Madame [J] [O] est cliente de BNP PARIBAS depuis 2021 et a ouvert un compte chèques. Entre le 30 juin 2022 et le 19 août 2022, elle a effectué 38 virements totalisant 125.750 euros vers TRANSACTIVE SYSTEMS UAB en Lituanie pour acquérir des cryptomonnaies, mais a été victime d’une escroquerie. Elle accuse BNP PARIBAS de manquement à ses obligations en tant que dépositaire de fonds. Après avoir déposé une plainte pour escroquerie le 27 août 2022 et une mise en demeure le 29 août 2022, sans réponse favorable de la banque, elle a saisi le tribunal judiciaire de Paris le 26 octobre 2022 pour obtenir le remboursement des sommes perdues. Dans ses conclusions, elle demande la reconnaissance de la négligence de BNP PARIBAS et le remboursement des montants indûment virés, ainsi que des dommages-intérêts. BNP PARIBAS, dans ses propres conclusions, demande le déboutement de Madame [O] et soutient qu’elle a contribué à son propre préjudice. Le tribunal a rendu son jugement le 12 septembre 2024, déboutant Madame [O] de toutes ses demandes et la condamnant aux dépens.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
à
Me HABA
Me PENIN
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9ème chambre 3ème section
N° RG 22/12842 – N° Portalis 352J-W-B7G-CYEZ
N° MINUTE : 1
Contradictoire
Assignation du :
26 Octobre 2022
JUGEMENT
rendu le 12 Septembre 2024
DEMANDERESSE
Madame [J] [O]
[Adresse 1]
[Adresse 1]/ FRANCE
représentée par Maître Parfait HABA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C0220
DÉFENDERESSE
S.A. BNP PARIBAS
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Maître Dominique PENIN du LLP KRAMER LEVIN NAFTALIS & FRANKEL LLP, avocats au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #J0008 et Maître Virginia BARAT du LLP KRAMER LEVIN NAFTALIS & FRANKEL LLP, avocats au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #T0004
Décision du 12 Septembre 2024
9ème chambre 3ème section
N° RG 22/12842 – N° Portalis 352J-W-B7G-CYEZL
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame CHARLIER-BONATTI, Vice-présidente
M. MALFRE, 1er Vice-président adjoint
Monsieur BERTAUX, Juge
assistés de Sandrine BREARD, Greffière présente à l’audience et de Diane FARIN, Greffière lors de la mise à disposition.
DÉBATS
A l’audience du 13 Juin 2024 tenue en audience publique devant Béatrice CHARLIER-BONATTI , juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats des parties que la décision serait rendue le 12 septembre 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
Madame [J] [O] est cliente de BNP PARIBAS depuis 2021, dans les livres de laquelle elle a notamment ouvert un compte chèques.
Madame [O] a effectué 38 virements à partir de ce compte ouvert dans les livres de BNP PARIBAS, entre le 30 juin 2022 et le 19 août 2022, pour un montant total de 125.750 euros vers l’établissement lituanien TRANSACTIVE SYSTEMS UAB afin d’acquérir des cryptomonnaies.
Elle a été en fait victime d’une escroquerie et soutient que ces différents virements frauduleux ont été rendus possibles par le manquement de la BNP PARIBAS à ses obligations, notamment en tant que dépositaire de fonds.
Le 27 août 2022, Madame [O] a déposé une plainte pour escroquerie auprès du commissariat de police central de [Localité 3].
Le 29 août 2022, Madame [O] a adressé à la société BNP PARIBAS une lettre de mise en demeure afin d’obtenir le remboursement des sommes indûment virées aux escrocs. La BNP PARIBAS n’a pas donné de suite favorable à cette lettre.
Le 26 octobre 2022, Madame [O] a saisi le tribunal judiciaire de Paris afin de solliciter la condamnation de la société BNP PARIBAS au remboursement de la somme de 125.750,00 €, correspondant aux montants indûment virés aux escrocs.
