Engagement de cautionnement : Évaluation de la disproportion et obligation de mise en garde du créancier

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Engagement de cautionnement : Évaluation de la disproportion et obligation de mise en garde du créancier

La société Bordelaise de Crédit Industriel a accordé un prêt de 340 000 euros à la société Gourmand Team, avec Monsieur [F] [N] comme caution personnelle pour 204 000 euros. La caution a une limite garantie de 408 000 euros. La société Gourmand Team a été placée en redressement judiciaire en mars 2015, puis en liquidation judiciaire en octobre 2016. En août 2021, la société CIC Sud Ouest a demandé la condamnation de Monsieur [N] à payer 133 911,79 euros. Le tribunal a jugé que l’acte de cautionnement était conforme et a confirmé l’exigibilité des sommes dues. Monsieur [N] a interjeté appel, contestant la validité de la créance et le respect des obligations d’information de la banque. La banque a soutenu que le cautionnement était valide et que les demandes de Monsieur [N] étaient prescrites. La cour a infirmé en partie le jugement initial, rejetant les demandes de la banque contre Monsieur [N] et lui accordant 3 000 euros au titre des frais de justice.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

11 septembre 2024
Cour d’appel de Nancy
RG
23/01277
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D’APPEL DE NANCY

CINQUIÈME CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT N° /24 DU 11 SEPTEMBRE 2024

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 23/01277 – N° Portalis DBVR-V-B7H-FGBR

Décision déférée à la Cour : jugement du Tribunal de Commerce d’EPINAL, R.G. n° 2021 2195, en date du 30 mai 2023,

APPELANT :

Monsieur [F] [N]

né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 4], demeurant [Adresse 3]

Représenté par Me Cyrille GAUTHIER de la SCP GAUTHIER, avocat au barreau d’EPINAL

INTIMÉE :

S.A. CIC SUD OUEST prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social [Adresse 2] inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Bordeau sous le numéro 456 204 809

Représenté par Me Olivier COUSIN de la SCP SYNERGIE AVOCATS, avocat au barreau d’EPINAL

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 19 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Benoit JOBERT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président, chargé du rapport ;

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller,

Monsieur Jean-Louis FIRON Conseiller

Monsieur Benoit JOBERT, Magistrat honoraire

Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL.

A l’issue des débats, le Magistrat honoraire faisant fonction de Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 11 Septembre 2024, en application du deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

ARRÊT : contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

signé par Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller à la cinquième chambre commerciale et par Monsieur Ali Adjal , Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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FAITS ET PROCEDURE

Par acte du 8 juillet 2010, la société Bordelaise de Crédit Industriel (la banque) a consenti à la société Gourmand Team, exploitant un fonds de commerce artisanal de boulangerie-pâtisserie à [Localité 5], un prêt de 340 000 euros, remboursable en 84 mensualités successives de 4 592,82 euros chacune.

Monsieur [F] [N] s’est porté le même jour caution personnelle et solidaire du prêt pour une somme de 204 000 euros ‘incluant principal, intérêts et, le cas échéant, pénalités ou intérêts de retard et sa durée est celle du prêt majorée de 24 mois’.

La formule manuscrite de la caution mentionne une limite garantie de 408 000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et pénalités de retard pour une durée de 108 mois.

Par jugement en date du 3 mars 2015 la société Gourmand Team a été placée en redressement judiciaire, procédure qui a été convertie en liquidation judiciaire le 18 octobre 2016.

Par acte en date du 20 août 2021, la société CIC Sud Ouest a sollicité du tribunal de commerce d’Epinal la condamnation de Monsieur [N], en sa qualité de caution du débiteur principal, à lui verser la somme de 133.911,79 € en sa qualité de caution.

Par jugement du 30 mai 2023, ce tribunal a :

– Reçu le CIC Sud Ouest en sa demande.

– S’est déclaré compétent.

– Dit que l’acte de cautionnement était conforme aux règles de droit généralement appliquées en la matière.

– Confirmé l’exigibilité des sommes restant dues, au visa de l’article L 643-1 du code de commerce.

