Limitation des engagements et protection des cautions : un équilibre à trouver dans le cadre des obligations financières.

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Limitation des engagements et protection des cautions : un équilibre à trouver dans le cadre des obligations financières.

La SARL Publi Quercy a contracté un emprunt de 70 000 Euros auprès de la Banque Populaire Occitane, avec M. [T] comme caution solidaire pour 17 500 Euros. En mai 2021, la société a émis un billet à ordre de 22 000 Euros, également signé par M. [T]. La SARL a été placée en redressement judiciaire le 17 mai 2021, puis en liquidation le 12 juillet 2021. La Banque Populaire a mis en demeure M. [T] de payer les sommes dues. En avril 2023, le tribunal a condamné M. [T] à payer 690,38 Euros pour le cautionnement et a annulé l’aval du billet à ordre. La Banque Populaire a fait appel de cette décision. En janvier 2024, elle a soutenu que M. [T] était débiteur du billet à ordre et a demandé l’infirmation du jugement. M. [T] a contesté la validité de l’aval et la limitation de son cautionnement. La cour a finalement infirmé le jugement, condamnant M. [T] à payer 172,59 Euros pour le cautionnement et 22 125,62 Euros pour l’aval, avec des modalités de paiement échelonné. La demande de dommages et intérêts de M. [T] a été rejetée.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

11 septembre 2024
Cour d’appel d’Agen
RG
23/00549
ARRÊT DU

11 Septembre 2024

DB / NC

———————

N° RG 23/00549

N° Portalis DBVO-V-B7H- DD5Z

———————

BANQUE POPULAIRE OCCITANE

C/

[Z] [T]

——————

GROSSES le

aux avocats

ARRÊT n°

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Civile

Section commerciale

LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère chambre dans l’affaire,

ENTRE :

BANQUE POPULAIRE OCCITANE

RCS TOULOUSE 560 801 300

société coopérative dont le siège social est [Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Lynda TABART, membre de la SCP DIVONA LEX, avocate au barreau du LOT

APPELANTE d’un jugement du tribunal de commerce de CAHORS en date du 24 avril 2023, RG 2022 000631

D’une part,

ET :

M. [Z] [T]

né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 6]

de nationalité française

domicilié : [Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 5]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2023-2181 du 08/09/2023 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle d’AGEN)

représenté par Me David LLAMAS, avocat au barreau d’AGEN

INTIMÉ

D’autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

l’affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 1er juillet 2024 devant la cour composée de :

Président : André BEAUCLAIR, Président de chambre

Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller qui a fait un rapport oral à l’audience

Anne Laure RIGAULT, Conseiller

Greffière : Nathalie CAILHETON

ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

FAITS :

Par acte sous seing privé du 29 août 2017, la SARL Publi Quercy, dont le gérant est [Z] [T], a souscrit, auprès de la Banque Populaire Occitane (la Banque Populaire), un emprunt n° 08760186 de 70 000 Euros destiné à financer l’achat de matériel professionnel, remboursable en 84 mensualités de 912,59 Euros, assurance incluse, au taux d’intérêts annuel fixe de 1,760 %.

Par acte sous seing privé du même jour, M. [T] s’est porté caution solidaire du remboursement de cet emprunt dans la limite de 17 500 Euros.

Le 4 mai 2021, la SARL Publi Quercy a souscrit un billet à ordre d’un montant de 22 000 Euros à échéance au 31 mai 2021 au profit de la Banque Populaire.

M. [T] y a signé la mention « bon pour aval ».

Le 17 mai 2021, le tribunal de commerce de Cahors a placé la SARL Publi Quercy en redressement judiciaire

La Banque Populaire Occitane a déclaré au passif les créances suivantes :

– 40 352,03 Euros au titre du solde restant dû sur l’emprunt du 29 août 2017,

– 22 000 Euros au titre du billet à ordre.

Le 12 juillet 2021, la liquidation de la SARL Publi Quercy a été prononcée.

Par lettre recommandée du 19 juillet 2021, la Banque Populaire a mis en demeure M. [T] de lui payer la somme de 17 500 Euros au titre du cautionnement et de 22 000 Euros au titre de l’aval du billet à ordre.

Le 28 juillet 2021, elle a procédé à une nouvelle déclaration de créance au passif de la liquidation judiciaire pour des montants respectifs de 40 931,96 Euros et 22 000 Euros.

Par jugement du 11 octobre 2021, le plan de cession de la SARL Publi Quercy a été homologué.

Il a prévu, notamment, la cession du matériel financé par l’emprunt souscrit le 29 août 2017, le cessionnaire reprenant le paiement de l’emprunt.

Par acte du 15 avril 2022, la Banque Populaire a fait assigner M. [T] devant le tribunal de commerce de Cahors afin de le voir condamner à lui payer le solde de l’emprunt, soit 4 564,69 Euros, et 22 125,62 Euros au titre du billet à ordre.

M. [T] a opposé que le cautionnement avait été souscrit dans la limite de 25 % des sommes restant dues, l’absence d’information annuelle de la caution, ainsi que la nullité de l’aval pour manquement à l’obligation de l’informer du mécanisme précis de l’aval.

Par jugement rendu le 24 avril 2023, le tribunal de commerce de Cahors a :

– condamné M. [Z] [T], en sa qualité de caution solidaire des sommes dues par la société Publi Quercy, à régler à la Banque Populaire Occitane la somme de 690,38 Euros, outre application du taux légal d’intérêts à compter de la signification du jugement à intervenir,

– prononcé la nullité de l’aval en date du 4 mai 2021 et débouté la Banque Populaire Occitane de sa demande à ce titre,

– dit qu’il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et débouté les deux parties de leur demande à ce titre,

– ordonné l’exécution provisoire du jugement,

– condamné la Banque Populaire Occitane aux dépens.

Le tribunal a admis la limitation du cautionnement invoquée, l’absence de preuve de l’information annuelle de la caution générant la déchéance du droit aux intérêts, et un manquement de la banque à informer M. [T] de la nature de son engagement en qualité d’avaliste.

Par acte du 12 juin 2023, la Banque Populaire Occitane a déclaré former appel du jugement en indiquant que l’appel porte sur les dispositions du jugement qui ont :

– prononcé la nullité de l’aval en date du 4 mai 2021 et débouté la Banque Populaire Occitane de sa demande à ce titre,

– dit qu’il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et débouté les deux parties de leur demande à ce titre,

– ordonné l’exécution provisoire du jugement,

– condamné la Banque Populaire Occitane aux dépens.

La clôture a été prononcée le 5 juin 2024 et l’affaire fixée à l’audience de la Cour du 1er juillet 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS :

Par dernières conclusions notifiées le 25 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, la société coopérative Banque Populaire Occitane présente l’argumentation suivante :

– M. [T] est débiteur du billet à ordre :

* l’aval répond aux règles du droit cambiaire.

* l’avaliste ne peut invoquer aucun manquement à un devoir d’information, comme l’indique la jurisprudence la plus récente.

* M. [T] a donné son aval en toute connaissance de la situation de la société qu’il dirigeait comme en atteste, notamment, un courriel du 9 avril 2020.

* en application de l’article L. 511-12 du code de commerce, aucune exception ne peut lui être opposée dès lors qu’elle n’a jamais agi au détriment du débiteur.

* il n’existe aucune preuve que la situation de la SARL Publi Quercy aurait été irrémédiablement compromise au moment de la souscription du billet à ordre, situation ne pouvant être assimilée à une insuffisance de trésorerie ou un dépassement de l’escompte autorisé.

– La demande de dommages et intérêts n’est pas fondée.

Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :

– infirmer le jugement sur les points de son appel,

– rejeter la demande reconventionnelle présentée par M. [T],

– le condamner, en sa qualité d’avaliste du billet à ordre du 4 mai 2021, à lui régler la somme de 22 125,62 Euros, avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2022,

– le condamner aux dépens de 1ère instance et d’appel ainsi qu’à lui payer la somme de 1 500 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

*

* *

Par conclusions d’intimé notifiées le 8 décembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, [Z] [T] présente l’argumentation suivante :

– Son cautionnement est limité :

* il est cantonné à 25 % des sommes restant dues par le débiteur.

* il n’existe aucune preuve de l’envoi des lettres d’information annuelle de la caution.

* le tribunal a retenu une somme de 25 % de 4 564,69 Euros, alors qu’il faut déduire les intérêts et appliquer ensuite le pourcentage, soit 25 % de 690,38 Euros = 172,59 Euros.

– L’aval doit être annulé :

* la SARL Publi Quercy était en difficultés depuis de nombreux mois : de janvier à mai 2021, le compte bancaire fonctionnait en situation débitrice, et d’importants frais de découverts lui étaient imputés.

* le 31 mars 2021, la Banque Populaire a dénoncé l’autorisation de caisse et d’escompte de trésorerie, puis a refusé de consentir un prêt garanti par l’Etat.

* elle a fait souscrire un billet à ordre 13 jours avant l’ouverture de la procédure collective, avec pour effet de se garantir contre l’avaliste en lui transférant une partie de la dette.

* à l’époque, il avait de graves problèmes de santé qui l’ont éprouvé.

* la Banque Populaire a agi avec mauvaise foi.

Au terme de ses conclusions, il demande à la Cour de :

– réformer le jugement en ce qu’il l’a condamné à payer la somme de 690,38 Euros,

– débouter la Banque Populaire Occitane de toute demande excédant la somme de 172,59 Euros au titre du cautionnement du prêt,

– confirmer le jugement pour le surplus,

– subsidiairement :

– condamner la Banque Populaire Occitane à lui payer la somme de 22 125,62 Euros à titre de dommages et intérêts,

– en toutes hypothèses :

– condamner la Banque Populaire Occitane à lui payer la somme de 3 000 Euros sur le fondement de l’article 37 alinéa 2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,

– très subsidiairement :

– reporter de 2 ans le paiement des condamnations prononcées à son encontre,

– dire que les paiements s’imputeront en priorité sur le capital,

– condamner la Banque Populaire Occitane aux dépens.

——————-

MOTIFS :

1) Sur le calcul des sommes restant dues au titre du cautionnement :

Devant le tribunal, la Banque Populaire a réclamé paiement, à titre principal, d’une somme de 4 564,69 Euros en exécution du cautionnement, ou subsidiairement de 1 141,17 Euros si le tribunal retenait la limitation à 25 %, ce qui a été le cas.

Le tribunal a également prononcé la déchéance des intérêts faute de justification de l’information annuelle de la caution.

Le premier juge a ensuite liquidé ainsi la somme due : 4 564,69 Euros (somme restant due) – 3 874,31 Euros (montant des intérêts à retirer) = 690,38 Euros.

La Banque Populaire ne remet en cause ni la limitation du cautionnement, ni la déchéance du droit aux intérêts, ni le calcul effectué par le tribunal.

Dès lors que l’engagement de M. [T] est limité à 25 % de la somme restant due, il ne peut être que de 25 % du capital restant dû compte tenu de la déchéance du droit aux intérêts, soit 690,38 Euros / 4 = 172,59 Euros.

Le jugement sera réformé sur ce point.

2) Sur l’aval du billet à ordre :

Vu les articles L. 511-21 et L. 512-4 du code de commerce,

Il résulte de ces textes que l’aval, en ce qu’il garantit le paiement d’un titre dont la régularité n’est pas discutée, constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change, de sorte que l’avaliste n’est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque, bénéficiaire du billet à ordre, pour manquement à un devoir d’information (Com 05 avril 2023 n° 21-17319).