Par conclusions en date du 27 février 2024, Madame [O] demande au tribunal de:
Déclarer Madame [O] [J] recevable et bien fondé en ses demandes ;
En conséquence,
Juger que la société BNP Paribas a manqué à son devoir de prudence, de vigilance et de vérification et commis des fautes de négligence en exécutant les opérations de virements frauduleux d’un montant total de 125.750,00 € au préjudice de Madame [O] [J] ;
Juger que Madame [O] [J] n’a commis aucune négligence de nature à exonérer totalement ou partiellement la société BNP Paribas de sa responsabilité civile contractuelle dans l’exécution des opérations de virements frauduleux ;
Condamner la société BNP Paribas à payer et porter à Madame [O] [J] la somme de 125.750,00 € correspondant au montant des sommes indûment virées aux escrocs outre le paiement des intérêts au taux légal à compter du 29 août 2022 et ce sous astreinte de 200 € par jour de retard à l’expiration d’un délai de 7 jours suivant la signification de la décision à intervenir jusqu’au complet paiement de la créance ;
Condamner la société BNP Paribas à payer et porter à Madame [O] [J] la somme de 15.000 € à titre de dommages-intérêts outre le paiement des intérêts pour préjudice moral, au taux légal à compter du 29 août 2022 et ce sous astreinte de 200 € par jour de retard à l’expiration d’un délai de 7 jours suivant la signification de la décision à intervenir jusqu’au complet paiement de la créance ;
Ordonner la capitalisation des intérêts échus pour l’ensemble des sommes dues en application de l’article 1343-2 du Code civil ;
En tout état de cause,
Débouter la société BNP Paribas de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l’encontre de Madame [O] [J] ;
Dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
Condamner la société BNP Paribas à verser à Madame [O] [J] la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la société BNP Paribas aux dépens.
Par conclusions en date du 18 mars 2024, la BNP PARIBAS demande au tribunal de:
A titre principal :
Débouter Mme [O] de l’intégralité de ses demandes à toutes fins qu’elles comportent ;
A titre subsidiaire :
Juger que Mme [O] a concouru significativement à la réalisation de son propre préjudice en raison de ses dissimulations et manque de vigilance fautifs ;
Réduire en conséquence de manière significative le montant des réclamations formulées par Mme [O] à l’encontre de BNP PARIBAS ;
En tout état de cause :
Condamner Mme [O] à verser à BNP PARIBAS la somme de 10.000 euros, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Ecarter l’exécution provisoire en faveur de Mme [O] ;
La condamner aux entiers dépens.
Conformément à l’article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures susvisées pour l’exposé complet des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 2 mai 2024 avec fixation à l’audience du 13 juin 2024. L’affaire a été mise en délibéré au 12 septembre 2024.
I. Sur le devoir de vigilance de la BNP PARIBAS:
Aux termes de l’article 1231-1 du Code civil: « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ».
L’article L. 133-3 et du Code monétaire et financier définit l’opération de paiement comme :« une action consistant à verser, transférer ou retirer des fonds, indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire, initiée par le payeur, pour son compte, ou par le bénéficiaire. »
L’article L 133-6 du Code monétaire et financier dispose également : « Une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution. ».
L’article L 133-8 du même code ajoute que: « L’utilisateur de services de paiement ne peut révoquer un ordre de paiement une fois qu’il a été reçu par le prestataire de services de paiement du payeur sauf disposition contraire du présent article ».
L’article L 133-13 du même code impose à la banque une obligation d’exécuter les opérations de paiement autorisées à bref délai.
Enfin, l’article L 133-21 du Code monétaire et financier précise enfin : « Un ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l’identifiant unique. Si l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n’est pas responsable de la mauvaise exécution de l’opération de paiement ».