– Expliqué que la pièce n° 12 versée aux débats datée du 16/02/201 1, correspondait à l’information annuelle concernant l’année 2010 de sorte que CIC Sud Ouest ne serait pas déchu de ses droits aux accessoires, frais, intérêts et pénalités de la dette pour l’année 2010, de sorte que M. [N] était mal fondé à contester la réalité des envois de lettres annuelles et notamment celle de 2010 adressées à la caution.

– Estimé que M. [N], ne pouvait prétendre être ignorant des montants dont il est redevable en sa qualité de caution, et considéré qu’il tente de tromper la religion du tribunal pour s’exonérer de tout paiement à l’endroit de CIC Sud Ouest.

– Dit que le CIC Sud Ouest avait rempli ses obligations au regard de la situation financière de l’emprunteur au moment de la signature de l’acte de cautionnement.

– Estimé que M. [N], en se portant caution de la SARL Gourmand Team, ne pouvait ignorer ses obligations en sa qualité de caution avertie, compte tenu de son passé professionnel.

– Dit que le CIC Sud Ouest n’était pas tenu a un devoir de mise en garde spécifique envers M. [N] qui avait pris seul les décisions économiques qui avaient conduit la SARL Gourmand Team à sa liquidation judiciaire.

-Estimé que, compte tenu de la situation patrimoniale de M. [N], présentée par lui-même, les concours apportés à M. [N], avant la mise en liquidation de SARL Gourmand Team, n’étaient pas excessifs.

– Jugé que la demande de M. [N] concernant l’allocation de dommages et intérêts serait écartée.

En conséquence ,

– Rejeté l’intégralité des demandes, fins et conclusions de M. [N], comprenant les demandes reconventionnelles.

– Condamné le défendeur à payer à la demanderesse les sommes de 133 911,79 € avec intérêts au taux légal à compter du 06/06/2019 date de la mise en demeure , 1500 € conformément aux dispositions de l’article 700 du CPC et à supporter les dépens de l’instance.

Par déclaration au greffe en date du 16 juin 2023, M. [N] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 3 février 2024, Monsieur [N] conclut à l’infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Il demande à la cour, statuant à nouveau, de déclarer le CIC Sud Ouest infondé en ses demandes er de les rejeter.

Subsidiairement, il demande à la cour de constater le défaut d’information annuel de la caution, de prononcer la déchéance de tous les accessoires de la dette, frais et pénalités.

A titre reconventionnel et en tout état de cause, il sollicite de la cour la condamnation de la société CIC Sud Ouest à lui régler, à titre de dommages et intérêts, la somme de 133.911,79 €, avec intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2019.

Il demande en outre à la cour de constater la déchéance du droit de la société CIC Sud Ouest contre la caution à hauteur de la totalité des sommes réclamées, de dire et juger que cette somme se compensera avec toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au profit de la société CIC Sud Ouest, de rejeter les prétentions de cette dernière, de la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les frais et dépens de la procédure.

A l’appui de son recours, M. [N] fait valoir en substance que :

– son engagement de caution était initialement disproportionné à ses biens et revenus et l’était encore lorsqu’il a été appelé par la banque,

– Aux termes des articles 2293 du Code civil et L.313-9 du Code de la consommation, la banque était tenue de l’informer annuellement sur le montant de la créance garantie ainsi que sur ses accessoires, ce dont elle n’apporte pas la preuve, elle encourt donc la déchéance du droit aux intérêts,

– la banque ne justifie pas du montant de sa créance,

– il s’est engagé à garantir le paiement de la somme de 408 000 euros, ce qui était disproportionné à ses biens et revenus lors de la souscription de l’engagement de caution,

– sa demande en déchéance du droit aux intérêts dirigée contre la banque n’est pas prescrite parce que le délai de prescription a commencé à courir au jour où il a subi son préjudice, soit à compter du jour où il a su avec précision le montant des sommes que le débiteur principal ne paierait pas, au pire à compter de l’assigantion en justice,

– la banque a manqué à son obligation de mise en garde, au principe de proportionnalité de son engagement à son patrimoine et à ses revenus.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 31 janvier 2024, la Banque conclut, à titre principal, à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.