Il s’ensuit en l’espèce que la Banque Populaire n’était pas tenue, lorsque M. [T] s’est porté avaliste, de l’informer du mécanisme de l’aval et de la rigueur de son engagement cambiaire et de ses conséquences.

D’ailleurs, en 2020 il avait écrit en ces termes à la Banque Populaire ‘Je m’engagerai à rembourser le découvert et le billet à ordre’ ce qui atteste, au rebours de ses explications, qu’il était parfaitement informé qu’il était susceptible de se voir réclamer à titre personnel le paiement d’un billet à ordre dont il serait avaliste.

Ensuite, M. [T] explique que la Banque Populaire a agi de mauvaise foi à son encontre compte tenu de son état dépressif, de sa détresse psychologique, et de la situation difficile de la SARL Public Quercy.

Mais la Banque Populaire était d’autant moins censée connaître les problèmes de santé de son client que, d’une part, le certificat médical établi par le Dr [X] qui indique que l’état de M. [T] ‘nécessite une sauvegarde médicale de justice’ n’est daté que du 3 mars 2022, soit près d’un an après l’aval en litige et, d’autre part, que M. [T] n’a été placé en arrêt maladie qu’à compter du 31 août 2022.

En outre et surtout, M. [T] était le dirigeant de la SARL Publi Quercy dont il connaissait en détail la situation et les difficultés, notamment de trésorerie.

En 2020, il expliquait à la Banque Populaire qu’il avait atteint le prévisionnel qu’il s’était fixé, qu’il existait un ‘projet de consolidation, le retour des capitaux propres positifs à 105 K, l’entrée d’un associé et l’augmentation de capital.’

Il ne prétend d’ailleurs pas que la Banque Populaire lui aurait dissimulé des informations qu’il ignorait et dont il aurait dû disposer.

Par conséquent, en l’absence de manoeuvres qui aurait vicié son consentement, il est tenu en qualité d’avaliste et doit être condamné à exécuter son engagement sans pouvoir opposer ni sa nullité, ni l’obtention de dommages et intérêts.

Le jugement qui a annulé l’aval doit être infirmé.

3) Sur la demande de délai de paiement :

Aux termes de l’article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Selon ce texte, il peut également ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées s’imputeront d’abord sur le capital.

En l’espèce, M. [T] justifie être en arrêt de travail depuis le 17 novembre 2021, avec perception d’indemnités journalières de 28,68 Euros.

En 2022, il a fait l’objet d’une demande de placement sous sauvegarde de justice.

Au vu de ces éléments, il lui sera accordé un délai de paiement sous forme d’échéancier précisé au dispositif du présent arrêt, avec imputation des paiements sur le capital compte tenu de sa situation financière difficile.

Enfin, l’équité nécessite d’allouer à l’appelante, en cause d’appel, la somme de 1 500 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

– la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

– INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

– STATUANT A NOUVEAU,

– CONDAMNE [Z] [T] à payer à la Banque Populaire Occitane les sommes suivantes :

1) 172,59 Euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2023 en exécution du cautionnement du 29 août 2017,

2) 22 125,62 Euros avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2022 en exécution de l’aval du 4 mai 2021,

– DIT que [Z] [T] peut s’acquitter des sommes ci-dessus par paiement, à compter du 1er octobre 2024, de 23 mensualités de 100 Euros avec paiement du solde à la 24ème mensualité ;

– DIT que chaque mensualité devra être payée au plus tard le 15 de chaque mois, et qu’à défaut du paiement d’une seule mensualité à son échéance, l’intégralité des sommes restant dues deviendra immédiatement et de plein droit exigible ;

– DIT que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital ;

– REJETTE la demande de dommages et intérêts présentée par [Z] [T] ;

– CONDAMNE [Z] [T] à payer à la Banque Populaire Occitane, en cause d’appel, la somme de 1 500 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNE [Z] [T] aux dépens de 1ère instance et d’appel.

– Le présent arrêt a été signé par André Beauclair, président, et par Nathalie Cailheton, greffière, à laquelle la minute a été remise.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT,


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