] [I]-[C].
– Ordonner la transmission du jugement par la partie la plus diligente à l’INPI aux fins de transcription au Registre National des Marques.
– Dire et juger que la marque TULAVIOK n°19 4 605 732 déposée le 7/12/2019 par Madame [D] [I]-[C] porte atteinte à leurs droits indivis de Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S] sur la dénomination TULAVIOK.
– Dire et juger que l’usage de la marque TULAVIOK n°19 4 605 732 par Madame [D] [I] et Monsieur [K] [E] porte atteinte aux droits indivis de Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S] sur la dénomination TULAVIOK.
– Condamner solidairement Madame [D] [I]-[C] et Monsieur [K] [E] à verser à Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S] la somme de 15.000,00 euros chacun en réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte à leurs droits indivis.
– Dire et juger que l’usage de la marque TULAVIOK n°19 4 605 732 par Madame [D] [I]-[C] et Monsieur [K] [E] constitue un abus de droit pour avoir privé Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S] de leur activité artistique sous le nom de TULAVIOK.
– Condamner solidairement Madame [D] [I]-[C] et Monsieur [K] [E] à verser à Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S] la somme totale de 16.746,00 euros au titre de leur préjudice financier.
– Condamner solidairement Madame [D] [I]-[C] et Monsieur [K] [E] à verser à Monsieur [B] [W] la somme de 2.200,00 euros correspondant aux droits SACEM qu’il aurait dû percevoir pour les concerts programmés en 2020.
– Condamner solidairement Madame [D] [I]-[C] et Monsieur [K] [E] à verser à Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S] la somme totale de 33.492,00 euros au titre de leur préjudice de perte de chance pour les concerts qui auraient pu avoir lieu en 2021 et 2022.
– Condamner solidairement Madame [D] [I]-[C] et Monsieur [K] [E] à verser à Monsieur [B] [W] la somme de 4.400,00 euros correspondant aux droits SACEM qu’il aurait dû percevoir pour les concerts qui auraient pu avoir lieu en 2021 et 2022.
– Condamner solidairement Madame [D] [I]-[C] et Monsieur [K] [E] à verser à Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S] la somme de 15.000,00 euros chacun en réparation de leur préjudice moral subi du fait de l’usage abusif de la marque TULAVIOK.
– Dire et juger que le titre musical TULAVIOK constitue une œuvre de l’esprit sur laquelle Monsieur [B] [W] dispose de droits d’auteur.
– Dire et juger que l’usage par Madame [D] [I]-[C] et Monsieur [K] [E] de la marque TULAVIOK n°19 4 605 732 constitue des actes de contrefaçon au préjudice des droits d’auteur de Monsieur [B] [W] sur le titre musical TULAVIOK.
– Condamner solidairement Madame [D] [I]-[C] et Monsieur [K] [E] à verser à Monsieur [B] [W] la somme de 30.000,00 euros en réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte à ses droits d’auteur sur le titre musical TULAVIOK.
– Dire et juger que les propos tenus par Madame [D] [I]-[C] en juin 2020 sur le réseau social Facebook constituent des propos dénigrants au préjudice de Monsieur [B] [W] et de Madame [Y] [S].
– Condamner Madame [D] [I]-[C] à verser à Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S] la somme de 15.000,00 euros chacun en réparation du préjudice subi du fait des propos dénigrants tenus à leur encontre.
– Ordonner la publication du jugement à intervenir, par extrait, dans un quotidien, OUEST FRANCE, et dans deux journaux nationaux spécialisés LES INROCKUPTIBLES et ROCK & FOLK, aux frais de Madame [D] [I]-[C] et de Monsieur [K] [E], pour une somme n’excédant pas 3.000,00 euros.
– Ordonner le transfert de tous les identifiants de connexions, habilitations et codes d’accès administrateurs des différents comptes ouverts au nom du groupe TULAVIOK sur les réseaux sociaux en particulier sur Facebook, Twitter, Gmail et YouTube, au profit de Monsieur [B] [W] et de Madame [Y] [S].
– Dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
– Condamner solidairement Madame [D] [I]-[C] et Monsieur [K] [E] à verser à Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S] la somme de 10.000,00 euros chacun en application des dispositions de l’Article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance “.
19. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 juillet 2023, Madame [D] [I]-[C] et Monsieur [K] [E] demandent au tribunal, aux visas des articles 815-9 et 1240 du Code civil, de la loi n°92-957 du 1er juillet 1992, des articles L.111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, de la Jurisprudence et des pièces versées aux débats, de :
20. ” – Constater que Monsieur [W] et Madame [S] n’assurent pas la permanence du projet artistique du groupe TULAVIOK créé en 1984 et ayant cessé toute activité à compter de juillet 1989.
– Débouter Monsieur [W] et Madame [S] de leur demande visant à obtenir un droit d’usage exclusif sur la dénomination indivise TULAVIOK y compris avec de nouveaux membres qui s’y intégreraient.
– Constater que Monsieur [W] et Madame [S] ont violé les droits indivis des anciens membres du groupe TULAVIOK en poursuivant l’exploitation du nom du groupe malgré le désaccord exprimé par les anciens membres.
Par conséquent :
– Condamner solidairement Monsieur [W] et Madame [S] à verser à Monsieur [E] et Madame [I]-[C] la somme de 10.000 euros chacun au titre du préjudice subi du fait de la violation de leurs droits indivis sur la dénomination TULAVIOK.
– Interdire à Monsieur [W] et Madame [S] toute exploitation artistique du nom de groupe TULAVIOK, sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée, sauf à faire état de leur qualité d’ancien membre du groupe TULAVIOK.
– Donner acte à Madame [I]-[C] de son accord pour voir prononcer la nullité de la marque TULAVIOK dès lors qu’il sera fait interdiction à Monsieur [W] et Madame [S] de faire usage de la dénomination TULAVIOK, sauf à faire état de leur qualité d’ancien membre du groupe TULAVIOK.
– Débouter Monsieur [W] et Madame [S] de l’ensemble de leurs demandes indemnitaires.
– Débouter Monsieur [W] et Madame [S] de leur demande de publication du jugement à intervenir ainsi qu’au transfert de tous les identifiants de connexion, habilitations et codes d’accès administrateur des différents comptes ouverts au nom du groupe TULAVIOK sur les réseaux sociaux.
– Ordonner la publication du Jugement à intervenir, par extrait, dans un quotidien, OUEST France, et dans deux journaux nationaux spécialisés : LES INROCKUPTIBLES et ROCK & FOLK, aux frais de Monsieur [W] et Madame [S], pour une somme n’excédant pas 3.000 euros par article.
– Condamner solidairement Monsieur [W] et Madame [S] à verser à Monsieur [E] et Madame [I]-[C] la somme de 12.000 euros chacun au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance “.
21. Il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé des faits moyens et prétentions qui y sont contenus.
22. L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 juillet 2023.
La demande principale
Sur la demande en nullité de la marque Tulaviok n°19 4 605 732
Moyens des parties
23. Monsieur [W] et Madame [S] soutiennent que le dépôt de la marque litigieuse est entaché de nullité au motif qu’il porte atteinte à leurs droits indivis sur la dénomination collective de l’ensemble du groupe de musiciens, d’une part, et qu’il a été fait de mauvaise foi, d’autre part.
24. En fait, ils soulignent que Madame [I]-[C] est membre historique du groupe depuis 1985 et connaissait donc l’usage antérieur du signe ; qu’ayant déposé la marque 11 jours avant son départ du groupe et la demande de dissolution de celui-ci, son intention au moment du dépôt était de priver les autres membres du groupe d’un signe nécessaire à leur activité.
25. Madame [I]-[C] et Monsieur [E] sont d’accord pour que la nullité de la marque soit prononcée à la condition de faire interdiction à Monsieur [W] et Madame [S] d’utiliser la dénomination Tulaviok, sauf à préciser leur qualité d’ancien membre du groupe.
26. Ils rappellent que le dépôt par Madame [I]-[C] a été fait selon eux, pour faire barrage à l’exploitation de la dénomination indivise Tulaviok par les autres membres du groupe suite à la volonté de Monsieur [W] de changer de chanteur et de poursuivre les concerts sous cette dénomination.
Sur ce :
27. Aux termes de l’article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ” si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice. / A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l’action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement “.
28. Il résulte de ce texte, interprété à la lumière des articles pertinents de la directive (UE) 2015/2436 du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques que, pour établir qu’une marque a été déposée en fraude de ses droits, le tiers doit démontrer, d’une part, que le déposant avait connaissance de l’utilisation par lui d’un signe identique ou similaire au signe déposé en tant que marque, d’autre part, que ce dernier avait l’intention soit de porter atteinte à ses intérêts d’une manière non conforme aux usages honnêtes, soit d’obtenir un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque.
29. L’article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle qui n’est que l’application du principe général du droit selon lequel la fraude corrompt tout, ne fait pas obstacle à ce que la victime de la fraude se borne à obtenir la nullité du dépôt frauduleux.
30. L’action en revendication prévue par l’article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ne suppose pas la justification d’une utilisation publique antérieure du signe litigieux par la partie plaignante, mais la preuve de l’existence d’intérêts sciemment méconnus par le déposant.
31. Un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité.
32. En l’espèce, il ressort des déclarations des parties et de leurs échanges écrits que le dépôt de la marque Tulaviok a été fait par Madame [I]-[C] alors qu’elle avait connaissance de l’utilisation de ce signe par les membres du groupe. Celle-ci reconnaît dans ses conclusions que l’objet du dépôt était d’empêcher l’exploitation de ce signe par certains des membres du groupe alors qu’il était nécessaire à leur activité au moment du dépôt. Son intention était donc d’obtenir un droit exclusif sur le signe à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque.
33. Le dépôt, réalisé de mauvaise foi, et donc nul. La nullité de la marque est donc prononcée.
Sur la contrefaçon de droit d’auteur
Moyens des parties
34. Monsieur [W] et Madame [S] soutiennent que Madame [I]-[C] a contrefait le signe Tulaviok, titre d’une chanson enregistrée en 1987 et déposée le 28 juin 1991 à la SACEM par feu Monsieur [E], compositeur, et Monsieur [W] qui revendique être l’auteur de cette chanson. Ils rappellent, que selon l’article L. 112 – 4 du code de la propriété intellectuelle le titre d’une œuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’œuvre elle-même. Ils se fondent à cet égard sur la mélodie originale, la rythmique personnelle, l’harmonie particulière résultant de choix esthétiques et arbitraires des auteurs-compositeurs. Ils se prévalent du droit de l’auteur au respect de son œuvre, de son droit d’exploitation, de représentation, et de reproduction sur le fondement, respectivement, des articles L. 121 – 1, L. 122 – 1 et L. 122 – 3 du code de la propriété intellectuelle. Ils dénoncent en particulier l’annonce par Madame [I]-[C] de la fin du groupe sur les réseaux sociaux et l’utilisation du signe Tulaviok pour annuler l’ensemble des concerts.
35. Monsieur [K] [E] et Madame [I]-[C] exposent que l’originalité du titre Tulaviok n’est pas démontrée alors que ce signe était utilisé antérieurement comme nom du groupe. Ils ajoutent que Monsieur [W] et Madame [S] ne justifient pas de la titularité des droits d’auteur et fixent leur préjudice de façon arbitraire.
Sur ce :
36. Aux termes de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle ” l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. / Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code (…) “.
37. Selon l’article L. 112-4 du code de la propriété intellectuelle ” le titre d’une oeuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’oeuvre elle-même. / Nul ne peut, même si l’œuvre n’est plus protégée dans les termes des articles L. 123-1 à L. 123-3, utiliser ce titre pour individualiser une œuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion “.
38. Aux termes de l’article L. 123-1 du code de la propriété intellectuelle ” la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée “.
39.En l’espèce, les demandeurs se prévalent d’un droit d’auteur sur le signe Tulaviok et procèdent à la démonstration de son originalité en se référant à sa mélodie originale et à sa rythmique personnelle, outre son harmonie particulière.
40. Les conclusions en demande ne sont pas utilement contestées sur ce point. Il est donc constaté que la chanson enregistrée sous le titre Tulaviok relève de choix esthétiques et arbitraires permettant d’établir qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et est donc originale.
41. Il ressort toutefois des explications constantes des parties que le signe Tulaviok est utilisé depuis la création du groupe en 1984, et est donc antérieur à son utilisation comme titre d’une chanson. En outre, les faits dénoncés au cas présent relèvent d’une utilisation du nom du groupe et ne font aucune référence à la chanson protégée par le droit d’auteur.
42. Il ressort de ces circonstances que la contrefaçon alléguée n’est pas établie. La demande indemnitaire sur ce fondement et, par voie de conséquence, rejetée.
Sur l’usage du nom indivis Tulaviok
43. Monsieur [W] et Madame [S] demandent que soit réglé l’exercice des droits indivis des membres du groupe sur le fondement de l’article 815 – 9 du Code civil.
44. En droit, ils soutiennent que la jurisprudence réserve l’usage du nom du groupe à ceux de ses membres qui assurent la permanence de son projet artistique, les anciens membres du groupe pouvant se prévaloir de cette seule qualité d’anciens membres.
45. En fait, ils se prévalent d’un style musical de punk rock français dont le répertoire est constitué de chansons paillardes d’une part, et d’une interprétation musicale par deux guitares, une batterie et une basse accompagnée d’un chanteur et de cœur, d’autre part. Ils soulignent que Monsieur [W] est fondateur du groupe et auteur-compositeur de l’ensemble des compositions du groupe avec feu Monsieur [E], et que Madame [S] est membre du groupe depuis 1986. Ils reconnaissent à Madame [I]-[C] la qualité de membre du groupe depuis 1985. Ils rappellent que le groupe s’est séparé en 1989, pour se reformer brièvement en 2019 et se séparer de nouveau en décembre de cette même année. Ils disent avoir continué à interpréter le répertoire du groupe sous le nom Loulou Laviok Punkestra avec la mention ” Tulaviok is alive “. Ils considèrent que ce groupe reprend le même style musical est le même mode d’interprétation que le groupe Tulaviok et se prévalent d’attestations de son public et d’organisateur de concert ainsi que de leurs enregistrements, y compris un nouvel album. Pour l’ensemble de ces raisons, ils estiment poursuivre la continuité du projet artistique du groupe Tulaviok. Ils considèrent, par voie de conséquence, que l’utilisation du nom du groupe par Madame [I]-[C] est un abus de son droit indivis.
46. Monsieur [E] et Madame [I]-[C] reconnaissent la propriété indivise entre les parties de la dénomination Tulaviok mais concluent au débouté de la demande de règlement des droits indivis.
47. En droit, ils exposent que la dénomination collective de l’ensemble du groupe de musiciens est indissociable de l’existence du groupe ; que les prestations de nature administrative ou commerciale ne peuvent être prises en compte pour établir la pérennité du projet artistique ; que l’utilisation du nom indivis ne peut se faire que dans la mesure où elle est compatible avec le droit des autres indivisaires, en ce compris ceux de Madame [I]-[C] et de Monsieur [K] [E] ès qualité.
48. S’agissant de la pérennité du projet artistique, ils soutiennent que le groupe a cessé toute activité depuis près de 30 ans que Monsieur [W] l’a reconnu dans un livre paru en 2022, en cours de procédure ; que les nouveaux morceaux se font selon des structures musicales différentes ; que les éléments devant attester de cette pérennité ne sont pas prouvés ; que la cohérence du projet, sa progression, sa fidélité à la personnalité et aux convictions du groupe ne sont pas établis s’agissant des demandeurs.
49. S’agissant de la reformation du groupe, ils disent qu’il ne l’a été qu’à l’occasion d’un concert anniversaire en 2019 à l’exclusion d’une tournée ; que Monsieur [W] a souhaité reformer le groupe avec les membres de son propre groupe Assaswing contre la position de Madame [I]-[C] qui déclare vouloir préserver l’ADN, l’expression artistique originale et l’authenticité du groupe tel que voulue et cultivée par ses membres entre 1984 et 1989.
Sur ce :
50. Les parties revendiquent l’utilisation, dans leurs activités artistiques, du nom collectif Tulaviok, dont il n’est pas contesté par les parties qu’il est la propriété indivise des membres de ce groupe.
50.1 Aux termes de l’article 815-9 du Code civil ” chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l’effet des actes régulièrement passés au cours de l’indivision. A défaut d’accord entre les intéressés, l’exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal. / L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité “.
51. Il est admis que l’appellation d’un groupe de musiciens, propriété indivise de ceux-ci, appartient, après scission du groupe, à celle des formations qui a assuré, à compter de cette scission, la permanence du projet artistique, moral et politique du groupe qui lui servait de support, de sorte que les autres membres, qui n’assurent pas la continuité du projet, perdent le droit d’user de cette appellation si ce n’est pour se prévaloir de la qualité d’ancien membre du groupe (Civ. 1ère, 11 juin 2009, pourvoi n° 08-12.063, Bull. 2009, I, n° 126 ou encore Civ.1ère, 25 janvier 2000, pourvoi n° 95-16.267, Bull. 2000, I, n° 22).
52. En l’espèce, il est constant que le premier concert de Tulaviok a eu lieu en 1984 et que le groupe s’est séparé en 1989. Il ne s’est pas réuni publiquement depuis, à l’exception d’un concert le 30 novembre 2019 qui comprenait 3 membres du groupe originel : Monsieur [W] (batteur), Madame [I]-[C] (bassiste) et Madame [Y] [S] (membre des cœurs).
53. Des disques du groupe ont été édités jusqu’en 1991, et réédité en 2009 et 2019. Durant cette même période, des compilations de musique punk ont également repris des titres du groupe Tulaviok.
54. Les parties conviennent, à tout le moins, que le concert du 30 novembre 2019 été le premier depuis la séparation du groupe en 1989. Il s’est tenu toutefois sans Monsieur [E], chanteur et guitariste du groupe, décédé en 2012.
55. Des publications sur les réseaux sociaux présentent la prestation comme un ” concert anniversaire ” pour les 30 ans du groupe. Des courriels et une attestation d’organisateurs de concert indiquent qu’il s’agissait d’une reformation du groupe et que plusieurs concerts allaient être organisés en 2020. Une autre attestation d’un organisateur indique que Madame [I]-[C] membre du groupe, ne devait donner son accord sur la poursuite du projet qu’à l’issue du concert.
57. Il résulte de cette situation, une continuation du projet artistique originel du groupe Tulaviok à l’occasion de ce concert.
58. Un désaccord entre Monsieur [W] et Madame [I]-[C] révélé par des mails échangés à la fin du mois de décembre 2019, aboutit à une nouvelle séparation du groupe en l’absence d’accord sur la poursuite du projet artistique Tulaviok.
59. À partir de 2020, Monsieur [W] et Madame [S] sont remontés sur scène sous le nom ” Loulou Laviok Punkchestra ” y adjoignant la mention ” Tulaviok is alive “. Ce groupe comporte 2 guitaristes, un chanteur, un bassiste, et deux membres des chœurs qui ne faisait pas partie du groupe originel des années 1980.
60. Il n’est pas utilement démontré en défense que le répertoire de cette formation musicale diffère de celui du groupe Tulaviok. Il est tenu compte de ce que Monsieur [W] était avec Monsieur [G] [E] l’auteur – compositeur des chansons du groupe.
61. Seule cette formation musicale prétend aujourd’hui marquer la continuité artistique avec le groupe Tulaviok. Le positionnement artistique de punk rock paillard en français est maintenu par le groupe qui prévoit la sortie d’un nouvel album.
62. À défaut d’accord entre les indivisaires, il est donc constaté que le groupe maintenu par Monsieur [W] et Madame [S] assure la permanence du projet artistique d’origine et sa continuité.
63 En conséquence, seuls Monsieur [W] et Madame [S] peuvent utiliser la dénomination Tulaviok pour leur projet artistique, à charge pour les autres membres du groupe, qui peuvent toujours se prévaloir de leur qualité d’ancien membre de celui-ci, de solliciter un nouveau règlement de ses droits indivis en cas de rupture ultérieure de la permanence artistique de ce projet.
64. S’agissant de la demande indemnitaire formée par les demandeurs au principal, il sera constaté que l’obstruction de Madame [I]-[C] à l’usage du signe Tulaviok l’a été à une période où les droits indivis des membres du groupe n’étaient pas réglés, de sorte que l’intention de nuire et l’abus de l’usage de droits indivis droit corrélatif dont ils se prévalent ne sont pas démontrés.
65. La demande indemnitaire est donc rejetée.
66. En revanche, il sera fait droit à la demande de transfert des identifiants de connexion des comptes sur plusieurs réseaux sociaux portant la dénomination Tulaviok à titre de mesure de règlement des droits indivis. Il sera toutefois fait exception s’agissant du compte Gmail pouvant contenir des correspondances privées.
Sur les demandes indemnitaires fondées sur l’utilisation de la dénomination ” Tulaviok ”
67. Monsieur [W] et Madame [S] soutiennent que les défendeurs ont usé de la dénomination et de la marque Tulaviok pour les empêcher d’utiliser ce signe dans le cadre de leur activité, d’une part, par un post Facebook de juin 2021 publié par Madame [I]-[C], d’autre part, au moyen d’un courrier adressé à la société [Adresse 7] qui, en conséquence, a annulé la programmation et les concerts du groupe. Ils estiment que ces circonstances constituent un abus de droit. Ils soutiennent encore que ces circonstances portent atteinte à leurs droits indivis dans la mesure où ils n’ont pas donné leur consentement à ce dépôt.
68. Monsieur [K] [E] et Madame [I]-[C] soutiennent que la demande indemnitaire fondée sur l’abus de droit est infondée et doit être rejetée. Ils disent, qu’aucun justificatif ne justifie du préjudice demandé à hauteur de 5000 euros par an depuis 2020 ; qu’en outre les conditions particulières dans lesquelles est intervenu le dépôt de la marque excluent le versement de la somme demandée.
Sur ce :
69. Aux termes de l’article 1240 du Code civil ” tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer “.
70.En l’espèce, il est reconnu par les défendeurs que Madame [I]-[C] a déposé la marque pour empêcher l’exploitation du signe Tulaviok par certains des membres du groupe alors qu’il était nécessaire à leur activité au moment du dépôt. Son intention était, ainsi qu’il précède, d’obtenir un droit exclusif sur le signe à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, alors que tous les membres du groupe disposent sur ce signe de droit indivis.
71. Ces circonstances constituent un abus du droit de dépôt de marque et une faute civile au sens de l’article 1240 précité.
72. Le préjudice matériel dont se prévalent les demandeurs est lié à l’annulation de concerts et à la perte de chance corrélative de revenus contractuels, de produits dérivés et de droits SACEM. Il ressort d’un courrier d’un organisateur de concert du 24 février que les annulations résultaient de l’utilisation du signe Tulaviok en dépit de l’absence d’accord des indivisaires.
73. Toutefois, les concerts étant organisés pendant la période d’application des mesures de police sanitaire, ils n’auraient pu se tenir. Par voie de conséquence, leur annulation n’a pu causer aucun préjudice matériel aux demandeurs.
74. S’agissant de la demande de préjudice moral, il convient de rappeler que les demandeurs disposaient, même alors que l’exercice de leurs droits indivis n’était pas réglé judiciairement, du droit de se prévaloir de leur qualité d’ancien membre du groupe Tulaviok et d’utiliser ce signe dans cette limite. En déposant la marque litigieuse dans les conditions qui précèdent, Madame [I]-[C] a de fait empêché cette utilisation causant un préjudice moral qu’il convient de réparer à hauteur de 1 000 euros par an pour Monsieur [W] comme pour Madame [S], soit la somme totale de 3 000 euros chacun.
75. Monsieur [E], qui n’a pas la qualité de membre du groupe n’est pas responsable de ce préjudice. La demande dirigée contre lui et donc rejetée.
Sur le dénigrement
Moyens des parties :
76. Monsieur [W] et Madame [S] exposent que Madame [I]-[C]-[C] a publié sur Facebook un message qualifiant les concerts réalisés par le groupe Tulaviok de ” pure arnaque ” et de ” contrefaçon “. Ils estiment que ces propos les ont discrédités dans l’exercice de leur activité artistique justifiant que leur soit versée la somme de 15 000 euros à chacun au titre de leur préjudice moral.
77. Monsieur [K] [E] et Madame [I]-[C]-[C] contestent tout propos dénigrant. Ils expliquent que Madame [I]-[C]-[C] a invité les fans du groupe à faire attention aux contrefaçons et aux répliques du groupe ; qu’elle n’est pas dans une situation de concurrence vis-à-vis du groupe, ce qui exclut tout préjudice des demandeurs, qui ne le représente pas selon eux.
Sur ce :
78. Aux termes de l’article 1240 du Code civil ” tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer “.
79. La divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu’elle soit exacte.
80. Même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre, peut constituer un acte de dénigrement. Cependant, lorsque l’information en cause se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, cette divulgation relève du droit à la liberté d’expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure (1re Civ., 11 juillet 2018, pourvoi n° 17-21.457, Bull. 2018, I, n° 136 ; dans le même sens Com., 4 mars 2020, pourvoi n° 18-15.651 ; Com., 9 janvier 2019, pourvoi n° 17-18.350)).
81. Il est donc tenu compte de ce que l’information s’inscrit, ou non, dans un débat d’intérêt général pour dire si les critiques en cause dépassent les limites admissibles de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
83.En l’espèce, il ressort du constat de Maître [X] [F], commissaire de justice, du 27 septembre 2021, produit au soutien de la demande, qu’une publication est mise en ligne sur Facebook par l’utilisateur Tulaviok le 25 juin 2020. Il est constant que ce compte est utilisé par Madame [I]-[C].
84. Le message ainsi reproduit dans le constat indique ” on remballe ! ! Avis à tous les fans (…) les concerts de Tulaviok c’est fini à la suite de ce magnifique concert de novembre dernier (…) concert des 30 ans de Tulaviok (…) il a été décidé que ce concert restera comme le dernier concert de Tulaviok ; afin de préserver toute authenticité, la rage, la fureur, la décadence et la folie de cette époque mais aussi pour votre respect à tous. Tulaviok ne remontra pas sur scène. Qu’on se le dise ! ! ! ! ! Gaffe aux contrefaçons toute réplique du groupe susnommé est une pure arnaque. Afin d’éviter les malveillants, récalcitrants et autres parasites malintentionnés Tulaviok est désormais une marque déposée. Merci de faire circuler l’info “.
85. Dans le contexte du désaccord entre les indivisaires sur l’utilisation du nom du groupe Tulaviok, les propos qui précèdent visent à dénier tout lien entre le groupe Tulaviok originel et les prestations alors programmées ou envisagées par les demandeurs. Le message litigieux est une information de nature à jeter le discrédit sur les demandeurs qui pouvaient se prévaloir de leur qualité d’ancien membre du groupe.
86. Ce message constitue donc une faute civile qui a causé un préjudice aux demandeurs du fait du dénigrement ainsi généré. Il convient par voie de conséquence de le réparer à hauteur de 1000 euros pour chacun d’eux.
La demande reconventionnelle
Moyens des parties :
87. Madame [D] [I]-[C] et Monsieur [K] [E] demandent au tribunal de condamner les demandeurs à leur payer la somme de 10 000 euros chacun ” au titre du préjudice subi du fait de la violation de leurs droits indivis sur la dénomination Tulaviok “.
88. Monsieur [W] et Madame [S] concluent au débouté sans autre précision.
Sur ce :
89. Vu l’article 1240 précité du Code civil.
90. En l’espèce, les demandeurs conventionnels ne produisent aucune pièce justifiant du préjudice dont ils se prévalent et ne réalisent aucune démonstration juridique à l’exception de la mention reproduite précédemment au dispositif de leurs écritures.
91. La faute, le lien de causalité et le préjudice ne sont pas établis.
92. La demande indemnitaire présentée à titre reconventionnel est donc rejetée.
Les demandes accessoires
93. Vu l’article 1240 précité du Code civil.
94. Chacune des parties demande la publication du jugement dans des journaux visés à leurs écritures. Il n’apparaît pas justifié de réparer le préjudice des demandeurs par cette mesure accessoire. La demande reconventionnelle à ce titre est, quant à elle, dépourvue de fondement juridique.
95. Madame [D] [I]-[C] et Monsieur [K] [E], parties perdantes, sont condamnés aux dépens et à payer à Monsieur [W] et à Madame [S] la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal,
Prononce la nullité pour dépôt de mauvaise foi de la marque n°19 4 605 732 déposée le 7 décembre 2019 dont est titulaire Madame [D] [I]-[C] pour l’ensemble des produits et services visés à son certificat de dépôt,
Dit que la présente décision sera transmise, une fois celle-ci devenue définitive, à l’initiative de la partie la plus diligente, à l’Institut national de la propriété industrielle aux fins d’inscription au registre national des marques,
Dit que Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S] ont seuls le droit d’utiliser le nom collectif du groupe ” Tulaviok ” dès lors qu’ils assurent la permanence du projet artistique d’origine de ce groupe,
Ordonne à Madame [D] [I]-[C] le transfert de tous les identifiants de connexions, habilitations et codes d’accès administrateurs des différents comptes ouverts au nom du groupe ” Tulaviok ” sur les réseaux sociaux en particulier sur Facebook, Twitter, et YouTube, au profit de Monsieur [B] [W] et de Madame [Y] [S].
Condamne Madame [D] [I]-[C] à payer à Monsieur [B] [W] la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice causé par le dépôt de la marque de mauvaise foi de 2020 à 2022,
Condamne Madame [D] [I]-[C] à payer à Madame [Y] [S] la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice causé par le dépôt de la marque de mauvaise foi de 2020 à 2022,
Rejette la demande de dommages-intérêts de ce chef formée contre M. [E],
Condamne Madame [D] [I]-[C] à payer à Monsieur [B] [W] 1 000 euros en réparation des actes de dénigrement,
Condamne Madame [D] [I]-[C] à payer à Madame [Y] [S] 1 000 euros en réparation des actes de dénigrement,
Déboute chacune des parties du surplus de leurs demandes,
Condamne Madame [D] [I]-[C] à payer à Monsieur [B] [W] et Madame [Y] [S] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Madame [D] [I]-[C] aux dépens.
Fait et jugé à Paris le 12 septembre 2024
La Greffière La Présidente
Laurie ONDELE Anne-Claire LE BRAS