A titre subsidiaire, si la cour devait retenir un défaut d’information annuelle de la caution, il lui demande de juger que le taux contractuel sera substitué par le taux d’intérêt légal à compter du 31 mai 2017.

En outre, si une faute était retenue à son encontre au titre du devoir de mise en garde de la caution, elle lui demande de juger que la perte de chance ne peut dépasser 5% des sommes sollicitées.

En tout état de cause, elle réclame la condamnation de Monsieur [N] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de procédure.

La société Banque CIC expose en substance que :

– le cautionnement respecte le formalisme légal et est limité dans son montant et sa durée,

– les sommes prêtées sont devenues exigibles du fait de la liquidation judiciaire du débiteur principal,

– elle a respecté son obligation d’information de la caution,

– les demandes de M. [N] sont prescrites.

MOTIFS

1- sur les demandes de la banque

M. [N] lui oppose d’abord les dispositions de l’article L341-4 du code de la consommation, devenu article L.332-1, dans sa rédaction en vigueur du 5 août 2003 au 1er juillet 2016, applicable à la cause , « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation . »

Cet article ne distingue pas entre la caution personne physique consommatrice et la caution personne physique professionnelle de sorte qu’il s’applique en l’espèce.

En l’espèce, la souscription par M. [N], le 8 juillet 2010 d’un cautionnement d’un montant global de 408 000 euros, tel que cela résulte de la mention manuscrite figurant sur l’acte, était manifestement disproportionné à ses biens et revenus de l’époque :

Il ressort en effet de la fiche de renseignements patrimoniales établie préalablement par M. [N] le 30 juin 2010, qui ne présente pas d’anomalies apparentes, que ce dernier était alors propriétaire de deux biens immobiliers d’une valeur globale de 330 000 euros ; ces biens faisaient partie de la communauté existante avec son épouse, les époux [N] étant mariés sous le régime légal de la communauté réduite aux acquets ; dans l’acte de cautionnement, l’épouse a donné son accord exprès de sorte que ces biens devaient être pris en compte dans l’appréciation de la disproportion invoquée.

En outre, M. [N] tirait un revenu de 39 000 euros par an, soit 3250 euros par mois en moyenne, de son activité professionnelle ; il disposait d’une épargne de 30 000 euros.

En ce concerne ses charges, Il devait rembourser, de concert avec son épouse, un prêt immobilier d’un montant de 290 000 euros à raison de mensualités de 1722,23 euros, ce qui représentait plus de 50 % de son revenu mensuel ; le solde lui revenant après paiement de cette mensualité était de 1527,77 euros par mois, ce qui, de façon manifeste, ne permettait pas à la fois de faire face aux charges d’entretien du ménage qui comprenait deux enfants et à l’exécution de ses engagements de caution en cas de défaillance du débiteur principal, lequel était tenu de payer une mensualité de 4 592,82 euros.

Il apporte ainsi la preuve de la disproportion manifeste de son engagement de caution à ses biens et revenus lors de sa conclusion.

S’il appartient à la caution, qui l’invoque, de démontrer l’existence de la disproportion manifeste de son engagement, au moment de la conclusion de celui-ci, en revanche, il appartient à la banque d’établir, qu’au moment où elle appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son engagement.

A cet égard, la banque soutient dans ses conclusions récapitulatives que, lorsqu’elle a appelé M. [N] en paiement par assignation signifié le 26 août 2021, la somme due au titre de la caution avait été réduite à 133 911,79 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2019, qu’il percevait un salaire de 2270 euros par mois, qu’il disposait d’une épargne de 30 000 euros, qu’il était ‘plus que probable’ qu’il en avait constitué une d’un montant supérieur.

Elle ajoute en outre que le paiement du loyer de son domicile pesait sur la SCI propriétaire de l’immeuble, que les charges mensuelles des époux [N] s’élevaient à la somme de 445,83 euros par mois, dont 222,91 euros à la charge de M. [N] et qu’enfin, la quotité saisissable sur son salaire serait de 796,47 euros par mois.

Toutefois, ces éléments sont insuffisants pour prouver que celui-ci serait en mesure de faire face à son engagement : la banque n’a pas justifié de l’existence d’un patrimoine immobilier et il est établi par les pièces versées aux débats et les éléments rassemblés par le conseiller de la mise en état que les deux immeubles existant lors de la conclusion de l’engagement de caution ont été vendus et que le produit de la vente a couvert le crédit souscrit pour les acquérir sans laisser de solde ; M. [N] disposait en outre de 45 % des parts sociales d’une SCI dont l’objet social était l’acquisition d’un immeuble servant de domicile pour sa famille.

Ses charges invoquées par la banque sont manifestement sous-évaluées, les dépenses d’entretien d’une famille de quatre personnes ne pouvant se limiter à la somme de 445,83 euros par mois ; M. [N] a fourni, de son côté, un récapitulatif de ses charges pour un montant de 1880,19 euros par mois, qui est plus réaliste et plus conforme à celles d’une famille de quatre personnes.

Par ailleurs, les allégations sur l’épargne du débiteur sont hypothétiques.

La banque ne fournit aucune évaluation des parts sociales de M. [N] dans la SCI.

De plus, en retenant, comme le fait la banque, que la quotité saisissable du salaire de M. [N] s’élèverait à la somme de 796,47 euros par mois, il en résulte que ce dernier est dans l’impossibilité de faire face au paiement d’une somme exigible de 133 911,79 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2019.

La banque ne peut donc se prévaloir du cautionnement souscrit par M. [N] par application de l’article L341-4 du code de la consommation.

Le jugement entrepris doit donc être infirmé en ce qu’il a condamné ce dernier à payer à la banque la somme de 133 911,79 euros majorée des intérêts au tux légal à compter du 6 juin 2019.

Statuant à nouveau sur ce point, la demande de la banque doit être rejetée.

Par suite, il n’y a pas lieu d’examiner l’autre moyen par lequel M. [N] entendait écarter toute condamnation à son égard, à savoir la déchéance du droit aux intérêts échus encourue par la banque, devenu sans objet et soulevé au demeurant à titre subsidiaire.

Par voie de conséquence, le jugement entrepris doit également être infirmé en ce qu’il a confirmé l’exigibilité des sommes restant dues, au visa de l’article L 643-1 du code de commerce, expliqué que la pièce n° 12 versée aux débats datée du 16/02/201 1, correspondait à l’information annuelle concernant l’année 2010 de sorte que CIC Sud Ouest ne serait pas déchu de ses droits aux accessoires, frais, intérêts et pénalités de la dette pour l’année 2010, de sorte que M. [N] était mal fondé à contester la réalité des envois de lettres annuelles et notamment celle de 2010 adressées à la caution, estimé que M. [N], ne pouvait prétendre être ignorant des montants dont il est redevable en sa qualité de caution, et considéré qu’il tente de tromper la religion du tribunal pour s’exonérer de tout paiement à l’endroit de CIC Sud Ouest, dit que le CIC Sud Ouest avait rempli ses obligations au regard de la situation financière de l’emprunteur au moment de la signature de l’acte de cautionnement.

Statuant à nouveau à ce sujet, les prétentions de la banque doivent être rejetées.

2- sur la demande reconventionnelle de M. [N]

Cette demande est fondée sur le défaut d’exécution du devoir de mise en garde de la caution par la banque.

Comme celle-ci l’a justement fait remarquer dans ses conclusions, les dispositions de l’article 2299 du Code civil, entrées en vigueur le 1er janvier 2022, ne sont pas applicables au cautionnement litigieux conclu en 2010.

La banque est tenue, à l’égard des cautions considérées comme non averties, d’un devoir de mise en garde à raison de leurs capacités financières et de risques de l’endettement né de l’octroi du prêt et cette obligation n’est pas limitée au caractère disproportionné de leur engagement au regard de leurs biens et ressources.

La caution avertie est celle qui dispose des compétences nécessaires pour apprécier le contenu, la portée et les risques liés aux concours consentis ; il doit être tenu compte de ses capacités à mesurer le risque pris, de ses capacités intellectuelles, de son expérience dans le secteur considéré, et de son habitude des affaires.

En l’espèce, il est constant que M. [N] a été gérant de la société cautionnée depuis sa création en 2010 ; le cautionnement litigieux, dans sa version initiale, a été conclu la même année ; il n’est pas démontré que M. [N] avait antérieurement développé les capacités intellectuelles, notamment par une formation adaptée, et/ou acquis une expérience professionnelle dans le monde des affaires lui permettant d’apprécier en connaissance de cause la portée de l’engagement qu’il souscrivait ; la qualité de dirigeant ne suffisant pas en soi pour être considérée comme une caution avertie, il y a lieu de constater que, lors de la conclusion de l’acte de caution, M. [N] n’était pas une caution avertie.

Néanmoins, la banque qui consent à un emprunteur un crédit adapté à ses capacités financières et au risque de l’endettement né de l’octroi du prêt à la date de la conclusion du contrat, n’est pas, en l’absence de risque, tenue à une obligation de mise en garde de la caution même non avertie (cf, Cour de cass., Com., 7 septembre 2010, pourvoi n° 10-30.274).

Ainsi, si le débiteur principal est solvable et que ses biens et revenus lui permettent de faire face à son emprunt sans risque de défaillance, la banque est dispensée de son obligation de mise en garde de la caution.

Toutefois, en l’espèce, la banque n’a fourni aucun élément sur la situation du débiteur principal dont il ressortirait que l’emprunt souscrit ne présentait aucun risque.

Dès lors, la banque n’était pas dispensée d’exécuter son devoir de mise en garde à l’égard de M. [N].

Il ressort de la fiche de renseignements patrimoniales établie par M. [N] le 30 juin 2010 qui ne présente pas d’anomalies apparentes, que ce dernier était, au jour de son engagement, propriétaire de deux biens immobiliers d’une valeur globale de 330 000 euros ; les époux [N] étant mariés sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts, ces biens faisaient partie de la communauté ; son épouse ayant expressément consenti à l’engagement de caution, la banque pouvait éventuellement exécuter sur ces immeubles en cas de défaillance de la caution une fois appelée.

Il tirait un revenu annuel de 39 000 euros de son activité professionnelle (3250 euros par mois en moyenne); son épargne était de 30 000 euros.

Il devait rembourser, de concert avec son épouse, un prêt immobilier d’un montant de 290 000 euros à raison de mensualités de 1722,23 euros, ce qui représentait plus de 50 % de son revenu mensuel ; le solde lui revenant après paiement de cette mensualité était de 1527,77 euros par mois, ce qui lui permettait juste de faire face aux charges courantes et incompressibles d’une famille de quatre personnes mais le privait de toute capacité de remboursement de nouvelles dettes.

Dans ces conditions, la souscription le 8 juillet 2010 d’un cautionnement d’un montant global de 408.000 euros [204 000 euros en principal auquel s’ajoute les accessoires] sur une durée de 108 mois présentait un risque financier avéré pour M. [N] en cas de défaillance du débiteur principal ; en effet, la caution n’aurait pas été en mesure de faire face aux échéances du prêt souscrit par la société cautionnée d’un montant de 4592,82 euros par mois pendant 84 mois ; M. [N] aurait été contraint de liquider son patrimoine immobilier sans avoir la certitude de pouvoir régler sa dette envers la banque, celle-ci devant venir en concours avec d’autres créanciers de M. [N] susceptibles de la primer.

Le risque d’aggravation irrémédiable de son endettement par la souscription de cet engagement de caution était avéré.

Compte tenu de ce risque, la banque était bien tenue d’un devoir de mise en garde de M. [N] et elle n’apporte pas la preuve de l’avoir exécuté.

Dés lors, le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu’il a dit que le CIC Sud Ouest n’était pas tenu à un devoir de mise en garde spécifique envers M. [N] qui avait pris seul les décisions économiques qui avaient conduit la SARL Gourmand Team à sa liquidation judiciaire et jugé que sa demande concernant l’allocation de dommages et intérêts serait écartée.

Statuant à nouveau dans cette limite, il y a lieu de dire que la banque a manqué à son obligation de mise en garde de la caution et de la condamner à payer des dommages et intérêts réparant le préjudice né de la perte d’une chance de ne pas contracter subi par M. [N].

Il résulte de l’article 1231-1 du Code civil que la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée (cf, Cour de cass., pourvoi n° 21-16.030).

Ayant été précédemment déchargé de son engagement de caution en date du 8 juillet 2010, M. [N] ne justifie d’aucun préjudice, même moral, qui serait né du manquement de la banque à son devoir de mise en garde. Il convient pour ce motif de confirmer le jugement entrepris, en ce qu’il a débouté l’appelant de sa demande de dommages-intérêts.

3- sur les autres dispositions du jugement entrepris

Le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu’il a condamné M. [N] à payer à la banque la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance.

Statuant à nouveau, la demande la banque au titre de l’article 700 du code de procédure civile doit être rejetée et elle doit être condamnée aux dépens de première instance en tant que partie perdante.

En revanche, le jugement entrepris doit être confirmé en ce que le tribunal s’est déclaré compétent et en ce qu’il dit que l’acte de cautionnement était conforme aux dispositions de droit généralement appliquées en la matière, dispositions qui n’ont pas été critiquées.

4- sur les demandes des parties à hauteur d’appel

La banque étant la partie perdante, sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile doit être rejetée tandis que l’équité commande qu’elle soit condamnée à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire,prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,

INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a condamné M. [F] [N] à payer à la société Banque CIC Sud Ouest les somme de 133 911,79 euros majorée des intérêts au tux légal à compter du 6 juin 2019 et 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en ce qu’il a confirmé l’exigibilité des sommes restant dues, au visa de l’article L 643-1 du code de commerce, expliqué que la pièce n° 12 versée aux débats datée du 16/02/201 1, correspondait à l’information annuelle concernant l’année 2010 de sorte que CIC Sud Ouest ne serait pas déchu de ses droits aux accessoires, frais, intérêts et pénalités de la dette pour l’année 2010, de sorte que M. [N] était mal fondé à contester la réalité des envois de lettres annuelles et notamment celle de 2010 adressées à la caution, estimé que M. [N], ne pouvait prétendre être ignorant des montants dont il est redevable en sa qualité de caution, et considéré qu’il tente de tromper la religion du tribunal pour s’exonérer de tout paiement à l’endroit de CIC Sud Ouest, dit que le CIC Sud Ouest avait rempli ses obligations au regard de la situation financière de l’emprunteur au moment de la signature de l’acte de cautionnement, en ce qu’il a dit que la société Banque CIC Sud Ouest n’était pas tenue à un devoir de mise en garde spécifique envers M. [N] qui avait pris seul les décisions économiques qui avaient conduit la SARL Gourmand Team à sa liquidation judiciaire et jugé que sa demande concernant l’allocation de dommages et intérêts serait écartée et en ce qu’elle a condamné M. [F] [N] aux dépens de première instance.

CONFIRME le jugement entrepris, en ce qu’il a débouté M. [F] [N] de sa demande de dommages-intérêts formée au titre du devoir de mise en garde de la banque ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

REJETTE les demandes de la société Banque CIC Sud Ouest formées à l’encontre de M. [F] [N].

LA CONDAMNE aux dépens de première instance.

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Banque CIC Sud Ouest à payer à M. [F] [N] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

REJETTE sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LA CONDAMNE aux dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Olivier Beaudier, Conseiller à la cinquième chambre commerciale à la Cour d’Appel de NANCY, et par Monsieur Ali Adjal, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRÉSIDENT,

Minute en neuf pages.


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