A défaut d’anomalies apparentes, intellectuelles ou matérielles, faisant naître à sa charge un devoir de vigilance l’obligeant à se rapprocher de son client aux fins de vérification de son consentement, le banquier teneur de compte n’a pas à s’immiscer dans les affaires de son client. Il ne saurait ainsi effectuer des recherches ou réclamer des justifications pour s’assurer que les opérations de son client, dont il n’a pas à rechercher la cause sont opportunes et exemptes de danger.
Au cas présent, il n’est pas discuté que les sommes virées depuis les comptes de la demanderesse l’ont été sur les comptes indiqués aux ordres de virement et que la demanderesse en était le donneur d’ordre, si bien que ces ordres étaient authentiques et qu’ils n’ont pas été dévoyés, la demanderesse n’en querellant que l’objet.
En effet Madame [O] était bien à l’origine de ces opérations, qu’elle les a initiées de son plein gré, en agence ou en ligne. Les virements ont été effectués soit en ligne grâce à sa clé digitale sécurisée après avoir elle-même enregistré, le 29 juin 2022, le RIB d’un compte ouvert au nom du bénéficiaire « [J] [O] » dans les livres de TRANSACTIVE SYSTEMS UAB, soit pour deux virements, en agence, en faveur de ce même RIB remis par la cliente.
Ce faisant, la demanderesse ne saurait reprocher à la société BNP PARIBAS de n’avoir pas vérifié l’identité des destinataires puisque les mouvements de fonds ont été exécutés au profit du destinataire mentionné dans l’ordre.
Le banquier n’est pas tenu, sauf convention dont l’existence n’est ici pas établie, d’un devoir de conseil ou de mise en garde, sur des produits auxquels il demeure étranger.
Si bien que concernant les virements querellés, la demanderesse n’établit pas la faute qu’aurait commise la banque émettrice des virements litigieux, laquelle, au contraire, avait une obligation de résultat dans l’exécution des ordres donnés, et qui, simple mandataire de son client n’avait pas à contrôler l’usage de fonds dont elle avait la libre disposition, en sorte que ses prétentions dirigées contre elle seront rejetées.
L’obligation de vigilance de la BNP PARIBAS ne porte que sur l’authenticité des ordres transmis et non sur leur objet, donc sur l’opération sous-jacente, dont l’objet erroné, voire illicite, ne remet pas en cause la validité extérieure et formelle du virement.
II. Sur le devoir de mise en garde et d’information de la BNP PARIBAS:
Madame [O] reproche à la BNP PARIBAS de ne pas l’avoir alertée sur les risques qu’elle encourait en réalisant les investissements litigieux, voire dissuadée de réaliser ces opérations, alors même qu’elle n’avait « aucune compétence particulière en matière de placements financiers ».
Aux termes de l’article 1112-1 du Code civil : « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants ».
Il sera rappelé qu’en présence de virements autorisés et en l’absence de toute anomalie, la banque, agissant en qualité de teneur de compte, n’est nullement tenue à une obligation d’information qui plus est concernant des produits qu’elle ne commercialise pas.
L’obligation d’information pesant sur le banquier porte exclusivement sur les produits et services qu’il commercialise.
A ce titre, la banque n’a pas d’obligation de conseil ou de mise en garde au titre d’investissements qu’elle n’a pas conseillés et qui ont été réalisés seuls par son client grâce à des virements opérés depuis son compte courant.
En conséquence, Madame [O] sera déboutée de ses demandes à ce titre.
III. Sur les frais irrépétibles et les dépens:
Madame [O], partie succombant à l’instance, sera condamnée aux dépens.
Toutefois, pour des motifs d’équité, il serait manifestement excessif de mettre à sa charge les frais irrépétibles exposés par la banque et non compris dans les dépens, de sorte que la demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile sera rejetée.
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire mis à disposition au greffe, et en premier ressort,
DEBOUTE Madame [J] [O] de l’ensemble de ses
demandes ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Madame [J] [O] aux dépens.
Fait et jugé à Paris le 12 Septembre 2024.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE